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" M. Sarkozy prend les
Français pour des imbéciles " |
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LEMONDE du mardi
17 août 2010 Propos recueillis par Luc Bronner et Gérard Courtois ENTRETIEN A la
veille des Journées d'été du rassemblement des écologistes (Verts et Europe
Ecologie) qui s'ouvrent jeudi 19 août à Nantes, Daniel Cohn-Bendit réagit à
la surenchère sécuritaire dans laquelle se sont engagés Nicolas Sarkozy et
son gouvernement. " C'est un populisme de l'exclusion pour
rassembler la droite dure sur le dos des minorités ", accuse le chef
de file d'Europe Ecologie en dénonçant " un positionnement
pervers ". Mais la gauche, ajoute-t-il, ne peut se contenter d'une
posture de protestation. Comment
jugez-vous les propositions de Nicolas Sarkozy sur la sécurité ? Je
dirais que stupidité et malveillance sont les deux nouvelles mamelles du
sarkozysme. Stupidité parce que tout le monde sait que quelqu'un qui tue un
policier est déjà condamné à la perpétuité. Croit-on vraiment que son
problème, avant de passer l'acte, sera de savoir s'il sera déchu ou pas de la
nationalité française ? Imaginons qu'il est déchu. S'il n'est que français,
quel pays va le prendre ? Aucun. Donc, quand il sortira de prison, il sera
apatride. Comme il y a une convention internationale qui interdit de créer
des apatrides, c'est irréalisable juridiquement. Si je suis poli, je dis que
Nicolas Sarkozy prend les Français pour des imbéciles. Le fond de ma pensée
est qu'il les prend pour des cons. Cette
politique est aussi malveillante. Parce qu'elle produit en permanence de
l'exclusion. C'est un populisme de l'exclusion pour rassembler la droite
dure, la France profonde, sur le dos des minorités. Le ministre de
l'intérieur va-t-il demander que la mère, de souche totalement française, qui
a tué ses quatre enfants soit déchue de sa nationalité ? Le
chef de l'Etat justifie ses propositions par l'échec des politiques
d'intégration depuis cinquante ans. Est-ce fondé ? Oui,
la question de l'échec de l'intégration doit être abordée. Mais il faut
remettre les choses dans l'ordre : c'est la désintégration de la société qui
crée les problèmes d'intégration, et non la criminalité extrême. Là où le
positionnement de Nicolas Sarkozy et du gouvernement Fillon est pervers,
c'est qu'il rend la société aveugle. Pour la droite, puisque Sarkozy prétend
avoir des solutions, plus personne ne réfléchit sur le sujet. Pour la gauche,
qui se réfugie dans sa posture de vierge outragée et qui n'est plus obligée
de se poser ces questions parce que l'action du gouvernement est tellement
détestable que la posture de protestation semble suffire. Qu'est-ce
que la gauche peut proposer ? Elle doit d'abord expliquer que la réponse devra s'inscrire dans
la durée. Dans ce domaine, il n'y a pas de baguette magique, contrairement à
ce que veut faire croire M. Sarkozy depuis huit ans. Son bilan le démontre :
depuis huit ans, il trouve de nouvelles solutions censées apporter des
réponses définitives mais le résultat est nul. Notre réponse devra être
sociale, éducative et répressive. A nous de lancer ce débat. Comme sur la dépénalisation du
cannabis. Comme sur les " salles de shoot ", dont toutes les
expériences européennes montrent l'efficacité. Fermer ces salles, c'est de la
non-assistance à personne en danger, c'est criminel. Comme sur les banlieues,
pour lesquelles il faut sans doute imaginer un " new deal ", un
plan d'investissement sur cinq ou dix ans. Comme pour les Roms, où on doit
travailler à l'échelle européenne pour créer un statut leur permettant de
voyager, de s'insérer et de s'organiser pour lutter contre les mafieux. En
passant, sur ce dernier sujet, je suggère aux bien-pensants qui soutiennent
Nicolas Sarkozy d'aller voir les conditions de vie des Roms en Roumanie et en
Bulgarie. Je voudrais que le docteur Kouchner ou le philosophe André
Glucksmann, par exemple, aillent constater l'état de racisme et de
ségrégation dans ces pays. Est-il humainement responsable d'expulser dans ces
pays ? Leur réponse m'intéresserait. Pourquoi
la gauche est-elle aussi gênée sur la sécurité ? L'embarras de la gauche, c'est que l'argument sécuritaire,
fondé sur le rejet, l'exclusion, voire la stigmatisation de boucs émissaires,
tend à être majoritaire dans l'opinion. Mais au lieu d'affronter cette
majorité, au lieu d'assumer la réalité, de dire la vérité et d'ouvrir des
débats qui dérangent sur la sécurité, la gauche préfère rester dans
l'évitement. Du
même coup, elle n'ose pas affronter certains problèmes d'actualité. Oui,
parmi les Roms, il y a des organisations criminelles qui instrumentalisent
des enfants pour la mendicité, oui, il y a des réseaux mafieux. Oui, dans
certaines banlieues, il existe des réseaux mafieux, minoritaires mais très
néfastes pour la population. Mais les réponses de Sarkozy ne permettront pas
de résoudre ces problèmes. Le
chef de l'Etat n'est-il pas en phase avec la crispation sécuritaire et
identitaire de beaucoup de sociétés européennes ? C'est exact. Nos sociétés se sentent aujourd'hui dans une
insécurité permanente. Une insécurité économique et sociale mais aussi une
insécurité liée à la délinquance, ne le nions pas. Dans beaucoup de pays,
face aux difficultés économiques, la droite joue sur l'exclusion pour garder,
pour conquérir une majorité. Je tiens à préciser que, pour l'instant, la
droite allemande ne joue pas cette carte-là : elle a compris que cette carte
se retourne toujours contre celui qui l'utilise parce que cette politique est
complètement inefficace. C'est
pour cela que j'en veux à Nicolas Sarkozy et à François Fillon. Ce ne sont
pas des imbéciles, ils savent que cette politique est inefficace. Ils jouent
avec cela parce qu'ils ne savent plus quoi faire sur les autres sujets et
expliquer aux Français, par exemple, pourquoi la croissance économique au
deuxième trimestre est de 0,6 % en France, contre 2,2 % en Allemagne. Qu'on
dise qu'il y a un problème de sécurité, oui. Mais qu'on l'instrumentalise
pour masquer son impuissance politique, non. La gauche n'est pas plus à l'aise sur la question de
l'immigration. Dans
les prochaines années, l'Europe aura besoin d'immigration en raison de son
évolution démographique et de son vieillissement. Tout le monde le dit, même
l'OCDE, qui n'est pas vraiment une organisation d'extrême gauche. Nous avons
donc besoin de règles européennes pour réguler les entrées sur le continent
européen. Au fond, nous avons construit une maison commune qui s'appelle
l'Europe. Mais nous avons oublié les portes. Des portes peuvent être ouvertes
ou fermées - il faut en définir collectivement les règles. Dans le même
temps, comme le font les Américains, tous les dix ou quinze ans, malgré une
politique d'immigration très dure, il faut aussi des processus de
régularisation en masse des sans-papiers. Y
a-t-il aujourd'hui une majorité en Europe pour faire évoluer l'ensemble de
ces règles ? Le
grand problème, à droite comme à gauche, est d'avoir peur de la réalité. Pour
la droite, le tabou est d'accepter que les régularisations des sans-papiers
sont inévitables. Parce qu'en laissant des sans-papiers, on crée des
inégalités, donc des difficultés sociales, donc de la criminalité. La droite
ne veut pas voir cette réalité. De son côté, la gauche doit accepter que
l'immigration doit être régulée et qu'il faut donc accepter de définir
comment on entre en Europe et comment on en sort. Les Verts européens ont de
nombreuses propositions qu'il serait intéressant de confronter publiquement
avec Brice Hortefeux. La gauche ne s'est-elle pas laissé enfermer sur la question
des sans-papiers en délaissant les questions d'intégration ? La gauche s'est laissé enfermer sur la question de la
régulation, c'est-à-dire de l'entrée sur le continent européen. Elle s'est
aussi laissé enfermer dans un débat sur l'immigration sans parvenir à imposer
le sujet de l'école. Or l'intégration, c'est l'école. A la gauche de
réfléchir aux réformes de l'éducation pour l'adapter à la nouvelle structure
de nos populations. Le
drame de la situation actuelle, c'est que la politique de Nicolas Sarkozy
nous rend aveugle. On doit évidemment la condamner. Mais le risque, c'est
qu'il nous empêche de nous poser les bonnes questions pour trouver des
solutions et que chacun reste dans son jeu de rôle. Vu de gauche, les bonnes
âmes, c'est nous, et les méchants, c'est la droite. Vu de droite, la gauche
bien-pensante occulte des problèmes essentiels de notre société. Les
politiques se renvoient ainsi la balle en permanence. Il faut un débat ouvert
parce que les citoyens français sont divisés. Tant qu'on n'aura pas compris
la complexité du problème, on n'arrivera pas à trouver des solutions. Allez-vous
participer à l'université d'été des Verts ? Oui. Après réflexion, je n'ai pas voulu provoquer une rupture
qui serait une erreur. Pour nous, à Europe Ecologie, la question est de
savoir quelle est la force réelle du noyau dur des Verts qui ne veut pas de
nous. Il faut le mesurer pour savoir, d'ici au mois de novembre, si nous
pouvons continuer notre aventure commune. Avez-vous envie de poursuivre cette aventure ? C'est une nécessité. Les écologistes sont absolument
nécessaires pour donner une certaine crédibilité dans les propositions de la
gauche. Cela concerne aussi bien les contenus (la transformation écologique,
l'éthique de la politique) que les discours : on ne peut plus essayer de
faire croire aux Français que nous allons raser gratis. Propos
recueillis par Luc Bronner et Gérard Courtois |
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" M. Sarkozy prend les
Français pour des imbéciles " Daniel Cohn-Bendit, leader d'Europe
Ecologie et député européen, réagit à l'offensive sécuritaire du chef de
l'Etat |
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