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La
reconnaissance de l’accès à l’eau comme droit de l’homme |
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Le Monde du vendredi 10 septembre 2010 Droit à l'eau : "
Passer de la théorie à la mise en œuvre "
L'experte Catarina
de Albuquerque revient sur la reconnaissance de l'accès à l'eau comme droit
de l'homme ENTRETIEN Catarina
de Albuquerque est l'experte indépendante du Conseil des droits de l'homme
des Nations unies chargée de l'eau et de l'assainissement. Elle a été nommée
en 2008 afin d'identifier les obstacles à l'accès à l'eau et à
l'assainissement, les bons exemples, et de préciser le sens du " droit à
l'eau ". Considérée
comme une des meilleures spécialistes, cette Portugaise participe à la
Semaine mondiale de l'eau de Stockholm, qui se déroule jusqu'au samedi 11
septembre, et revient sur la reconnaissance, le 28 juillet, du droit humain à
l'eau par les Nations unies. L'Assemblée générale
des Nations unies vient de reconnaître que l'accès à l'eau potable était un
droit humain fondamental. Est-ce une " avancée historique ", comme
l'a dit la secrétaire d'Etat française à l'écologie, Chantal Jouanno ? C'est un pas très
important. Bien sûr, cela reste une déclaration d'intention, qui n'impose pas
d'obligation légale aux Etats : je ne peux pas aller devant un tribunal et
invoquer la résolution pour faire condamner un Etat. Mais reconnaître que ce
droit existe, c'est donner de la visibilité au sujet, et montrer une volonté
politique de le mettre en oeuvre, à la fois au niveau national et par l'aide
au développement. Les Etats devront tenir leurs engagements. Jusqu'à
présent, on a beaucoup discuté pour savoir si l'accès à l'eau était un droit de
l'homme ou pas. Maintenant, on en a fini avec la théorie : c'est écrit noir
sur blanc, 122 pays ont voté pour, aucun n'a voté contre. On doit s'investir
complètement dans l'essentiel, c'est-à-dire la mise en œuvre concrète de ce
droit. Combien
de personnes en sont aujourd'hui privées ? Hélas,
on ne le sait pas très bien. Presque un milliard de personnes n'ont pas accès
à une source d'eau " améliorée ", c'est-à-dire un point d'eau assez
protégé. C'est déjà considérable, mais complètement sous-estimé. J'ai ouvert
des robinets dont sortait une eau marron, non potable de façon évidente.
C'était pourtant considéré comme des sources " améliorées " par les
statistiques. On sait aussi que 2,9 milliards de personnes n'ont pas de
robinet d'eau chez elles ou à proximité, et que 2,6 milliards ne disposent
pas d'assainissement de base. Quelles sont les
conséquences ? Des
maladies, des morts. Chaque année, 1,6 million de personnes - pour la plupart
des enfants - décèdent de maladies liées à une eau sale. Mais aussi des jours
d'école et de travail perdus, des violences physiques... Cela touche en
particulier les femmes. Quand les écoles n'ont pas de toilettes séparées, les
filles qui ont leurs règles n'y vont plus, elles ont honte. L'accès à l'eau
et à l'assainissement est indispensable à la réalisation des autres droits de
l'homme : droit à la vie, à la santé, à l'éducation... Jusqu'à présent,
beaucoup d'Etats, dont les Etats-Unis, se montraient réticents à reconnaître
le droit à l'eau. Comment expliquer l'adoption de la résolution ? Effectivement,
cela a été une surprise. Personne ne pensait que les Boliviens, qui ont
présenté le texte, iraient au bout de leur démarche. Certains Etats ont été
mécontents d'être contraints à se prononcer. Mais la pression de l'opinion
publique compte. Personne n'a eu le courage de voter non, et ces Etats -
41 pays - se sont contentés de s'abstenir. Que craignent-ils
? Il y
a beaucoup de malentendus. Certains pensent que le droit à l'eau veut dire
que l'eau potable doit être gratuite pour tous. C'est faux. Cela signifie que
l'Etat doit créer un environnement favorable à la réalisation du droit à une
eau saine, à proximité et à un coût accessible, et qu'on ne peut pas en être
privé parce qu'on est pauvre. D'autres disent : si on reconnaît ce droit,
cela signifie que le secteur privé ne peut pas être impliqué dans la
distribution d'eau. C'est également faux. Il faut que l'Etat s'assure que le
droit à l'eau est respecté, que le fournisseur du service soit public ou
privé. Certains redoutent
aussi qu'on leur impose d'approvisionner leurs voisins pauvres en eau. C'est
encore un malentendu. Au niveau international, il y a une obligation générale
de coopération. Les Etats en mesure de soutenir d'autres pays doivent aider
ceux de leur choix, dans la mesure de leur possibilité, par l'aide au
développement. C'est tout. Aucun pays en développement ne va pouvoir venir
voir la France et lui réclamer des mètres cubes d'eau. Je fais tout ce que je
peux pour dissiper ces malentendus. Du 20 au 22
septembre, les Etats se réunissent à New York pour faire le point sur les
Objectifs du millénaire de lutte contre la pauvreté, dix ans après leur
adoption. Où en est-on en matière d'eau et d'assainissement ? Sur l'assainissement, on
n'atteindra pas l'objectif - diviser par deux le nombre de personnes
sans assainissement de base d'ici à 2015 - , et la situation
s'aggrave. Pour l'accès à des sources d'eau améliorées, on va globalement les
atteindre. C'est
un progrès, mais ce n'est vraiment pas l'idéal. D'une part, parce que cette
eau n'est pas forcément potable. De l'autre, parce qu'on accepte que les 50 %
restants n'aient pas d'accès à ces sources. Il faut redéfinir la façon dont
les progrès sont mesurés, pour être beaucoup plus proche de la réalité et des
besoins des gens. Pourquoi ce
semi-échec ? Ce
n'est pas l'eau qui manque. Même si on en consomme de plus en plus, elle est
présente en quantité suffisante pour que chacun dispose de 50 à 100 litres
par jour. Cela représente seulement 4 à 5 % des volumes consommés dans le
monde. C'est la volonté politique qui fait défaut. Quand elle est là au plus
haut niveau, même les pays les plus pauvres y arrivent. Par exemple ? Le Bangladesh a fait des
progrès considérables en matière d'assainissement, bien qu'on dise toujours
que cela coûte très cher, avec des technologies développées sur place. Ils
ont conçu des toilettes qui ne coûtent que quelques dollars. Cela ne sert à
rien d'imposer des technologies de pointe dans les pays pauvres. L'autre
point important, c'est que les habitants soient informés et associés. Les
agences de développement ont dépensé des milliards dans des installations
d'assainissement qui n'étaient pas utilisées, car les gens ne savaient pas
quels bénéfices ils pourraient en tirer, contrairement à ce qui se passe
aujourd'hui au Bangladesh. L'accès à l'eau
n'intéresse pas les gouvernements ? Beaucoup
n'ont pas encore compris que ça vaut la peine d'en faire une priorité. Pour
chaque dollar investi, les dépenses évitées sont au moins de 9 dollars. Il
faut une alchimie : une vision au plus haut niveau, un ministre des finances
sensible à cette question... Sinon il n'y a pas d'argent. C'est aussi une
question de personnalités. Si le déclic a lieu, le pays attire les investisseurs
et l'aide financière. Cela se passe au Bangladesh, en Egypte, en Afrique du
Sud. Ces exemples permettent d'espérer. Propos recueillis par Gaëlle Dupont |
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Le
Monde
du vendredi 10 septembre 2010 La reconnaissance
de l’accès à l’eau comme droit de l’homme |
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