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Discours
sur l’origine de l’univers |
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Etienne
Klein La physique
aurait-elle un faible pour l'immanence? Je
n'en pouvais plus Guillevic Chose
troublante, dès lors qu'on s'interroge sur le
fondement de l'univers, qu'on s'enquiert sérieusement de son origine, on suppose implicitement
que l'univers n'a pas en lui-même son propre fondement, et qu'il y a lieu,
par conséquent, de la chercher en dehors de lui. La cause du monde est à
l'extérieur du monde, pronostiquait Kant. Mais si l'origine du monde est hors
du monde, cela ne revient-il pas ipso facto à considérer ce monde comme contingent ? À poser qu'il
aurait pu ne pas être ? On
voit par là que nous ne pouvons échapper à la question de savoir quelle sorte
de lien relie dynamiquement l'origine d'une chose et la chose elle-même. Il existe
en physique des situations où la réponse à cette question n'est pas trop compliquée, notamment
lorsque l'origine des choses consiste en une agglomération progressive d'éléments
déjà existants. C'est le cas pour les noyaux d'atomes, qui sont tous formés à
partir des mêmes ingrédients de base, à savoir des protons et des neutrons.
Il existe d'autres cas, plus subtils, où l’origine d'une entité physique fait intervenir une autre entité physique :
c'est le cas -pour la masse des particules élémentaires, dont les physiciens
sont en passe de démontrer qu'elle est due à leur interaction avec un champ quantique partout présent
dans l'espace. Il existe enfin des situations pour lesquelles l'explication
de l'origine passe par l'invocation d'un phénomène d'émergence : ce pourrait-être
le cas du temps tel que nous le connaissons. Certaines théories à l'ébauche
suggèrent en effet que le temps (comme d'ailleurs l'espace) pourrait être l'émanation
à une certaine échelle de phénomènes ne l'impliquant pas à une échelle plus
petite. Détaillons
rapidement ces trois « cas
d'école », car ils nous éclairent, chacun à sa façon, sur la manière
qu'ont les physiciens de résoudre leurs « problèmes d'origine ». 1. La formation des
noyaux d'atomes. L’eau
que nous buvons, même quand nous la disons « fraîche », n'est pas
née de la dernière pluie. Quelle que soit sa source, elle n’est même jamais de
toute première jeunesse. En effet, de quoi l'eau est-elle constituée ?
De molécules d'eau, elles-mêmes formées d'atomes d'hydrogène et d'oxygène. Or
les premiers se sont formés dans l'univers primordial (il y a 13,7 milliards
d'années) et les seconds dans le cœur d'une étoile (il y a environ cinq
milliards d'années) qui les a ensuite dispersés dans le vide intergalactique.
Se désaltérer est donc un acte grave et profond qui nous connecte intimement
à presque toute l'histoire de l'univers : il consiste en définitive à absorber des
bribes de l'aurore du monde mélangées à des cendres plus tardives du feu
stellaire. Comment
l'a-on appris ? Les astrophysiciens et les physiciens nucléaires ont pu
reconstituer le grand récit qui mène de l'univers primordial jusqu'aux
entités qui constituent la matière d'aujourd'hui. Nous pourrions commencer
par dire que, « quelques petites minutes après le big bang, l'univers
était encore très chaud, avec une température d'environ un milliard de
degrés, etc. », mais cette
formulation laisserait entendre que nous sommes tout à fait certains qu'il y
a eu un commencement, marqué par un instant zéro que nous avons pu saisir.
Or, comme nous l'avons vu, l'instant zéro n'a pas résisté aux assauts
quantiques : il s'est carapaté on ne sait où. Le mieux est donc de dire
que lorsque la température y était d'environ un milliard de degrés et la
densité comparable à celle de l'air ambiant, l'univers était une sorte de
grand chaudron cosmique, capable d'engendrer des bribes d'édifices matériels,
mais se refroidissant au rythme de son expansion. Il y avait là les protons,
mais aussi les neutrons, les électrons et les photons, tous très agités,
filant dans tous les sens et se percutant sans cesse. Les photons, dont
l'énergie était jusque-là suffisante pour briser systématiquement l'union
d'un proton avec un neutron, finirent par devenir trop « mous » pour y arriver : les noyaux de
deutérium, assemblages d'un proton et d'un neutron, purent donc commencer à
se former. Dès leur apparition, ces noyaux de deutérium purent fusionner par
paires, ou bien capturer à leur tour un proton, et ainsi former des noyaux
d'hélium. Les
mariages de cette sorte allèrent alors bon train, mais ils n'étaient pas
systématiques. Certains protons restèrent célibataires. Plus tard, ils
servirent de noyaux à l'hydrogène, l'élément chimique le plus léger. Les mariages
n'étaient pas non plus toujours durables. Il y avait des passades, voire de
simples rencontres sans suite : des noyaux étaient formés qui ne
survivaient que pendant des durées extrêmement courtes. Très rapidement, victimes
de leur instabilité, ils se scindaient en d'autres noyaux plus légers en
émettant du rayonnement. En clair, ils étaient « radioactifs ». Après
seulement trois minutes de ce petit jeu - chocs, mariages et
ruptures - se trouvaient dans l'univers des noyaux d'hydrogène, de
deutérium, d'hélium, de lithium et de béryllium. Mais rien d'autre : ni
carbone, ni oxygène, ni noyaux lourds. L’ascension vers la complexité se
trouvait soudainement bloquée. Il y a une explication à cela : l'univers
était déjà tellement dilué par son expansion que les noyaux et les nucléons,
trop éloignés les uns des autres, n'avaient plus la possibilité de se
rencontrer et de former des noyaux plus gros. Plus de rencontres, donc plus
de mariages. Les
choses n’en sont évidemment
pas restées là. Bien plus tard, la mise en route des étoiles a permis la
formation des éléments plus lourds, du carbone à l'uranium en passant par le
fer, progressivement synthétisés grâce à une succession de réactions
nucléaires, dans les étoiles elles-mêmes ou au cours d’explosions d’étoiles massives. Dans
toutes ses phases (primordiale, stellaire ou explosive), la nucléosynthèse
est donc partie d'ingrédients de base, les protons et les neutrons, qu'elle a
structurés en noyaux de plus en plus lourds. L’apparition des éléments
chimiques au sein de l'univers n'a donc rien d'une création ex nihilo. Elle
correspond au contraire à l'achèvement des processus dont ils sont les produits.
L’explication de leur « origine »
consiste en effet à décrire la façon dont ce qui les a précédés a pu les
engendrer, à expliciter les phénomènes physiques successifs dont ils sont
l'aboutissement. Mais reste ensuite à dire d'où provient ce dont ils
proviennent, à savoir les protons et les neutrons. La réponse à cette question
est désormais connue grâce, cette fois, aux travaux des physiciens des
particules : de l'association de quarks (par paquets de trois) et de
gluons dans l'univers primordial. Mais d'où sont venues ces particules
élémentaires que sont les quarks et les gluons, sans structure interne connue ?
Là, plus personne ne sait répondre : les quarks et les gluons n'ont pas
d'origine identifiée. S'ils sont nés, c'est sous X. La
compréhension de l'origine des éléments chimiques finit donc par buter sur la
question de l'origine des objets élémentaires qui les constituent : le
canal historique, soudain, se bouche, et il devient impossible de remonter à
la vraie source. En d'autres termes, la nucléosynthèse a besoin, pour se
fonder, d'entités sans origine connue, dont on postule qu'elles étaient
présentes dans l'univers dès avant la formation des protons et des neutrons.
Cette démarche laisse planer comme un voile qui floute les tout premiers
commencements des choses matérielles. 2.
D'où vient que les particules ont une masse? La masse des objets
matériels qui nous entourent semble leur être consubstantiellement liée :
nous éprouvons la même peine à nous figurer ce que pourrait bien être un corps
matériel sans masse qu'à imaginer une masse pure qui ne s'incarnerait pas en
un corps. Comme si en notre esprit les notions de matière et de masse
allaient toujours de pair, participaient l'une comme l'autre de la même idée
de « substance ». Dès lors, se poser
la question de l'origine de la masse des objets revient à se poser celle de
l'origine des objets eux-mêmes. Mais
il faut se méfier de
ce type de raisonnement, rapide, abrupt, car depuis Galilée, la physique n'a
cessé de plaider pour que les idées les plus incontestables en apparence
soient systématiquement interrogées, critiquées, testées, S'interroger sur la
nature de la masse ou au sujet de son origine pourrait ne pas être aussi
stupide que cela en a l'air. Des renversements conceptuels sont toujours
possibles, d'autant que certains argonautes de l'esprit ont envisagé que la
masse, au lieu d'être une propriété des particules élémentaires, une
caractéristique qu'elles porteraient en elles-mêmes, pourrait n'être qu'une
propriété secondaire et indirecte des particules, résultant de leur
interaction avec... le vide quantique ! En somme, les particules
pourraient n'avoir pas de masse proprement dite, mais seulement « faire comme si » elles en
avaient une... D'où
leur est venue pareille idée ? Pour traiter les interactions, le modèle
standard de la physique des particules s'appuie sur un certain nombre de
principes de symétrie, fort efficaces et fort élégants, mais qui posent un
problème irritant : ils impliquent que toutes les particules élémentaires
doivent avoir... une masse nulle ! C'est effectivement le cas du photon,
mais pas celui de la grande majorité des autres particules. Du
fait de cette contradiction flagrante entre la théorie et l'expérience, le
modèle standard mériterait-il qu'on le jette immédiatement aux oubliettes ?
Non, ont expliqué trois physiciens dans les années 1960, qui ont fini par
convaincre leurs collègues : François Englert, Robert Brout et Peter
Higgs. Leur idée est que les particules élémentaires de l'univers sont en
réalité sans masse, mais heurtent sans cesse des « bosons de Higgs », présents
dans tout l'espace, ce qui ralentit leurs mouvements de la même façon que si
elles avaient une masse. Dans ce contexte, dire d'une particule qu'elle est
très massive revient à dire qu'elle interagit très fortement avec le boson de
Higgs, qu'elle subit sans cesse des collisions, tel un homme pressé qui
traverse une foule compacte, ce qui lui confère une inertie apparente, donc une
masse. Le
problème est que personne n'a encore observé le boson de Higgs. Ce boson
existe-t-il vraiment ? Le principal danger qui guette les théoriciens
est, on le sait, d'apercevoir des fées au fond du jardin. Dès lors, comment détecter le boson de Higgs ?
La difficulté principale vient de ce que cette particule responsable de la
masse des particules est elle-même très... massive ! Pour espérer
la détecter, il faut donc atteindre
des niveaux d'énergie très élevés. Heureusement,
grâce au LHC, les physiciens sont désormais en mesure d'explorer toute la
gamme de masses dans laquelle le boson de Higgs est censé se trouver. S'il
existe bel et bien, le LHC finira par en apporter la preuve. Et s'il apporte
cette preuve, on pourra dire que la masse des particules ne leur appartient
pas en propre : elle vient de ce que, dans l'univers primordial, le vide
a soudainement changé; il s'est soudain empli d'un champ quantique truffé de
bosons de Higgs, le « champ de
Higgs » - une sorte de glu partout présente - qui, couplé aux
particules, leur confère leur masse propre. Si
elle est confirmée par l'expérience, cette compréhension de l'origine de la masse
modifiera complètement notre façon de penser ladite masse : ce ne sera plus
une propriété primitive des particules, mais une propriété secondaire, dont
l'explication s'appuiera sur l'invocation d'une entité physique, certes
d'apparence très abstraite, mais en réalité parfaitement immanente : le
champ de Higgs. 3.
Le temps, une notion primitive ou secondaire ? Dans
les formalismes ordinaires de la physique, le concept de temps a le statut
d'un être « primitif » : on y postule qu'il existe,
indépendant des phénomènes, on prend acte du fait qu'il s'écoule, sans
préciser sa nature, ni pour quoi il s'écoule. Mais certaines des théories
(que nous avons évoquées) qui travaillent au dépassement de la relativité
générale et de la physique quantique remettent en cause ce postulat, ce qui
les conduit à questionner l'origine même du temps. Ce dernier pourrait-il
émerger d'un substrat d'où il est absent, dériver d'un ou de plusieurs
concepts plus fondamentaux que lui-même ? En d'autres termes, de quel inframonde
physique pourrait-il être la manifestation ? Des
avancées décisives ont été faites sur ce sujet. Selon certains physiciens
théoriciens, il serait même possible de construire une véritable « thermodynamique » du
temps, qui le ferait apparaître comme le reflet d’événements ayant
lieu à une très petite échelle et qu'on pourrait décrire sans faire
directement référence à l'espace ni au
temps. Si ces travaux théoriques débouchaient, ils pourraient révéler les
racines du temps : il ne serait plus qu'une réalité secondaire,
surnageant sur des structures physiques plus profondes qui ne le contiendraient
pas à toute petite échelle. Dans
les trois exemples que nous venons d'évoquer, l'explication de l'origine
d'une entité physique donnée mobilise toujours d'autres entités physiques. La
physique ne quitte pas le terrain de l'immanence : elle rend compte de
l'être par l'être. Mais il y a un exemple où les choses ne sont peut-être pas
aussi claires et méritent un examen complémentaire : il concerne le statut
des lois physiques vis-à-vis de l'univers au sein duquel elles agissent. En
effet, dès lors que nous savons que l'univers évolue tandis qu'elles
demeurent invariantes, une question se pose à leur sujet :
procèdent-elles de l'immanence ou de la transcendance ? En d'autres termes,
sont-elles solidaires de l'univers ou résident-elles hors de lui ? Les lois physiques transcendent-elles
l'univers? C'est
bien la première fois que
je me soucie de ce qu'une poule pense de moi. Jean-Paul Sartre Imaginons
deux électrons, les tout premiers apparus
dans l'univers. Porteurs de charges électriques de même signe, ils subissent
une force électrique qui a tendance à les éloigner l'un de l'autre, d'autant
plus fortement qu'ils sont plus proches. C'est l'une des lois de
l'électromagnétisme qui le leur impose. Mais comment nos deux électrons
connaissent-ils cette loi physique que nous, humains, ne connaissions pas
avant d'aller à l'école ?
Est-elle inscrite, depuis leur apparition, au fin fond de leur être ?
L'ont-ils apprise par cœur ? Sont-ils capables de la décrypter de loin
sur le grand tableau noir de l'univers ? Ou obéissent-ils plutôt à des
consignes qui proviendraient de l'extérieur du monde ? Ou encore entament-ils
des négociations avec l'univers pour déterminer ensemble le meilleur
comportement pour des particules électriquement chargées ? Cette
entrée en matière bien naïve nous permet de poser une question fondamentale
qui porte justement sur le statut de l’univers : si l’univers est bel et
bien apparu, ses lois physiques étaient déterminées avant sa création ?
Si la réponse à cette question est positive, pourquoi ne pas dire que les
lois physiques ont constitué le berceau de l’univers ? Si elle est
négative, une autre question se pose :comment l’univers est-il parvenu à
« fabriquer » les lois physiques qui déterminent sa propre
évolution et celle de la matière – noire, ou pas – qu’il contient ? à suivre … page 142 …
page 148 …
Dès qu'on envisage la question de l'origine des lois, on découvre qu'une
régression possiblement infinie se profile à l'horizon. L’affaire se
complique sérieusement. Peut-on imaginer que, à l'origine de l'origine de
l'origine de toutes les origines de l'univers, des lois universelles étaient
déjà là, sans qu'il y ait encore un univers pour les actualiser, en compagnie
du seul néant ? Nous
reste-t-il un peu de magnésie ? Un
néant peut-il se transmuter en un univers? Les
verrous sont poussés au pays des merveilles. Robert Desnos Admettons,
par hypothèse, que l'univers ait eu une origine au vrai sens du terme,
c'est-à-dire qu'il ait surgi du néant pur. Notre langage, nos mots, nos
théories pourraient-ils décrire cette transition du non-être à l'être, cette
sorte de métamorphose radicale qui se serait produite au sein même de... rien ?
Cette question nous oblige à faire un petit détour en allant interroger notre
façon de comprendre le changement en général, et nous regarderons ensuite si
elle est applicable à cet être particulier qu'est le néant. Commençons par
examiner l'idée de changement d'un être ou d'un objet concret. Celle-ci a
beau sembler relever alors de l'évidence, elle constitue pourtant un
authentique paradoxe … … à suivre page 149 Etienne Klein |
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