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L’inventeur de la laïcité |
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Journal Le
Monde du dimanche 24 novembre 2013 © Le Monde L’inventeur de la laïcité C'est
un auteur trop peu connu que la revue
d'Etudes théologiques et religieuses fait découvrir dans son plus
récent hors-série « Genèse religieuse de l'Etat laïque, textes choisis
de Roger Williams ». Puritain anglais venu en Amérique en 1630 pour fuir
la persécution royale, Roger Williams (environ 1603-1680) est considéré comme
le père de la liberté religieuse aux Etats-Unis et l'un des premiers à avoir
pensé la neutralité de l'Etat en matière religieuse. Très
peu connu dans le monde francophone, bien qu'il figure sur le Mur des
réformateurs à Genève célébrant les pionniers du protestantisme, Roger
Williams n'est pas loin de pâtir d'un pareil oubli aux Etats-Unis. Avec cette
publication, la revue de l'Institut protestant de théologie de Montpellier et
Paris ne cache pas son ambition d'aider à restaurer le prestige de ce
pasteur, dont la pensée inspire la philosophie contemporaine et, notamment,
l'Américaine Martha Nussbaum. Mais,
rétrospectivement, l'homme paraît paradoxal. Ne fonde-t-il pas la séparation
des affaires civiles et religieuses sur des principes théologiques, comme le
rappelle Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, dans la préface du numéro
? Victime,
jusqu'en Amérique, de la persécution, alors qu'il y cherchait un asile, Roger
Williams y poursuit son désir de voir le christianisme s'affranchir de la
corruption qui sévit au sein des Eglises officielles. En l'absence d'une telle
renaissance, il prêche une séparation d'avec l'Eglise anglicane, ce qui ne
manque pas d'alerter le gouvernement colonial du Massachusetts, qui s'oppose
à sa nomination comme pasteur à Salem. Il fait par la suite l'objet de
poursuites judiciaires et est de nouveau contraint de prendre la fuite. C'est
ce qui l'amène à fonder le futur Etat du Rhode Island, selon un projet
révolutionnaire. Dans la charte royale, rédigée pour constituer cette
nouvelle colonie, Roger Williams précise que « personne ne devra y être molesté, puni, inquiété ou mis en examen
pour une quelconque différence d'opinion en matière de religion ». Ce
texte ne figure pas dans ce hors-série, mais Marc Boss, maître de conférences
à la faculté de théologie de Montpellier, prend néanmoins le soin de le citer
dans son introduction. Cette charte d'une modernité séditieuse, qui inspirera
bientôt les Pères fondateurs des Etats-Unis, incarne dans des institutions
politiques les idées que Roger Williams a déjà défendues dans ses écrits
polémiques. Le
texte le plus fort à ce titre, et que la revue d'Etudes théologiques et
religieuses propose pour la première fois en français, est « La
doctrine sanguinaire de la persécution pour le motif de conscience ».
C'est là que Roger Williams évoque le « mur de séparation » entre
l'Eglise et l'Etat, formule que l'on a, par la suite, attribuée à Thomas
Jefferson, le troisième président américain. Ce texte trace, en effet, une
distinction entre les autorités politiques, que Roger Williams appelle
les « pouvoirs civils », et les institutions religieuses.
Il estime que l'on ne pourra restaurer la paix - n'oublions pas qu'il est
quasi contemporain des guerres de religion qui ravagèrent l'Europe au XVIe et
au XVIIe siècle - que lorsque les autorités publiques reconnaîtront qu'elles
ne sont « ni juges, ni
gouverneurs, ni défenseurs de la condition et des cultes spirituels ou
chrétiens ».Cette dernière nuance est capitale, car bien qu'ardent
chrétien Roger Williams souhaite étendre cette liberté de conscience à
tous, « même ceux des plus
païens, des juifs, des Turcs ou des antichrétiens ». Elle vaut
donc non seulement pour les juifs et les musulmans, mais aussi pour les
Amérindiens, avec qui Roger Williams entretenait des relations d'amitié.
Pareil humanisme méritait bien d'être célébré. Marc-Olivier
Bherer Etudes théologiques et religieuses Journal Le
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