Premier synode national de l’Eglise Protestante Unie de France EPUdF)
Lyon, 6-12 mai 2013

 

 

Dossier complet sur le site de l’EPUdF : cliquer ici

A propos de la fin de la vie humaine

Le synode n’ambitionne nullement de prescrire des consignes, ni d’exprimer une parole définitive sur une question qui touche au plus intime et à l’ultime de chaque vie. Nous refusons de croire que, devant la maladie, la souffrance et la mort, il puisse y avoir un cadre rigide qui définirait ce qu’est la dignité, la liberté individuelle ou la responsabilité collective. Mais nous osons humblement rappeler notre conviction, celle qui fonde la foi chrétienne : c’est le regard que Dieu pose sur chaque vie qui confère à celle-ci sa dignité, sa liberté et sa responsabilité. Et nous croyons que la vocation des Eglises s’accomplit d’abord dans l’accompagnement discret et respectueux de toutes ces situations personnelles et uniques.

Préambule

1. L’Eglise protestante unie de France est plurielle. En matière d’éthique, les approches sont diverses. Il n’y a pas une seule éthique protestante.

2. Nous nous efforçons d’articuler des questions contemporaines à propos de la fin de la vie humaine1, avec les données des Ecritures bibliques2 et avec les convictions théologiques fondamentales sur lesquelles reposent les orientations éthiques du protestantisme luthéro-réformé3. Cela vaut en particulier pour ce qui concerne le sens de la vie : pour nous, la vie est donnée par Dieu, mais elle n'est pas sacralisée et elle prend sa pleine signification selon le cadre relationnel dans lequel elle s’inscrit.

3. Les réflexions qui suivent font appel à la responsabilité personnelle, dans une perspective de culture du débat. Les repères et les ressources qu'une personne peut trouver dans la foi concernent potentiellement tous les humains, mais ceux-ci sont libres de ne pas y adhérer. La réponse d'un sujet en face de son Dieu ne peut pas servir de référence pour la multitude qui ne partage pas cette foi.

4. Ce débat ne doit jamais se réduire à l’échange d’arguments, ni même à une conversation entre des conceptions philosophiques ou religieuses. Il s’agit ici d’êtres humains en fin de vie, de leur famille, de leur entourage, de personnes exerçant une responsabilité médicale et paramédicale, et de la possibilité pour chacun de rester « vivant jusqu’à la mort »4. Ces questions universelles ne sont jamais détachées de situations singulières, de choix individuels et de l’impact collectif de ces choix sur les plans social, économique, moral, juridique, etc.

Une dignité comprise de diverses manières

5. Le terme dignité apparaît d'une façon centrale dans les débats d'actualité concernant la fin de la vie humaine. Insister sur une vie digne et sur une fin de vie dans la dignité peut ainsi prendre différents sens.

6. Tout d’abord la dignité de l’homme peut être considérée subjectivement comme liée à la liberté de l'être humain devant Dieu et à son autonomie. Cette compréhension insiste sur le respect des choix de vie du sujet, y compris celui de décider, éventuellement, de sa mort. C’est le regard que le sujet porte sur lui-même qui compte et non celui que pourraient porter les autres sur lui.

7. Mais cette dignité comporte aussi une dimension d’extériorité, reçue et accueillie comme la vie. La dignité de tout être humain demeure indépendamment de son regard et de celui que les autres portent sur lui. Il s’agit alors, pour le croyant, de la possibilité de s’abandonner de manière consciente et voulue à l’amour de Dieu. Dans cette perspective, l’humanité et la dignité d’une personne ne dépendent que de l’accueil divin, donc de la grâce de Dieu5.

8. Enfin, la dignité peut se concevoir sans référence aucune à une transcendance, mais au contraire être considérée comme inhérente à la personne, singulière, qui peut lui donner sa propre définition.

Pour une médecine qui accompagne

9. La proposition qu’une « personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable » puisse demander à « bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », envisage de répondre aux situations exceptionnelles de souffrance inapaisable, ne relevant d’aucune législation, mais aboutissant aujourd'hui encore à des pratiques létales dans la clandestinité et la solitude. Cette proposition a pour objectif de donner un nouveau droit aux citoyens, pour exercer leurs choix concernant les conditions de leur fin de vie. Il s’agit concrètement de la possibilité d’envisager dans ces cas très particuliers une aide active pour accélérer le processus de la fin de la vie6.

10. Mais cela signifie parallèlement que la société tout entière doit être vigilante à ne pas réduire la mission de la médecine à celle de la guérison ou de la performance, encore moins à celle de la rentabilité ou de l’économie. Il s’agit de promouvoir une médecine qui accompagne, qui écoute, qui prodigue des soins de confort pour privilégier avant tout la qualité de la vie particulièrement à la fin de celle-ci quitte à en abréger la durée.

Les options légales, leurs limites, leurs questions

11. Mais que peut-on proposer pour ne pas simplement « laisser vivre », ni « laisser mourir », une personne en fin de vie demandant expressément une aide susceptible d’accélérer sa mort ? Trois réponses semblent ouvertes, la première rencontrant un assentiment général, les deux suivantes étant, en revanche, exclusives l’une de l’autre :

12. a) Mettre réellement en pratique les lois insuffisamment appliquées, en particulier l’interdiction de l’obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique)7. Développer l’accès aux soins palliatifs, qui restent à privilégier bien en amont des situations de fin de vie, toujours infiniment différentes et complexes. Donner une place fondamentale à la pratique de la sollicitude, de l'écoute, de l'accompagnement, ainsi qu'à la formation, en particulier des médecins et soignants.

Pourquoi ces lois restent-elles si méconnues ? Plus généralement, un texte légal a-t-il vocation à offrir les réponses suffisantes face aux situations singulières et particulières qui toujours demeureront ?

13. b) Rejeter le principe d'une nouvelle loi pour des raisons éthiques, considérant le geste d’accélérer la survenue de la mort comme la transgression d’un interdit, et invoquant un appel à la vie et à la solidarité. En effet, la personne humaine ne vit et ne s’invente que reliée à autrui et dépendante de lui.

Mais cette réponse n'est-elle pas idéaliste, voire imaginaire ? Devant les situations de détresse, peut-on se limiter à des positions de principe ? Refuser toute disposition légale qui permettrait d’entendre et de répondre à la demande d’assistance médicale pour terminer sa vie, ne serait-ce pas se détourner de notre prochain le plus démuni ?

14. c) Adhérer au principe d'une nouvelle loi qui autorise d'accélérer la survenue de la mort pour répondre à une situation exceptionnelle, concernant un adulte responsable, libre, conscient, atteint d’une maladie incurable en phase très évoluée voire terminale, qui en ferait la demande8. Elle appellerait une réflexion approfondie sur ses conditions de réalisation (recueil du consentement ou expression de la volonté du patient, discussion collégiale, mode opérationnel précis). Elle assumerait l’exigence de répondre à la demande d’assistance du « plus petit de nos frères » soumis à l’épreuve d’une souffrance qui ne peut être apaisée par les soins palliatifs9.

Cependant une nouvelle loi dans le domaine de la fin de vie serait-elle mieux appliquée que les précédentes ? Une loi qui dépénaliserait l’euthanasie ou le suicide assisté dans des situations précises, ne serait-elle pas susceptible de provoquer de nouvelles demandes d'extension des situations initialement prévues ?

Le risque de la liberté

15. La loi est faite pour protéger les plus faibles. Elle doit offrir un espace pour que puisse s’exprimer la liberté de conscience du sujet, assumant son choix singulier, en lien avec ses proches et la société. Il s'agit aussi d'accepter que tous ne partagent pas un même point de vue, et puissent accéder à une fin de vie qu'ils considèrent comme « digne ».

16. La question qui demeure est donc celle d'une législation qui ne devrait pas être trop précise, mais suffisamment contraignante pour éviter les dérives, afin de permettre à chacun d'exercer sa responsabilité en conscience. « Nous ne pouvons agir de manière responsable et historique que dans l’ignorance dernière de notre bien et de notre mal, à savoir dans la dépendance de la grâce »10. En effet, abréger son existence relève de la grâce et non de la loi. L’action responsable constitue un risque libre, n’est justifiée par aucune loi, renonce à toute autojustification valable et à une connaissance ultime du bien et du mal.

17. La représentation que l’on a de la dignité humaine a des conséquences sur les choix singuliers de chacun. Mais en aucun cas ce choix, quel qu’il soit, n’altère la dignité inaliénable de cette personne.

La responsabilité des Eglises

18. Quels que soient son choix et sa décision, chaque être humain devrait pouvoir bénéficier d’un accompagnement, notamment de la part des Eglises. Le rôle de celles-ci sera de contribuer au développement de la solidarité et de l'accompagnement des personnes en fin de vie et de leur entourage. En effet, dans la vieillesse ou en fin de vie, la présence des plus proches et notamment de la famille est fondamentale et devrait être soutenue. Les Eglises pourraient également promouvoir un environnement de confiance entre soigné et soignants, sans se limiter à une déclaration d'intention mais par un engagement pratique d’une part des institutions, en particulier dans la formation, et d’autre part des communautés locales directement concernées par ces situations de détresse humaine qui concernent la personne et ses proches.

__________________

Notes :

1 « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Proposition n° 21 de François HOLLANDE, Mes 60 engagements pour la France, élection présidentielle 22 avril 2012.

« Chaque jour voit croître dans notre société une revendication très largement majoritaire (entre 80 et 90% selon les sondages d'opinion) de personnes répondant positivement à une demande de légalisation de l'euthanasie. Il ne s'agit pas de revendications simplistes ou naïves de personnes qui n'auraient pas compris la question. Il s'agit d'une demande profonde des personnes interrogées, de ne pas être soumises dans cette période d'extrême vulnérabilité de la fin de vie à une médecine sans âme. » Penser solidairement la fin de vie. Rapport au Président de la République (dit Rapport Sicard), Paris, La documentation française, 2013, p.14.

2 Nous pouvons nous référer à l'Ecriture et à Celui qui en est le centre, et nous interroger sur la place que nous accordons à l'interprétation de la mort et de l'agonie d'un homme (Jésus-Christ) qui assume, en relation avec « son Dieu », une mort considérée comme indigne et qui vit l'expérience du sentiment d'abandon.

3 L’amour inconditionnel de Dieu pour chaque homme ; la justification par la foi seule et non par nos mérites ; la distinction entre l'homme et Dieu, sans déni de la finitude.

4 En écho au titre de l’ouvrage posthume de Paul RICOEUR, Vivant jusqu’à la mort, Paris, Editions du Seuil, 2007.  

5 « La souffrance et même la mort sont vécues comme la possibilité de s’abandonner, de façon consciente et voulue, aux mains de Dieu. Sous cet angle − et sans vouloir plaider pour un dolorisme qui fait l’éloge de la souffrance – la perte de l’autonomie en fin de vie pourrait être vécue comme un dernier acte d’autonomie, comme une liberté coram Deo. Cela correspondrait au message central des protestants, celui de la justification par la grâce et sans les oeuvres : ce qui compte en fin de vie, ce n’est pas une auto-détermination jusqu’au dernier souffle, mais plutôt le savoir que l’humanité et la dignité d’une personne ne dépendent que de l’accueil divin et donc : de la grâce. » Karsten LEHMKUEHLER, Vivre sa mort, Actes du colloque de la Fédération Protestante de France, 18 octobre 2012, p. 18.

6 Trois possibilités concrètes sont aujourd’hui au coeur de la réflexion pour répondre à un sujet qui demande une assistance médicalisée pour terminer sa vie :

- le suicide assisté, c’est-à-dire la mise à disposition d’un malade conscient et autonome d’un médicament qu’il pourrait prendre lui-même lorsqu’il le déciderait et qui provoquerait sa mort ;

- l’euthanasie, c’est-à-dire l’injection par un tiers d’un produit létal, dans l’intention de provoquer la mort ;

- la sédation terminale, qui correspondrait à l'administration d’un médicament destiné à diminuer la vigilance, jusqu’à la perte totale de la conscience, en assumant que ce traitement puisse avoir pour effet secondaire d’abréger la vie.  

7 La loi dite Léonetti: directives anticipées, interdiction d’obstination déraisonnable, droit de refuser tout traitement, droit d’utiliser des médicaments à « double effet », supprimant la douleur intolérable au risque d’abréger la fin de vie, autorisation de recours à la sédation pour soulager la souffrance insupportable par la perte de conscience, transitoire ou prolongée. Loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, Loi n° 2005-370, JORF, n° 93, 23 avril 2005, p. 7095.

8 Malgré ses racines grecques rassurantes (« bonne mort »), et malgré son utilisation légitime par les législations de la Belgique et des Pays-Bas, le terme euthanasie entraîne avec lui, pour beaucoup d’entre nous, la mémoire de l'abominable élimination des "vies sans valeur" (malades mentaux et handicapés) pratiquée de façon massive par le régime nazi en dehors de tout consentement des sujets ou de leurs proches. C'est pourquoi une loi ne serait envisageable qu'à la stricte condition de limiter "l'assistance médicale à terminer sa vie dans la dignité", quelle que soit la forme de cette assistance (sédation terminale, injection létale, suicide assisté), aux seuls cas de demande explicite, autonome et répétée durant un délai raisonnable devant divers témoins du sujet lui-même (à l'exclusion des proches), à condition qu'il soit en pleine possession de ses facultés mentales, demande qui peut aussi avoir été exprimée sous la forme de directives anticipées.

9 Remarquant qu’il n’y a aucune condamnation du suicide dans la Bible, Dietrich BONHOEFFER assurait : « Lorsqu’un malade incurable constate que son état et les soins qu’il requiert entraînent la ruine matérielle et psychique de sa famille et qu’il délivre celle-ci par sa libre décision, on ne pourra le condamner » (Ethique, Genève, Labor et Fides, « Le champ éthique », 1997, p. 137).

Karl BARTH ajoutait : « La vie n’est pas le souverain bien (…) Ne convient-il pas d’envisager que se tuer n’est pas forcément un crime, mais qu’il s’agit d’une action qui peut être accomplie dans la foi et dans la paix avec Dieu ? » (Dogmatique, n°16, Troisième volume, tome quatrième, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 95).  

10 Dietrich BONHOEFFER, Ethique, Genève, Labor et Fides, « Le champ éthique », 1997, p 191.  

 

Dossier complet sur le site de l’EPUdF : cliquer ici

 

 

Premier synode national de l’Eglise Protestante Unie de France
Lyon, 6-12 mai 2013