|
Premier synode national de l’Eglise Protestante Unie de France
EPUdF) |
|
|
Dossier complet sur le site de l’EPUdF : cliquer ici A propos de la fin de la vie humaine Le synode n’ambitionne nullement de prescrire des
consignes, ni d’exprimer une parole définitive sur une question qui touche au
plus intime et à l’ultime de chaque vie. Nous refusons de croire que, devant
la maladie, la souffrance et la mort, il puisse y avoir un cadre rigide qui
définirait ce qu’est la dignité, la liberté individuelle ou la responsabilité
collective. Mais nous osons humblement rappeler notre conviction, celle qui
fonde la foi chrétienne : c’est le regard que Dieu pose sur chaque vie qui confère
à celle-ci sa dignité, sa liberté et sa responsabilité. Et nous croyons que
la vocation des Eglises s’accomplit d’abord dans l’accompagnement discret et
respectueux de toutes ces situations personnelles et uniques. Préambule 1.
L’Eglise
protestante unie de France est plurielle. En matière d’éthique, les approches
sont diverses. Il n’y a pas une seule éthique protestante. 2.
Nous
nous efforçons d’articuler des questions contemporaines à propos de la fin de
la vie humaine1, avec les données des Ecritures bibliques2
et avec les convictions théologiques fondamentales sur lesquelles reposent
les orientations éthiques du protestantisme luthéro-réformé3. Cela
vaut en particulier pour ce qui concerne le sens de la vie : pour nous, la vie
est donnée par Dieu, mais elle n'est pas sacralisée et elle prend sa pleine
signification selon le cadre relationnel dans lequel elle s’inscrit. 3.
Les
réflexions qui suivent font appel à la responsabilité personnelle, dans une
perspective de culture du débat. Les repères et les ressources qu'une
personne peut trouver dans la foi concernent potentiellement tous les
humains, mais ceux-ci sont libres de ne pas y adhérer. La réponse d'un sujet
en face de son Dieu ne peut pas servir de référence pour la multitude qui ne
partage pas cette foi. 4. Ce débat ne doit
jamais se réduire à l’échange d’arguments, ni même à une conversation entre
des conceptions philosophiques ou religieuses. Il s’agit ici d’êtres humains
en fin de vie, de leur famille, de leur entourage, de personnes exerçant une
responsabilité médicale et paramédicale, et de la possibilité pour chacun de
rester « vivant jusqu’à la mort »4. Ces questions universelles ne
sont jamais détachées de situations singulières, de choix individuels et de l’impact
collectif de ces choix sur les plans social, économique, moral, juridique,
etc. Une dignité comprise de diverses manières 5.
Le
terme dignité apparaît d'une façon centrale dans les débats
d'actualité concernant la fin de la vie humaine. Insister sur une vie digne
et sur une fin de vie dans la dignité peut ainsi prendre différents sens. 6.
Tout
d’abord la dignité de l’homme peut être considérée subjectivement comme liée
à la liberté de l'être humain devant Dieu et à son autonomie. Cette compréhension
insiste sur le respect des choix de vie du sujet, y compris celui de décider,
éventuellement, de sa mort. C’est le regard que le sujet porte sur lui-même
qui compte et non celui que pourraient porter les autres sur lui. 7.
Mais
cette dignité comporte aussi une dimension d’extériorité, reçue et accueillie
comme la vie. La dignité de tout être humain demeure indépendamment de son
regard et de celui que les autres portent sur lui. Il s’agit alors, pour le
croyant, de la possibilité de s’abandonner de manière consciente et voulue à
l’amour de Dieu. Dans cette perspective, l’humanité et la dignité d’une
personne ne dépendent que de l’accueil divin, donc de la grâce de Dieu5.
8.
Enfin,
la dignité peut se concevoir sans référence aucune à une transcendance, mais
au contraire être considérée comme inhérente à la personne, singulière, qui
peut lui donner sa propre définition. Pour une médecine qui accompagne 9.
La
proposition qu’une « personne majeure en phase avancée ou terminale d'une
maladie incurable » puisse demander à « bénéficier d’une assistance
médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », envisage de répondre aux
situations exceptionnelles de souffrance inapaisable, ne relevant d’aucune
législation, mais aboutissant aujourd'hui encore à des pratiques létales dans
la clandestinité et la solitude. Cette proposition a pour objectif de donner
un nouveau droit aux citoyens, pour exercer leurs choix concernant les
conditions de leur fin de vie. Il s’agit concrètement de la possibilité d’envisager
dans ces cas très particuliers une aide active pour accélérer le processus de
la fin de la vie6. 10.
Mais
cela signifie parallèlement que la société tout entière doit être vigilante à
ne pas réduire la mission de la médecine à celle de la guérison ou de la
performance, encore moins à celle de la rentabilité ou de l’économie. Il
s’agit de promouvoir une médecine qui accompagne, qui écoute, qui prodigue
des soins de confort pour privilégier avant tout la qualité de la vie
particulièrement à la fin de celle-ci quitte à en abréger la durée. Les options légales, leurs limites, leurs questions 11.
Mais
que peut-on proposer pour ne pas simplement « laisser vivre », ni « laisser
mourir », une personne en fin de vie demandant expressément une aide
susceptible d’accélérer sa mort ? Trois réponses semblent ouvertes, la
première rencontrant un assentiment général, les deux suivantes étant, en
revanche, exclusives l’une de l’autre : 12. a) Mettre réellement en pratique les lois insuffisamment appliquées,
en particulier l’interdiction de l’obstination déraisonnable (acharnement
thérapeutique)7. Développer l’accès aux soins palliatifs, qui
restent à privilégier bien en amont des situations de fin de vie, toujours
infiniment différentes et complexes. Donner une place fondamentale à la
pratique de la sollicitude, de l'écoute, de l'accompagnement, ainsi qu'à la
formation, en particulier des médecins et soignants. Pourquoi ces lois restent-elles si méconnues ? Plus
généralement, un texte légal a-t-il vocation à offrir les réponses
suffisantes face aux situations singulières et particulières qui toujours
demeureront ? 13. b) Rejeter le principe d'une nouvelle loi pour des raisons
éthiques, considérant le geste d’accélérer la survenue de la mort comme la
transgression d’un interdit, et invoquant un appel à la vie et à la
solidarité. En effet, la personne humaine ne vit et ne s’invente que reliée à
autrui et dépendante de lui. Mais cette réponse n'est-elle pas idéaliste, voire imaginaire ?
Devant les situations de détresse, peut-on se limiter à des positions de
principe ? Refuser toute disposition légale qui permettrait d’entendre et de
répondre à la demande d’assistance médicale pour terminer sa vie, ne
serait-ce pas se détourner de notre prochain le plus démuni ? 14. c) Adhérer au principe d'une nouvelle loi qui autorise
d'accélérer la survenue de la mort pour répondre à une situation
exceptionnelle, concernant un adulte responsable, libre, conscient, atteint
d’une maladie incurable en phase très évoluée voire terminale, qui en ferait
la demande8.
Elle appellerait une réflexion approfondie sur ses conditions de
réalisation (recueil du consentement ou expression de la
volonté du patient, discussion collégiale, mode
opérationnel précis). Elle assumerait l’exigence de
répondre à la demande d’assistance du « plus
petit de nos frères » soumis à
l’épreuve d’une souffrance qui ne peut être
apaisée par les soins palliatifs9. Cependant une nouvelle loi dans le
domaine de la fin de vie serait-elle mieux appliquée que les précédentes ?
Une loi qui dépénaliserait l’euthanasie ou le suicide assisté dans des
situations précises, ne serait-elle pas susceptible de provoquer de nouvelles
demandes d'extension des situations initialement prévues ? Le risque de la liberté 15.
La
loi est faite pour protéger les plus faibles. Elle doit offrir un espace pour
que puisse s’exprimer la liberté de conscience du sujet, assumant son choix
singulier, en lien avec ses proches et la société. Il s'agit aussi d'accepter
que tous ne partagent pas un même point de vue, et puissent accéder à une fin
de vie qu'ils considèrent comme « digne ». 16. La question qui demeure est donc celle d'une législation qui ne
devrait pas être trop précise, mais suffisamment contraignante pour éviter
les dérives, afin de permettre à chacun d'exercer sa responsabilité en
conscience. « Nous ne pouvons agir de manière responsable et historique que
dans l’ignorance dernière de notre bien et de notre mal, à savoir dans la
dépendance de la grâce »10. En effet, abréger
son existence relève de la grâce et non de la loi. L’action responsable
constitue un risque libre, n’est justifiée par aucune loi, renonce à toute
autojustification valable et à une connaissance ultime du bien et du mal. 17. La représentation que l’on a de la dignité humaine a des
conséquences sur les choix singuliers de chacun. Mais en aucun cas ce choix,
quel qu’il soit, n’altère la dignité inaliénable de cette personne. La responsabilité des Eglises 18. Quels que soient son choix et sa décision, chaque être humain
devrait pouvoir bénéficier d’un accompagnement, notamment de la part des
Eglises. Le rôle de celles-ci sera de contribuer au développement de la
solidarité et de l'accompagnement des personnes en fin de vie et de leur
entourage. En effet, dans la vieillesse ou en fin de vie, la présence des
plus proches et notamment de la famille est fondamentale et devrait être
soutenue. Les Eglises pourraient également promouvoir un environnement de
confiance entre soigné et soignants, sans se limiter à une déclaration
d'intention mais par un engagement pratique d’une part des institutions, en
particulier dans la formation, et d’autre part des communautés locales
directement concernées par ces situations de détresse humaine qui concernent
la personne et ses proches. __________________ Notes : 1 « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou
terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou
psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans
des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance
médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Proposition n° 21 de
François HOLLANDE, Mes 60 engagements pour la France, élection
présidentielle 22 avril 2012. «
Chaque jour voit croître dans notre société une
revendication très largement majoritaire (entre 80 et 90% selon
les sondages d'opinion) de personnes répondant positivement
à une demande de légalisation de l'euthanasie. Il ne
s'agit pas de revendications simplistes ou naïves de personnes qui
n'auraient pas compris la question. Il s'agit d'une demande profonde
des personnes interrogées, de ne pas être soumises dans
cette période d'extrême vulnérabilité de la
fin de vie à une médecine sans âme. » Penser
solidairement la fin de vie. Rapport au Président de la République (dit
Rapport Sicard), Paris, La documentation française, 2013, p.14. 2 Nous pouvons nous référer à l'Ecriture et à Celui qui en est le
centre, et nous interroger sur la place que nous accordons à l'interprétation
de la mort et de l'agonie d'un homme (Jésus-Christ) qui assume, en
relation avec « son Dieu », une mort considérée comme indigne et qui vit
l'expérience du sentiment d'abandon. 3 L’amour inconditionnel de Dieu pour chaque homme ; la
justification par la foi seule et non par nos mérites ; la distinction entre
l'homme et Dieu, sans déni de la finitude. 4 En écho au
titre de l’ouvrage posthume de Paul RICOEUR, Vivant jusqu’à la mort,
Paris, Editions du Seuil, 2007. 5 « La souffrance et même la mort sont vécues comme la
possibilité de s’abandonner, de façon consciente et voulue, aux mains de
Dieu. Sous cet angle − et sans vouloir plaider pour un dolorisme qui fait
l’éloge de la souffrance – la perte de l’autonomie en fin de vie pourrait
être vécue comme un dernier acte d’autonomie, comme une liberté coram Deo.
Cela correspondrait au message central des protestants, celui de la
justification par la grâce et sans les oeuvres : ce qui compte en fin de vie,
ce n’est pas une auto-détermination jusqu’au dernier souffle, mais plutôt le
savoir que l’humanité et la dignité d’une personne ne dépendent que de
l’accueil divin et donc : de la grâce. » Karsten LEHMKUEHLER, Vivre sa
mort, Actes du colloque de la Fédération Protestante de France, 18
octobre 2012, p. 18. 6 Trois possibilités concrètes sont aujourd’hui au coeur de la
réflexion pour répondre à un sujet qui demande une assistance médicalisée
pour terminer sa vie : - le suicide assisté, c’est-à-dire la mise à disposition d’un
malade conscient et autonome d’un médicament qu’il pourrait prendre lui-même
lorsqu’il le déciderait et qui provoquerait sa mort ; - l’euthanasie, c’est-à-dire l’injection par un tiers d’un
produit létal, dans l’intention de provoquer la mort ; - la sédation terminale, qui correspondrait à
l'administration d’un médicament destiné à diminuer la vigilance, jusqu’à la
perte totale de la conscience, en assumant que ce traitement puisse avoir
pour effet secondaire d’abréger la vie. 7 La loi dite Léonetti: directives anticipées, interdiction
d’obstination déraisonnable, droit de refuser tout traitement, droit
d’utiliser des médicaments à « double effet », supprimant la douleur
intolérable au risque d’abréger la fin de vie, autorisation de recours à la
sédation pour soulager la souffrance insupportable par la perte de
conscience, transitoire ou prolongée. Loi du 22 avril 2005 relative aux
droits des malades et à la fin de vie, Loi n° 2005-370, JORF, n° 93,
23 avril 2005, p. 7095. 8 Malgré ses racines grecques rassurantes (« bonne mort »), et
malgré son utilisation légitime par les législations de la Belgique et des
Pays-Bas, le terme euthanasie entraîne avec lui, pour beaucoup d’entre
nous, la mémoire de l'abominable élimination des "vies sans valeur"
(malades mentaux et handicapés) pratiquée de façon massive par le régime nazi
en dehors de tout consentement des sujets ou de leurs proches. C'est pourquoi
une loi ne serait envisageable qu'à la stricte condition de limiter
"l'assistance médicale à terminer sa vie dans la dignité", quelle
que soit la forme de cette assistance (sédation terminale, injection létale,
suicide assisté), aux seuls cas de demande explicite, autonome et répétée
durant un délai raisonnable devant divers témoins du sujet lui-même (à l'exclusion
des proches), à condition qu'il soit en pleine possession de ses facultés
mentales, demande qui peut aussi avoir été exprimée sous la forme de
directives anticipées. 9 Remarquant qu’il n’y a aucune condamnation du suicide dans la
Bible, Dietrich BONHOEFFER assurait : « Lorsqu’un malade incurable constate
que son état et les soins qu’il requiert entraînent la ruine matérielle et
psychique de sa famille et qu’il délivre celle-ci par sa libre décision, on
ne pourra le condamner » (Ethique, Genève, Labor et Fides, « Le champ
éthique », 1997, p. 137). Karl BARTH ajoutait : « La vie n’est pas le souverain
bien (…) Ne convient-il pas d’envisager que se tuer n’est pas forcément un
crime, mais qu’il s’agit d’une action qui peut être accomplie dans la foi et
dans la paix avec Dieu ? » (Dogmatique, n°16, Troisième volume, tome
quatrième, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 95). 10 Dietrich
BONHOEFFER, Ethique, Genève, Labor et Fides, « Le champ éthique »,
1997, p 191. Dossier complet
sur le site de l’EPUdF : cliquer ici |
|
|
Premier
synode national de l’Eglise Protestante Unie de France |
|