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Ukraine : une guerre
spirituelle, identitaire, humanitaire |
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© PAROLES
PROTESTANTES Ukraine : Le rêve russe d'établir un empire
moderne conjugue l'inspiration du soviétisme avec une Ukraine source de
richesses et matrice spirituelle. Le choix ukrainien de la démocratie situé à
l'opposé de ce rêve est donc considéré comme inconcevable et transgressif par
Moscou. Dans cette guerre sans merci, les responsables spirituels seront
peut-être une clé de dialogue de long terme, de paix possible et de
reconstruction. En Ukraine, un empire contre une nation Rendu
indépendant en 1991 à la suite de la désagrégation de l'URSS, le jeune état ukrainien
a choisi la démocratie, le multipartisme et vécu plusieurs alternances politiques,
dont celle de 2019 avec l'arrivée au pouvoir du président Zelenski. Entre faucille, marteau et croix gammée Lorsqu'en
2015 son parlement décide de bannir les références au monde soviétique comme
au nazisme, il renvoie dos à dos les totalitarismes et vise l'émergence d'une
société libre de choisir ses droits et son fonctionnement. Une telle démarche
législative est le fruit d'une histoire dans laquelle l'Ukraine fut souvent morcelée,
jusqu'au seuil de la Seconde Guerre mondiale où nombre d'Ukrainiens de
l'ouest ont pu voir dans l'invasion nazie une alternative à la puissance
soviétique russe, alors même que les provinces russophones de l'est se
préparaient à combattre le nazisme par le stalinisme. Pour les responsables
politiques de Russie, ces choix ukrainiens qui placent nazisme et stalinisme
au même niveau d'horreur sont aujourd'hui vécus comme une négation de l'histoire,
puisqu'en mettant sur le même plan eux systèmes idéologiques, l'Ukraine a
renié la fierté russe que Staline ait vaincu l'Allemagne hitlérienne. La
répression russe sur des ONG comme Mémorial qui documentent et
dénoncent les crimes du stalinisme en est une marque flagrante. Cette vision
du Kremlin à propos des choix ukrainiens ne pouvait que générer la haine
envers une Ukraine devenue tout à coup la petite sœur renégate. Émergence d'une nation Soumis
aux attaques de la communication russe depuis des années, puis aujourd'hui de
l'armée russe, l'esprit de cohésion ukrainien a largement cessé de
revendiquer les séparatismes régionaux pour se renforcer et l'on voit naître le
sentiment très fort d'une nation. Ce nationalisme unifié tend à se forger sur
une dimension géopolitique, mais aussi sur un récit national dans lequel les
religions tiennent un rôle important par leur histoire. La première d'entre elles
est l'orthodoxie, qui représente presque 70 % de la population et dont les
enjeux pourraient à eux seuls expliquer une grande part de l'invasion russe.
Le patriarcat de Constantinople accorde en effet en 2019 au patriarcat de
Kiev l'autocéphalie c'est-à-dire une forme d'indépendance souveraine, ce que
contestait le patriarcat de Moscou très lié à la politique russe. La simple
éventualité de cette décision avait d'ailleurs déjà mené le patriarcat de Moscou
au schisme avec Constantinople dès 2018. Cet imbroglio orthodoxe est central
dans la compréhension du conflit. Car le patriarcat de Kiev dépendait de
celui de Moscou, mais était né avant lui au XIe siècle, faisant de Kiev la
mère des villes russes. Son indépendance prive Moscou à la fois de sa
suprématie religieuse sur Kiev et de sa source historique. Des enjeux spirituels forts Même
si la Turquie d'aujourd'hui est politiquement indépendante du patriarcat de
Constantinople, sa proximité avec Moscou et Kiev n'est pas uniquement économique
ou stratégique. Il existe dans la pensée turque un poids historique de
l'orthodoxie qui impose d'entretenir des relations fortes avec Kiev comme avec
Moscou. Les tentatives de médiation de la Turquie dans la guerre actuelle en Ukraine en sont un signe. Des médiations possibles La
seconde religion historique est le judaïsme, ce qui explique
également une part de l'implication d'Israël dans les
tentatives de résolution du conflit. Si durant la Seconde Guerre
mondiale plus d'un million et demi de Juifs ont été
massacrés par le régime nazi en Ukraine où
étaient implantés nombre de camps d'extermination, le
pays a compté jusqu'à 10 % de sa population liée
au judaïsme et notamment de fortes communautés autour
d'Odessa. Beaucoup ont émigré dans d'autres pays comme
les États-Unis dont un quartier de New York a même
été surnommé Little Odessa. Et pour une large
part, la terre d'Israël est aujourd'hui peuplée par le
judaïsme ukrainien, comme par les Juifs russes ayant
émigré à cette époque puis durant la guerre
froide. Cela incite les responsables d'Israël à une forme
de dialogue équilibré entre les deux parties en guerre. Un empire fantasmé La
mosaïque spirituelle historique, chrétienne et juive, très présente en
Ukraine est aujourd'hui constitutive de son identité. Face à l'adversité,
l'Ukraine s'est brusquement soudée au-delà des différences entre communautés
et des problèmes de corruption qui la minent, pour faire front. Et la
dimension spirituelle semble avoir eu une grande influence dans ce phénomène,
tant pour ce qui concerne le judaïsme par l'approche et les réseaux du
président ukrainien, que pour ce qui concerne l'orthodoxie avec la fierté d'un
sentiment de primauté historique sur le patriarcat moscovite. Côté russe, cette
histoire a également laissé des traces jusque dans l'imaginaire de grandeur à
travers le rêve d'un retour à la Russie intégrale de l'empire des tsars. Kiev
et Odessa prennent un rôle fondateur dans cette Russie fantasmée qui ne peut donc
se passer de ces deux villes pour reconstituer son empire. D'une manière ou
d'une autre, le pouvoir moscovite fera tout pour au moins les contrôler et
s'adjoindre leur poids symbolique. Une aide complexe et nécessaire Le
protestantisme est peu représenté dans le pays avec 800 000 fidèles environ (2
% de la population) mais actif. Sa dynamique provient pour une part de
l'implantation récente d'Églises évangéliques et baptistes notamment issues de
missions américaines, et pour une autre part de l'implantation luthérienne historique
présente dès les premières années de la Réforme. Ces deux branches assez
différentes de protestantisme soutiennent le pays dans sa tragédie actuelle,
notamment par l'accueil de denrées alimentaires arrivant des pays voisins
comme la Pologne, via les réseaux d'Églises. Le protestantisme agit à sa mesure Ces
réseaux s'activent également à l'étranger, en France par exemple. Dès le 9
février la Fédération protestante a appelé dans un communiqué à «prier et
oeuvrer pour que cesse cette guerre et manifester la solidarité du
protestantisme aux victimes", rappelant que les unions d'Églises, les
œuvres et les mouvements protestants se sont mobilisés pour venir en aide,
soit aux organismes d'accueil de réfugiés, soit par un soutien solidaire sur le
terrain, notamment par l'intermédiaire du dispositif Solidarité
protestante sous l'égide de la Fondation du protestantisme. Une aide risquée à l'intérieur de l'Ukraine Outre
les réseaux d'Églises, des organismes protestants internationaux disposent de
structures d'interventions efficaces dans les pays voisins et jusque dans
certaines villes ukrainiennes. C'est le cas par exemple de l'ordre de
Saint-Jean, dont la vocation par nature internationale s'appuie pour ce
conflit sur des commanderies en Hongrie et en Pologne. Une structure
internationale de soutien logistique coordonnée à Bruxelles achète et achemine
des médicaments et des biens de première nécessité jusqu'en Pologne, Hongrie
et Roumanie, explique Christian Velten Jameson, vice-président de la structure.
Capable de mener des opérations sur le long terme, cette centrale de
coordination est relayée sur place par ses équipes d'urgence de la
Johanniter-Unfall-Hilfe (JUH) essentiellement allemandes ou autrichiennes habituées
à opérer en zone de conflit ou de catastrophe et pré-positionnées pour ce genre
d'intervention jusque dans des villes de l'intérieur de l'Ukraine. Des
adultes et enfants malades ont ainsi pu être sortis de certains hôpitaux du
pays et des camions de vivres et de matériels sont parvenus dès le 5 mars à Loutsk
et Chitomir à 120km à l'ouest de Kiev. Éviter l'embouteillage humanitaire Mais
de tels résultats demandent une capacité professionnelle solide. De précédentes
crises humanitaires comme en Haïti au lendemain du séisme de 2010 avaient
montré toute l'importance d'outils comme la JUH pour assurer une coordination des aides face à
l'arrivée massive d'ONG et de soutiens indépendants les uns des autres. Cette
expérience de terrain est aujourd'hui de nouveau essentielle en Ukraine ou dans
des pays comme la Pologne, dont l'administration tente de s'adapter aux afflux
concomitants d'aides matérielles et de réfugiés. Outre le risque
d'embouteillage humanitaire, la complexité provient de l'extrême variété des
types de besoins : soutien matériel, mais aussi psychique, sanitaire,
social, éducationnel ou de logement. Pour Laurent Sauquet, commandeur de
l'ordre de Saint-Jean, pour être réellement adaptée l'aide apportée aux
populations locales doit donc passer par ces organismes déjà en place ;
pour ce qui concerne l'Ordre en France, le soutien est donc principalement financier
afin de permettre aux intervenants sur place une plus grande marge de manœuvre
et de réaction. En France, l'accueil protestant s'est organisé Pour
ce qui concerne le protestantisme en France, les structures d'accueil et d'accompagnement
dans l'Hexagone mises en place il y a quelques semaines pour prévoir l'afflux
de réfugiés d'Ukraine sont opérationnelles. Les voies d'accueil et les
processus d'accompagnement inaugurés avec les réfugiés du conflit en Syrie ont
donné à la Fédération de l'Entraide protestante l'expérience de la
coordination et de l'animation de ces réseaux. En région parisienne, c'est le
Centre d'action sociale protestant (Casp) qui est le fer de lance de
l'opération. Cette grande structure pérenne et reconnue des pouvoirs publics
permet l'accueil en hôtel ou dans des centres dédiés. Elle dispose en outre
de tous les apports nécessaires en matière sanitaire, psychique ou
administrative. Le Casp a d'ailleurs souhaité élargir sa capacité d'accueil
dans un communiqué aux protestants de la région, appelant « à trouver
dans un temps record des solutions nouvelles ». Des familles de
paroissiens ont ainsi été sollicitées pour proposer des hébergements temporaires
d'un mois, le Casp s'engageant à ce qu'un « référent accompagne
chacun dans cette démarche citoyenne et soit à ses côtés pour parer toute
difficulté ». Là encore, l'expérience des crises humanitaires
précédentes a permis de bâtir un accueil spécifique dans de multiples domaines. Complexe et de longue haleine On le voit, cette guerre est complexe
par son histoire, ses symboles, les liens inextricables qui existent entre le
politique, la corruption, la notion de vérité ou l'impact de la spiritualité.
L'émergence d'un sentiment fort de la nation ukrainienne au milieu de cet
imbroglio est une surprise pour beaucoup. Comme peut l'être plus à l'ouest le
sentiment d'une Europe davantage unie. Dans ce contexte, les identités ont
tendance à se crisper et à rejeter la différence. Le poids des Églises et du judaïsme
peut donc sans doute aider à assouplir ces différends et recréer la capacité
de dialogue suffisante à une recherche de solutions, bien que cela paraisse
aujourd'hui encore impossible de parier sur des apaisements durables. Dans l'intervalle,
la spiritualité se traduit aussi en prière pour les parties prenantes dans ce
conflit et en aides matérielles pour les personnes qui en sont victimes. Le protestantisme
a sa part à prendre dans cette tâche de longue haleine, pour montrer et
traduire la grâce qui l'anime. Pour soutenir, s'informer, comprendre : johanniter.org/category/ukraine à ouvrir en dehors du site www.ordredesaintjean.fr/soutenez-nous.html donner.fondationduprotestantisme.org/ukraine/-mon-don à ouvrir en dehors du site © Paroles protestantes |
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