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Etude biblique 8 Jésus et la loi Introduction L'insertion de
Jésus dans le judaïsme de son temps va maintenant de soi, elle est un acquis
commun de la recherche récente. Le judaïsme est vraiment le contexte
essentiel pour la compréhension du message de Jésus, il suffit de lire les
titres des publications récentes: « Un juif nommé Jésus»[Marie
Vidal, Un Juif nommé Jésus – Une lecture de l’évangile à la lumière de la
Torah, Albin Michel 1996.], « Un certain juif Jésus » [J. P. Meier, Un
certain Juif Jésus. Les données de l'histoire, I, Les sources, les origines,
les dates, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Lectio divina », La Torah, emblème du peuple choisi et orgueil d'Israël : on disait que de tous les peuples de la terre à qui la Torah avait été
offerte, seul Israël l'avait voulue ! Elle est ce lieu incontournable,
hors duquel il n'y a pas de judaïsme, un lieu qui, plus que le Temple,
rassemble et en même temps sépare toute la mouvance juive. La Torah, la Loi
sainte de Dieu, reçue, selon le Deutéronome, des mains mêmes de Moïse (Dt
4,45 et ss) et commentée depuis lors par la chaîne ininterrompue des
prophètes, des érudits et des rabbis, la Torah, est le réceptacle de la
volonté éternelle de Dieu. Parmi les traits
les plus caractéristiques du judaïsme, la Loi tient assurément une place tout
à fait centrale quand il s'agit d'apprécier les « marqueurs d'identité », au
point que, en dépit de la diversité tolérante qu'on souligne volontiers à
propos du judaïsme ancien, il arrivait qu'on en vienne aux mains et même que
le sang coule ! Or, c'est précisément sur ce point que portent la
plupart des conflits rapportés par les Évangiles puisqu'ils portent sur les
questions de pureté et sur la pratique du sabbat. Nous prendrons donc deux
exemples significatifs pour donner un aperçu (trop) rapide de l’attitude de
Jésus par rapport à la Torah : 1. Jésus et la pratique
du sabbat 2. Jésus et la pureté
rituelle 1. Jésus et la
pratique du sabbat La
pratique du sabbat n'est certainement pas remise en cause par Jésus. Les
divergences, dont les textes concernés font état, relèvent de l'interprétation
de la Loi, la halakah, par les scribes,
souvent rattachés au parti pharisien, érudits chargés de lever les
difficultés de l'Écriture et d'extraire de la Torah les règles de la conduite
juive. En
d'autres termes, Jésus s'est opposé éventuellement à tel ou tel courant
particulièrement rigoriste dans l'interprétation des règles du sabbat - on
pense en particulier aux esséniens -, mais non à la Loi elle-même. Marc nous raconte le face-à-face entre eux et Jésus, à la synagogue,
un jour de sabbat (Mc 3,1-6) : eux l'épient pour voir ce qu'il va faire
; lui choisit de guérir ce jour-là un homme à la main sclérosée. Il aurait pu
attendre le lendemain, sans dommage pour l'homme et sans narguer les scribes.
L'action de Jésus est provocatrice, délibérément. Mais comment justifie-t-il son attitude ? Avec une question : ce qui
est permis le jour de sabbat, est-ce de faire le bien ou de faire le mal ? de
sauver une vie ou de tuer ? (Mc 3,4). Évidemment, faire le bien est autorisé le jour de
sabbat ! C'est même commandé, puisque la loi du sabbat, comme toute la Torah,
crée des obligations en vue de la vie et non en vue de la mort. Au sabbat, il
faut faire le bien. Jésus est sur ce point en accord avec toute la tradition
juive. Mais il poursuit : ne pas faire le bien, c'est faire le mal ; ne pas
faire vivre, c'est tuer. Voilà les scribes enfermés dans une double
contrainte. Ou bien ils donnent raison à Jésus, et consentent à sa
transgression du sabbat, mais c'est à leurs yeux, porter atteinte à
l'autorité de la Torah. Ou bien ils récusent sa position, mais ils font de la
Loi du sabbat une loi dévoyée, qui met un verrou sur le malheur de l'homme. Le principe, Jésus l'a posé dans l'axiome suivant : Le sabbat a été
fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le sabbat (Mc 2,27). Une fois
encore, dire cela n'est pas inouï au sein de la pensée juive. Les rabbis
savaient exempter du repos sabbatique ceux qui se trouvaient en danger de
mort, soit à la guerre, soit pour des raisons médicales (cf. M 2,39-41). La position de Jésus, ici, n'est donc pas étrangère à des courants
libéraux du judaïsme. Mais à la différence des rabbis, qui discutaient pour
savoir quels cas de danger mortel autorisaient la levée du repos sabbatique, Jésus
ne réglemente rien. Il fixe un ordre de priorité : la vie de l'homme, le bien
de l'homme sont à préférer à l'observation du sabbat. Quand le bien-être de
l'humain est en péril, le précepte doit plier. Jésus ne propose pas d'abolir le sabbat, il le recompose autour d'un
devoir plus impératif, qui est d'assurer le salut d'autrui. Voilà le premier
principe défendu par Jésus dans sa compréhension de la Torah. Cette dévalorisation de la Loi rituelle au profit de la Loi d'amour va
nous apparaître encore dans les fréquentations de Jésus. 2. Jésus et la
pureté rituelle La parole
rapportée en Mc 7, 15 dans sa partie positive, met en valeur la pureté
intérieure, celle du cœur, et se situe donc clairement au plan éthique. Dans
sa partie négative, qui porte sur l'incapacité des aliments à souiller
l'homme, elle touche au moins indirectement les dispositions de la loi
biblique sur les aliments purs et impurs. On irait trop loin en lisant dans
cette parole de Jésus une règle de conduite, ou alors une attaque frontale de
la Loi. Mais on y verra au moins le signe que Jésus n'attachait guère
d'importance aux questions de pureté rituelle et se préoccupait avant tout de
la pureté du cœur. Cette lecture de ses paroles paraît confirmée par
quelques indications sur sa pratique : son attitude avec les lépreux est
caractéristique et on signale même qu'il en touche un (Mc 1, 42) ; une femme
de mauvaise vie (Lc 7, 36 s.) le touche sans que cela provoque chez lui de
réaction négative ; il ne semble pas même se soucier de l'impureté la
plus grave, puisqu'il touche un cercueil (Lc 7, 4) et le cadavre d'une
fillette (Mc 5, 41) ; une femme ayant un flux de sang le touche sans que cela
semble l'inquiéter (Mc 5, 31). Le genre de vie itinérant
de Jésus a probablement entraîné pour lui et son groupe diverses souillures ! On voit que c'est au nom de ce qui est le plus important dans la Loi
que Jésus va partager l'amour de Dieu avec ceux que la Loi juge impurs. On
s'attendrait alors que Jésus balaie d'un revers de main le code de pureté ;
mais pas du tout : c'est ceci qu'il fallait faire, ajoute-t-il, sans négliger
cela : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, car
vous versez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous négligez ce
qui est plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la
fidélité ; c'est ceci qu'il fallait faire, sans négliger cela » (Mt
23,23). En conclusion 1.
L’amour recompose la Loi Jésus n'est pas le premier, à avoir résumé la Torah dans les deux
commandements : aimer Dieu (Dt 6,5) et aimer son prochain (Lv 19,18). Là où
il fait oeuvre nouvelle, c'est lorsqu'il donne à ce sommaire la force d'une
clef de lecture de la Loi : toute la Torah, dit-il, doit satisfaire à ce
double commandement (Mc 12,28-31). C'est dire que non seulement l'amour d'autrui
reçoit le même poids que l'amour de Dieu, mais tout commandement peut être
suspendu s'il entrave l'amour. On voit se justifier ici l'attitude de Jésus à propos du sabbat ; ses
guérisons provocatrices démontrent que lorsque le bien de l'homme est en jeu,
et qu'il appelle la miséricorde, l'interdit doit céder. Regardée du point de
vue juif, la décision prise par Jésus de faire prédominer l'amour est d'une
extrême gravité ; elle installe en effet au centre de la Torah une instance
qui doit gouverner sa lecture, et qui autorise à valider ou à invalider telle
ou telle prescription. La Loi n'est donc plus à respecter parce qu'elle est la Loi ; elle est
à suivre parce qu'elle sert l'amour, et quand elle sert l'amour. Notez bien
que le souci d'autrui n'abroge pas la Loi ; il est adopté comme principe de
recomposition de la Torah. 2.
Moi, je vous dis … Si d'un côté Jésus recompose la Loi autour du principe de l'amour, ce
qui pourrait conduire à l'affaiblir, d'un autre côté il durcit et radicalise
le commandement. L'expression classique de ce durcissement de la volonté de
Dieu se rencontre dans la séquence dite des « antithèses » de Mt
5,21-48. Cette séquence tire son nom de la formule répétitive qui la scande :
vous avez appris qu'il a été dit aux anciens... eh bien ! Moi je vous
dis...De quel droit Jésus agit-il ? Son « eh bien ! moi je vous dis »
est à la fois impertinent, libérateur et souverain. Impertinent, parce
qu'il congédie un savoir séculaire accumulé sur la Torah. Libérateur, parce
que la compréhension de la volonté divine n'est plus astreinte au passage
obligé de l'exégèse rabbinique ; les croyants sont directement exposés à
l'évidence de l'amour dans sa radicalité bouleversante. La volonté de
démocratiser l'obéissance à l'intention de tous, même du petit «peuple de
la terre» est nette. L'évidence de l'amour est décrétée plus sûre que
le flair des théologiens pour deviner Dieu : à chacun d'inventer comment se
concrétisera l'obligation d'aimer. Surtout, par ce «Moi» souverain, Jésus tient son autorité directement
de Dieu, sans la faire dériver de Moïse. Le « moi je vous dis »
ne pose pas l'autorité de Jésus sur la Torah, mais l'autorité du Royaume sur
la Loi. Le Royaume si proche bouleverse les cartes, secoue la théologie en
son cœur même, et dans cette convulsion, Jésus se sait un rôle particulier.
La poussée de l'amour inconditionnel de Dieu est si forte en lui qu'elle le
conduit à heurter le dogme le plus cher du judaïsme : l'infaillibilité de la
Loi. Seule l'obéissance guidée par l'amour peut prétendre à l'infaillibilité,
selon Jésus. Nicole Vernet1 1 Résumé d’un travail effectué pour le dossier catéchétique
« en gestation »sur Jésus, à l’aide de l’excellent ouvrage de
Daniel Marguerat : L’homme qui venait de Nazareth, ce qu’on peut dire
aujourd’hui de Jésus, éditions du Moulin. |
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