Les chemins de l’Exode :
étude biblique 8
Jésus et la loi

Jésus donne
une clef de lecture de la loi

Parchemin de 1768 (612x502 mm), par Jekuthiel Sofer

Ce parchemin a imité
celui du Décalogue de 1675
exposé à
l’Amsterdam Esnoga synagogue



Pour Jésus,
 la loi est à suivre
parce qu’elle sert l’amour

 

 

 

 

 

 

Etude biblique 8

Jésus et la loi

Introduction

L'insertion de Jésus dans le judaïsme de son temps va maintenant de soi, elle est un acquis commun de la recherche récente. Le judaïsme est vraiment le contexte essentiel pour la compréhension du message de Jésus, il suffit de lire les titres des publications récentes: « Un juif nommé Jésus»[Marie Vidal, Un Juif nommé Jésus – Une lecture de l’évangile à la lumière de la Torah, Albin Michel 1996.], « Un certain juif Jésus » [J. P. Meier, Un certain Juif Jésus. Les données de l'histoire, I, Les sources, les origines, les dates, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Lectio divina », 2004. L'original américain porte le titre : A Marginal Jew, par quoi l'auteur, loin de songer à minimiser la judaïté de Jésus, voulait simplement marquer que Jésus n'a pas attiré l'attention des élites juives et en particulier qu'il vivait à l'écart de l'establishment de Jérusalem.]. Une des raisons déterminantes de ce changement d'optique paraît être, sur le plan objectif, un renouvellement profond, justifié par une documentation considérablement améliorée et les études favorisant notre connaissance du judaïsme. Faut-il dire des judaïsmes ? Certains n'hésitent pas à le faire car, avec la réalité du 1er siècle, il est très difficile de préciser ce qui était possible et ce qui ne l'était pas dans le cadre du judaïsme palestinien des années 30. On a presque l'impression que tout était alors possible. On doit pourtant admettre qu'il existait un certain consensus sur les points centraux tels que la Loi, le Temple et le pardon des péchés, l'idée de Dieu. Il paraît donc indiqué de s'arrêter sur cette question : Jésus et la Loi.

La Torah, emblème du peuple choisi et orgueil d'Israël : on disait que de tous les peuples de la terre à qui la Torah avait été offerte, seul Israël l'avait voulue ! Elle est ce lieu incontournable, hors duquel il n'y a pas de judaïsme, un lieu qui, plus que le Temple, rassemble et en même temps sépare toute la mouvance juive. La Torah, la Loi sainte de Dieu, reçue, selon le Deutéronome, des mains mêmes de Moïse (Dt 4,45 et ss) et commentée depuis lors par la chaîne ininterrompue des prophètes, des érudits et des rabbis, la Torah, est le réceptacle de la volonté éternelle de Dieu.

Parmi les traits les plus caractéristiques du judaïsme, la Loi tient assurément une place tout à fait centrale quand il s'agit d'apprécier les « marqueurs d'identité », au point que, en dépit de la diversité tolérante qu'on souligne volontiers à propos du judaïsme ancien, il arrivait qu'on en vienne aux mains et même que le sang coule ! Or, c'est précisément sur ce point que portent la plupart des conflits rapportés par les Évangiles puisqu'ils portent sur les questions de pureté et sur la pratique du sabbat. Nous prendrons donc deux exemples significatifs pour donner un aperçu (trop) rapide de l’attitude de Jésus par rapport à la Torah :

1.    Jésus et la pratique du sabbat

2.    Jésus et la pureté rituelle

1.   Jésus et la pratique du sabbat

La pratique du sabbat n'est certainement pas remise en cause par Jésus. Les divergences, dont les textes concernés font état, relèvent de l'interprétation de la Loi, la halakah, par les scribes, souvent rattachés au parti pharisien, érudits chargés de lever les difficultés de l'Écriture et d'extraire de la Torah les règles de la conduite juive. En d'autres termes, Jésus s'est opposé éventuellement à tel ou tel courant particulièrement rigoriste dans l'interprétation des règles du sabbat - on pense en particulier aux esséniens -, mais non à la Loi elle-même.

Marc nous raconte le face-à-face entre eux et Jésus, à la synagogue, un jour de sabbat (Mc 3,1-6) : eux l'épient pour voir ce qu'il va faire ; lui choisit de guérir ce jour-là un homme à la main sclérosée. Il aurait pu attendre le lendemain, sans dommage pour l'homme et sans narguer les scribes. L'action de Jésus est provocatrice, délibérément.

Mais comment justifie-t-il son attitude ? Avec une question : ce qui est permis le jour de sabbat, est-ce de faire le bien ou de faire le mal ? de sauver une vie ou de tuer ? (Mc 3,4).

Évidemment, faire le bien est autorisé le jour de sabbat ! C'est même commandé, puisque la loi du sabbat, comme toute la Torah, crée des obligations en vue de la vie et non en vue de la mort. Au sabbat, il faut faire le bien. Jésus est sur ce point en accord avec toute la tradition juive. Mais il poursuit : ne pas faire le bien, c'est faire le mal ; ne pas faire vivre, c'est tuer. Voilà les scribes enfermés dans une double contrainte. Ou bien ils donnent raison à Jésus, et consentent à sa transgression du sabbat, mais c'est à leurs yeux, porter atteinte à l'autorité de la Torah. Ou bien ils récusent sa position, mais ils font de la Loi du sabbat une loi dévoyée, qui met un verrou sur le malheur de l'homme.

Le principe, Jésus l'a posé dans l'axiome suivant : Le sabbat a été fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le sabbat (Mc 2,27). Une fois encore, dire cela n'est pas inouï au sein de la pensée juive. Les rabbis savaient exempter du repos sabbatique ceux qui se trouvaient en danger de mort, soit à la guerre, soit pour des raisons médicales (cf. M 2,39-41).

La position de Jésus, ici, n'est donc pas étrangère à des courants libéraux du judaïsme. Mais à la différence des rabbis, qui discutaient pour savoir quels cas de danger mortel autorisaient la levée du repos sabbatique, Jésus ne réglemente rien. Il fixe un ordre de priorité : la vie de l'homme, le bien de l'homme sont à préférer à l'observation du sabbat. Quand le bien-être de l'humain est en péril, le précepte doit plier.

Jésus ne propose pas d'abolir le sabbat, il le recompose autour d'un devoir plus impératif, qui est d'assurer le salut d'autrui. Voilà le premier principe défendu par Jésus dans sa compréhension de la Torah.

Cette dévalorisation de la Loi rituelle au profit de la Loi d'amour va nous apparaître encore dans les fréquentations de Jésus.

2.   Jésus et la pureté rituelle

La parole rapportée en Mc 7, 15 dans sa partie positive, met en valeur la pureté intérieure, celle du cœur, et se situe donc clairement au plan éthique. Dans sa partie négative, qui porte sur l'incapacité des aliments à souiller l'homme, elle touche au moins indirectement les dispositions de la loi biblique sur les aliments purs et impurs. On irait trop loin en lisant dans cette parole de Jésus une règle de conduite, ou alors une attaque frontale de la Loi. Mais on y verra au moins le signe que Jésus n'attachait guère d'importance aux questions de pureté rituelle et se préoccupait avant tout de la pureté du cœur. Cette lecture de ses paroles paraît confirmée par quelques indications sur sa pratique : son attitude avec les lépreux est caractéristique et on signale même qu'il en touche un (Mc 1, 42) ; une femme de mauvaise vie (Lc 7, 36 s.) le touche sans que cela provoque chez lui de réaction négative ; il ne semble pas même se soucier de l'impureté la plus grave, puisqu'il touche un cercueil (Lc 7, 4) et le cadavre d'une fillette (Mc 5, 41) ; une femme ayant un flux de sang le touche sans que cela semble l'inquiéter (Mc 5, 31).

Le genre de vie itinérant de Jésus a probablement entraîné pour lui et son groupe diverses souillures !

On voit que c'est au nom de ce qui est le plus important dans la Loi que Jésus va partager l'amour de Dieu avec ceux que la Loi juge impurs. On s'attendrait alors que Jésus balaie d'un revers de main le code de pureté ; mais pas du tout : c'est ceci qu'il fallait faire, ajoute-t-il, sans négliger cela : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, car vous versez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous négligez ce qui est plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité ; c'est ceci qu'il fallait faire, sans négliger cela » (Mt 23,23).

En conclusion

1.    L’amour recompose la Loi

Jésus n'est pas le premier, à avoir résumé la Torah dans les deux commandements : aimer Dieu (Dt 6,5) et aimer son prochain (Lv 19,18). Là où il fait oeuvre nouvelle, c'est lorsqu'il donne à ce sommaire la force d'une clef de lecture de la Loi : toute la Torah, dit-il, doit satisfaire à ce double commandement (Mc 12,28-31). C'est dire que non seulement l'amour d'autrui reçoit le même poids que l'amour de Dieu, mais tout commandement peut être suspendu s'il entrave l'amour.

On voit se justifier ici l'attitude de Jésus à propos du sabbat ; ses guérisons provocatrices démontrent que lorsque le bien de l'homme est en jeu, et qu'il appelle la miséricorde, l'interdit doit céder. Regardée du point de vue juif, la décision prise par Jésus de faire prédominer l'amour est d'une extrême gravité ; elle installe en effet au centre de la Torah une instance qui doit gouverner sa lecture, et qui autorise à valider ou à invalider telle ou telle prescription.

La Loi n'est donc plus à respecter parce qu'elle est la Loi ; elle est à suivre parce qu'elle sert l'amour, et quand elle sert l'amour. Notez bien que le souci d'autrui n'abroge pas la Loi ; il est adopté comme principe de recomposition de la Torah.

2.    Moi, je vous dis …

Si d'un côté Jésus recompose la Loi autour du principe de l'amour, ce qui pourrait conduire à l'affaiblir, d'un autre côté il durcit et radicalise le commandement. L'expression classique de ce durcissement de la volonté de Dieu se rencontre dans la séquence dite des « antithèses » de Mt 5,21-48. Cette séquence tire son nom de la formule répétitive qui la scande : vous avez appris qu'il a été dit aux anciens... eh bien ! Moi je vous dis...De quel droit Jésus agit-il ? Son « eh bien ! moi je vous dis » est à la fois impertinent, libérateur et souverain. Impertinent, parce qu'il congédie un savoir séculaire accumulé sur la Torah. Libérateur, parce que la compréhension de la volonté divine n'est plus astreinte au passage obligé de l'exégèse rabbinique ; les croyants sont directement exposés à l'évidence de l'amour dans sa radicalité bouleversante. La volonté de démocratiser l'obéissance à l'intention de tous, même du petit «peuple de la terre» est nette. L'évidence de l'amour est décrétée plus sûre que le flair des théologiens pour deviner Dieu : à chacun d'inventer comment se concrétisera l'obligation d'aimer.

Surtout, par ce «Moi» souverain, Jésus tient son autorité directement de Dieu, sans la faire dériver de Moïse. Le « moi je vous dis » ne pose pas l'autorité de Jésus sur la Torah, mais l'autorité du Royaume sur la Loi. Le Royaume si proche bouleverse les cartes, secoue la théologie en son cœur même, et dans cette convulsion, Jésus se sait un rôle particulier. La poussée de l'amour inconditionnel de Dieu est si forte en lui qu'elle le conduit à heurter le dogme le plus cher du judaïsme : l'infaillibilité de la Loi.

Seule l'obéissance guidée par l'amour peut prétendre à l'infaillibilité, selon Jésus.

Nicole Vernet1

1 Résumé d’un travail effectué pour le dossier catéchétique « en gestation »sur Jésus, à l’aide de l’excellent ouvrage de Daniel Marguerat : L’homme qui venait de Nazareth, ce qu’on peut dire aujourd’hui de Jésus, éditions du Moulin.

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