Billet biblique : comprendre et fêter Noël aujourd'hui

 

 

Nous ne comprenons pas grand-chose à notre monde tumultueux et déchiqueté, et qu'avons-nous à fêter quand les souffrances dépassent tellement les joies, quand les ténèbres l'emportent tellement sur la lumière ? Comment aujourd'hui comprendre et fêter Noël ? Noël fête de la lumière au cœur de la nuit, fête du passage de l’obscurité à la lumière et aux jours qui rallongent. Noël pourrait-il donc encore éclairer notre existence actuelle ?

L'ancienne Eglise ne voulut pas laisser le soleil aux païens, elle choisit de célébrer la naissance de Jésus au solstice d'hiver, le 25 décembre, le jour même de la fête du Sol invictus, du soleil invaincu ; et elle n’en n'éprouva aucune gêne. Les Réformateurs ne s’y trompaient pas. Devant une assemblée dominicale plus fournie que d’habitude, un dimanche qui tombait le 25 décembre, Calvin commença son sermon ainsi : “Si vous croyez que Jésus est né un 25 décembre, vous êtes pires que des bêtes sauvages...”

A l’appui de ces réserves séculaires concernant la date de Noël, l’exégèse contemporaine a établi de manière irréfutable qu’il n’y a à peu près rien d’historique dans les récits dits de Noël.

Les premiers témoignages concernant la vie publique de Jésus commencent avec son baptême par Jean le Baptiste, alors qu'il avait trente ans. Il était naturel que les gens aient désiré connaître son passé. Mais l'enfance de Jésus était une période dont seuls sa famille et ses intimes avaient eu connaissance. De plus, à l'époque il était d'usage, lorsque l'on racontait la vie d'un homme illustre, de construire des épisodes extraordinaires concernant la naissance et l'enfance de ce personnage. La Bible et les récits rabbiniques présentaient de pareils récits d'enfance pour les hommes considérés comme des envoyés de Dieu, Moïse par exemple.

Ce genre littéraire très particulier est choisi par deux évangélistes seulement, Matthieu et Luc. Eux seuls vont nous raconter la naissance de Jésus et encore, de manière différente.

II n'est fait aucune allusion à ce récit dans les lettres de Paul ou l'évangile de Marc, qui sont pourtant antérieurs, ni d'ailleurs dans le reste du Nouveau Testament.

Trop souvent ces récits ont été lus comme historiques, alors qu'ils sont avant tout théologiques et traduisent en langage populaire la ferveur de l'Eglise à travers une imagerie convenue. L'étoile, les mages, les bergers, les voix venues du ciel, font partie de l'imaginaire traditionnel des «naissances miraculeuses», imagerie commune à tous les héros de la Méditerranée.

A travers ces textes, il nous faut découvrir des symbolismes issus de la réflexion passionnante des premiers chrétiens sur l'intelligence de leur foi en Jésus-Christ. Ces récits de naissance nous donnent par avance les principales clés de lecture pour nous dire la vie publique, la mort et la résurrection de Jésus, mais ce n'est qu'après avoir pris connaissance de toute l'aventure humaine de Jésus qu'on découvrira que ces clés sont les thèmes essentiels du message.

Est-ce à dire que cette fête si populaire, soit désespérément vide de contenu ? Du point de vue historique, sans aucun doute. Mais peut-être pas du point de vue symbolique, comme le laisse entendre le mot de Luther fidèle à l’interprétation spirituelle des médiévaux quand il reprit de Maître Eckhart la célèbre formule : « A quoi te sert que le Christ soit né il y a si longtemps dans une étable s’il ne naît aujourd’hui dans ton cœur ? » Car ce qui fait la valeur et la grandeur durables des récits de Noël, ce n'est pas leur accord plus ou moins réel avec les données de la cosmologie, de la biologie ou de l'histoire, mais bien le souffle qui les traverse.

C’est vrai que, rechercher le sens symbolique des textes, cela dérange beaucoup de monde. Il est plus facile de croire en un magicien qui fait à notre place, qu’en quelqu’un qui nous met devant nos responsabilités de justice, d’amour, de paix pour que l’homme vive debout, dans le Royaume de Dieu ici et maintenant.

Noël signifie naissance, ce n’est pas tant un événement du passé qu’une expérience personnelle pour aujourd’hui. Quelque chose d’essentiel peut naître en nous maintenant à condition de se poser les bonnes questions. Si la foi se vit dans l'exceptionnel et le merveilleux, comme c'est le cas dans la période de Noël, ma conviction, c’est qu’elle doit d'abord se vivre dans le banal, le quotidien et l'ordinaire.

Nos cantiques populaires relèvent d'ailleurs bien ce côté ordinaire, même misérable de la naissance du Sauveur : « Une étable est son logement, de la paille emplit sa couchette, une étable est son logement ! Pour un Dieu, quel abaissement ! »

L’évangile de Luc nous dit : «Le temps où Marie qui était enceinte devait enfanter se trouva révolu» (Luc 2/6). Somme toute, une naissance discrète et fort ordinaire mais qui nous annonce une paix possible pour les hommes de bonne volonté que Dieu aime. Quelle Bonne Nouvelle !

L'abaissement de Dieu, l'humilité de Dieu, voilà bien le message de cette nativité ! Dieu n'est plus le Très Haut, le Dieu Tout Puissant qui use de sa Force pour humilier les hommes, mais il devient le Très Bas, celui qui a rejoint notre humanité dans sa fragilité, dans sa précarité, dans son humilité…

Nous devons "intérioriser" la Bonne nouvelle de Noël, permettre au Christ de naître aussi "dans notre étable obscure", c'est à dire dans ces zones sombres de nos vies, là où la lumière a de la peine à pénétrer, ces zones de solitude, de blessures intérieures, de souffrances, de difficultés… Ces zones où nous nous découvrons fragiles et bien souvent impuissants. C'est là que le Christ veut naître en nous…

Tout le Christ est là, dans cet enfant fragile, mais il reste encore à le manifester au monde ! Toute la promesse de Dieu est accomplie dans cette nuit de Noël, mais il reste encore à l'annoncer jusqu'aux extrémités de la terre ! Tout est là. Tout est déjà donné par Dieu… Et les anges ont raison de chanter : « Paix sur terre aux hommes que Dieu aime », mais tout reste à faire et à réaliser pour que cette Paix soit réelle et concrète sur notre terre… Et c'est là notre travail qui commence !

C’est ça vivre Noël !

 

Nicole Vernet