q Epître aux Hébreux 9, 24 – 28

Faut-il faire des sacrifices ?

LA CENE A EMMAÜS

Le Caravage, 1606

Milan

Pinacothèque de Brera

 

 

 

Au XVIe siècle les protestants ont dénoncé le sacrifice de la messe. Mais cela ne nous empêche pas d'inviter Dieu à notre table. Lors de la sainte cène, le pain et le vin sont distribués. Par ce repas que nous partageons, nous sommes en communion avec Dieu. Comme si nous avions gardé du sacrifice du judaïsme ancien, sans nous en rendre compte, cette offrande végétale. Faire couler le sang n'est plus synonyme de vie pour nous. En revanche, nous nous reconnaissons mieux dans la convivialité de la sainte cène. Chaque époque a ses rites et ses représentations mentales. Avec ou sans sacrifice, nous devons simplement ne pas oublier d'être chaque jour en communion avec Dieu.

Epître aux Hébreux 9, 24 – 28

24 Car Christ n'est pas entré dans un sanctuaire fait par la main de l'homme, imitation du véritable, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu.

25 Il n'y est pas entré afin de s'offrir plusieurs fois, comme le souverain sacrificateur entre chaque année dans le sanctuaire avec du sang étranger ;

26 car alors, le Christ aurait dû souffrir plusieurs fois depuis la fondation du monde. Mais maintenant, à la fin des siècles, il a paru une seule fois pour abolir le péché par son sacrifice.

27 Et comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, - après quoi vient le jugement -

28 de même aussi le Christ, qui s'est offert une seule fois pour porter les péchés d'un grand nombre, apparaîtra une seconde fois, sans (qu'il soit question du) péché, pour ceux qui l'attendent en vue de leur salut.

Prédication de Eric Deheunynck

En lisant cet extrait de l'épître aux Hébreux, je me suis demandé mais faut-il donc faire des sacrifices ? Voilà une question étonnante, sauf peut-être pour notre trésorier qui se demande s'il bouclera le budget ! Des sacrifices... Dans quel but ? Ces histoires de sacrifices d'animaux nous paraissent complètement dépassées ! L'image d'un Christ sacrifié comme un agneau n'est pas des plus séduisantes. La représentation d'un Christ souffrant est absente de nos temples, mais combien d'églises en comptent ? Et de toute façon, le texte le dit lui-même, tout ceci ce n'est que du passé. Le sacrifice du Christ doit être le dernier. Pourquoi dans ce cas, s'intéresser aujourd'hui au sacrifice, me direz-vous ? Tout simplement parce que chacune de ces évidences mérite d'être nuancée, voire rejetée. Il faut aller au-delà de ses premières réactions pour comprendre avant de juger.

I - Les sacrifices dans l'Ancien Testament

Que signifient les pratiques sacrificielles des Juifs, mais aussi finalement celles d'autres religions comme l'islam ? Faut-il s'en offusquer ? Faut-il y voir des pratiques inutiles ? Faut-il y reconnaître une forme de sadisme ? Ces pratiques sont à l'opposé de notre mentalité. Pourquoi sacrifier de pauvres petites bêtes innocentes ! Voilà des rites bien barbares ! Voilà des animaux sacrifiés inutilement. Voilà des pratiques d'un autre temps ! Notre vision du sacrifice est bien négative. Négative souvent par ignorance !

Le sacrifice occupe une place centrale dans le judaïsme. Les consignes précises représentent la moitié du livre du Lévitique et une partie non négligeable du livre de l'Exode. Ces lois sur le sacrifice ont été données à Moïse au mont Sinaï. Ces sacrifices étaient pratiqués quotidiennement au Temple et à l'occasion d'une grande fête. On oublie souvent qu'il existait deux types de sacrifices : le sacrifice d'un animal proprement dit, mais aussi et surtout l'offrande végétale, plus importante que le sacrifice de l'animal. Souvenez-vous que l'histoire de Caïn et Abel commence par un sacrifice, l'un donne un animal et l'autre des fruits de la terre. Vous connaissez la suite de l'histoire....

Ne pas comprendre la portée du sacrifice, c'est se priver d'une clef de lecture fondamentale. Peut-on saisir la portée du sacrifice du Christ en ignorant les sacrifices dans le judaïsme ? Cette ignorance nous conduit souvent à des incompréhensions et à des contresens ! Le sacrifice n'est pas un don fait à Dieu ! Car aucun bien terrestre ne saurait parvenir au ciel ! On n'achète pas Dieu avec des sacrifices. Les sacrifices n'ont pas pour objectif de satisfaire un Dieu avide de sang ! Le chapitre 20 du livre de l'exode nous donne des indications précieuses pour comprendre la fonction du sacrifice : " Tu me feras un autel de terre pour tes holocaustes, ton petit et ton gros bétail (.. ) Je viendrai vers toi et je te bénirai Si tu me fais un autel en pierres, tu ne me le feras par en pierre de taille ". Le mouvement n'est pas de la terre vers le ciel mais du ciel vers la terre ! Après le sacrifice, nous dit Dieu, "je viendrai vers toi et je te bénirai ". L'homme renonce à son bien au profit de Dieu. Ce qui peut être donné en sacrifice se compose soit d'animaux, soit de végétaux ; en revanche, il est interdit d'offrir de l'or ou de l'argent ! En fait, seules des denrées alimentaires animales ou végétales sont offertes. En quelque sorte, l'israélite offre un repas, il invite Dieu à sa table. Il l'invite, c'est-à-dire qu'il l'honore, il lui rend hommage. L'autel, fait de pierre non taillées et de terre, est une réplique du mont Sinaï.... lieu de la révélation et de la rencontre de Dieu. Faire un sacrifice, c'est rencontrer Dieu à nouveau ! Lorsqu'un sacrifice est offert, c'est Dieu qui vient auprès du sacrifiant comme il est venu auprès de Moïse sur le mont Sinaï. Le Temple, où avaient lieu des sacrifices quotidiens, était devenu le lien entre le ciel et la terre.

Le texte fait allusion à un type particulier de sacrifice, celui de la fête du grand pardon. "lorsque le grand prêtre  entre dans le sanctuaire avec du sang étrange" À l'occasion de cette fête, rappelons qu'un bélier est sacrifié et que son sang est répandu sur l'autel... le rite du sang est ici déterminant. Il nous choque, mais pour le juif de l'époque le sang était synonyme de vie. Il y a là une distance historique qui nous sépare du texte et qu'il n'est pas facile de franchir. Un choc culturel en quelque sorte. Les citadins que nous sommes ont oublié que le bifteck dans la poêle a été un animal à quatre pattes qui a passé un mauvais moment à l'abattoir ! Nous avons oublié l'ordre naturel des choses ! Ce rite du sang n'est pas destiné à Dieu, mais il est destiné à revitaliser Israël. Très vite les chrétiens ont fait le parallèle entre le sang versé lors d'un sacrifice et celui du Christ.

II - - Le sacrifice du Christ

LA CRUCIFIXION :

JESUS CRUCIFIE ENTRE LES DEUX LARRONS

Pierre Paul Rubens, 1620

Huile sur toile, 429 × 311 cm

Musée royal des Beaux-Arts,

Anvers.

 

 

 

Historiquement, le thème du sacrifice du Christ est un sujet de discorde entre catholiques et protestants. Les messes papistes, comme on les appelait au XVIe siècle, étaient rejetées par les protestants car sacrificielles. Le monde protestant a été à l'abri du re-sacrifice du Christ et nos croix répugnent à représenter un Christ souffrant. Elles sont nues par opposition aux croix dites habillées des catholiques et des luthériens. Cela dit, l'image du Christ sacrifié, comme on sacrifie l'agneau pascal, est bien biblique et il n'est pas question de l'évacuer. Le Christ est l'agneau qui enlève le péché du monde. Mais le texte nous invite à ne pas réduire le sacrifice du Christ à la seule image de l'agneau.

Dans l'extrait de l'épître aux Hébreux qui a été lu, le Christ n'est pas associé à l'agneau mais au grand prêtre, c'est-à-dire aux sacrificateurs ! C'est là un thème constant de cette épître, le Christ est présenté comme le véritable grand prêtre. Rappelons que le grand prêtre est celui par lequel s'établit le lien entre le ciel et la terre.

Ces images d’un Christ à la fois agneau sacrifié et grand prêtre sacrificateur nous semblent assez éloignées de notre univers culturel ! Pourtant, par son sacrifice complet, le Christ réconcilie Dieu et les hommes.