Une femme jugée

 

 

Une femme jugée
Jean 8,1-11

1.    La traduction

2.    La lecture

1.   La traduction

Chacun rentra chez soi mais Jésus s’éloigna vers le mont des Oliviers.
L’aube le retrouva à nouveau au sanctuaire, et tout un peuple affluait auprès de lui. Il s’assit et enseignait.
Les scribes et les pharisiens arrivèrent, poussant une femme surprise en flagrant adultère.
Ils l’exposent au milieu de la place, et demandent à Jésus : Maître, cette femme vient d’être arrachée des bras d’un homme. La loi de Moïse nous ordonne de lapider ce genre de créatures. Et toi, que dis-tu ?
Toujours à l’affût d’une accusation, ils ne l’interrogeaient  que pour le prendre au piège.
Mais Jésus se pencha et de son doigt traça des signes sur la terre.
Et comme ils le questionnaient de plus belle, il se redressa et leur dit : Que celui d’entre vous qui est sans péché lui lance, le premier, sa pierre !
Et de nouveau, il se baissa et continua d’écrire sur la terre. Ils avaient compris ; un à un, ils se retirèrent, en commençant par les plus vieux.
Jésus resta seul avec la femme, toujours là au milieu ; il se releva et lui dit : Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ?
Elle dit : Personne, Seigneur.
Et Jésus dit : Moi non plus, je ne le fais pas. Va, et désormais, tâche de ne plus succomber.

* * * * *

2.   La lecture

Les pharisiens redoublent de zèle. Pourquoi lui ont-ils amené cette femme ? Ne suffisait-il pas de poser abstraitement leur question : « Moïse nous ordonne de lapider les adultères. Que dis-tu d’une sentence si cruelle ? » Sans doute craignaient-ils que Jésus leur fit une réponse habilement équivoque. Pour l’obliger à s’engager fermement, il faut une proie. L’enjeu, pas moins qu’une vie humaine, lui interdit les dérobades. Défendant la femme, il dérogera forcément aux lois mosaïques. L’arrestation sera immédiate.

Ils ont bien calculé, mais la femme qu’ils ont traînée là par précaution va les perdre. Elle absente, jamais Jésus n’aurait crié aux Docteurs ; Eh bien, lapidez, si vous êtes sans péché ! Car jamais ils ne lapideront : l’usage s’en est heureusement perdu, l’occupant romain a ôté aux Juifs le droit de mettre à mort, et de toute manière un acte aussi barbare n’entre ni dans les mœurs ni dans les rôles de ces casuistes. Dès lors, Jésus peut se permettre toutes les facéties. Puisqu’ils ne lapideront pas, il substitue au vrai motif de leur non violence une explication moins réelle, mais propre à leur administrer la volée qu’ils méritent : il les oblige, toute honte bue, à un double comportement qui est sans autre exemple dans leur collège ; leurs propres péchés seront avoués, ceux des autres seront pardonnés.

Ils semblent, en partant, confesser leurs crimes et acquitter la prévenue. Sortie pitoyable, car dans la troupe, n’en doutons pas, il s’en trouve qui exécutant les six cent treize commandements plus tard dénombrés par Maïmonide, peuvent à juste titre se tenir pour des parfaits. Et pour comble, les plus vieux se retirent les premiers. Imaginons-les, rassis et apaisés, avec leurs belles têtes de vieillards ; de quoi ont-ils l’air ? Leur débandade rapide les désigne comme des coureurs, des volages, des scélérats.

Mais l’épisode recèle une autre signification. Jésus joue le jeu jusqu’au bout : puisque la femme est là, c’est donc qu’ils ont monté un procès réel, où ils lui donnent le rôle de juge : « Et toi qu’en dis-tu ? » Quelle imprudence ! En bonne règle, il faut au moins trois juges. En le laissant seul à la tribune, ils semblent s’incliner devant sa divinité : « qui peut juger seul, dit un de leurs traités, sinon l’Unique ? »

Va donc pour le juge. Il prononce la sentence mais sauf le temps de la dire, où il se met debout, il est baissé et s’occupe à écrire sur le sable. Non seulement il est juge, comme on le lui a demandé, mais il devient le tribunal entier, subalternes compris, puisqu’il joue les secrétaires de séance. Incarnant à lui seul la justice, il pose une distance solennelle entre lui et ses adversaires qu’il réduit au rôle de témoins où eux-mêmes se sont imprudemment engagés.

Tous l’avantage est de son côté : il mène le jeu puisqu’il est l’autorité consultée, il enferme ses observateurs dans une position étroite et dangereuse, entièrement commise aux décisions de sa justice, enfin ces mains écrivantes restent blanches et n’ont pas à pourvoir aux basses œuvres. Les pharisiens se flattent d’avoir surpris la femme et pensent que leurs preuves acculeront Jésus à la transgression. Ils n’ont pas songé qu’en cas de verdict fatal, c’est aux témoins de jeter les premières pierres, suivis par le peuple.

A ces gens sans péché, puisque pharisiens, Jésus ordonne de lapider. L’ordre naturellement les épouvante et les disperse. Mais en se dérobant de la sentence, ils désobéissent eux-mêmes à Moïse, face à un Jésus qui fait l’étonné. Encore un peu et c’est lui qui les poursuivrait en les accusant de trahir la loi et de pratiquer, forfait impardonnable, le pardon des péchés. On comprend la fuite des vieux, les plus sagaces.

« Moi, non plus, je ne te condamne pas. » Il ne la condamne pas mais il ne profère pas non plus les mots du pardon. Peut-être n’y a-t-il rien à absoudre ni à condamner en ces crimes tout entiers contenus dans l’élan d’une incoercible étreinte. En toute passion, fut-ce la plus coupable, tremble la flamme du pur amour où Dieu appelle les âmes. Et puis qui dira ce qui a jeté la femme dans les bras d’un amant, et par quels combats elle est passée avant de succomber ?

Aussi le Seigneur ne la renvoie-t-il qu’à sa conscience : c’est le seul tribunal convenable. Juge-t-on du haut d’une estrade la pauvre histoire des cœurs ? Envoie-ton les sentiments aux assises ? aux yeux du Christ, il y a moins d’impudeur en cette femme hagarde et mi-vêtue qu’en la faction compacte et barbue qui accable sa tremblante solitude. Comment ne pas penser que devant la femme qu’il ne fait qu’accompagner dans sa faiblesse, et à qui il demande seulement, si elle peut, de ne pas recommencer, Jésus ne s’incline pas en silence et avec un tendre respect ? Comme s’il savait qu’enfin sa parole la touche à vif, du véritable amour.

France Quéré, Une lecture de l’évangile de Jean, 1987, Desclée de Brouwer éditeur, 78 bis, rue des Saints-Pères, 75007 Paris, pages 53-57.

Lire dans la préface, les circonstances de la traduction et de la lecture de cet Evangile par France Quéré. Cliquer ici

 

 

 

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