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Une femme jugée |
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Une femme jugée 1.
La
traduction 2.
La lecture 1. La traduction Chacun
rentra chez soi mais Jésus s’éloigna vers le mont des Oliviers. * * * * * 2.
La
lecture Les pharisiens redoublent de
zèle. Pourquoi lui ont-ils amené cette femme ? Ne suffisait-il pas de
poser abstraitement leur question : « Moïse nous ordonne de lapider
les adultères. Que dis-tu d’une sentence si cruelle ? » Sans doute
craignaient-ils que Jésus leur fit une réponse habilement équivoque. Pour
l’obliger à s’engager fermement, il faut une proie. L’enjeu, pas moins qu’une
vie humaine, lui interdit les dérobades. Défendant la femme, il dérogera
forcément aux lois mosaïques. L’arrestation sera immédiate. Ils ont bien calculé, mais la
femme qu’ils ont traînée là par précaution va les perdre. Elle absente,
jamais Jésus n’aurait crié aux Docteurs ; Eh bien, lapidez, si vous êtes
sans péché ! Car jamais ils ne lapideront : l’usage s’en est
heureusement perdu, l’occupant romain a ôté aux Juifs le droit de mettre à
mort, et de toute manière un acte aussi barbare n’entre ni dans les mœurs ni
dans les rôles de ces casuistes. Dès lors, Jésus peut se permettre toutes les
facéties. Puisqu’ils ne lapideront pas, il substitue au vrai motif de leur
non violence une explication moins réelle, mais propre à leur administrer la
volée qu’ils méritent : il les oblige, toute honte bue, à un double
comportement qui est sans autre exemple dans leur collège ; leurs
propres péchés seront avoués, ceux des autres seront pardonnés. Ils semblent, en partant,
confesser leurs crimes et acquitter la prévenue. Sortie pitoyable, car dans
la troupe, n’en doutons pas, il s’en trouve qui exécutant les six cent treize
commandements plus tard dénombrés par Maïmonide, peuvent à juste titre se
tenir pour des parfaits. Et pour comble, les plus vieux se retirent les
premiers. Imaginons-les, rassis et apaisés, avec leurs belles têtes de
vieillards ; de quoi ont-ils l’air ? Leur débandade rapide les
désigne comme des coureurs, des volages, des scélérats. Mais
l’épisode recèle une autre signification.
Jésus joue le jeu jusqu’au bout : puisque la femme
est là, c’est donc qu’ils ont monté un
procès réel, où ils lui donnent le rôle de
juge : « Et toi qu’en dis-tu ? »
Quelle imprudence ! En bonne règle, il faut au moins trois
juges. En le laissant seul à la tribune, ils semblent
s’incliner devant sa divinité : « qui peut
juger seul, dit un de leurs traités, sinon
l’Unique ? » Va donc pour le juge. Il
prononce la sentence mais sauf le temps de la dire, où il se met debout, il
est baissé et s’occupe à écrire sur le sable. Non seulement il est juge,
comme on le lui a demandé, mais il devient le tribunal entier, subalternes compris,
puisqu’il joue les secrétaires de séance. Incarnant à lui seul la justice, il
pose une distance solennelle entre lui et ses adversaires qu’il réduit au
rôle de témoins où eux-mêmes se sont imprudemment engagés. Tous l’avantage est de son
côté : il mène le jeu puisqu’il est l’autorité consultée, il enferme ses
observateurs dans une position étroite et dangereuse, entièrement commise aux
décisions de sa justice, enfin ces mains écrivantes restent blanches et n’ont
pas à pourvoir aux basses œuvres. Les pharisiens se flattent d’avoir surpris
la femme et pensent que leurs preuves acculeront Jésus à la transgression.
Ils n’ont pas songé qu’en cas de verdict fatal, c’est aux témoins de jeter
les premières pierres, suivis par le peuple. A ces gens sans péché, puisque
pharisiens, Jésus ordonne de lapider. L’ordre naturellement les épouvante et
les disperse. Mais en se dérobant de la sentence, ils désobéissent eux-mêmes
à Moïse, face à un Jésus qui fait l’étonné. Encore un peu et c’est lui qui
les poursuivrait en les accusant de trahir la loi et de pratiquer, forfait
impardonnable, le pardon des péchés. On comprend la fuite des vieux, les plus
sagaces. « Moi, non plus, je ne te
condamne pas. » Il ne la condamne pas mais il ne profère pas non plus
les mots du pardon. Peut-être n’y a-t-il rien à absoudre ni à condamner en
ces crimes tout entiers contenus dans l’élan d’une incoercible étreinte. En
toute passion, fut-ce la plus coupable, tremble la flamme du pur amour où
Dieu appelle les âmes. Et puis qui dira ce qui a jeté la femme dans les bras
d’un amant, et par quels combats elle est passée avant de succomber ? Aussi le Seigneur ne la
renvoie-t-il qu’à sa conscience : c’est le seul tribunal convenable.
Juge-t-on du haut d’une estrade la pauvre histoire des cœurs ?
Envoie-ton les sentiments aux assises ? aux yeux du Christ, il y a moins
d’impudeur en cette femme hagarde et mi-vêtue qu’en la faction compacte et
barbue qui accable sa tremblante solitude. Comment ne pas penser que devant
la femme qu’il ne fait qu’accompagner dans sa faiblesse, et à qui il demande
seulement, si elle peut, de ne pas recommencer, Jésus ne s’incline pas en
silence et avec un tendre respect ? Comme s’il savait qu’enfin sa parole
la touche à vif, du véritable amour. France
Quéré, Une lecture de l’évangile de Jean, 1987, Desclée de Brouwer
éditeur, 78 bis, rue des Saints-Pères, 75007 Paris, pages 53-57. Lire
dans la préface, les circonstances de la traduction et de la lecture de cet
Evangile par France Quéré. Cliquer ici |
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