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L’homme né aveugle |
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L’homme né aveugle 1.
La
traduction 2.
La lecture 1. La traduction Sur sa
route, il vit un homme, aveugle de naissance. Ses disciples le
questionnèrent : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit
né aveugle ? * * * * * 2.
La
lecture La question que les disciples
posent à leur Maître est absurde : qui a péché, lui ou ses parents pour
qu’il soit né aveugle ? Si c’est lui, il a donc péché avant de naître et
l’on aimerait apprendre la nature de ce délit fœtal. Si ce sont les parents,
quelle équité, Seigneur, que de les frapper dans leur fils innocent, dont au
demeurant ils semblent fort détachés ! Pourquoi la douleur ? La
question est éternelle, mais notre réponse a changé. Les disciples s’en
prenaient au péché, nous à des lois élémentaires. Mais, faute humaine ou
structure naturelle, la foi s’impatiente et convoque à son tribunal ce Dieu
qui a éteint les yeux d’un enfant. S’il l’a fait pour punir, sa justice est
pire que la faute qu’il châtie. Si cela s’est fait tout seul, c’est encore
lui, puisque l’entier ouvrage est de sa main. Juge terrible, créateur
négligent. C’est cela le Dieu d’amour ? Les disciples attendent que
leur Maître raisonne, attire vers lui les amateurs de la métaphysique, brille
sur ce beau sujet, bref, tienne académie à Jérusalem. Or, il va les surprendre.
Ecoutons bien. Ils ont demandé : qui a péché pour qu’il soit né
aveugle ? Ils ont mis de la misère aux deux bouts de la chaîne, la faute
au début, la punition au terme. Du malheur ils ont fait un but, comme si le
malheur apportait sens à ce monde ! Jamais réponse n’a fusé dans
une telle gerbe de liberté et d’audace : « Il est aveugle pour que
soit manifestée la gloire de Dieu. » Ne regardez pas derrière vous, vers
l’obscurité des causes. Pourquoi est-il aveugle ? Parce que le mal est
aveugle. Et aveugles aussi ceux qui cherchent des explications qui navrent et
non des signes qui illuminent. La souffrance est dans le monde, comme on la
voit y être. Dieu lui-même n’en peut répondre. Il la laisse dans son lieu
ombreux. Il serait cruel de l’imputer aux hommes, sacrilège d’en accuser
Dieu. Etrange répartie que celle de
Jésus. Les hommes demandaient la cause, il donne le but. Dieu n’est pas dans
le malheur, il est dans ses remèdes. Il est le remède même. Devant l’infirme,
les disciples dissertent, Jésus guérit. Ses doigts prennent de la boue
et pétrissent de beaux yeux vivants, comme dieu, au premier jour, prit des
ténèbres et fit la clarté, au sixième, prit de l’argile et fit l’homme. Avec
le mauvais secret du néant, dont parle Emmanuel Levinas, il tisse son œuvre
d’amour. A partir du sacré qui terrifie, il façonne de la sainteté. Nos courtes sagesses sont
confondues. Jésus est venu, comme diraient les théoriciens de marxisme, non
pas expliquer le monde, mais le changer. Et quel changement est le
sien ! Celui des béatitudes ! De la misère, il déduit la
grandeur ; de la mort effrayante, l’effervescence de la charité. C’est
pourquoi il a pu dire à Jaïre : « Ne crains pas, crois
seulement. » Avec la peur, il fait de la foi. Le monde s’entrouvre, sous
le soc prodigieux qui met doublement fin à l’énigme du mal, en ce qu’il en
brise l’hégémonie et lui impose la forme de sa compassion. Le Christ apporte non
l’explication, mais la révélation ; il inverse l’ordre du monde,
remplace par d’éclatantes finalités les causalités ténébreuses. C’est bien du
même élan insurrectionnel qu’aujourd’hui il se campe devant l’infirme et
qu’hier il lançait aux foules étonnées : « On vous a dit. Moi je
vous dis. » Au mal injustifiable, le Christ n’oppose qu’une réponse, son
désir, ses mains miraculeuses, sa face suppliciée, son pain et son vin
fraternel, l’effort de son amour. Rien d’autre à attendre et
qu’attendrions-nous de plus ? Les maléfices obscurs, il les a
transformés en liberté heureuse. Que notre souffrance se change en sa pitié,
voilà la gloire de Dieu. Qui sont les aveugles ?
Les disciples qui s’enfoncent dans l’obscurité des questions alors qu’ils ont
devant eux la lumière ? Mettons qu’ils ne soient que myopes. Les vrais
aveugles sont surtout ceux qui pensent avoir tout vu, que la présence du mal
n’interroge pas, tant ils consentent au monde tel qu’il est et en tire le parti
utile à leurs intérêts. Mais le jeune homme guéri voit
désormais beaucoup que ce qu’il croyait ne pas voir du temps où il ne voyait
pas. Il a compris que le Christ n’était pas un rabbi, mais un prophète, pas
un pécheur, mais le Fils. La preuve, il le contemple à genoux. On ne toise
pas le Christ. On se jette à ses pieds et on l’aime. Tel est le vrai regard. France
Quéré, Une lecture de l’évangile de Jean, 1987, Desclée de Brouwer
éditeur, 78 bis, rue des Saints-Pères, 75007 Paris, pages 59-64. Lire
dans la préface, les circonstances de la traduction et de la lecture de cet
Evangile par France Quéré. Cliquer ici |
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L’homme né aveugle |
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