Thomas, l’homme qui ne voulait pas se tromper de résurrection

 

 

- Thomas pour le grand public

- Brève évocation des rapports communauté johannique / milieu gnostique

- Thomas une figure marquante de la tradition gnostique

- Thomas dans l’évangile de Jean

- Thomas et nous !

 

 

 

Thomas pour le grand public

Parmi les compagnons de Jésus, Thomas est l’un des rares dont le nom soit entré dans le langage courant. Il nous est présenté comme un sceptique, celui qui ne croit que ce qu’il voit et souvent, l’on se laisse aller à dire qu’il a fallu qu’il touche les plaies de Jésus pour croire. Pourtant, à aucun moment le récit johannique ne dit : « Il toucha et crut », mais : « Il vit et crut » (Jean 20,24 à 29). Non je ne crois pas que Thomas ait touché Jésus. D’ailleurs, comment pourrait-on toucher, dans cette réalité matérielle et imparfaite, celui qui apparaissant aux disciples est déjà ailleurs. Jésus visible échappe aux étreintes de Marie-Madeleine ; il est encore un peu là, entrevu, mais déjà plus là, en transit vers le Père.

Thomas nous est essentiellement connu grâce à l’Évangile de Jean. En Jean 11,16, il s’écrie : « Allons y aussi (à Jérusalem) pour mourir avec lui. » C’est à lui que, répondant à l’une de ses questions, Jésus dit : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jean 14,1-6). Quand Jésus apparaît aux disciples, Thomas est absent, et refuse de croire à la résurrection, jusqu’à ce que Jésus lui apparaisse une semaine plus tard (Jean 20,24-29). Avec les autres disciples, après la résurrection, il participe à une pêche miraculeuse sur le lac de Galilée (Jean 21, 1-8). Après l’ascension, il est présent avec les onze dans la chambre haute (Actes 1,13).

Mis à part ces références, les évangiles le passent quasiment sous silence. Les synoptiques ne retiennent que son nom ! Alors, pourquoi Jean le mentionne-t-il plus souvent que les autres ?

La recherche biblique historico-critique a mis en lumière le fait que Jean a été en contact avec des milieux gnostiques.

 

Brève évocation des rapports communauté johannique / milieu gnostique

La situation de la communauté johannique est complexe, dans un premier temps, elle accueille des disciples de Jean-Baptiste puis, des juifs de tendance opposée au Temple. Viennent dans un second temps, des convertis du monde grec. Ensuite, la communauté se déplace de la Palestine, vers la diaspora. Au sein de cette communauté naissent alors (vers 100 après J. C.) deux orientations :

- L’une plus classique se focalise sur le fait que pour être enfant de Dieu, il faut confesser Jésus-Christ comme Seigneur venu dans la chair. La dissidence est enfant du diable. Cette tendance va rejoindre la " Grande Église " de Pierre et Paul.

- Mais à côté d’eux, il y a les dissidents qui affirment que celui qui est descendu d’en haut est si divin qu’il ne peut être pleinement humain. Bref, il n’est pas du monde, sa vie sur terre, comme celle des croyants, n’a pas d’importance. Le Fils de Dieu est venu sauver le monde ; celui qui le croit est sauvé !

C’est parmi ces dissidents que le gnosticisme trouve sa place. Jésus n’a peut-être eu qu’une apparence d’humanité (docétisme). Jésus est peut-être un Être de lumière qui est descendu des régions célestes pour accomplir le plan du Dieu Souverain et réparer les erreurs du Dieu Créateur. Mais, le gnosticisme n’est pas facile à résumer en quelques lignes, tant ses courants sont divers et variés.

 

Thomas une figure marquante de la tradition gnostique

Dans ce carrefour théologique, Thomas est devenu une figure marquante de la tradition gnostique. En Syrie, cet apôtre est reconnu, il jouit d’un respect et d’une vénération réelle, un Évangile lui est attribué. Parmi les livres apocryphes retenons donc cet évangile selon Thomas et les Actes de Thomas. Parmi les documents de Nag Hammadi découverts en 1945, le texte de l'évangile de Thomas a suscité le plus d'intérêt et de travaux de la part des chercheurs et du grand public. Ce texte apocryphe rapporte de manière originale une collection de 114 paroles attribuées à Jésus, dont une bonne partie se retrouve dans les Evangiles canoniques, particulièrement dans les passages parallèles entre l'évangile de Matthieu et de Luc.

Brièvement, dans l’Évangile selon Thomas « sera sauvé celui qui obtient la connaissance des secrets réservés à quelques uns. Pour cela il faut se faire initier et avoir accès aux secrets du monde, de Dieu et de l’Homme. »

Les Actes de Thomas font de lui le jumeau de Jésus. Pistis Sophia est un autre évangile apocryphe (non reconnu par l'église romaine) dont le titre unit les mots grecs « foi » et « sagesse ». C’est un texte gnostique important, écrit à l'origine en copte, il a été retrouvé en Égypte au 18ème siècle (1851). Il rapporte les paroles de Jésus aux apôtres après sa résurrection. Le texte y est beaucoup moins concis que dans les évangiles traditionnels. D’après " Pistis Sophia ", Jésus après sa résurrection aurait confié à Thomas, Philippe et Matthias, la charge de relater ses paroles et ses gestes pour les conserver et les transmettre. L’évangile de Thomas s’ouvre par ce logion : « Voici les paroles secrètes que Jésus le Vivant a dites et qu’a transcrites Didyme Jude Thomas. »

Et au logion 14, Thomas occupe la place de Pierre lors de l’épisode du fameux : « Qui dites vous que je suis ? »

La réponse de Thomas : « Maître, à qui tu es semblable, pour que je le dise, mon visage ne parvient absolument pas à le saisir », suscite chez Jésus un hommage soutenu : « Je ne suis point ton maître ; car tu as bu : tu t'es enivré de la source bouillonnante qui est à moi et que j'ai répandue. »

Thomas est certes parmi les moindres dans les synoptiques, dans la classe des moyens chez Jean, mais dans le monde du christianisme gnostique il est parmi les grands, peut-être même le plus grand.

Il est assez exact de dire que le nom " Thomas " ressemble plus à un surnom qu’à un nom. En araméen, il signifie " jumeau ", " didyme " en grec. Thomas illustre bien dans l’évangile de Jean le passage du voir au croire, croire au Christ.

 

Thomas dans l’évangile de Jean

En parcourant l’évangile de Jean, Thomas entre en scène cinq fois.

- D’abord dans le chapitre 11,16 où il est présenté comme celui qui veut mourir avec Jésus.

- Ensuite, il est celui qui s’interroge sur le chemin de Jésus, le chemin à suivre pour accéder à la vie : Jean 14,5-6.

- Un peu plus loin, il nous est présenté comme celui qui passe de l’incroyance à la foi, d’abord par sa difficulté à croire (Jean 20,24-25), puis par sa rencontre avec Jésus (Jean 20,26-29).

- Dans la première séquence Jean 11,8-16, Thomas comme les autres est à la suite de Jésus. Il vit avec lui sa prédication mais aussi les réticences auxquelles Jésus est confronté. Ici c’est l’école de la fidélité et de la persévérance qui sert de cadre.

Bientôt, la Passion se dessine, la mort plane, Thomas nous apparaît comme celui qui veut rester avec Jésus jusqu’au bout : « Allons nous aussi mourir avec lui » (verset 16).  Il manifeste alors sa fidélité mais il n’a pas encore compris. Comme les disciples, dont il est la bouche, il ne sait pas encore.

Dans la seconde séquence, Jean 14, 5-6, nous sommes dans le discours d’adieu de Jésus. Disons au passage qu’il s’agit là d’un véritable trésor johannique. Les disciples, interviennent peu, ils sont auditeurs ou simplement transmetteurs car qui pourrait dire qu’il a réellement entendu comme telle la prière de Jean 17 dite prière sacerdotale ? Thomas comme Pierre en Jean 11,16 l’interroge : « Où vas-tu Seigneur ? »

Celui qui précédemment disait : « Allons avec lui pour mourir avec lui » ne sait pas grand chose du chemin que Dieu ouvre en Jésus. Et nous même qu’en savons nous ?

Il est vrai que les paroles de Jésus chez Jean ne sont pas des plus simples : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, puis vous me verrez un peu de temps… je vais vers le Père… ! »

Disons qu’après coup, cela semble facile mais sur le moment pauvres disciples… pauvre Thomas. En fait, nous sommes dans ce type de discours : nous ne savons pas où nous allons mais nous y allons tout droit !

Dans le troisième passage, Jean 20,19-29, le décor a globalement changé, l’événement prévisible et redouté s’est produit : Jésus est mort sur la croix mais plus encore, il est revenu à la vie après avoir été enseveli.

 

Thomas et nous !

Thomas va illustrer dans son cheminement personnel le passage de l’incroyance à la foi. Je n’ai pas écrit du doute à la foi. Il n’était pas facile de croire en la résurrection, les autres disciples aussi ont été lents à croire – Jésus leur en a adressé le reproche (Luc 24,25). Thomas ne doute pas plus que les autres, pas plus que vous et moi. Il est prêt à croire ; D’ailleurs, il suivait Jésus, mais après le drame de la croix, il ne veut pas se tromper d’espérance. De même Dieu ne désire pas que nous " gobions " n’importe quoi sous prétexte que c’est religieux, pieux ou issu de la Tradition.

Thomas veut croire authentiquement, cela lui sera donné, le Christ viendra à sa rencontre. Jean met ici en scène l’itinéraire de la foi : l’homme qui veut croire en Dieu et en Christ le rencontrera. Celui qui cherche sera trouvé par Dieu, Dieu répondra à ses questions. Alors s’il vous plait, n’affublons plus Thomas de l’image trop répandue du douteur. Thomas, c’est l’homme qui veut croire et croire authentiquement au Christ de Dieu. Jean nous dit à tous : « Si tu veux croire et si ton cœur est prêt, Dieu viendra à ta rencontre et tu sauras que ce Christ est vrai et qu’il est la vie. » Belle aventure que celle de Thomas… C’est aussi la nôtre.

Si Thomas hésite c’est que les disciples sont encore dans cet espace clos où la mort semble avoir triomphé.

Dans la séquence suivante, Jean 20, 19-25, tout change, il s’ouvre, il voit sans toucher. Car chez Jean, nul ne touche le Ressuscité qui appartient à une autre réalité ; On ne met pas la main sur le Ressuscité : Dieu ne nous appartient pas ! Mais nous sommes à lui.

Comme Dieu avait insufflé à l’homme son Esprit en Eden, Thomas et les disciples voient et reçoivent l’Esprit de la vie nouvelle et éternelle. Ils sont désormais envoyés et Thomas fait partie du lot. L’Évangile de Thomas et les Actes de Thomas en disent long sur l’autorité qu’il exercera dans certains milieux du christianisme. Les gnostiques on aime ou on n’aime pas ! L’orthodoxie doctrinale les condamne, mais ces hommes et femmes étaient aussi des hommes de foi. De foi différentes certes, mais disciples d’un disciple du Ressuscité.

Sa confession de foi est sobre et belle : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »… il ne cherche pas à toucher, bien que le Ressuscité le lui suggère. Il n’est plus nécessaire de rejoindre la blessure, la déchirure du cœur, la blessure de l’espoir et de l’amour, le Ressuscité le rejoint et le saisit.

 

***

J’ai toujours trouvé cette confession de foi très belle ! Notre itinéraire chrétien passe par cette double reconnaissance. Il nous revient à nous aussi de dire : « Mon Seigneur et mon Dieu !»

Mon Seigneur ? - C’est à dire le Maître de notre vie, le Seigneur qu’il faut écouter.

Mon Dieu ? - Celui qui me guide et donc casse mes faux dieux et mes idoles. Il a été bienheureux Thomas !

Saint Jean Chrysostome disait de Thomas qu’après la résurrection, il fut le modèle du disciple invincible… Après avoir voulu mourir, il devient plus fort que tous et plus fervent.

C’est là la puissance du Christ : désormais, il marchera derrière le Christ et en bien des lieux il en fut le témoin vivant.

 

 

 

Frédéric Verspeeten