q Evangile de Jean 3, 17 à 21 : Le Fils : donné ou sacrifié ?

Dieu n’a pas sacrifié son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne soit pas perdu mais qu’il ait la vie éternelle

L’AGNEAU MYSTIQUE

 Cathédrale Saint Bavon

Gand

Jan Van EycK

1385 - 1441

Ces versets de l'évangile selon Jean, qui tentent d'expliquer le sens de la venue et du message de Jésus-Christ dans la compréhension particulière de la tradition johannique, sont des versets et des textes difficiles qui ont été sujets à différentes interprétations.

Jean 3, 17 21

17 Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour sauver le monde par lui.

18 Celui qui croit au Fils n'est pas condamné ; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru' au Fils unique de Dieu. 19 Voici comment la condamnation se manifeste: la lumière est venue dans le monde, mais les hommes préfèrent l'obscurité à la lumière, parce qu'ils agissent mal.

20 Quiconque fait le mal déteste la lumière et s'en écarte, car il a peur que ses mauvaises actions apparaissent en plein jour.

21 Mais celui qui obéit à la vérité vient à la lumière, afin qu'on voie clairement que ses actions sont accomplies en accord avec Dieu.

Prédication de Frédéric Verspeeten

Dans les paroles d'un chant qui a été composé il y a quelques années dans la mouvance évangélique, ce verset de Jean 3,16 a donné naissance à un cantique qui dit : " Dieu a tant aimé le monde qu’il a sacrifié son Fils. . . " Malheureusement pour les compositeurs et paroliers du chant, le récit de l'Évangile ne dit pas littéralement qu'il a été sacrifié. Vous avez là l'exemple type de l'interpénétration entre ce que dit le texte et ce que l'on en interprète immédiatement en pensant que l'amplification abusive du récit l'éclaire et lui donne sa vérité.

En réalité, je ne crois pas que Dieu a sacrifié son Fils ; certes il y a eu dans l'Église des premières heures et des premières années des débats sur l'œuvre de Jésus par rapport à Dieu et à la tradition qui était la sienne à l'origine. Si la tendance de l'Église a été de prendre en compte la notion de sacrifice, dans une culture religieuse marquée par les sacrifices de réparation et de réconciliation avec la divinité et si l'Église y a répondu en disant désormais il n'y aura plus de sacrifice, s'il y en a eu un c'est celui de la croix et aucun autre, il ne faut pas tomber dans le travers qui donne à la théologie sacrificielle trop de place dans l'expérience chrétienne.

Je vous propose donc de relire ce récit et d'en dégager quelques pistes qui peuvent nous permettre de sortir déjà un peu du traditionnel et inexact « Dieu a sacrifié son Fils ».

Le récit commence avec cette affirmation « Dieu a tellement aimé le monde... ». Aimer, le mot clé et central de toute la révélation biblique est lâché et rien ne doit nous en écarter. Pour la tradition johannique, la raison centrale de l'action de Dieu envers nous est l'Amour. Ainsi tout est relu, l'origine du monde, la création, le cosmos, tout existe parce que Dieu aime et ne cesse de dire son amour envers tous les humains.

Alors que le monde dans lequel vivent les contemporains de Jésus parait troublé et que s'élèvent des voies apocalyptiques qui promettent une fin dramatique à laquelle 1a tradition johannique n'échappera même pas, voyez le texte du livre de l'Apocalypse. La théologie de base de ce récit rappelle que Dieu reste pleinement partie prenante de la vie et de l'existence. Mais il est aussi question d'un amour qui parle de vie éternelle, de vie en plénitude et de salut.

Le salut, n'est pas seulement salut des hommes, mais salut de la création entière. Le Dieu qui vient à notre rencontre nous arrache à l'absurdité de la vie, de nos peurs, de notre crainte des autres.

Mais ce texte insiste en précisant que Dieu a donné. Le texte ne parle pas de sacrifier, mais de donner. Dans notre lecture de la bible, on n'insistera jamais assez sur 1e don de Dieu. Dieu donne aux humains la création, l'intelligence et les moyens de vivre sur cette terre. Le Dieu que nous redécouvrons ici est celui qui donne, pas celui qui se fâche ou qui juge, pas celui qui teste et se moque des humains, pas celui qui met à l'épreuve, mais celui qui donne et le don de Dieu dans 1a bible c'est avant tout la vie, la santé, la richesse, le bonheur. Encore faut-il conserver à ces mots leur véritable sens.

Santé comme conséquence du salut de l'être et marque du royaume nouveau. Santé comme prophétie d'un monde où il n'y aura plus de souffrance.

La richesse oui, mais pas la démesure financière.

Le bonheur comme réalisation de notre être en vérité.

Dans la tradition chrétienne, on a parfois trop insisté sur le fait que Dieu avait volontairement fait mourir Jésus pour satisfaire sa justice. Les théologiens s'interrogeront sur " la rançon que Dieu était censé payer au diable pour nous arracher à son empire ", ou encore sur la nécessité de l'offrande sanglante d'un être pur et sans tache, pour satisfaire la justice de Dieu ; ou même sur la clémence de Dieu qui ne trouvant chez les humains aucun qui fasse le bien, livre lui-même celui qui l'incarnera !

Or, cela ne doit pas nous faire oublier que le sacrifice humain au sens : " il faut qu'il meure et que le sang coule pour que Dieu soit clément " n'est pas dans la logique biblique. Souvenez-vous alors qu'Abraham croit avoir en tendu Dieu lui demander qu'Isaac soit immolé, Dieu attrape sa main et lui décommande de le faire.

Aucun sacrifice humain ne pourrait être une bonne odeur aux narines d'un Dieu sauvage et cruel, car il ne se contenterait pas d'un seul ! De plus le Dieu de la bible, celui que révèle Jésus, n'est ni cruel ni sauvage, mais il arrive que les hommes le fassent à leur image et lui prêtent cette intention.

Jésus a sacrifié sa vie de son plein gré, car il voulait aller jusqu' au bout de ses convictions, certes il avait ouvert son esprit à l'œuvre de Dieu et dans sa marche plus rien ne pouvait le faire revenir en arrière. Mais ce n'est pas la mort de Jésus qui nous rachète, c'est Dieu qui le fait et qui se sert de la mort de Jésus pour nous le signifier. Alors que nous pensions que tout est fini, tout renait et recommence. Le monde est et demeure l'objet de l'amour infini de Dieu.

L'évangéliste nous redit aussi avec précision l'intention de Dieu, le fils unique n'est pas venu pour condamner mais pour sauver ! Et son caractère unique, il nous le transmet à tous. À l'époque de la rédaction de ces textes les oppositions étaient fortes entre ceux qui pensaient qu'il faut appartenir au clan des purs pour être sauvé et les autres n'ont que peu de chances. Jésus est présenté alors, dans certains milieux, comme un faux prophète, c'est le cas notamment de la tradition d'Israël. Mais ici l'évangéliste rappelle aux siens que leur foi n'est pas vaine. Certes, il y a derrière l'affirmation « celui quine croit pas est déjà condamné » une radicalité que l'on doit nuancer, seul l'Éternel regarde au cœur. Mais ici l'opposition fait rage.

Au-delà de ce débat sur « croire ou ne pas croire au Fils », c'est tout le thème de l'acceptation de la lumière de Dieu dans nos vies qui est en cause. Le Fils ici incarne la lumière de Dieu, le logos, sa parole véritable ; le rejeter, pour les disciples de Jean, c'est se couper de la vérité de toutes choses. Au delà de la dualité apparente, ce texte dit bien quelque chose de notre humanité.

Vivre dans la lumière, selon la bible, c'est rechercher la présence de Dieu. C'est aussi rechercher sa faveur. L'évangile de Jean insistera souvent sur notre volonté de ne pas accepter la lumière de Dieu. Et effectivement il n'est pas facile d'accepter que Dieu jette son regard de lumière sur nos vies.

·         La lumière de Dieu c'est 1a certitude que rien ne lui échappe, nos calculs, nos arrangements en coulisses, ce que l'on croit pouvoir tenir secret et que l'on développe contre un autre et à son insu en pensant qu'il n'en sait rien.

·     La lumière de Dieu c'est l'acceptation d'un face à face dans lequel il faut renoncer à l'orgueil et reconnaître que souvent nous avons tort et que nous sommes obstinés dans des voies qui nous ont détournés de notre vraie nature.

·         La lumière de l'évangile c'est un regard nouveau sur la vie, sur la vie politique, c'est la fin de la langue de bois, des discours arrangés pour sauver l'apparence, il en existe malheureusement aussi dans l'Église !

·         C'est accepter de peser nos actes et nos pensées devant celui avec lequel on ne peut tricher.

Certes le récit comporte quelques phrases bien nettes qui laissent entendre que celui qui n'accepte pas la lumière et le don du Fils est déjà jugé et condamné. Il ne faut pas perdre de vue que lorsque cela fut écrit, Israël et l'Église étaient en rupture. Les maîtres de la loi accusent les chrétiens de se séparer de la tradition.

Mais si nous allons plus loin, vous remarquerez que ce récit insiste sur le fait que ce n'est pas Dieu qui juge, mais c'est le refus d'accepter la lumière qui provoque le jugement. Pour Jean, il est évident que tous les hommes sont imparfaits, mais il n'y a qu'une seule chose qui soit dramatique c'est l'incrédulité. Ne pas croire en Dieu, oui mais aussi ne pas croire en l'homme, ne pas croire que la parole peut changer la vie.

Souvent, dans les récits bibliques, ce sont les conséquences des actes des humains et non l'intervention de Dieu qui provoquent le mal et le jugement. Dans la tradition des prophètes, Dieu ne cesse de rappeler que sa parole est une parole qui sauve et qui ouvre à la vie en plénitude.

Pour l'Évangile de Jean, il est évident que celui qui écoute et veut vivre des paroles de Jésus est entré dans la lumière. Mais celle-ci n'est pas qu'extérieure. Il importe qu'elle vienne modifier notre manière de penser. L'apôtre Paul lui-même, appelait déjà les Romains à se revêtir des armes de lumière et à se séparer des œuvres des ténèbres.

Dans l'épître aux Éphésiens on précise que le fruit de la lumière c'est tout ce qui est bon, juste et vrai, mais que les œuvres des ténèbres comprennent le mal sous toutes ses formes. Ainsi, il est impensable pour Jean que l'on se réclame de Dieu et que l'on ne se laisse pas modeler par son esprit. Toutefois, dans la pensée johannique, il ne s'agit pas de devenir militant comme on milite pour une idée ou dans un syndicat, il faut que cela vienne du cœur, ici la lumière ne supporte pas le semblant !

Mais aujourd'hui, au delà de tout ceci, la parole que l'Évangile nous adresse est celle-ci : « Toi aussi tu peux choisir ! »

Ce que notre vie a été hier ne compte pas. Il n'y a jamais un destin fatal, une manière unique de faire les choses. Le monde idéal n'existe pas, mais nous pouvons nous mettre en marche pour qu'il devienne un peu plus vrai et que nos vies soient lumières ! Ainsi, l'évangile nous invite à faire des choix, à reconnaître que non seulement Dieu nous a donné la vie mais qu'au-delà il y a une autre étape : devenir nous-mêmes en vérité, grâce à sa lumière, devenir ses fils et filles. C'est une démarche spirituelle personnelle, qui ne nécessite pas d'être un parfait théologien, c'est la démarche de la vérité de l'être intime. Si souvent nous vivons et préférons les ténèbres, c'est parce que nous avons peur de nous-mêmes beaucoup de nos comportements trahissent notre peur de la vie et des autres, notre volonté d'être regardés et admirés.

L'Évangile invite au dépouillement, au dépassement, à l'acceptation de ce que nous sommes. En réalité, on ne peut bien accepter Dieu et les autres que si l'on s'accepte soi-même. Le Fils de l'Homme n'est pas venu pour les bien-portants, mais il est venu pour ceux qui, devant lui, se reconnaissent malades et l'invitent à faire en eux la lumière de Dieu. Amen.

Source : Le Porte-Parole – Cahier de Prédication n° 8, supplément au Journal Liens Protestants n° 134