Considérez la chute des feuilles
Matthieu 10,29-31

 

 

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La chute des feuilles sous nos climats tempérés

 

Ne vend-on pas deux moineaux pour un sou ? Cependant il n’en tombe pas un à terre sans (la volonté de) votre Père (qui est dans les cieux). Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez beaucoup plus que beaucoup de moineaux (Matthieu 10,29-31).

Et si, de même, les feuilles des arbres étaient toutes comptées !

Voici l’automne : la nature et d’une façon toute particulière la nature végétale entre en sommeil. Et, en fait, les biologistes parlent de dormance. Ce phénomène a attiré l’attention des botanistes contemporains., et il est loin d’avoir épuisé leurs recherches, car il relève d’un ensemble complexe de nombreux facteurs : facteurs externes tels que ceux qui résultent de la photo-périodicité et de la thermo-périodicité annuelles, facteurs internes résidant dans l’action ce seraient les journées courtes de l’automne qui établiraient la dormance, tandis que ces substances de croissance ou auxines, ou de substances analogues dont on commence à débrouiller le jeu et dont l’élaboration par la plante est arrêtée ou restaurée par l’intervention de certains facteurs externes des premiers jours de l’hiver lèveraient l’état de dormance, en rétablissant pour la plante la faculté de fabriquer les auxines nécessaires, préparant ainsi l’éveil de la végétation, l’éclosion des bourgeons au souffle des journées printanières plus ensoleillées et plus chaudes. Il y a là non seulement un équilibre, un balancement, mais, aussi une préparation où de nombreux éléments, souvent opposés entrent en jeu et sont utilisés par la vie et pour la vie.

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Voici l’automne, les arbres se dépouillent de leur parure des beaux jours et les feuilles jaunes emportées par le vent jonchent le sol. Il semble qu’alors la mort soit dans la nature. De ce déclin et de cette agonie manifestés par la chute des feuilles, phénomène spectaculaire encore que l’entrée en dormance des bourgeons, essayons de tirer les enseignements et les leçons.

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Est-il nécessaire de rappeler ici la distinction classique entre arbres à feuilles persistantes, comme nos pins, nos sapins, et arbres à feuilles caduques tels que les chênes, les peupliers et d’autres encore ? C’est de ceux-ci, plus particulièrement, qu’il est question.

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La mort et et la chute des feuilles sont annoncées par leur jaunissement.

Les feuilles sont normalement colorées en vert par cette merveilleuse substance d’où dépend toute vie à  la surface de la terre, la chlorophylle. La plantule contenue dans la graine n’en possède généralement pas ; la formation de la chlorophylle est dans la très grande majorité des cas subordonnée à l’action de la lumière. Or, cette production de chlorophylle, qui continue pendant toute la vie de la feuille, est accompagnée d’une destruction de cette substance résultant de l’action prolongée de la lumière. Au printemps et en été, la production de chlorophylle l’emporte sur sa destruction, de telle sorte que pendant ces saisons les feuilles conservent leur coloration verte, tandis qu’à l’automne, c’est l’inverse qui se produit, car la température ne permet plus alors une formation compensant les pertes ; la chlorophylle se trouve ainsi progressivement détruite, et il ne reste dans les feuilles que des substances colorantes qui coexistaient avec elle, mais qui étaient voilées par elle ; à ces substances auxquelles est due en partie la coloration automnale des feuilles, on a donné le nom de caroténoïdes, car le type en est le pigment jaune orangé appelé carotène, qui se trouve notamment dans la racine pivotante de la carotte.

Certaines plantes, comme la vigne-vierge prendra à l’automne de superbes coloris rouges, dus à une substance qui se forme à la fin de la vie de la feuille et qui appartient à un autre groupe de pigments, les anthocyanes.

En même temps que se produit le jaunissement a lieu un phénomène de migration des substances nutritives contenues dans la feuille vers la tige. L’évacuation de ces substances commence brusquement, dès l’apparition des premières plaques jaunes et se poursuit, rapide, pendant toute la dernière partie de la vie des feuilles, pour ne cesser qu’à leur mort. Ce phénomène est extrêmement actif pour certains arbres chez lesquels on a évalué qu’en un temps relativement court (15 à 20 jours), les sept dixièmes de ces substances nutritives renfermées dans les feuilles passent dans la tige.

Lorsque la feuille est arrivée à son déclin, et bien avant qu’elle ne soit flétrie, sa chute est déjà préparée par le développement à sa base, dans toute l’épaisseur de son pétiole, d’une zone génératrice particulière à partir de laquelle se forment deux couches de liège, l’une du côté du limbe foliaire, l’autre du côté de la tige, de telle sorte qu’on a là un diaphragme relativement complexe qui se constitue et qui isole la feuille de la tige, ne laissant passer à travers lui que les vaisseaux conducteurs de la sève. A un moment donné, à la première gelée, la zone génératrice qui a persisté jusque-là entre les deux couches de liège est détruite et transformée en un mucilage. Alors la feuille ne reste plus attachée à la tige que par les vaisseaux conducteurs de la sève ; nous pouvons dire qu’elle ne tient plus au rameau que par un fil qui se rompt facilement par le simple effet du poids du limbe ou sous l’action du vent. La feuille est ainsi entraînée sur le sol. La cicatrice laissée par elle à la surface du rameau qui la portait se trouve, par suite du mécanisme que nous venons d’indiquer, recouverte d’une couche de liège imperméable : la cicatrisation est donc à peu près immédiate.

On a comparé le phénomène dont nous avons essayé de donner une idée à la maturation des fruits, et on tend à penser que les feuilles évoluent, elles aussi, vers un état de maturité qui, lorsqu’il est atteint, est la cause du jaunissement, puis de la chute de feuille, cette maturation étant elle-même sous la dépendance des conditions de nutrition de la plante.

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Pourquoi les feuilles tombent-elles ? A quelles nécessités correspond leur chute.

La paléobotanique, c’est-à-dire l’histoire des flores au cours des temps géologiques, nous apprend que dans nos régions, au fur et à mesure que les climats se différenciaient et qui se marquait l’alternance des saisons, les arbres à feuilles caduques devenaient de plus en plus nombreux. La chute des feuilles doit donc correspondre à une nécessité en rapport avec les caractères du climat.

En effet lorsque la température descend au-dessous d’un certain degré, les racines ne peuvent plus absorber l’eau du sol ; on dit que la plante est dans un état de sécheresse physiologique. L’absorption de l’eau par la plante étant considérablement diminuée et les pertes en eau se produisant essentiellement par le jeu de la transpiration, le problème que doit résoudre le végétal est le suivant : diminuer l’activité de sa transpiration. Or les feuilles sont les principaux organes transpiratoires et leur chute répond à cette économie de l’eau par la suppression des phénomènes de transpiration foliaire. Les arbres se dépouillent donc de leurs feuilles pour résister à la sécheresse physiologique. Les trop fortes chaleurs peuvent d’ailleurs déterminer la chute des feuilles qui répond, dans ce cas, aux mêmes nécessités, aux mêmes besoins, lutter contre la sécheresse, absolue, cette fois, par une diminution de la transpiration : il y a là un phénomène de compensation, de régulation.

Ce que souligne la chute des feuilles est bien en rapport avec le climat et la sécheresse physiologique déterminée par le froid, c’est le fait suivant, observé sur des pêchers importés dans l’île de la Réunion où règne un climat chaud et humide : ces pêchers ont acquis un feuillage subpersistant, alors que dans nos pays ce sont des arbres à feuillage caduque.

On dit que « la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». La vie est bien, en effet, une résistance, une lutte continuelle de l’organisme contre les conditions défavorables du milieu, contre des ennemis nombreux, et pour que cette lutte soit efficace, il faut parfois que l’être vivant meure, disparaisse dans quelques-unes de ses parties (ici, les feuilles) pour survivre dans les autres.

Les feuilles qui tombent ainsi sont décomposées et retournent dans l’économie universelle, prenant part avec tous les débris abandonnés par la vie à la constitution de l’humus. Elément essentiel de fertilité du sol forestier, en sorte que, comme on l’a dit : « Sous les arbres muets apparaît la grande loi que la mort est la condition de la vie ». Ne sommes-nous pas ainsi naturellement conduits du domaine de la vie au domaine spirituel ?

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Voici tout d’abord un enseignement d’ordre général. La nature, même dans son dépouillement et son apparence de mort, nous parle d’un Dieu qui prévoit tout et qui pourvoit à tout, à un Dieu qui, après avoir créé, conduit et dirige. La main de Dieu, ne la discernons-nous pas dans l’harmonie qui règne dans la nature, dans cette alternance régulière des saisons, dans ces aspects divers qu’offre la végétation en rapport avec les variations saisonnières ? La main de Dieu, ne la voyons-nous pas encore dans la série complexe des phénomènes qui préparent la chute des feuilles ? En vérité, tout est prévu pour le moment précis où doit se produire cette chute, même la cicatrisation qui s’ensuit. Et la migration des substances nutritives vers la tige, migration qui précède la chute, ne met-elle pas en évidence l’existence, dans la vie des êtres organisés, d’un principe d’économie, qui n’est lui-même qu’une des manifestations de l’ordre et, disons le mot, un mot qu’on n’aime pas beaucoup dans certains milieux scientifiques -et pourtant ! – de la finalité que nous contemplons partout dans l’univers ? Cet ordre serait-il le simple effet du hasard ? Assurément non. Il y a un Dieu, un Créateur : c’est là ce que proclame la nature en accord avec la Bible : Que tes œuvres sont en grand nombre, ô Eternel ! Tu les as toutes faites avec sagesse. La terre est remplie de tes biens (Psaume 104,24).

Voici l’automne : la nature est sur son déclin ; considérez les arbres qui se dépouillent, considérez leurs feuilles qui, alors même qu’elles vont mourir, se revêtent des somptueux coloris de pourpre et d’or comme d’un manteau de gloire et qui proclament à leur façon qu’il y a un Dieu.

Il y a un Dieu qui est là, tout près, à qui aucun n’échappe, un Dieu dont le regard s’abaisse sur toute la nature. C’est ce Dieu dont le Christ disait : Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point (Matthieu 10,29-31). C’est Dieu qui disait à Moïse : Je te connais par ton nom (Exode 33,17) et qui déclarait à son peuple par la bouche de son prophète : Je t’appelle par ton nom : tu es à Moi ! … Ne crains rien car Je suis avec toi (Esaïe 43,1-5).

La chute des feuilles entraînerait une interruption de revêtement protecteur de l’arbre, c’est-à-dire déterminerait, en somme, une plaie béante, ouverte aux contaminations, aux infections de toutes sortes, si, comme nous l’avons vu, la cicatrisation n’était immédiate. Ainsi Dieu met toujours pour chacun de nous –nous pouvons en avoir l’assurance- sa consolation et sa paix à côté de la souffrance et de l’épreuve, afin que toutes choses concourent au bien de ceux qui l’aime : Pourquoi donc dis-tu ? « … Ma destinée est cachée devant l’Eternel… Ne le sais-tu pas ? Ne l’as-tu pas appris ? C’est le Dieu d’éternité, l’Eternel, qui a créé les extrémités de la terre. Il ne se lasse pas ; Il ne se fatigue pas… Il donne de la force à celui qui est fatigué… Ceux qui mettent leur confiance en l’Eternel renouvellent leur force ; ils élèvent leur vol comme les aigles » (Esaïe 40,27-31).

Il y a un Dieu et, dès lors, pour le croyant, quelle force, quelle lumière, quelle joie, quel secours dans l’adversité !

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Mais il nous faut aller plus loin. La mort est la condition de la vie, avons-nous souligné. En effet dans la nature, tout concourt et tout sert à la vie, même le dépouillement, même la mort. C’est là une loi de la vie organique ; c’en est une aussi de la vie spirituelle. Preuve en soi cette comparaison empruntée à la nature dont se servent le Christ et l’apôtre Paul pour caractériser la vie spirituelle : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits (Jean 12,24). Ce que tu sèmes ne reprend point vie, s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps qui naîtra, c’est un simple grain, de blé peut-être ou de quelque autre semence (1 Corinthiens 15,36-37).

Voici maintenant quelques applications ou quelques conséquences de ce principe :

Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chutes, coupe-les et jette-les loin de toi ; mieux vaut, pour toi, entrer dans la vie boiteux ou manchot, que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de chutes, arrache-le et jette-le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer dans la vie n’ayant qu’un œil, que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans le feu de la géhenne (Matthieu 18,8-9). Celui qui conservera sa vie la perdra et celui qui perdra la vie à cause de Moi la retrouvera (Matthieu 10,39 ; Matthieu 16,25 ; Jean 12,25). Lors même que notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Corinthiens 4,16).

C’est dans ce sens que l’apôtre Paul pouvait s’écrier : Christ est ma vie et la mort m’est un gain.

N’est-ce pas d’ailleurs la mise en œuvre suprême de ce principe à laquelle nous assistons lorsque nous considérons les souffrances et la mort du Christ qui s’est dépouillé lui-même (Philippiens 2,7) et qui, pour nous s’est fait pauvre de riche qu’il était afin que par sa pauvreté nous fussions enrichis (2 Corinthiens 8,9).

De même qu’il est nécessaire que les feuilles meurent et tombent, et que les arbres se dépouillent à l’automne de leur verte parure pour préparer et permettre la résurrection du printemps, ainsi la mort, loin d’être un terme, un achèvement, est un passage, une condition indispensable, un point de départ : c’est la porte par laquelle nous devons passer pour avoir accès à la vie véritable, à la vie éternelle, si toutefois nous sommes réconciliés avec Dieu par Jésus-Christ.

Voici l’automne : considérez les arbres aux branches dénudées ; ils vous apprendront que la vie est plus forte que le dépouillement et que la mort et que, lorsque tout, autour de nous, paraît crouler et s’éteindre, il y a encore place pour des résurrections, car Dieu, dont le bras n’est jamais trop court, peut à tout moment faire surgir la vie des sépulcres et changer les ténèbres en aurore (Amos 5,8).

Il y a un certain nombre d’années, nous lisions les justes remarques suivantes : La Bible, « que dit-elle de l’automne ? Elle fait chanter le printemps, elle fait gémir l’hiver, elle glorifie l’été, mais de l’automne elle ne m’a rien dit. Elle ne m’a rien dit de l’hiver, il y a Noël ; au printemps, Pâques ; et en été, la Pentecôte ; mais en automne, il n’y a rien… Le vent souffle, les feuilles tombent, le vent semble animer les mélodies d’une harpe et les feuilles paraissent de l’or qui tourbillonne, et ce n’est pas triste, et ce n’est pas l’automne spirituel… ».

Ainsi la nature, dans son déclin automnal, nous parle dans le même sens que la Bible, car si nous savons bien comprendre son langage, nous constaterons que, sous des apparences de dépouillement et de mort, ce n’est pas de tristesse et de désespoir qu’elle nous parle, mais bien de sagesse, de prévoyance, de confiance, de lutte constante et victorieuse contre les forces coalisées de destruction, de désagrégation et de mort, de vie triomphante et joyeuse.

Daniel Vernet

Daniel Vernet, la chute des feuilles,
in Daniel Vernet et Pierre Gadina, Paraboles,
Editions Paroles de Vie, Lausanne, 1965, p. 54 à 58

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