Dire à Dieu sa colère
plutôt que de l’exhaler comme un poison autour de soi

 

 

Psaumes de la colère

Psaumes 5, 9, 10, 18, 58, 79, 109, 139, 140, 143 ;
Psaume 109,1-2 et 4-13

Mots-clés : haine, prier

Les « psaumes de la colère » font froid dans le dos

Ce sont les psaumes dans lesquels le priant vitupère, tape du pied, se plaint de ses ennemis, réclame vengeance et les envoie au diable.

Psaume 5 : Dieu, fais-les expier
Psaume 9 : Que les infidèles retournent aux enfers
Psaume 10 :Casse le bras l’impie
Psaume 18 : J’extermine mes adversaires
Psaume 88 : Casse-leur les dents dans la gueule
Psaume 79 :Répands ta fureur sur les nations qui t’ignorent
Psaume 109 : Qu’il supprime de la terre leur souvenir
Psaume 139 :Si tu voulais massacrer l’infidèle
Psaume 140 : Que des braises se déversent sur eux
Psaume 143 : Délivres-moi de mes ennemis

Psaume 109, 1-2 et 4-13
Dieu que je loue, ne reste pas muet,
car ils ont ouverts contre moi une bouche méchante et trompeuse.
Ils m’ont parlé avec une langue menteuse…
Ils m’ont rendu le mal pour le bien et la haine pour l’amitié.
Désigne contre lui un méchant, un accusateur, qui se tienne à sa droite.
De son procès, qu’il sorte coupable,
que sa prière devienne un péché,
que ses jours soient réduits,
qu’un autre prenne sa charge
que ses fils soient orphelins
que sa femme soit veuve,
que ses fils soient vagabonds et suppliants,
qu’ils mendient hors de leurs ruines
qu’un usurier saisisse tous ses biens,
que des étrangers raflent ses gains
que personne ne lui reste loyal
que personne n’ait pitiés de ses orphelins,
que ses descendants soient supprimés…

* * * * *

Peut-on demander ça à Dieu ?

Que faire d’un psaume de vengeance dans la foi chrétienne, où le cœur de la morale chrétienne, où le cœur de la morale est : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ? Une prière qui contredit si violemment ce que l’Evangile répète du devoir d’aimer est-elle théologiquement correcte ? On devine la possible issue : tourner la page en se disant : voilà bien l’Ancien Testament avec sa violence et ses fracas… mais Dieu merci, nous en sommes délivrés par le Nouveau Testament. Ce psaume serait donc une monnaie périmée, un peu comme les monnaies européennes remplacées par l’euro ; Jésus lui aurait retiré toute validité. L’ennui, c’est que nous croyons la Bible inspirée, il faut admettre qu’elle ne l’est que par intermittence. ON ne peut donc se débarrasser d’un revers de main d’un revers de main des psaumes de vengeance.

D’ailleurs, franchement, il faut reconnaître que ce psaume fait écho à nos propres colères Si nous sommes surpris, ce n’est pas tant d’assister à une crise de colère, mais de lire ces cris de rage dans la Bible. Qui ne connaît de telles indignations ? L’envie d’écraser nos ennemis ne nous est pas étrangère, et si nous hésitons à l’avouer, dans les périodes de violent conflit ce sont nos rêves qui le formulent à notre place. Ces paroles cruelles, ces malédictions interdites qui sont parfois nôtres, sont aussi des prières bibliques.

J’insiste là-dessus. A feuilleter le livre des Psaumes, on assiste à un véritable kaléidoscope de sentiments : joie, exultation, rêverie, émotion, tendresse, perplexité, inquiétude, colère, exaspération, fureur… Jean Calvin le réformateur parlait des psaumes comme d’une anatomie de l’âme. Toutes les saisons de l’humain défilent. Formidable liberté des Psaumes ! Nos prières en comparaison, ressemblent à des entrevues endimanchées au langage formaté. Les Psaumes, au contraire, sont une invitation à se dire, tel que l’on est, devant Dieu. Une invitation à être vrai en déroulant devant Lui nos enthousiasmes, nos perplexités, nos colères et nos interrogations.

L’homme du Psaume 109, quelle est sa vérité ?

C’est un homme trahi par ses amis, qui l’ont traîné au tribunal et lui « rendent le mal pour le bien ». Il a cru pouvoir s’appuyer sur eux, mais ils l’ont lâché ! Pour quel motif ? Nous n’en savons rien. Mais à entendre la violence de sa protestation, on perçoit que l’attaque a été rude. Que dit-il ? Il prend tout d’abord Dieu à témoin : « Ne reste pas muet, Dieu ! Vois ce qui m’arrive. Il demande ensuite que ses ennemis soient punis, que la malédiction qu’ils ont proférée contre lui, se retourne contre eux, mais aussi contre le fils, la femme, les descendants… Il ne dit pas seulement : détruis-les. Il supplie : que cela s’arrête ! Que le mal qui s’est déchaîné contre moi cesse pour moi et pour d’autres. Que le mal n’ait pas de successeur ! Son désir, en étendant le châtiment à la descendance, est que ce mal n’attaque pas d’autres que lui. Ce qu’il espère, c’est une vie où l’on n’est pas agressé par les pervers.

Tout de même, dira-t-on, peut-on souhaiter la mort de son prochain, même s’il agit en ennemi ? La réponse est évidemment non. Mais ce psaume n’est pas un appel au lynchage. La valeur de ce psaume est de dire. L’homme qui parle ici dit le vrai.

Ah, je vous vois venir. Vous allez dire que « finalement on peut dire n’importe quoi en priant. Que « peu importent les mots, pourvu qu’on se libère N’est-ce pas un peu facile de s’en tirer comme ça ? ». Non, pas du tout. Car une fois que la haine est dite, le phénomène de mise à distance peut se faire. Dire quelque chose permet s’alléger d’un poids. Sortir de soi ce sentiment qui étouffe. Dire : « je déteste celui-ci », une fois l’aveu déposé, c’est être en état de progresser. Déclarer : « je suis désespéré », c’est comme se décharger d’un sac lourd et pouvoir poursuivre, allégé, sa route. Dire ne résout rien, mais permet d’avancer.

Voilà ce que permet ce psaume de la colère : il est comme une cocotte-minute, qui siffle pour libérer la pression. Le psaume de colère permet de sortir de ses frustrations, à évacuer la colère accumulée par l’injustice où l’on se trouve plongé. Sortir la colère, non pas pour que le désir de vengeance se réalise, mais pour pouvoir le sortir de soi. L’expulser hors de soi. Dire à Dieu sa colère plutôt que de l’exhaler comme un poison autour de soi. Besoin de prendre Dieu à témoin pour commencer un chemin intérieur.

Et justement, le chemin du psalmiste va vers son apaisement. Cet apaisement sonne doucement en fin de psaume, dans les deux derniers versets : « Je célèbrerai le Seigneur à voix haute, je le louerai au milieu de la multitude. Car il se tient à la droite du pauvre pour le sauver de ses juges » (Psaume 109,30-31).

Daniel Marguerat

Et la prière sauvera le monde
2016, Editions Cabédita, BP 9
F-01220 Divonne-les-Bains

pp. 72-76

A lire, et à faire lire !!!

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Dire à Dieu sa colère
plutôt que de l’exhaler comme un poison autour de soi