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Tenter par qui ? Satan ? qu’en penser ? |
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mots-clés: Diable, Mal (Le), Satan, Tentation |
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D'abord,
il faut affirmer que Dieu ne tente personne. Le texte de la lettre de Jacques
est catégorique: «Que personne, lorsqu'il est tenté, ne dise: c'est Dieu qui
me tente. Dieu ne peut pas être tenté par le mal, et il ne tente lui-même
personne» (Jacques 1, 13). Même lorsque l'on traduit tentation par «épreuve»,
Dieu ne prend pas non plus plaisir à mettre ses enfants à l'épreuve pour voir
si leur foi et leur amour subsistent. Au pire, Dieu peut, comme nous le
voyons dans le prologue de Job, laisser Satan «tenter» l'homme en portant un défi à Dieu. Mais Paul
renforce cette certitude: «Il n'y a aucune tentation, parmi celles qui vous
sont survenues, qui n'ait été humaine».
Donc la fameuse traduction: «Ne nous induis pas», ou «ne nous soumets pas à
la tentation» est absurde. Le Mal La
tentation serait-elle alors l'œuvre d'un Esprit du Mal? Si l'on veut ; à
condition de ne pas personnaliser cet esprit, et de ne pas faire du Diable et
de Satan des personnages ayant une entité comparable à celle d'un homme,
fut-ce de l'esprit d'un homme ! Il faut le rappeler: «Shatân» c'est «l'Accusateur». Ce qui veut dire que partout où il
y a un accusateur (humain), un esprit d'accusation, il y a Shatân. Mais il suffit d'hommes pour
cela. Un homme en accuse un autre, il fait partie de shatân (nom commun !). Le Shatân n'est que le composé, la synthèse, l'addition de toutes
les accusations portées par des hommes contre d'autres hommes dans le monde.
Ce n'est pas un «esprit» indépendant de l'homme qui lui «inspire» cette accusation.
Elle monte toute seule du cœur de l'homme. Exactement
comme le diabolos est l'esprit de
la division. Ce n'est pas que je fasse bon marché des Exousiai, dont parle Paul quand il dit que ce n'est pas contre la
chair et le sang que nous avons à combattre, mais contre les dominations (archa) les autorités (exousiai), les princes de ce monde (cosmocrates), les forces spirituelles
de méchanceté (pneumatika tes ponerias):
voilà les ennemis, qui sont «spirituels» et siègent parfois jusque dans les
lieux très hauts... Mais cela n'implique pas du tout une personnification de
chacun : cela veut dire que tout «archonte»,
autorité de la terre, politique ou autre, a son double, son doublet, son
correspondant, dans une sorte de «surplus», qui assure son pouvoir et sa
domination sur le monde. De même pour toute «exousia»: c'est le même mot qui sert à désigner le magistrat
terrestre et cette «autorité céleste», spirituelle; en réalité il s'agit de
l'envers de tout pouvoir. On ne saurait trop méditer la célèbre formule:
«Tout pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument.» On
peut dire qu'il n'y a jamais un magistrat bon; une autorité
juste ! Sitôt que l'homme a un pouvoir, quel qu'il soit, sur
d'autres hommes, il est corrompu. Et cette corruption ne prend pas le
grossier visage de la torture, des excès de pouvoir, des fausses
factures ... Non : c'est bien la très simple, très
directe domination qui est en elle-même corruption. Et cette
corruption est si abstraite, si fine, si subtile, que l'analyse
politique ne peut la détecter et qu'elle prendra un aspect
«spirituel», échappant au pouvoir de l'homme et
à sa vertu. C'est pourquoi Paul dit qu'elles siègent dans
les «lieux très haut». C'est le
«surplus» - dont on peut également parlé pour
l'argent ! - qui subsiste quand on a analysé tous les facteurs
rationnels du pouvoir politique. Si détaillée qu'elle
soit, cette analyse bute finalement sur la question : «Pourquoi
obéit-on, généralement sans révolte,
à cette autorité ?» Il y a le surplus de la
corruption humaine, de celui qui commande, correspondant à la
corruption de celui qui est commandé ! La complicité
entre le propagandiste et le propagandé. C'est sans doute la
forme la plus subtile du péché qui nous est commun. Ainsi
toute tentation est humaine. Ce n'est pas Dieu qui nous tente, mais pas
davantage un «diable» extérieur à nous. L'amorce de l'analyse solide est
donnée par Jacques (1, 14): «Chacun est tenté quand il est attiré par sa
propre convoitise.» La clef
de la tentation, c'est
la convoitise qui est en chacun de nous, dont l'autre face s'appelle esprit
de puissance. Je dirai que la «convoitise» englobe toutes les origines de la
tentation, mais lorsque celle-ci concerne l'être humain, elle prend la forme
de l'esprit de puissance. Je parlerai donc de la convoitise, parce qu'elle
est la clef de notre question, et Jacques l'a parfaitement discerné ! La convoitise est la source de tous les
péchés. Il y a la convoitise de la chair, la plus banale et grossière. Et
la convoitise des yeux (est-ce que l'art n'y serait pas compris ?) et la
convoitise de la vie (l'orgueil de la vie, 1 Jean 2, 15-16). Convoitise -
orgueil, et nous rejoignons l'esprit de puissance. Tout vient de cette
convoitise : c'est du «dedans» du cœur
de l'homme que sortent les pensées de haine, les adultères, les meurtres,
les vols, l'avarice, les méchancetés, les mensonges, les dérèglements, la
calomnie, l'orgueil, et finalement: la folie. Tout cela vient de la cupidité.
Jésus lui-même le dit, d'après Marc (7, 20-23). Tout
ceci s'appuie sur deux puissants contreforts: d'abord, dans le Décalogue, le dernier commandement c'est «tu ne
convoiteras rien». Et je dis que s'il est le dernier, c'est qu'il est à la
fois la conclusion, mais aussi la synthèse. Tu ne convoiteras pas de te faire
un dieu à ta disposition (deuxième commandement). Tu ne convoiteras pas la
possession du nom de Dieu. Tu ne convoiteras pas le bien d'autrui (vol), la
femme d'autrui (adultère), la vie d'autrui... Tout s'enracine dans la
convoitise. Et l'autre contrefort de cette interprétation, c'est tout
simplement le récit de De là
en effet dérive tout le reste, et spécialement ce que nous connaissons dans
notre monde actuel, à savoir de proclamer Bien ce qui manifestement est mal
(par exemple tuer pour la patrie, ou pour le parti, ou pour la religion) et
proclamer mal ce qui est dit bien par Dieu (par exemple, la récusation des
autorités, le combat pour une véritable liberté, la véritable autonomie de la
personne ... ). Et cette convoitise se porte à son sommet sur l'Autre. Elle
est alors l'inverse de l'amour. Domination de l'un sur l'autre, quel que soit
cet autre, la femme, l'enfant, le vaincu, autrefois le nègre; maintenant
l'esprit de puissance habite dans l'islam, contre l'Occident. Mais
la convoitise, l'esprit de puissance ont un caractère individuel, habitant au
cœur de chacun, cependant que tous
étant habités par cette convoitise, c'est donc le corps social qui, tout
entier, l'exalte. Et il se produit le phénomène de l'exousia; c'est-à-dire que la totalité des individus d'un corps
social ne produit pas seulement une addition de puissance, mais aussi un plus, qui donne à la société
son caractère incommensurable à l'individu, et un sens ultime, qui contraint
tout individu et qui fait que seul le corps social paraît légitime (d'où l'interprétation absurde de la
«démocratie»). Et ce sera de ce corps social que va naître alors un esprit de
puissance au second degré, une convoitise au second degré, qui, à la fois,
donnent un sentiment de vérité absolue et poussent à satisfaire notre
convoitise personnelle dans la voie ouverte pour ce corps social. La tentation prend donc à la fois son
origine dans notre personne, et trouve sa justification dans le corps social
qui lui donne souvent la possibilité de s'accomplir. Mais
pour qu'il y ait tentation, il ne suffit pas que la convoitise existe. Elle
pourrait rester enfermée dans notre cœur et se borner à nous torturer.
Jacques nous dit que l'on est «amorcé», attiré, appâté. Il faut qu'il y ait
une circonstance extérieure - rencontre, événement fortuit ou provoqué - qui
amorce la convoitise. L'homme assoiffé d'argent ne le volerait pas s'il n'avait
la rencontre brusque avec l'argent à sa disposition (ou presque ... ce serait
si simple de gagner ces millions à portée de la main). L’homme habité par
l'Eros peut rester torturé, refoulé,
jusqu'au moment où il rencontre la femme, qui devient brusquement pour lui La
rencontre ne change rien s'il n'y a pas au cœur la convoitise. Celle-ci ne
s'exprime pas s'il n'y a pas l'occasion. Et tout ceci, on le voit, est
parfaitement simple et naturel. Aucun
besoin de diable ni de puissance mystérieuse. Et tout ceci engendre, dit
Jacques, le péché. «La convoitise, lorsqu'elle a conçu, enfante le péché.» Il
faudrait en rester à cette idée non biblique que Dieu commande chaque minuscule
événement pour voir son intervention dans la rencontre entre la convoitise et
la circonstance. Non, Dieu n'y est pour rien non plus. Il suffit bien de l'homme et du corps social. Jésus a-t-il été tenté ? Nous
voici alors en présence de cette question terrible que l'on ne peut poser
qu'en tremblant : Jésus a-t-il été tenté ? Vraiment tenté ? Il ne suffit pas
de répondre en citant le texte des évangiles sur les trois tentations, texte
que nous retrouverons longuement. Nous répondons que Jésus homme a été tenté.
Mais il était aussi Jésus le Christ, Fils de Dieu, et Dieu lui-même. Voici l'extrême
difficulté : si nous disons que, parce
qu'il était Dieu, il ne pouvait pas
être vraiment tenté, nous
retombons dans l'erreur rencontrée plus haut pour la souffrance. Cette
pseudo-tentation n'est plus qu'une comédie, puisque, Dieu, il ne pouvait pas succomber à cette
tentation ! Une comédie qui ressemble à celle où certaines théologies
aboutissent à propos de la crucifixion (on a fait semblant de crucifier Jésus,
etc.). Et l'on fait ainsi de la plus grave, solennelle et décisive aventure
de toute l'humanité une parodie. Non, Jésus a bien été tenté vraiment. Nous
le retrouverons tout au long des évangiles. Mais
il faut aller jusqu'au bout: pourquoi Jésus a-t-il été tenté ? Par le diable ?
Et seulement au tout début ? Allons donc ! Ce qui est important, au
contraire, c'est de rencontrer, tout au
long de son ministère, les mêmes tentations qui lui sont, elles,
présentées par des hommes, divers, multiples, et qui s'adressaient en lui à
une possible convoitise1. Je vais ici beaucoup scandaliser: ce
sont des hommes qui mettent, le Fils de Dieu, et Dieu même, au défi, et qui
le tentent effectivement précisément parce qu'il est Fils de Dieu et Dieu
même ! Et je m'aventurerai jusqu'à dire que les trois tentations du début ont
été comprises ou écrites par les évangélistes ex post, c'est-à-dire qu'en comprenant à quelles tentations, tout
au cours de son ministère, Jésus-Christ a été soumis, ils ont tout synthétisé
dans ces trois tentations liminaires. Le
diable n'est alors ici que le représentant de l'humanité entière, qui parle
en son nom. Il n'est qu'un personnage symbolique et artificiel, le vrai
tentateur étant l'humanité, personnelle et sociale. Au
fond, ceci n'est-il pas déjà annoncé dans la révélation du Premier Testament
avec la provocation de l'humanité à Dieu dans L'acte
de l'homme tente, tout le temps, Dieu le Père à ne plus être le Dieu d'Amour !
Et cet acte a paru clairement dans la dure vie que Jésus a menée. Le Christ
tenté en toute chose. Et par cela même souffrant bien au-delà des souffrances
humaines, parce qu'il pouvait, s'il le voulait, effacer cette souffrance et
invalider cette tentation; il le pouvait, mais il fallait, pour le salut de
toute la création, qu'il ne le fasse pas2. Ainsi ce n'est pas
l'homme seulement qui se tente, qui tente d'autres hommes; mais c'est Dieu
que nous mettons «à l'épreuve», et cette épreuve se répercute, hélas, souvent
sur nous-mêmes. Après avoir tenté Dieu, l'homme se trouve tenté par la même
tentation ! La lumière dans les ténèbres Pour
finir, je voudrais simplement souligner que ce rapport
«souffrance/tentation» est déjà tout entier
contenu dans une phrase, au début de l'évangile de Jean,
que nous lisons parfois avec légèreté: «La
lumière est venue dans les ténèbres, et les
ténèbres ne l'ont pas reçue.»
Ténèbres des croyances et des idéologies,
ténèbres des mensonges et des religions,
ténèbres du mal que l'homme fait à lui-même,
à son prochain et à ses lointains, ténèbres
de la société sur ses membres, ténèbres de
la raison et de la science... Notre univers est fait de
ténèbres, et plus avance la connaissance de l'homme, plus
nous le concevons, et plus avance la connaissance du monde, plus cela
devient certain. Jacques Ellul, 14_06_2006
in "Si tu es le Fils de Dieu" EBL- Le Centurion, 1991 1 Voir justement ici le
célèbre texte de Philippiens 2,6, où Jésus aurait pu regarder comme une proie
à arracher d'être semblable à Dieu ! Et ceci a été remarquablement repris par
le Coran: «S'il y avait eu une autre personne divine (le Fils), il est
évident qu'elle aurait voulu toute la divinité pour elle et aurait détrôné le
père !» 2 De façon tout à fait incongrue, je voudrais simplement
rapporter une des formules employées pour le sacre des rois de France,
formule qui a une inspiration chrétienne évidente. «Sire, vous pouvez tout,
mais vous ne pouvez pas vouloir tout ce que vous pouvez», disait le
chancelier du Royaume. |
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Jacques Ellul, 1991. Si tu es Fils de Dieu – souffrances et tentations de Jésus. Editions ebv/Centurion. Pages 16 à 25 |
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