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Titre
de l’ouvrage : Les racines juives du christianisme Auteur :
Frédéric Manns Edition :
Presses de la Renaissances Séquence 03 : pages
017 à 022 017 1 Un arbre aux racines diversifiées Ce jour là la racine de Jessé Is 11, 10 Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent
est vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à
l’épreuve, se fortifient. Le judaïsme du IIème siècle ressemble à
un arbre aux racines solides et aux branches diversifiées qui a connu bien
des divisions. C’est dans un monde pluraliste que naît Jésus. Il s’inscrit
cependant dans une culture et un pays précis. La foi en l’incarnation de
Jésus exige l’approfondissement du monde juif à l’heure de Jésus. Il
n’y a pas de doute cependant : Rome avait imposé sa culture en Galilée
et son empire s’étendait jusqu’à l’extrémité orientale du bassin
méditerranéen. Mais cette culture restait en surface. Elle n’entamait pas
l’âme profonde d’Israël. Le peuple juif était porteur d’une longue et
singulière histoire. Il était l’héritier d’une tradition 018 religieuse
séculaire. Assujetti par les Romains, il conservait, grâce à sa liturgie, sa
mémoire. Celle-ci, consignée dans la Bible et relue dans la tradition orale,
lui donnait une conscience vive de son destin ainsi qu’une force de
résistance contre toutes les formes d’oppression. Chaque année, la liturgie
pascale entretenait, en l’actualisant, ce sens de la liberté que rien ne
pouvait entraver. Au
milieu d’un monde païen, le peuple juif professait la foi au Dieu unique
« qui a créé le ciel et la terre ». Il l’adorait non seulement
comme la puissance créatrice, mais aussi comme le Dieu fidèle qui est
intervenu personnellement dans le
cours de l’histoire pour se choisir un peuple. « Pas un peuple qu’il ait
ainsi traité, pas un qui ait connu ses jugements », chantait l’auteur du
psaume 147. Ce peuple avait reçu la mission de porter le nom de Dieu aux
confins de la terre. Il aimait se présenter comme le serviteur de Yahvé que
le prophète Isaï avait chantait. De son sein devait naître le Messie qui
ferait briller la lumière de la Torah sur le monde entier et inaugurerait le
règne de Dieu sur terre. Au
sein de sa famille, et probablement aussi à la synagogue de Nazareth, Jésus
apprit à lire et à écrire, comme les jeunes de son époque. Les parchemins
étaient très chers. Le seul livre qu’on utilisait alors était donc la Bible.
Jésus, revêtu de son manteau de prière, le tallit, apprit l’histoire de son peuple en écoutant les textes
commentés chaque sabbat à la synagogue. Il assimila progressivement la
mémoire d’Israël : l’élection, les promesses, l’Alliance, le don de la
terre, la Torah. Il apprit à chanter les psaumes, spécialement ceux du Hallel, qu’on entonnait pour les
grandes fêtes. Deux fois par jour, il récitait le Schema Israel et les dix-huit bénédictions, le Schemone Esre. Il avait mémorisé la
prière de la sanctification du 019 Nom, le Qaddish, qu’il déclamait en diverses
occasions, en particulier aux funérailles d’un membre du village. Il portait
les tephilim et ne se rasait les
cheveux de ses tempes, comme l’exige la Bible. Sa sensibilité et son
intelligence s’ouvrirent à la vision biblique du monde, toute tendue vers la
venue du royaume de Dieu. Bien que le cadre de vie dans lequel se déroulèrent
son enfance et son adolescence fût celui d’une modeste bourgade rurale –de
Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? -, son horizon ne tarda
pas à dépasser Nazareth, puis la Galilée, Séphoris, la capitale de la
province, n’était éloignée que d’une dizaine de kilomètres du village de son
enfance. Là, Jésus entra en contact avec une ville romaine, son théâtre, ses
villes décorées de mosaïques et ses banques. Une nouvelle culture, celle de
l’occupant étranger, se déployait à ses yeux. Pourquoi la présence des
Romains sur la terre promise à nos pères ? Cette question, il dut
l’entendre bien des fois. Son silence sur ce problème contrastait avec la prise
de position des zélotes de Galilée. A
l’âge de douze ans, Jésus se rendit au temple de Jérusalem pour devenir
« fils du commandement », faire sa bar-mitsva, comme tout jeune juif. Il discuta avec les docteurs
qui admiraient son esprit éveillé. Il découvrit le Temple avec ses prêtres,
ses marchands et sa foule bariolée et bruyante. A ses parents qui le
cherchaient, il répondit qu’il devait être aux affaires de son Père. Il avait
déjà une conscience profonde de sa relation à Dieu qu’il appelait son Père. Rentré
à Nazareth, Jésus vécut soumis à Marie et à Joseph, en restant proche des
réalités de la vie. Il n’avait rien d’un doux rêveur, puisqu’il travaillait
quotidiennement. Plus tard, dans son enseignement, il comparera le Royaume à
une lampe qu’on allume et qui 020 éclaire toute la
maisonnée, ou au levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesure de
farine et qui fait lever toute la pâte, ou bien encore à la semence jetée en
terre et qui germe irrésistiblement, que l’homme veille ou dorme. Tout au long
de sa prédication, les souvenirs d’enfance affleurent. Les images qu’il prend
dans son enseignement –les lys des champs, les oiseaux qui ramassent les
graines tombées sur le chemin, mais aussi la veuve qui demande justice et le
juge inique- témoignent d’une sensibilité religieuse profonde, accordée à la
vie quotidienne. Le Règne est à l’image de la terre qui produit d’abord
l’herbe, puis l’épi, enfin le grain. Jésus est persuadé que le cosmos est un
temple où tout parle de Dieu. C’est
également à Nazareth, en travaillant de ses mains et en regardant vivre Marie
et joseph, que Jésus s’ouvrit à la spiritualité des petits, les anawim. La pauvreté, avec son cortège
de privations et d’humiliations, avait été ressentie en Galilée comme un mal.
Elle avait fini, sous l’influence des prophètes, par être considérée comme un
chemin privilégié vers Dieu. Le pauvre n’a d’autre appui que Dieu. C’est à
lui qu’il crie sa détresse. C’est à sa justice qu’il s’en remet, puisque les
hommes sont loin d’être parfaits. La pauvreté vécue et acceptée devenait
ainsi un idéal religieux. A Dieu seul appartiennent le règne, la puissance et
la gloire. Non pas aux Romains. Mais le Père est aussi celui qui relève le
faible de la poussière. C’est lui qui est fidèle à sa parole et qui manifeste
sa justice en faveur des plus démunis. C’est
le réalisme de l’Incarnation qui justifie l’étude des racines juives du
christianisme. Jésus s’est inséré dans une culture donnée à une époque
donnée. C’est ce milieu humain qu’il faut scruter. 021 A
ce premier motif, il faut en ajouter un autre : pour comprendre les
Ecritures, il faut les situer dans leur contexte culturel. Un texte revit
dans son milieu. Or ce contexte n’est pas celui de l’hellénisme, comme le
prétendait Bultmann, mais celui du judaïsme hellénisé. C’est à la lumière de
la religion d’Israël que les Evangiles, écrits par des juifs pour des juifs
qui avaient accepté Jésus comme le Messie d’Israël, trouvent leur véritable
dimension et livrent leur message. Bien plus, les évangélistes, formés à la
synagogue, connaissaient les traditions liturgiques juives qu’ils
n’hésiteront pas à approfondir pour montrer leur accomplissement dans
l’enseignement de Jésus. Un judaïsme éclaté Avant
la destruction du temple de Jérusalem, en l’an 70 de notre ère, le judaïsme
ressemblait à une mosaïque multicolore. Le pluralisme était sa
caractéristique. Deux groupes principaux s’opposaient : les pharisiens
et les sadducéens. Au-delà des différences sociales, pharisiens et sadducéens
attestaient deux approches différentes des Ecritures : celle qui demeure
au niveau de la lettre et celle qui accepte l’adaptation du texte aux
circonstances nouvelles. Pour les pharisiens, la révélation peut se résumer
ainsi : Dieu a parlé et Moïse a pris des notes écrites. Mais plus importants
que ces notes sont les commentaires oraux qui les accompagnent. Une
dialectique constante entre le texte écrit et les traditions orales est
vitale. Elle permet d’adapter le texte aux conditions changeantes de la vie.
Pour les sadducéens, seul compte le sens littéral du texte écrit. 022 Se
faire une idée aussi exacte que possible du monde juif contemporain du
Nouveau Testament n’est pas chose aisée. Notre connaissance du monde
religieux dépend en grande partie de sources littéraires qui doivent être
soumises à la critique et confrontées aux résultats de l’archéologie. Des
distinctions s’imposent si l’on veut éviter des confusions et des
généralisations faciles. S’il est essentiel de séparer le monde politique du
monde religieux, on ne saurait rappeler assez leur interrelation, voire leur
imbrication. Un Athénien pouvait discuter de la liberté sans qu’Athéna
intervienne pour autant. Pour un juif, la frontière du religieux et de
profane est plus subtile. « Eglise et Etat » n’étaient pas séparés,
même lorsque le pouvoir politique était aux mains des étrangers. Parler de
groupes religieux qui constituaient et parfois divisaient le judaïsme, c’est
aussi aborder leurs positions politiques respectives. Retour
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