|
|
|
|
Titre
de l’ouvrage : Les racines juives du christianisme Auteur :
Frédéric Manns Edition :
Presses de la Renaissances Séquence 13 : pages
066 à 075 066 Les privilèges d’Israël (Rm 9-11) Paul,
apôtre ou apostat ? Tel est le titre provocateur d’un récent livre (M.
Barth, Paulus, Apostat oder
Apostel ? Jüdische und christliche Antworten. Beitrräge von J.
Bloch, F. Mussner, R.J.Z. Werblowsky, J. Blank, Regensburg, 1977). Il faut
bien le reconnaître, Paul reste une énigme. Il admet qu’il fut circoncis le
huitième jour, qu’il est de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu
et fils d’Hébreux, et, quant à la Torah, un pharisien. Lorsqu’il évoque le
sort d’Israël, il commence par exprimer sa douleur causée par le rejet de son
peuple, mais il la justifie par les prérogatives dont Israël avait été
honoré. Paul énumère huit privilèges d’Israël en Rm 9, 4-5, véritablement
définis en tant que tels, c'est-à-dire en tant que charismata, en 11, 29. Ces dons sont irrévocables, car ils
témoignent de la fidélité de Dieu à sa parole. L’adoption filiale. Israël est défini
comme fils premier-né de Dieu en Ex 4, 22, Dt 14, 1 et Os 11, 1. Au chapitre
8, Paul avait traité de l’adoption filiale du chrétien, héritier de Dieu,
cohéritier du Christ, sanctifié par l’Esprit. Il se demandait comment toute
la pâte pouvait rejoindre la gloire que possèdent déjà les prémices. Il
repart de la racine de la filiation qui se trouve dans la promesse faite à
tout Israël. La gloire. Ce terme désigne
l’apparition visible et lumineuse de la présence de Dieu au sein d’Israël. Ex
24, 16 067 et 40, 34-35 en
témoignent. Pour les rabbins, le concept devient synonyme de Shekinah de Dieu. Les alliances. Le terme, au
pluriel, évoque les alliances avec Noé, Abraham, Isaac et Jacob, avec Moïse
et surtout celle avec David. Toute cette série d’alliances, témoins du
dialogue sans cesse repris par Dieu avec son peuple, rappelle que l’histoire
biblique n’est qu’une économie salvatrice. La législation. Toutes les lois
considérées en bloc sont résumées dans ce terme. Paul considère la Loi comme
un privilège accordé à Israël. Par elle, Israël peut connaître le Dieu
vivant. Elle fut un pédagogue qui devait permettre au peuple de rester fidèle
à l’Alliance, puisqu’elle est l’expression de la miséricorde de Dieu. Le culte. Le Temple était
considéré comme l’habitation e la Shekinah. Trois fois par an, Israël montait
au Temple pour rencontrer son Dieu, lui offrir les prémices de ses récoltes
et partager avec les pauvres les dons de Dieu. Les promesses. Ce terme,
synonyme d’alliance, désigne le contenu spécifique des alliances. Rm 4, 13
rappelle que Dieu promit à Abraham d’hériter du monde. Les promesses
désignent les grâces à venir, plus grandes que les bienfaits déjà accordés. Les patriarches. Les Pères
d’Israël sont généralement évoqués pour rappeler leurs mérites. Le mérite
d’Abraham était souvent mis en rapport avec l’Exode. La liturgie du Roch ha Shanah soulignait également le
mérite d’Isaac. C’est par le mérite de Jacob qu’Israël avait reçu la Loi. Le Christ est issu d’Israël. Les prophètes
annonçaient que le Sauveur sortirait de Sion. Paul le rappelle en Rm 11, 26.
Les nombreuses prophéties messianiques l’avaient annoncé. Il convient de
noter que Paul se garde 068 d’appliquer la
formule précédente au Christ, ce qui signifierait que le Messie est la
propriété des juifs. L'ordre des privilèges cités montre clairement
qu'ils sont orientés vers le Christ. De plus, après avoir mentionné le
Christ, Paul reprend la formule traditionnelle: «Dieu béni éternellement ». Après
avoir énuméré ces privilèges, Paul en vient à se demander ce qu'est
réellement Israël. Un retour en arrière sur l'Ecriture s'impose. Un examen
attentif du texte sacré montre que Dieu a appelé Israël son fils premier-né,
puisque l'horizon de ce peuple est spirituel et indépendant de l'histoire
naturelle. Mais Dieu a agi avec une liberté souveraine à l'égard du peuple
élu. L'exemple d'Ismaël et d'Isaac, les fils d'Abraham, le démontre
clairement. Isaac est exclusivement le père de la postérité d'Abraham. Mais
cela ne signifie pas que tout ce qui naîtrait d'Isaac en ferait partie.
L'exemple d'Esaü et de Jacob le prouve. Rébecca voit se produire entre ses
enfants une sélection qui s'était produite à l'égard des enfants d'Abraham.
La préférence librement accordée à Jacob s'exprima avant la naissance des
jumeaux; elle n'est pas fondée sur un mérite particulier. Seuls les enfants
de la promesse ont reçu la bénédiction. Il y a donc
deux peuples: l'Israël qui s'est endurci, qui s'est exclu de la bénédiction,
et l'Israël qui s'est ouvert au Messie et a reçu en lui la bénédiction. Ce
dernier est l'Israël authentique, le reste élu par grâce. Mendenhall, dans son ouvrage Law and
Covenant in Israel (G. E. Mendenhall,
Law and Covenant in Israel and the Ancient Near East, Pittsburgh,
Pennsylvania, 1955) a
émis l'hypothèse que les formulaires d'alliance de la Bible s'inspirent des
traités d'alliance du monde ambiant. Or, ces formulaires, après un prologue
histo- 069 rique et la
mention des stipulations, se terminent par la liste des dieux pris à témoin
et aussi par les formules de malédictions et de bénédictions. De fait, dans
la Bible, nous retrouvons la mention de la bénédiction après les différentes
alliances. Après l'alliance avec Noé, Dieu bénit Noé et ses fils. Il
renouvelle la bénédiction faite à Adam: « Soyez féconds, multipliez,
emplissez la terre. » L'alliance
avec Abraham est caractérisée par une bénédiction: «Je te bénirai, je
magnifierai ton nom qui servira de bénédiction. Je bénirai ceux qui te
bénissent » (Gn 12, 2-3). Sara reçoit également une bénédiction (Gn 17,
16). L'alliance avec Moïse au Sinaï est accompagnée
d'une bénédiction : « Je vous tiendrai
pour un royaume de prêtres et une nation consacrée » (Ex 19, 6).
L'alliance avec David est suivie elle aussi d'une bénédiction : « Je ne
lui retirerai pas ma faveur » (2 S 7, 15). Dans le Dt 28, il est
promis à Moïse, s'il obéit à la Torah, des bénédictions innombrables mais,
s'il n'obéit pas, il est dit que les malédictions frapperont Israël. Ainsi
peut-on dire que la bénédiction est la clef herméneutique de toute l'histoire
biblique. Paul le reconnaît d'ailleurs en Rm 4. Comme Abraham, malgré la mort
qui l'envahissait déjà, s'était reconnu père avant de l'être, sur la simple
promesse divine, ainsi le croyant se voit justifié et vivant dans le Christ
ressuscité. En d'autres termes, la bénédiction promise à Abraham devient la
rédemption de Dieu dans le Christ. La
théologie de l'Alliance dans la lettre aux Romains apparaît d'abord en 3, 1-8
qui traite de l'élection. Israël a été choisi pour être le gardien de la
Parole de Dieu, d'un Dieu qui est fidèle et qui ne renie pas son choix. Mais
la justification ne vient pas seulement de la Torah. Elle vient aussi de la
grâce du Christ. La bénédiction vient du sacrifice de la nouvelle alliance,
puisque le Christ est devenu instrument d'expiation. La justice dépend
maintenant de la grâce et de la miséricorde, du pardon divin donné à Dieu
dans le Christ à tous les hommes. A partir du chapitre 4 de la lettre aux
Romains, Paul illustre ces concepts en se fondant sur l'alliance
abrahamitique. Puis, à partir du chapitre 5, 12, il en examine les effets sur
toute l'humanité depuis Adam. Le passage du péché à la grâce, de la Torah au
don de l'Esprit est décrit dans les chapitres 6-8. La force de l'Esprit, reçu
au baptême, fait entrer l'homme et tout le créé dans la liberté des enfants
de Dieu. La création attend d'être libérée de l'esclavage. Elle n'est pas la
seule, car toutes les nations et Israël attendent cette délivrance. Seul le
Christ apporte la bénédiction eschatologique aux nations et à Israël. En
Rm 9, 6-29, Paul veut démontrer que le véritable Israël est celui qui réalise
les promesses faites à Abraham. La véritable descendance d'Abraham est à
chercher dans l'économie de l'élection de Dieu qui appelle ceux qu'il veut
incorporer dans l'alliance à devenir ses fils. La miséricorde de Dieu réduit
le nombre des fils d'Israël à un reste rassemblé par pure grâce. Lorsqu'on
relit la liste des privilèges d'Israël, on ne peut pas ne pas noter que la
bénédiction n'apparaît qu'associée avec le Christ qui est Dieu béni
éternelle- 070 ment. Dans la
lettre aux Galates, qui aborde le même thème que celui de la lettre aux
Romains, Paul revient sur la bénédiction faite à Abraham. « En toi
seront bénies toutes les nations » (Ga 3, 8). Or cette bénédiction ne
vient pas de la Loi, qui est source de malédiction. Le seul descendant
d'Abraham par qui la bénédiction est venue est le Christ. La filiation divine
est possible grâce au don de l'Esprit que Dieu a envoyé dans les cœurs et qui
permet d'appeler Dieu Abba, « père ». Ceux qui se réclament
de la foi sont les vrais fils d'Abraham. D'ailleurs, le don de la Torah n'a
jamais annulé la promesse. La
bénédiction est un geste d'union, un geste de rencontre et d'échange. Bénir,
c'est entrer en contact avec quelqu'un et établir un courant de vie. La
bénédiction est aussi un geste de réconciliation. Le mot qui exprime
complètement toutes les richesses de la bénédiction est le shalom, terme
qui désigne plus que l'absence de guerre ou la simple tranquillité. La paix
biblique évoque la richesse, le salut et la vie, une plénitude de bien-être
et de joie. La richesse fondamentale de la bénédiction est celle de la
fécondité. Elle montre l'efficacité irrévocable d'une parole prononcée et
d'une main cachée qui dirige les événements. Il
faut mentionner aussi le texte où Paul évoque les privilèges d'Israël, la
lettre aux Philippiens, en 3, 5-9 : « Circoncis dès le
huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils
d'Hébreux, quant à la loi un pharisien, quant au zèle un persécuteur de
l'Église, quant à la justice que peut donner la Loi un homme irréprochable.
Mais tous ces avantages, je les ai 071 tenus désormais
pour des pertes, à cause du Christ. Bien plus je les tiens pour pertes au
prix du gain suréminent qu'est la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur.
Pour lui je regarde tout comme skubala, afin de gagner le Christ et
d'être trouvé en lui, n'ayant plus ma justice à moi qui vient de la Loi, mais
la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s'appuie sur la
foi. » Après avoir défini les privilèges que sa
naissance lui avait conférés comme des pertes (zêmia), Paul
a recours au terme skubalon qui signifie « fumier ». Si Paul
a choisi un terme fort, c'est qu'il voulait éviter toute nuance. Sa pensée
est claire. Après la rencontre du Christ, les privilèges nationaux n'ont plus
de sens. Il le redira d'une autre façon dans la .lettre aux Colossiens (3,
11) : « Il n'y a plus ni juif ni païen. » Ce problème hantera
constamment les judéo-chrétiens. Paul
soulève en Rm 9 le problème du rejet de l'Evangile par une grande partie des
israélites. Il rappelle que la tradition biblique affirme qu'il y a un Israël
au sein d'Israël, un Israël composé de ceux que Dieu a élus. Le thème du
reste apparaît aux versets 27 à 29, où Paul cite des textes d'Isaïe pour
souligner que seul un reste d'israélites devait obtenir le salut. En
Rm 9, 33, Paul évoque la pierre d'achoppement que le Seigneur place en Sion,
le rocher qui fait trébucher, combinant Is 28, 16 et 8, 14. Il donne la fin
du verset selon le texte de la Septante : « Et celui
qui croit en lui ne sera pas couvert de honte », alors que l'hébreu
avait seulement : « Celui qui a confiance ». L'expression
reprise en Rm 10, 11 sera une des formules clefs pour affirmer la supériorité
de la foi dans le Christ sur les œuvres de la Loi. 072 Les
prophètes annonçaient que le peuple de Dieu se réduirait à un reste, mais la
contrepartie de ce rétrécissement serait que le peuple de Dieu devait
s'élargir pour englober des païens convertis. Ainsi, l'Egypte et l'Assyrie
recevraient des titres d'Israël, « l'Egypte, mon peuple » et
« l'Assyrie, l'œuvre de mes mains » (Is 19, 25). Ou encore, des
étrangers s'attacheront au Seigneur et à son alliance et ne devront pas se
dire exclus du peuple de Dieu (Is 37, 31-32), car Dieu les adjoindra au reste
qu'il va rassembler. Zacharie 2, 15 reprend le même message (Is 44, 5 ;
65, 1 ; 66, 18-24 ; Am 9, 12 ; Za 8, 23 ; 9, 7).
Incorporées au peuple de Dieu, ces nations bénéficieront du salut promis aux
israélites. Sophonie prévoit qu'elles feront l'objet de la même œuvre de
transformation intérieure que celle qui est promise pour le reste d'Israël
(So 3, 9 ; Jr 31, 31-33 ; Ez 36, 25-27). Ainsi elles connaîtront le
Seigneur. Cette
prophétie est reprise par Paul dans la lettre aux Romains. Les véritables
israélites le sont par la circoncision du cœur, même s'ils sont d'origine
païenne (Rm 2, 26-29). Abraham est le Père des non-juifs qui ont la
foi : ceux-ci sont par conséquent héritiers des promesses faites pour sa
descendance. Il n'y a donc plus de différence entre juifs et païens :
ils sont tous fils de Dieu. L'image
de l'olivier en Rm 11, 17 illustre l'idée du reste d'Israël et de
l'incorporation des païens. L'olivier est le symbole d'Israël en Jr 11, 16.
Des branches ont été retranchées de l'olivier: elles représentent les
israélites incrédules qui ont rejeté l'Évangile et le Messie. Des branches
provenant d'un olivier sauvage ont été greffées 073 sur l'olivier
israélite : elles symbolisent les païens qui ont été incorporés au
peuple de Dieu par la foi. Ainsi, Israël, le peuple de Dieu, est constitué du
reste d'Israël qui s'est ouvert à la foi, ainsi que des païens qui ont
accepté le Messie. L'image de l'olivier souligne bien la continuité entre
Israël et l'Eglise. Un
tri a été effectué au sein d'Israël. L'idée est connue dans le targum Néofiti
de Gn 49, 2 et Dt 6, 4. Dieu a retranché ceux qui rejettent le Messie.
Des païens qui croient au Christ ont été intégrés dans ce peuple et par la
foi sont devenus des israélites véritables. Ainsi Dieu s'est constitué un
peuple composé de disciples de Jésus. C'est à cet Israël-là que les promesses
ont été faites. C'est lui qui est le bénéficiaire des promesses de salut
eschatologique des prophètes. Le
chapitre 11 de l'Epître aux Romains s'ouvre par la question: « Dieu
a-t-il rejeté son peuple ? » La réponse est non. Dans la suite,
Paul explique que Dieu n'a pas rejeté Israël, il a seulement retranché
certains israélites (v. 7-10). Le verset 15 parle de mise à l'écart. Dieu n'a
pas rejeté Israël, il l'a purifié en en retranchant les israélites incrédules
pour ne conserver que le reste fidèle (v. 2-5). Ce
n'est là qu'un premier aspect de la réponse à la question sur le rejet
d'Israël par Dieu. Il y en a deux autres. Aux versets 11 à 24, Paul affirme
que la porte du salut demeure ouverte pour les israélites qui peuvent, s'ils
se tournent vers Dieu dans la foi, être réintégrés dans le peuple de Dieu. Puis,
aux versets 25 à 32, il affirme que, dans l'avenir, « tout Israël sera
sauvé ». En
Rm 15, 10, Paul cite un stique de Dt 32, 43 selon la Septante qui n'est pas
identique au texte hébreu. Alors que le texte hébreu porte: « Nations,
acclamez son peu- 074 ple », la
Septante et Paul écrivent: « Réjouissez-vous, nations, avec son
peuple. » L'introduction de la préposition « avec » (hama) met
les nations sur le même plan que le peuple de Dieu et associe les deux dans
l'acclamation. En
Rm 15, 8-12 Paul cite également Is 11, 10 selon la version de la
Septante : « il paraîtra le rejeton de Jessé, celui qui
se dresse pour commander aux nations. » Dans le lexique de Paul, les
promesses réalisées par Jésus ont été reçues par les nations en même temps ou
avec le peuple de Dieu. Celui-ci est appelé à se convertir pour que les nations et le
peuple ne forment plus qu'un seul peuple. Is 11, 10 est particulièrement
important dans ce contexte. Le traducteur grec a créé un second nom
messianique qui identifie la racine de Jessé : « Celui qui se
dresse pour commander les nations ». Les chrétiens voient là une
allusion à Jésus ressuscité. Paul
n'est pas le fondateur d'une nouvelle religion. Certains lui reprochent
d'avoir trahi le judaïsme. C'est au contraire son approfondissement du
judaïsme qui l'a amené à ouvrir cette religion à sa dimension authentique.
Son génie est d'avoir compris rapidement que le message de Jésus devait être
porté au centre du monde hellénistique et devait être
« inculturé ». L'Olivier d'Israël sur lequel avaient été entés les
païens pouvait maintenant porter son fruit. Retour
au tableau d’assemblage des séquences … |
|
|
|
|