La Vie, n° 3150, du 12 janvier 2006

Dossier « Evolution », page 27

 

 

Le « oui mais » de l’Eglise catholique
à la théorie de l’évolution

« Plus qu’une hypothèse ». L’C’est par cette formule que Jean Paul II s’est pronocé, le 22 octobre 1996, sur le fait de l’évolution, remarquant que cette explication s’était « progressivement imposée à l’esprit des chercheurs ». A l’époque, cette déclaration, lue devant la prestigieuse Académie pontificale des sciences, a été saluée par les théologiens et les scientifiques catholiques, heureux que l’Eglise se démarque clairement de l’approche créationniste. C’est cette avancée que le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, a semblé vouloir remettre en cause dans un article, publié le 7 juillet 2005 dans le New York Times, sous le titre Découvrir un dessein dans la nature. L’archevêque s’y attaque au néodarwinisme. Il qualifie l’intervention du défunt pape de « plutôt imprécise et sans importance ». Puis il tente de lui opposer deux textes de Jean Paul II remontant aux années 1985 et 1986, où le pape se montrait critique par rapport à la réduction de l’évolution aux mécanismes du « pur hasard et de la nécessité ». Le procédé a surpris de la part d’un prélat habituellement fort respectueux de la pensée de Jean Paul II. Dans son article, le cardinal appelle aussi à la rescousse Benoît XVI, citant notamment son homélie prononcée lors de son intronisation. Le nouveau pape y estimait que « nous ne sommes pas le produit accidentel et privé de sens d’une évolution ». Sur le fond, l’article du cardinal Schönborn reprend à son compte la notion de dessein intelligent, en mélangeant discours métaphysique et scientifique. Il nie l’intervention du « hasard » dans l’évolution, au risque d’identifier l’action de Dieu à des lois déterministes. Il passe sous silence les découvertes récentes de la biologie et de la mécanique quantique, pour lesquelles les phénomènes aléatoires se retrouvent au plus intime de la vie. Cette place de plus en plus grande prise par le hasard dans la recherche de pointe embarrasse d’ailleurs tout autant les théologiens … que les scientifiques eux-mêmes ! Le texte du cardinal Schönborn laisse enfin penser que la notion de hasard serait incompatible avec une théologie de la création chrétienne. « Or, l’action de Dieu est respectueuse de l’autonomie qu’elle donne aux créatures et respecte la caractère aléatoire qui est mis en évidence par les sciences de la nature », explique le dominicain français Jean-Michel Maldamé, membre de l’Académie pontificale des sciences. L’article du cardinal Schönborn a pu être interprété comme la première victoire d’un mouvement néoconservateur d’inspiration nord-américaine. Le 2 octobre 2005, l’archevêque de Vienne a toutefois relativisé son intervention : « Je n’ai pas l’intention de fouiller dans les détails scientifiques concernant la création et l’évolution. Dans ce domaine, je ne serais sans doute pas qualifié. » Le débat serait donc sans doute retombé de lui-même si Benoît XVI, ne s’était exprimé sur le sujet , le 9 novembre 2005, lors d’une audience générale. « Au commencement était la Parole créatrice, cette Parole qui a tout créé, qui a créé ce projet intelligent qu’est le cosmos, qui est également amour », a expliqué le pape, lors d’une méditation sur la Genèse. Puis il a dénoncé ceux qui croyaient pouvoir « déduire scientifiquement que tout était privé de guide et d’ordre ». Cette courte intervention a été différemment interprétée : certains y voient une simple dénonciation de l’athéisme, d’autres, un ralliement au dessein intelligent. Avec le risque d’approfondir un fossé entre scientifiques et croyant que l’on croyait en passe d’être comblé. E.S.

 

 

La Vie, n° 3150, page 27