« La part du rêve »

par Bernard Stasi, président de la commission sur la laïcité

 

 

LA CROIX | 2007 Ce qui doit changer | 20 02 07 | n° 37679 |

« Je fais souvent ce rêve depuis vingt ans d'une douce France, accueillante, que j'aime et qui aime, pour laquelle le mot immigration aurait les couleurs de l'arc-en-ciel. Une France transformée en « une nation arc-en-ciel »; un mot repris à Nelson Mandela, l'ancien président sud-africain qui fut le plus grand des rêveurs pour son pays, l'Afrique du Sud, libérée de l'apartheid.

Ma France rêvée est celle de la diversité ethnique et religieuse : je ne pourrais pas vivre dans un pays où il n'y a que des Blancs ou des Noirs, je la veux colorée. J'ai, comme bon nombre de Français, des origines multiples, cubaines, espagnoles, italiennes et françaises ! Le vivre ensemble dans la diversité est source d'enrichissement les uns par les autres. Mon rêve s'appuie sur l'éloge de la différence.

Ce rêve perdure envers et con­tre tout: « L'immigration est une chance pour la. France », comme je le proclamais dans mon premier ouvrage écrit il y a... vingt-trois ans ! Voyez, je ne baisse pas les bras et mon rêve ne vire pas au cauchemar. Au contraire. J'ai bon espoir d'un autre monde français, fait de convivialité réciproque, un « art de vivre à la française » mêlant enfin (demain peut-être) sans problème les hommes, les femmes, les enfants qui vivent en terre de France. « I have a dream », proclamait Martin Luther King, persuadé que, par cette seule profession de foi, il pouvait faire reculer au nom des Noirs l'impossible aux Etats-Unis, le racisme, la persécution, la non-égalité des chances. Je reprends cette incantation à mon compte...

Ma France rêvée est celle d'une contrée où tous les habitants, quelles que soient la couleur de leur peau, leurs origines, leur religion, se sentiraient comme des citoyens à part entière, respectés. La laïcité française, cet extraordinaire outil, fait que les Français de souche et les Français issus de l'immigration ont les mêmes droits et les mêmes devoirs ! Cette exception française est une garantie pour que notre pays redonne l'exemple, se réunisse grâce à cela. J'y crois fort. La France est le pays européen où il y a le plus de juifs et de musulmans, alors faisons en sorte que le rêve d'une société où chacun accepte l'autre, sans confrontation, se réalise.

Mon rêve me dit que la France apportera au monde la démonstration que l'islam est compatible avec la démocratie, et que les musulmans de France en seront les premiers adeptes. Elle jouera à nouveau un rôle de premier plan sur cette question. Sur celle, si controversée, du port du voile à l'école, les jeunes Françaises musulmanes arriveront-elles à comprendre que la laïcité ne permet pas ce signe religieux dans les établissements scolaires, et que ce n'est pas une atteinte à leur foi ? J'ose le rêver...

Dans la France de mon rêve, je vois briller trois lumières qui scintillent, « Liberté, Égalité, Fraternité », fort anciennes - elles ont un peu plus de deux siècles - alors qu'elles ne cessent dans la réalité quotidienne de pâlir.

Ne faisons cependant pas d'angélisme, soyons lucides ! La France n'a pas les moyens d'accueillir toute la misère du monde sur son sol. Telle est la réalité.

Mais rêvons quand même encore et toujours. J'ai un slogan: « Que les immigrés et les enfants d'immigrés qui habitent en France vivent décemment, ne soient pas traités en citoyens de seconde zone ». Ce serait quand même la moindre des choses, ne croyez-vous pas ? Je voudrais que ce slogan ne soit plus un rêve et soit pris en compte par chacun des hommes politiques français, qu'ils aient cette priorité dans leurs poches de maires, de députés, de sénateurs, de ministres, voire de président ! Bâtissons d'abord chez nous des relations équitables.

L'émigration, pourtant, nous donne la clé du nouvel universalisme français, de cette nouvelle citoyenneté mondiale à construire. Il ne s'agit pas de noyer tout cela dans le « cosmopolitisme » ! Tout est à réinventer, en s'appuyant sur notre terreau bien français. Je voudrais donner aux enfants de ce pays la fierté et le bonheur - oui, le bonheur - d'être français, que l'on soit de la deuxième ou troisième génération, comme on dit en ce qui concerne les Français d'origine maghrébine ou encore africaine, ceux-là mêmes qui vivent dans des banlieues, souvent défavorisées, souvent oubliées.

Dans la France de mon rêve, tous les jeunes Français, je dis bien tous, comprendraient que leur diversité, loin de les opposer, est un atout pour comprendre le monde... et être compris de lui. Ils laisseraient sur le bord du chemin cette terrible rançon de tous les bouleversements historiques : la peur de l'autre. Tout est une question de temps, de confiance, de courage, car nos destins sont liés.

Réveillons-nous maintenant, sortons du rêve, découvrons les horizons des autres sans a priori : c'est l'occasion d'avoir une âme plus vaste, plus joyeuse. Voyez celle des Africains, et ce n'est pas un cliché, si gaie, pleine de rires, et de fraternité. Rêvons de lui ressembler ».

PROPOS RECUEILLI

POUR LE JOURNAL « LA CROIX »

PAR JULIA FICATIER

 

 

La Croix n° 37679 – 20 FEVRIER 2007

Dans mon rêve tous les jeunes français
comprendraient que leur diversité est un atout