Il faut édifier une morale de l’écologie

 

 

Le Monde du 31 juillet 2010

La nature est aussi un sujet éthique à respecter

En pleine marée noire dans le golfe du Mexique, après la tempête Xynthia, après l'ouragan à La Nouvelle-Orléans, le tsunami en Thaïlande, l'accident de la centrale de Tchernobyl, pour ne citer que quelques-uns des événements cataclysmiques relevés ces derniers temps, pouvons-nous nous contenter de nous prémunir de ces désastres écologiques par des tentatives aussi spectaculaires que celle de l'arche du Spitzberg ?

Ce projet Global Seed Vault, achevé en novembre 2007, près de Longyearbyen, capitale de cet archipel norvégien proche du pôle Nord, concrétise un projet vieux de vingt-cinq ans. Cette banque de gènes stocke 4,5 millions de graines de plantes diverses, au fond d'un tunnel à moins 18 0C et à l'abri de tout danger.

Maillon d'un réseau de 1 460 " réserves " réparties sur le globe qui conservent également des gamètes d'animaux, cette version moderne de l'arche de Noé constitue une solution de repli pour préserver un patrimoine génétique irremplaçable.

Pourrait-on rattacher ces deux événements de nature apparemment contraire - la dévastation des côtes par le pétrole et cette entreprise de " coffre-fort global " - à la même passion de la catastrophe ?

Le discours sur la catastrophe jouant un rôle ambivalent, il offre une place aux revendications démocratiques mais peut tout autant distraire l'attention publique vers un spectacle instrumentalisé à des fins liberticides.

Mais la catastrophe ne déborde-t-elle pas toujours notre demande de sécurité et de prouesse technologique, exagérément revendiquées par nos sociétés modernes ? Nous avons affaire à une crise morale, métaphysique et politique qui nous met en demeure de nous saisir de la situation, de mesurer l'ampleur des faits et la gravité des enjeux, de repenser les rapports de l'homme à la nature.

L'écologie est omniprésente dans nos discours mais à force de trop en parler ne finissons-nous pas par ne plus pouvoir penser l'originalité de son actualité ? Ne nous sommes-nous pas contentés de répondre à la question " quoi faire ? ", question qui occulte et diffère la nécessité d'une interrogation plus radicale mais qui satisfait notre exigence inquiète d'efficacité ? Il nous faudrait à présent substituer au " que doit-on faire ? " un " comment penser ? "

A cette fin, les éthiques environnementales anglo-saxonnes constituent un courant philosophique précieux. Leur originalité tient au fait qu'elles nous proposent de situer la régulation des problèmes environnementaux sur le terrain de la moralité, par contraste avec ce qui se pratique notamment en France où la régulation est pensée sur le terrain de l'expertise scientifique, juridique ou politique.

Elles reconsidèrent radicalement le sens de la crise environnementale : nous ne pouvons plus désormais, assurent-elles, séparer ce qui relève des actions humaines et ce qui est de l'ordre des forces naturelles. Les cataclysmes naturels tels que nous les subissons aujourd'hui sont nos propres produits et sont de ce fait d'un genre inédit puisqu'ils ne sont ni simplement des choses naturelles ni seulement des constructions sociales mais procèdent de ces deux facteurs. C'est pourquoi, ils échappent à la maîtrise humaine.

En proposant une morale non anthropocentrée, qui promeuve la nature au rang de sujet à respecter, ces éthiques nous invitent à suspendre nos habitudes de pensée. Elles entendent produire une nouvelle intelligibilité pour nous aider à concevoir différemment la communauté des êtres de nature : elles lui reconnaissent une valeur intrinsèque indépendamment de l'intérêt - économique, médicinal ou esthétique - que les êtres vivants ou les écosystèmes représentent pour l'homme.

Mais loin de dérouler un programme imparable d'actions écologiques, elles nous invitent davantage à repérer et à défendre des critères de " considérabilité " toujours variables en fonction des entités et des circonstances considérées.

Ce n'est paradoxalement qu'à cette condition qu'une éthique écologique cesse d'être sophistique et devient consistante. Que le débat concernant ce qui nous regarde tous ne puisse être conclu une bonne fois pour toutes, n'est-ce pas le sens d'une véritable politique écologique et démocratique ? A ce titre, les éthiques environnementales ne délimiteraient-elles pas le point de départ à partir duquel redéfinir un sens et un espace nouveau pour le politique, permettant de recomposer ses éléments constitutifs, ses assemblées, ses fonctionnements... jusqu'alors inconcevables ?

Anne Dalsuet

 

 

Le Monde du 31 juillet 2010

Il faut édifier une morale de l’écologie