Une bonne journée pour la défense des libertés

 

 

Le Monde du 1er août 2010

En sommant le gouvernement de réformer dans les onze mois à venir le régime de la garde à vue, le Conseil constitutionnel a pris, vendredi 30 juillet, une excellente décision. Ce jour-là fera date.

Car rien autant que l'application de cette mesure, la garde à vue, n'illustre les manquements au respect des droits de l'homme en France. En l'espèce, il s'agit de sauvegarder une prérogative essentielle : la garantie des droits d'une personne arrêtée par la police et présumée innocente.

En l'état actuel de la procédure pénale, dit le Conseil, ces droits ne sont pas assurés. Sans qu'elle ait le moins du monde à justifier cette décision, la police, sous le contrôle théorique d'un magistrat, peut placer en garde à vue toute personne suspectée d'avoir commis une infraction, même mineure - vingt-quatre heures de détention renouvelables, sans l'assistance effective d'un avocat, et sans que l'intéressé, note le Conseil, ne soit même averti " de son droit de garder le silence ".

En 2009, la police a procédé à 792 000 placements en garde à vue - plus d'un pour cent de la population ! Record européen absolu. Le chiffre était de 320 000 en 1993 et de 360 000 en 2000.

A l'évidence, il y a une dérive grave, une banalisation de la privation de liberté, trop souvent accompagnée d'humiliations diverses, dans des locaux indignes. La garde à vue est utilisée à tort et à travers - pour " faire du chiffre ", disent les policiers - à l'encontre de citoyens qui, la plupart du temps, n'ont commis qu'une infraction mineure, voire aucune infraction. Comment font donc nos voisins européens, qui ont les mêmes problèmes de sécurité et chez qui pareils chiffres provoqueraient un tollé politique ? Pourquoi cette pénible exception française qui nous ramène au rang de démocratie de deuxième ordre ? On n'accusera pas le Conseil d'être " anti-flic ", encore moins de faire preuve d'angélisme ou de complaisance à l'égard du crime.

Le Conseil fait son travail. Il s'assure de la conformité des lois avec la Constitution, avec ces grands principes proclamés et gravés dans les textes fondateurs d'un pays qui se veut une démocratie. C'est du décalage constant entre ceux-là et la réalité de la pratique policière et judiciaire que naissent la dépolitisation, la régression de l'esprit civique, le cynisme et la perte de confiance dans nos institutions. C'est quand on galvaude le sens des mots - droits de la défense, présomption d'innocence - que commence la déliquescence de la morale citoyenne. Et celle-ci entraîne la perte du respect dû à ces grandes institutions de la République que sont la police et la justice.

Le Conseil a pu rendre cette décision grâce à Nicolas Sarkozy. Les juges constitutionnels ont été saisis par un groupe de citoyens, comme le permet une réforme fondamentale de la Constitution que le chef de l'Etat a fait voter en 2008. Le président a donné aux Français le moyen de consolider l'Etat de droit.

Dommage qu'il ait, vendredi à Grenoble, tenu un discours incendiaire sur la nationalité et les délinquants d'origine étrangère.

 

 

 

 

Le Monde du 1er août 2010

Une bonne journée pour la défense des libertés