Journaliste agressée

 

 

Journal « Réforme » n° 3444 15 décembre 2011

Printemps arabes, Égypte. Journaliste à France 3, Caroline Sinz a subi les pires assauts sur la place Tahrir, au Caire. Elle a confié à "Réforme" aussi bien son désarroi que le sens de son métier… et la force de sa foi chrétienne.

Journaliste agressée

« J’ai vu mourir des gens à côté de moi à l’hôtel Palestine en Irak ; j’ai failli être enlevée à Faloudja. Mais, bizarrement, j’avais occulté le risque de l’agression sexuelle. » Le 24 novembre dernier, alors qu’elle tourne un reportage sur la fameuse place Tahrir, Caroline Sinz est prise à partie par des jeunes. Elle est assaillie, violée avec les mains ; elle ne peut plus respirer ; elle manque de se faire étrangler avec son foulard. Une obsession : ne pas se laisser piétiner. Finalement, un homme parvient à la sauver. Quarante-cinq minutes de terreur pendant lesquelles elle a répété : « Mon Dieu, sauvez-moi ! » Cette protestante le dit sans détour : « J’ai été sauvée, j’en suis sûre. C’est un miracle que je m’en sois sortie comme ça. Je crois en Dieu, et je l’ai appelé tout le temps. »

Caroline Sinz dit avoir reçu beaucoup de messages, dont celui d’une consœur à qui il est arrivé la même chose, au même endroit, et qui n’a pas porté plainte.

La montée des islamistes

Au-delà de la sauvagerie immédiate, attisée par l’effet de foule, elle voit dans ces comportements l’expression d’une frustration qu’elle a constatée dans le monde musulman : faute de moyens pour payer la dot ou louer l’appartement, les Égyptiens se marient de plus en plus tard et n’ont pas de relations sexuelles (avouées…) avant le mariage. En Égypte, il y a 55 viols (déclarés) par jour. Évidemment, les femmes portent rarement plainte. Celles-ci aboutissent d’autant plus rarement que la victime est mise au ban de la société. Une pratique tout aussi courante au Liban ou en Syrie mais dont on parle très peu. Caroline Sinz poursuit : « La femme est considérée comme un objet sans droits, et la montée du radicalisme ne fait qu’empirer les choses. Quoi qu’en disent les salafistes, que la femme soit voilée ou pas ne change rien aux agressions qu’elles subissent. » Les Occidentales sont d’autant plus visées qu’elles passent pour des femmes légères, avec des positions pro-israélienne et pro-américaine. En Irak, les journalistes ont toujours été au contraire bien accueillies comme témoins précieux dans un pays dévasté.

Printemps arabes ? Caroline Sinz a toujours été dubitative. Les islamistes d’aujourd’hui sont le produit des dictateurs d’hier qui, tels Saddam Hussein, Kadhafi ou Moubarak, flattaient les extrémistes religieux afin de contrer toute opposition démocratique. Le résultat est donc assez logique : en Tunisie, le droit des femmes est en passe de reculer sous la poussée des islamistes. Au Liban, des secteurs entiers abandonnés par l’État sont fermement tenus par le Hezbollah qui lave le cerveau des jeunes. En Égypte, les salafistes appellent explicitement à tuer les chrétiens. Le Guide des Frères musulmans, que Caroline Sinz a interviewé, a dit clairement qu’ils avaient tout leur temps, mais que leur but demeurait de convertir le monde et d’y instaurer la charia. En Libye, où était Caroline Sinz au moment où Kadhafi a été tué, les armes sont répandues jusque chez les enfants, raconte-t-elle.

Revenant sur son métier, elle explique : « Si j’arrive à faire ce métier, c’est parce que j’ai un mari extraordinaire, qui a été lui-même cameraman sur les zones de conflits. Il est maintenant fixé à Paris où il s’occupe de nos deux filles lorsque je suis en déplacement. » C’est avec les réfugiés chiliens qui fuyaient la dictature de Pinochet via l’Autriche que Caroline a eu la vocation de témoigner des injustices dont elle était témoin.

Actuellement, c’est sur le sort des chrétiens du Moyen-Orient qu’elle veut attirer l’attention : « On en parle trop peu et, dans les rédactions, il faut à chaque fois que je me batte pour passer un sujet les concernant… sauf s’ils se font dessouder dans une manifestation ou si une église saute, comme celle de Bagdad au moment où j’y étais. Les rédacteurs en chef ont un manque total de culture religieuse. » Ils sont ainsi à l’image de notre société : « Les gens se désintéressent de plus en plus de la religion, fréquentent de moins en moins les églises quelles qu’elles soient. »

« Peur d’avoir peur »

C’est au loin que Caroline Sinz découvre ce qu’il y a de plus beau chez les chrétiens : « Je suis protestante, mais vous comprenez bien qu’au Moyen-Orient je vais dans toutes les églises : il y a des gens extraordinaires. Dans les situations de guerre, l’homme est capable du pire, mais aussi du meilleur, en particulier des frères et des sœurs catholiques, des prêtres qui donnent leur vie et qui font le lien entre chrétiens et musulmans de bonne volonté à qui je rends hommage. Sans eux, tout s’écroulerait. »

Caroline repartira-t-elle sur le terrain ? « J’ai “peur d’avoir peur”. Au fond de moi, ces chrétiens d’Orient me tiennent énormément à cœur, mais actuellement je ne sais pas encore ce que je vais faire. »

« Noël et Pâques sont pour moi le moment de dire merci et d’être heureux », déclarait-elle dans une revue suisse (1). « Cette gratitude qui m’habite sort de cette épreuve non pas amoindrie, mais renforcée. » Cela, elle le dit d’un ton résolu.

« Cette gratitude qui m’habite sort de cette épreuve non pas amoindrie, mais renforcée. » Cela, elle le dit d’un ton résolu.

Philippe Malidor

 

(1). Quart d’heure pour l’essentiel, édition 2011.

Journal « Réforme » n° 3444 15 décembre 2011

 

 

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