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Parole humiliée, parole retrouvée |
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Journal « Réforme » n° 3450 2 février 2012 «
Si quelqu’un ne trébuche pas lorsqu’il parle, il est un homme parfait. » (Jc
3,2). Utile rappel, tant la période électorale dans laquelle nous sommes
entrés donne à réfléchir sur la parole et son usage. Je m’y suis senti
d’autant plus invité que Réforme a, de manière heureuse, livré il y a
quelques semaines un magnifique texte de Vaclav Havel sur « le miracle de la
parole » et rendu hommage à Jacques Ellul qui, déjà en 1981, faisait le
constat de la parole humiliée. Il considérait qu’il en était ainsi à cause de
la puissance de l’image devenue prédominante. Mais aujourd’hui, c’est par son
usage même que la parole est mise à mal. Plus précisément par un trop-plein
de paroles. Ainsi
celles de certains commentateurs de la vie politique qui, en ces temps de
campagne présidentielle, se répandent sur les ondes et les plateaux de
télévision. Ces nouveaux prêtres de la religion cathodique se posent comme
des médiateurs indispensables. On a le sentiment que, sans eux, le bon peuple
des citoyens ne comprendrait rien à ce qui se fait et se dit ! On a envie de
reprendre l’avertissement de Michée : « Ne vaticinez pas. » (Mi 2,6). Verbe
qui signifie prédire l’avenir de manière confuse et pompeuse. Drapés dans une
vraie fausse neutralité, ils nous expliquent doctement les dessous et les
travers de la campagne des différents candidats. Portant des jugements sur
les uns et les autres, montant en épingle la moindre petite phrase, ils
prédisent avec assurance, sondages à l’appui, ce qui va advenir… quand un
passé récent rappelle qu’ils n’ont souvent rien vu venir. On sait pourtant
que leur discours n’est pas sans impact médiatique. Même si leurs paroles
n’éclairent pas forcément les débats de fond, elles contribuent à marquer
l’opinion et influencer les politiques eux-mêmes. Des
politiques dont les paroles ne contribuent pas toujours à une revalorisation de
la parole. Je pense notamment aux accusations et invectives qu’ils
s’échangent, confirmant que « la langue » peut-être « un feu » et un « poison
mortel » (Jc 3,6,8). De surcroît, là où l’on attendrait une confrontation
d’idées, de propositions et d’orientations, bref un échange de paroles, on a
droit désormais à ce qu’il est convenu d’appeler euphémiquement des «
éléments de langage ». Ces propos, préfabriqués dans les officines des partis
ou les allées du pouvoir, sont distillés à longueur d’antenne pour critiquer
les propositions des adversaires. C’est, là encore, un fruit pervers des
logiques médiatiques qui revient à ne plus avoir de parole propre,
personnelle, engagée. On se contente d’user et d’abuser de kits langagiers
permettant de relayer de manière stéréotypée la voix de son maître. Revient
alors en force le discours des humoristes. On ne s’en plaindra pas. Mais ce
retour de la dérision signe en même temps l’exténuation de la parole quand
elle se réduit à des tics et des trucs de communication. Elle
n’a alors plus grand-chose à voir avec un énoncé chargé de sens, visant à
exprimer, à informer, à convaincre, à argumenter, à mettre des mots sur les
maux et sur les espoirs, et même à accomplir ce qu’elle énonce, c’est-à-dire
à faire de ses auteurs, comme dit l’épître de Jacques, des « réalisateurs de
la parole » (Jc 1,22). Il importe, pour cela, de retrouver la parole perdue,
de restaurer la parole dégradée. Ce qui implique de redécouvrir le poids et
l’épaisseur des mots, quand ils s’enracinent dans l’écoute des autres et du
monde, quand ils se nourrissent de méditation, de réflexion et de silence
intérieurs, quand ils respectent celles et ceux à qui ils s’adressent, quand
ils sont portés par la promesse du Dieu qui tient parole. Lui qui annonce par
la voix de son prophète, « ainsi se comporte ma parole, elle ne retourne pas
vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce
pour quoi je l’avais envoyée » (Es 55,11). Parole performative qui résonne
dans toute la Bible. Incarnée en Christ, elle s’est liée aux langages humains
qui désormais ont vocation à la porter. Michel
Bertrand Journal « Réforme »
n° 3450 2 février 2012 |
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Parole humiliée, parole retrouvée |
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