|  | Histoire
  et actualité de l’archipel néo-calédonien |  | 
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   Frédéric
  Rognon Nouvelle-Calédonie : Une lecture théologique de l’histoire
  et de l’actualité de l’archipel néocalédonien ne peut qu’offrir un éclairage
  précieux pour comprendre les enjeux des crises qu’il ne cesse de traverser
  depuis bientôt deux siècles. L’intérêt de la théologie tient ici à la
  prégnance de l’entreprise missionnaire jusque dans les évènements politiques
  les plus récents. Peuple de tradition orale, les Kanak
  ont la mémoire vive du passé tragique de la première période de colonisation,
  que l’on se transmet de génération en génération. En 1853, date de la prise
  de possession de de la Grande Terre par la France, jusqu’à 1903, année de
  l’arrivée du missionnaire protestant Maurice Leenhardt, 80 à 90% de la
  population autochtone de cette île a disparu : maladies importées par
  les européens, répression sanglante des révoltes suite aux spoliations
  foncières, et, massivement, de désespoir, un refus de faire des enfants. De
  50 à 100 000 habitants au milieu du 19ème siècle, ce chiffre tombe
  à 10 000 au début du 20ème siècle. Or, de façon saisissante
  lorsque on observe les courbes des recensements, cet effondrement
  démographique se trouve enrayé dans les régions qui s’ouvrent à
  l’évangélisation. Peu à peu autour de la mission protestante, les Kanak
  recommencent à engendrer. Manifestement, le passage au christianisme produit
  un rééquilibrage symbolique qui se manifeste par une nouvelle espérance. La stratégie missionnaire de Maurice
  Leenhardt y est aussi pour quelque chose : il se met à l’école de ses
  hôtes pour apprendre leur langue et découvrir leur culture, il forme
  rapidement des élites religieuses susceptibles de s’opposer aux empiètements
  de la colonisation, il intervient lui-même directement auprès des autorités
  pour dénoncer les abus des spoliations, et il élabore progressivement des
  structures d’une Eglise capable d’autodétermination. Lorsqu’il revient en
  Métropole en 1926, au terme de près d’un quart de siècle d’apostolat, on lui
  demande combien il a obtenu de conversions ; et le missionnaire à la
  barbe fleurie de réfléchir un moment, puis de répondre humblement :
  « Peut-être une seule : la mienne… ». Les
Kanak savent pertinemment que c’est un véritable sauvetage
à l’échelle d’un peuple qu’a
opéré la Mission : une sorte de résurrection,
suivant la vieille invitation biblique : « Choisis la
vie, afin que tu vives, toi et ta postérité Dt 30,19).
Respectés dans leur singularité et appelés
à recouvrer leur dignité, ils ont échafaudé
un christianisme spécifique, enraciné dans leur culture,
et nourri de la théologie de la libération. Les Missions
catholique comme protestante, ont accompagné
l’évolution du peuple autochtone vers l’acquisition
des droits sociaux et politiques, et de façon parfaitement
logique, les premières élites nationalistes
étaient directement issues des écoles missionnaires.
Jean-Marie Tjibaou était prêtre, Eloi Machoro était
catéchiste, Djubelli Wéa était pasteur… Et
aujourd’hui, du fait de la promotion du peuple sur une base
missionnaire, les Kanak ont retrouvé peu ou prou le niveau
démographique de 1853 : un peu plus de 100 000. Mais entre-temps, la colonisation a
  changé de visage, toujours plus retorse, et d’une colonisation pénale et
  foncière, elle s’est muée en colonisation de peuplement. Depuis les années
  soixante-dix, au gré d’une politique volontairement offensive de la part de
  la Métropole, les Kanak sont minoritaires sur leur propre sol. La
  Nouvelle-Calédonie est même le seul territoire français dans lequel le
  Rassemblement national est franchement favorable à l’immigration… Les causes
  des révoltes des années 1980, et les émeutes de l’an dernier se trouvent
  là : dans l’enjeu démographique et dans l’instrumentalisation de la
  démocratie en situation coloniale. D’où la question inflammable de la
  restriction ou du dégel du corps électoral. L’élaboration théologique déployée par
  l’Eglise protestante de Kanaky-Nouvelle-Calédonie (EPKNC) prend évidemment à
  bras le corps cette problématique de la décolonisation. Après avoir pris
  position en faveur de l’indépendance en 1979, cette Eglise issue de la
  mission protestante de Paris a réfléchi aux modalités d’une souveraineté sans
  exclusive, ouverte à tous ceux qui voudront bien vivre dans le nouvel Etat
  indépendant, en lien étroit avec la France. Les cadres de l’EPKNC aiment à rappeler que leur Eglise est
  indépendante à l’égard de la Société missionnaire depuis 1960, et que la
  prise en charge de leurs propres affaires peut naturellement bénéficier à
  l’accession du pays à l’indépendance. La péricope biblique mise en avant pour
  la reprise théologique de ces débats politiques se situe dans le deuxième
  chapitre de l’épitre aux Ephésiens : « Ainsi donc, vous n’êtes
  plus des étrangers, ni de gens du dehors ; mais vous êtes concitoyens
  des saints, gens de la maison de Dieu. Vous avez été édifiés sur le fondement
  des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre
  angulaire. En lui tout l’édifice, bien coordonné, s’élève pour être un temple
  saint dans le Seigneur. En lui vous êtes aussi édifiés pour être une
  habitation de Dieu en Esprit » (Ep 2, 19-22). Ainsi est comprise la promesse de
  sortie de la « nuit coloniale » : la fin de l’injustice et des
  discriminations. « Vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du
  dehors » : les Kanak sont les frères et sœurs de tous les
  enfants de Dieu, membres d’une même famille, unis par un même amour en
  Jésus-Christ. Et le Seigneur est la « pierre angulaire », le
  « poteau central » de la case de la fraternité. Les Kanak demandent
  à être reconnus comme premiers occupants de l’archipel, afin de pouvoir
  exercer leur droit d’accueil et d’hospitalité envers les non-Kanak. En 2018, la commission théologique de
  l’EPKNC distribue dans toutes ses paroisses un livret intitulé :
  « Concitoyens d’un pays nouveau ». Elle invite tous ses membres à
  méditer ce texte d’Ephésiens 2, et en offre le commentaire suivant :
  « La mort du Christ devient le symbole de la réconciliation entre les
  hommes si différents soient-ils. Cela veut dire, pour nous, habitants de
  Kanaky-Nouvelle-Calédonie, originaires de la Grande Terre et des îles
  Loyauté, que Christ nous appelle quelle que soit notre appartenance ethnique
  à former un seul corps, unis en Christ et pour le Christ. Cette unité a été
  rendue possible grâce à Jésus qui a donné sa vie pour nous sur la croix. Nous
  formons désormais un seul corps, nous sommes citoyens du même royaume
  céleste. En devenant chrétiens, enfants de Dieu, nous sommes entrés dans la
  famille de Dieu. Nous sommes tous frères et sœurs en Christ. Tout citoyen de
  ce pays est invité à se mettre debout, se considérant l’un et l’autre pour
  construire ensemble cette maison ». Mais
aux Etats-Unis comme dans la Nouvelle-Calédonie encore
française, l’histoire semble parfois bégayer, ou
même régresser, et le chemin paraît encore bien long
et semé d’embûches, qui mène à
l’émancipation. La théologie s’impose
dès lors, à l’instar des décennies
passées, comme une puissante ressource dans ce combat. Frédéric Rognon © LIBRE_CROYANT-E
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