Judas et les pauvres

 

 

Judas et les pauvres
Jean 11,53-57 et 12,1-8

1.    La traduction

2.    La lecture

1.   La traduction

C’est ce jour-là qu’ils résolurent de le faire périr. Aussi Jésus perdit-il sa liberté de mouvement parmi les Judéens.
Il gagna les confins du désert et se réfugia dans une bourgade dEphraïm. Il y restait avec ses disciples. La Pâque des Juifs approchait.
Bien des gens du pays montèrent à Jérusalem avant la Pâque, pour se purifier. Massé dans le sanctuaire, ils cherchaient Jésus et s’interpellaient : A votre avis, viendra-t-il ou non à la fête ?
Grands prêtres et pharisiens avaient donné la consigne : quiconque connaîtrait sa retraite devait la leur révéler et ainsi irait-on l’arrêter.
Six jours avant la Pâque, Jésus se rendit à Béthanie, où vivait Lazare qu’il avait ressuscité des morts.
On le convia à un repas ; Marthe servait, et Lazare figurait parmi les convives.
Marie apporta une livre de parfum très précieux, et elle le fit couler sur les pieds de Jésus, qu’elle essuya de sa chevelure.
Toute la maison s’emplit d’un arôme admirable.
Or Judas l’Iscariote, celui d’entre les disciples qui allait le trahir, grommelait : Pourquoi n’avoir pas vendu ce parfum et donné aux pauvres les trois cents deniers qu’on en aurait tiré ?
A vrai dire, les pauvres ne le préoccupait guère : il était voleur et, tenant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait. Jésus donna de la voix : Laisse cette femme tranquille ! Son geste considère le jour de ma sépulture ! Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous ; moi, non, vous ne m’aurez pas toujours.

* * * * *

2.   La lecture

Il avait, dans la troupe, la charge de trésorier. Et il ne s’acquittait pas mieux de cette humble tâche que de l’honneur grandiose d’avoir été pris pour disciple. Jésus connaît le fond noir de ce cœur : avec quelle douceur le reprend-il, sans rien dévoiler du secret qu’il a percé ! Délicatement, il accrédite son mensonge et laisse un rayon sur le front du traître. Si saint Jean ne nous chuchotait le contraire, nous l’estimerions charitable. Pourquoi chez le Christ tant de lucidité s’accorde-t-elle à tant de mansuétude ? Parce que Jésus acquiesce à sa mort.

Ce n’est pas à Judas qu’il se remet, mais à son Père.

A son disciple, c’est comme s’il disait : Déjà tu me trahis, et tu me vois crédule et innocent. Quand tu viendras m’arrêter avec ton escorte, tout sera simple. Je me laisserai prendre par tes gens comme aujourd’hui par tes mots, je t’exhorterai même, si tu défailles. Tes lèvres sur ma joue suffiront. Tu m’as connu berger, je serai ton agneau.

La réponse de Jésus recèle des trésors de finesse. Revenant à ces pauvres, si chers à Judas, il insinue doucement que s’il est victime, il n’est pas pourtant sa dupe : Moi, dit-il, vous n’aurez pas toujours. Cette vérité, tout homme peut la dire, elle ne constitue pas une prophétie. Et pourtant comment penser qu’il n’a pas en la prononçant, arrête des yeux calmes et tristes sur son disciple, comme s’il lui murmurait, si bas que lui seul pût l’entendre : Tu le sais mieux que n’importe qui, Judas.

Des pauvres, il y en aura toujours. Mais le texte suggère aussi que demeurera cette odeur délicieuse dont s’emplit la maison[i]. L’encens de la résurrection triomphe de la mort délétère. Dans la maison future de l’Eglise, plus vaste que l’humble toit de Marie, résonneront éternellement les paroles du Christ : « Ce qu’elle a fait pour moi, on le dira partout où sera annoncée la bonne nouvelle. »

France Quéré, Une lecture de l’évangile de Jean, 1987, Desclée de Brouwer éditeur, 78 bis, rue des Saints-Pères, 75007 Paris, pages 77-79.

Lire dans la préface, les circonstances de la traduction et de la lecture de cet Evangile par France Quéré. Cliquer ici

 

 

 

Judas et les pauvres

 



[i] Sur la triple portée de l’onction, je renvoie à un commentaire antérieur, Les femmes de l’Evangile, p. 92-97.