« Qui cherchez-vous ? »

 

 

« Qui cherchez-vous ?
Jean 18,1-12

1.    La traduction

2.    La lecture

1.   La traduction

Alors Jésus se retira avec ses disciples au-delà du torrent du Cédron. Un enclos était là. Il y entra, suivi de ses disciples.
Judas, celui qui le livrait, connaissait aussi cet endroit, où Jésus s’était souvent rendu avec les siens. Il y mena les soldats romains et les gardes que lui avaient fournis grands-prêtres et pharisiens.
Ils surgissent donc avec lanternes, torches et armes. Jésus, sachant quel sort l’attendait, s’avança vers eux et leur dit : Qui cherchez-vous ?
Ils lui répondirent : Jésus, le nazaréens.
C’est moi, leur dit-il.
Et Judas, qui le livrait, se tenait au milieu de la bande.
Quand Jésus leur eut dit : C’est moi, ils eurent un mouvement de recul et chancelèrent.
A nouveau, il leur demanda : Qui cherchez-vous ?
Et ils dirent : Jésus le nazaréen.
Jésus répondit : Je vous l’ai dit, c’est moi. Puisque c’est moi, laissez partir mes amis.
Ainsi trouvait son sens une de ses paroles antérieures : Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as confiés. Simon Pierre portait une épée ; il dégaina, frappa l’esclave du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite.
L’esclave s’appelait Malchus.
Jésus dit à Pierre : Remets cette épée au fourreau. La coupe que le Père me prépare, pourrais-je ne pas la boire ?
Alors les soldats, leur chef et les hommes des Judéens se jettent sur lui et le lient.

* * * * *

2.   La lecture

Tout est perdu. Jésus s’est réfugié dans un enclos, où il est pris. Une escorte ridicule par son nombre et ses armes surgit, guidée par le traître. Tout ce que Jésus compte d’ennemis est nommé là, pharisiens, police du Temple, grands-prêtres, soldats romains. La mission s’exécute, irrésistible, et les faits ne seraient pas changés si le texte, aussitôt après avoir mentionné l’arrivée de ces rustres, enchaînait : « Alors les soldats se jettent sur lui et le lient. »

Cependant la haine ne referme pas si précipitamment ses mâchoires. Entre les deux princes de la mort, le récit ménage un passage dialogué, qui prend à revers les données historiques, les disloque et en renverse le sens. La victime s’avance, la face éclairée, non plus par la lueur fuligineuse des torches, mais par l’éclat insoutenable d’une nouvelle transfiguration. Cet homme dépouillé, déjà à l’abandon, est la liberté et la puissance, mais seule la foi contemple, sur ce visage émacié, la gloire.

Il pose à des brutes la question qu’il posait à ses disciples : « Qui cherchez-vous ? » Eux débitent le nom du prévenu, Jésus de Nazareth ; lui aussitôt délivre le nom éternel : « Je suis. » Ensemble ils ont proféré l’entier mystère du Christ.

Le voyant, ils n’ont pas tremblé. Il était de piteuse apparence, dit le prophète, et parmi ces visages de nazaréens barbus et harassés, le sien devait être indiscernable[i], puisqu’il fallut que le traitre le désigne.

« Je suis », dit le Christ. La voix fait ce que la vue n’a pas fait : ils tombent face contre terre. Les torches s’éteignent devant la lumière, les armes glissent devant la puissance. De cet homme traqué, du pâle Jésus de Nazareth, se détache, comme en surimpression, l’immense stature du Fils éternel.

Deux fois il pose la même question, deux fois ils font la même réponse, et ces mêmes questions et ces mêmes réponses ne répètent rien, elles entraînent les suprêmes divergences.

On se croirait au Jugement dernier. Dans l’étroit jardin où la nuit, l’affluence et le tumulte ont sans doute tout confondu, un arrêt sans appel sépare les brebis et les boucs.

C’est moi, je suis ! La voix d’airain précipite les méchants, « leur fait tourner bride », comme dit le psaume, « les fait périr devant la face ».

C’est moi, et maintenant le Nom tire les siens du sinistre enclos, leur ouvre la porte sur la nuit constellée, les sauve. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » ; la parole est devenue acte, et ces hommes qui s’en vont ne sont pas des fuyards, ce sont, pour saint Jean, les élus de Dieu qu’un vent sacré emporte à pas légers vers les cimes éternelles.

Et qui sait si la scène de Gethsémané ne raconte pas notre propre attente, avec ce premier contact qui nous jette effarés aux pieds du Juge avant que nous relève, surpris, la voix insistante, dont la douceur berce nos craintes avec les mots d’un pardon inespéré ?

Dans cette digression, les temps derniers imposent aux temps présents leur présence solennelle. A un Jésus pourtant vaincu, reviennent toutes les initiatives, tous les pouvoirs. C’est lui qui avance, lui qui donne ses ordres souverains à un peuple envoûté, qu’il soit ses amis ou ses meurtriers : « Eux ne pourraient rein, si lui ne voulait rien », dit Augustin. Pierre rengaine son épée, les autres sortent leurs cordes, mais les violents comme les apaisés obéissent au grand dessein de celui qui veut bien approcher ses lèvres de la coupe mortelle.

France Quéré, Une lecture de l’évangile de Jean, 1987, Desclée de Brouwer éditeur, 78 bis, rue des Saints-Pères, 75007 Paris, pages 93-96.

Lire dans la préface, les circonstances de la traduction et de la lecture de cet Evangile par France Quéré. Cliquer ici

 

 

 

« Qui cherchez-vous ? »

 



[i] Cf. F. Mauriac, La Vie de Jésus.