Dieu dans son rapport au monde, dans la théologie du Process

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mots-clés: théologie_du_Process, Process (théologie)

 

Ce courant théologique est avant tout une vision métaphysique du monde qui remet en cause nos conceptions orthodoxes, classiques, de la personne même de Dieu, de son œuvre et des attributs qu’on lui concède traditionnellement.

Dans le modèle doctrinal classique, Dieu est déterminé par des qualités précises. Il détient la vie elle-même, il est infini, indivisible, immuable. Il est présent partout, sait toutes choses par avance, est infiniment sage, souverain dans sa volonté, saint, juste, véridique, tout-puissant et infiniment bon. Tout cela nous le déduisons des textes bibliques qui sont les seuls témoignages que s et que nous ayons pour définir Dieu. Et l’on sait à quel point la théologie de la Réforme s’est dressée contre toute tentation de théologie naturelle. Mais si je peux me permettre une remarque plus personnelle, nous attribuons ainsi à Dieu ce que nous ne sommes pas par essence nous-mêmes et que peut-être nous aimerions être ! Pour le christianisme, au delà du Dieu créateur, c’est essentiellement la révélation du Dieu Sauveur qui va dominer nos présentations de l’histoire du Salut. La théologie du process et la philosophie qui lui est sous-jacente, notamment au travers de l’œuvre d’Alfred North Whitehead, propose de réfléchir à nouveau sur la réalité, les potentialités créatrices de Dieu et sur son action ou interaction avec le domaine du monde créé. Les penseurs de la théologie du process refusent de cantonner Dieu aux définitions classiques énumérées précédemment. Pour eux, Dieu n’apparaît pas comme un être statique qui aurait tout écrit, pensé, prévu et maîtrisé par avance. Dieu n’est en rien un être impassible qui poursuit un plan écrit par avance dans le moindre détail.

La théologie contemporaine a été fortement influencée par les philosophes du process. Le théologien américain Charles Hartshorne, par exemple, se refuse à présenter Dieu comme un absolu immuable et il insiste sur le rapport de Dieu avec le monde. Dieu s’inquiète du monde. Dieu est affecté par ces rapports ; et être affecté, c’est changé. Ainsi Dieu est-il aussi en cours de croissance et développement. D’autres théologiens, tel John B. Cobb, travaillent dans le même registre. Il s’agit d’une réflexion globale sur le mode d’être et d’existence de Dieu. Dans ce courant, les théologiens du process rejettent le plus souvent la doctrine de la création ex nihilo (à partir de rien) par un Dieu dont l’être en serait étranger. Ils proposent un Dieu, masculin et féminin à la fois, dont l’acte créateur consiste à faire épanouir la vie sous toutes ses formes. Ainsi, pour Dieu, créer ne consiste pas à œuvrer afin de maintenir ou de restaurer la création selon un ordre (plan) préétabli, mais à agir en interaction avec le monde, en proposant, plutôt qu’en ordonnant, afin de produire des changements créateurs favorisant la vie. Dans cette perspective, le conservatisme est contraire à l’être même de Dieu qui se trouve lui-même en évolution et en croissance. Dès lors, Dieu et le monde ne sont pas séparables, mais il est immédiatement vain de réduire la conception de la théologie du process au panthéisme. Ce serait même la trahir. Dieu est peut-être le maître de l’univers, mais ce n’est pas en cela que réside l’essentiel de cette théologie. Ce qui compte c’est l’implication de Dieu, de l’être divin dans le processus inachevé, en évolution et en mouvement de l’univers. Dieu y est impliqué plus encore, c’est pour lui un véritable besoin.  Dieu est en relation avec le monde et avec tous les acteurs qui le composent. Son amour constant, certes immuable, doit sans cesse s’adapter aux circonstances changeantes d’une processus cosmique en évolution.

Dieu n’est pas séparable du monde, il agit dans le monde et corrélativement le monde agit sur lui. Il intervient en analysant les possibles, en faisant des choix qui ne sont pas sans conséquences positives, mais aussi négatives, car le monde sur lequel il agit, et dans lequel il s’implique, réagit. Le Dieu de cette théologie est une immense source créatrice et recréatrice de vies et de multiples possibles insoupçonnés ou encore inimaginables pour les humains.

Mais Dieu ne se contente pas de proposer des possibles ; il pousse les humains que nous sommes à choisir l’un de ces possibles comme étant le meilleur. Dans cette conception, Dieu interviendra selon des voies qui nous échappent pour accentuer les choix qui poussent à la vie et au mieux-être et il interviendra dans les choix humains pour freiner, limiter, inspirer et corriger en cas de dérive. Le Dieu de la théologie du process n’est pas dénué de séduction ; la séduction dans la Bible n’est pas uniquement la voie du péché et du mal. Et l’on entendra des prophètes céder devant l’appel de Dieu et lui dire : « tu m’as séduit et je me suis laissé séduire … »

Pour les théologiens du process, Dieu appartient au domaine des évidences qui ne peuvent être démontrées. L’on ne peut réfléchir sur le monde, ce qu’il est, ce qu’il a été, ce qu’il pourrait devenir sans nommer l’intervention de Dieu. Dieu est esprit et transcende nos manières de voir et de penser. Partout présent, il est en lien avec tout ce qui est et tout ce qui existe. Finalement rien n’existe sans son intervention. Mais j’insiste, Dieu n’est pas, dans ce modèle, collé au monde. Il en est extérieur et acteur. Plus encore, il est ce qui le sauve et le transfigure.

John Cobb et André Gounelle, pour résumer cet aspect du visage de Dieu (mais peut-on parler de visage), évoquent le dynamisme créateur de Dieu. Dieu donne et ouvre des possibilités, les met en œuvre et veille à leur évolution. Ainsi il est présent partout et ne se confine pas à un lieu déterminé. Il n’est pas le Dieu d’un coin de paradis. Il est toujours quelque part mais peut-être jamais là  où nous voudrions qu’il soit. Il se donne à voir, à deviner mais n’est pas maîtrisable. Il est incorporel, immatériel. Au delà de nos réalités qui sont le produit de son action, il est difficile de le localiser, espace et temps ne le contiennent pas.

Mais en même temps, il est partout parce qu’il veille à son plan créateur qu’il faut sans cesse corriger, modifier, transformer. L’intelligence de Dieu est active et ne se contente pas de faire aboutir un projet initial contre vents et marées ; ainsi ce Dieu peut être tenu en échec et faire la douloureuse expérience, tout comme nous, de l’échec de ses projets. Ce que je vais dire maintenant choquera sans aucun doute les plus orthodoxes parmi nous, mais peu importe, Dieu ne s’écrit pas forcément avec un grand D, n’est peut être pas sûr que le projet humain vaille toujours la peine d’être poursuivi ; d’ailleurs, cette théorie n’est en rien un sacrilège puisque dans les textes bibliques, il n’est pas rare de voir Dieu s’interroger : comme dans les épisodes du déluge, de la de la tour de Babel, de la prédication de Jonas à Ninive et le dialogue entre Abraham et les trois êtres aux chênes de M’ambré sur Sodome et Gomorrhe.

André Gounelle dans son livre Le dynamisme créateur de Dieu, exprime la réalité divine par une image, celle du chef d’orchestre, qu’il emprunte à J. Cobb :

 

 

Une dynamique de vie sans égale

 

 

-         Parmi différentes œuvres musicales, un chef d’orchestre en choisit une, par exemple une symphonie, qu’il veut jouer. Au départ, il a une certaine compréhension de cette symphonie et de la manière dont on doit la jouer.

-         Chaque musicien de l’orchestre reçoit une partition qui lui indique ce qu’il lui convient de jouer. Le projet d’ensemble se fractionne en une multitude de programmes particuliers dont la cohérence correspond à la visée initiale. Dieu propose  à chacun de nous un objectif qui s’inscrit dans le projet d’ensemble et qui y contribue. Il demande à chaque être du monde d’entrer dans son dessein, d’y participer et de s’engager pour la part qui lui incombe.

-         L’exécution de la symphonie naît d’une collaboration, d’un travail en commun. Elle ne naît pas du seul chef d’orchestre, mais de l’ensemble des musiciens. Au moment du concert, il arrive que des fausses notes, des couacs plus ou moins retentissants viennent entamer son exécution. La faute n’en incombe pas au seul chef, mais à un instrument mal accordé ou à une erreur de tel ou tel musicien. De même, Dieu n’est pas  l’unique cause du monde. Nous contribuons à son formation et portons, pour une part, la responsabilité de ce qu’il est. La présence du mal vient de multiples défaillances. Il ne faut pas en accuser le seul chef d’orchestre, même si, bien évidemment, elles ne se seraient pas produites s’il n’avait rien entrepris ; les ratés, les fausses notes l’affectent et le touchent aussi douloureusement, parfois plus, que celui qui en porte directement la responsabilité. De même, Dieu ne reste pas impassible devant les souffrances du monde. Elles l’atteignent durement.

Bien sûr, beaucoup d’autres choses pourraient être dites sur ce Dieu dynamique, mais il me semble que l’essentiel nous ramène au texte biblique qui désormais n’a plus un sens unique et prédéterminé mais redevient vivant, critiquable, édifiant, actualisable et nous conduit à réaliser que nous sommes engagés avec Dieu dans son combat pour le triomphe de la Vie et de l’Amour.

 

 

Frédéric Verspeeten
in Liens Protestants, n° 153, mars 2006

 

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