Guy de Brès, pasteur, réformateur à Tournai

La maturation des idées réformatrices

Les idées réformatrices ne sont pas arrivées par hasard dans le Hainaut, la situation difficile de l'Église catholique d'alors avait suscité dès la fin du XVe siècle, un mouvement de réforme.

L'évêque de Cambrai, Henri de Berghes, essayait de mettre de l'ordre dans son diocèse ; à Tournai, en 1498, Jean Vitrier, moine, s'élevait lui aussi contre les mœurs scandaleuses du clergé, les indulgences et le développement du culte des saints..

Bien avant que Brully et Guy de Brès ne viennent à Tournai, envoyés par Jean Calvin et Martin Bucer pour organiser les Églises de la Réforme dans le Hainaut et au-delà, les idées luthériennes, évangéliques ou réformées circulaient mais ne donnaient lieu qu'à des échanges, des confrontations, des discussions. Ce terreau existait à Tournai depuis les années 1520. Très rapidement les doctrines luthériennes s'étaient répandues à Anvers, Valenciennes et Tournai grâce aux marchands en relation avec l'Allemagne. Les écrits de Luther furent traduits et diffusés. Bientôt l'opposition se traduisit par la publication des placards de Charles Quint dès 1520. Mais les poursuites et les traques ne réussirent pas à en faire cesser la propagation. Pendant cette période les discussions allaient bon train, mais l'on en restait encore aux critiques adressées au clergé, à la contestation de la forme de la messe et du culte des saints. À cette époque, bien que la répression conduisit quelques réformés à la peine capitale, le zèle ne faiblit pas. On ne parle pas encore de protestants.

À partir de 1530,  la situation devient plus difficile et au sein des contestataires se dessinent essentiellement trois tendances : les anabaptistes, les libertins spirituels et les luthériens qui se tournent de plus en plus vers Martin Bucer, réformateur de Strasbourg, qui correspond avec eux et les soutient. À cette époque Jean Calvin entre lui aussi en scène et tout comme Martin Bucer il considère qu'il ne suffit plus de lire la Bible ensemble ou seul, il faut construire l'Église, l'édifier en la dotant d'une structure plus précise sans prétendre en trouver immédiatement dans la Bible un modèle parfait.

Bien que Calvin ne considérât pas que l'Église catholique romaine était constituée uniquement d'évêques corrompus, il restait troublé par la soumission affichée par nombre d'entre eux. Il estimait que la volonté de domination des autorités papales sur le temporel constituait une atteinte aux consciences ainsi privées de liberté. Pour lui, l'Église devait être une communauté de service, elle ne devait pas tourmenter les fidèles en les asservissant. Il fallait donc la réformer, la doter d'une confession de foi qui dise clairement qu'elle n'est en rien hérétique mais qu'elle confesse le Christ vivant, dire ce qu'elle croit et enseigne de la Grâce de Dieu, marquer carrément les limites vis-à-vis des débatteurs des choses spirituelles, prendre de la distance vis-à-vis des diverses familles de l'anabaptisme et adopter une position nette vis-à-vis des libertins.

Il s'agit d'une réelle nouveauté, jusqu'ici nous en étions aux cercles de discussion et certains trop timorés avaient encore espéré que les autorités papales et politiques leur feraient droit.

Guy de Brès, pasteur, à Tournai et ailleurs

Guy de Brès originaire de Mons ( né en 1522 ), devint artisan verrier et s'intéressa aux Écritures et à la diffusion des idées réformatrices. Inquiété pour s'être joint à des réunions interdites, il quitta Mons pour l'Angleterre où il reçut sa première formation, ensuite il se rendit à Lille où il travailla à l'édification de l'église de la Rose ( surnom de la communauté lilloise ). Il y consacrera quatre années.

En 1556 à Lille, quand l'opposition devient très forte, Guy de Brès dût à nouveau s'enfuir. Cette persécution violente désorganisa l'église de Lille, quatre membres de la famille Augier, père, mère, fils et fille, furent exécutés. L'un d'eux décrit, dans son interrogatoire, la simplicité des réunions que présidait Guy de Brès : " Quand nous sommes assemblés au nom de notre Seigneur pour entendre sa sainte Parole, nous nous prosternons tous ensemble à deux genoux en terre, et, en humilité de cœur, nous confessons nos péchés devant la majesté de Dieu ; après, nous faisons tous notre prière afin que la Parole de Dieu soit purement prêchée. Nous faisons aussi les prières pour notre sire et pour tout son conseil, afin que la chose publique soit gouvernée en paix, à la gloire de Dieu ; et vous aussi vous n'y êtes pas oubliés, messieurs les échevins, comme nos supérieurs, priant notre Dieu pour vous et pour toute la ville, afin qu'Il nous maintienne en tout bien ".

Cette description, évoque l'organisation du culte réformé centré sur l'écoute et la prédication de la Parole, la recherche du pardon de Dieu. Elle exprime aussi la loyauté des fidèles qui prient pour les autorités : les réformés ne sont pas des contestataires qui refusent le pouvoir civil, ils font preuve, même si cela doit leur coûter la vie, de loyauté envers les autorités. C'est en cela précisément qu'ils se différencient des courants illuministes de l'anabaptisme.

Commence alors pour lui un ministère itinérant ranimant les foyers de la Réforme créant de nouvelles communautés " évangéliques "  qu'il groupa selon le système calviniste en consistoires, synodes régionaux et nationaux. Il leur donna comme étendard la Confession de foi des églises belges : la " Confessio belgica ". Imprimée le 25 mai 1561, cette confession fut acceptée au Synode d'Armentières le 26 avril 1563.

Il est important de noter que c'est pendant la période de l'exercice de son ministère tournaisien que Guy de Brès publie cette confession, ouvrage qui le fera connaître plus tard dans le monde entier. Il s'était déjà attelé à la rédaction du Bâton de la foi qui exprimait la spécificité de l'enseignement réformé. Ici le texte sert de base à la structuration d'églises locales en divers lieux, unies par une foi commune. L'intention, est bien dans la lignée de Calvin d'édifier une Église réformée qui marque sa filiation avec la Parole et l'Église ancienne, pour marquer ses distances avec le catholicisme romain et la papauté et encore une fois avec l'anabaptisme.

Pour Guy de Brès comme pour Calvin, il est insoutenable que toutes les accusations d'hérésies soient considérées de manière égale par leurs adversaires. Si l'intention des confessions de foi est bien d'organiser l'Église autour d'une charte doctrinale commune qui permette la vie synodale, elle vise aussi à préciser que les réformés se situent dans l'orthodoxie doctrinale et à le faire entendre aux autorités royales d'alors. Les réformés ne sont ni schismatiques, ni rebelles, ni hérétiques, mais des croyants qui reconnaissent l'autorité souveraine des Écritures, confessent leur foi en Jésus Christ et en l'Église, tant que celle-ci n'est pas corrompue par des inventions humaines. Elle est d'ailleurs précédée d'une épître dédicatoire : " Les fidèles qui sont aux Pays-Bas et qui désirent vivre selon la vraie réformation de l'Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ au Roi Philippe, leur Souverain Seigneur. "

Guy de Brès alla jeter quelques exemplaires de la Confession de foi pendant la nuit du 1er novembre 1561 au-dessus des remparts du château du gouverneur du Hainaut à Tournai pour que cet écrit parvienne au roi, selon l'usage du temps.

Le paquet contenait une lettre par laquelle des habitants de Tournai se plaignaient des persécutions religieuses. Le lendemain, les commissaires écrivirent à Marguerite de Parme sœur de Philippe II : " Madame, ce jourd'hui à l'ouverture de la porte de ce château a été trouvé, jeté en dedans… un paquet clos et cacheté, contenant leur confession qu'ils disaient plus de la moitié de cette ville, nous présenter d'un commun accord, ainsi que plus de cent mille hommes afin que nous sachions la pureté de leur doctrine. "

Les commissaires de la Régente trouvèrent la maison où habitait Guy de Brès à Tournai dans la paroisse Saint Brice. Dès qu'ils surent qu'on était sur sa piste, les amis du pasteur, en son absence, portèrent tous ses livres et papiers au jardin pour y mettre le feu ; mais la fumée attira l'attention des commissaires qui accoururent et purent encore saisir deux cent cinquante exemplaires de la confession de foi, des livres de Luther et de Calvin et toute sa correspondance.

La gouvernante donna ordre de brûler tout ce qu'on avait trouvé après en avoir fait l'inventaire précis. La bibliothèque que l'on découvrit là était impressionnante. Ainsi, mis à part des papiers divers, il a été possible de découvrir une correspondance soutenue avec Calvin, des sermons, des ouvrages d'édification. Ceci permet de souligner au passage la volonté de diffusion des thèses de la Réforme, mais aussi, et surtout relativement à notre propos, de remarquer que la bibliothèque du pasteur réformateur était visiblement bien fournie, puisque le rapport d'enquête des commissaires de la gouvernante précise qu'il y avait dans cette collection d'ouvrages des " livres très pernicieux de Calvin, Luther, Mélanchton, Œcolampade, Zwingli, Bucer, Bullinger, Brentius, et tous autres hérésiarques tant en français, qu'en latin, avec plusieurs autres livres grecs, et autres divers rassemblés la plupart hérétiques et défendus… "

Guy de Brès se trouvait alors à Valenciennes. Il organisait en plein air des cultes qui réunissaient des milliers de personnes. En décembre 1561, il se rendit à Amiens où il prêcha dans la maison du Seigneur de Picquigny, vidame d'Amiens . Les inquisiteurs firent irruption et s'emparèrent de plusieurs huguenots et de Guy de Brès. Cependant il put cacher sa véritable identité et fut relâché grâce à l'intervention de Jean de Monchy, baron de Vismes, lieutenant général du prince de Condé, gouverneur de Picardie. Pendant ce séjour à Amiens, le réformateur sous différents déguisements, se rendit à Bruxelles pour conférer avec Guillaume d'Orange dans le but de maintenir la concorde entre luthériens et calvinistes. Il rencontra aussi à Metz son collègue Jean Taffin. Guy de Brès séjourna à Sedan vers 1563-66. Il était protégé par le duc de Bouillon, prince protestant. C'est là qu'il composa son ouvrage : " La Racine, source et fondement des Anabaptistes ", Sedan 1565.

Visiblement il était convaincu que même si les autorités pourchassent et malmènent les réformés ceux ci ont le devoir de faire entendre leur voix. Ils doivent le faire pour que les soupçons malsains et les accusations qui planent sur eux ; bref les calomnies, soient levés. Les princes ne doivent pas être des bourreaux. Bon sens, charité, sont ici mis en avant et il ne s'agit pas de faiblesse quand on connaît les combats que Guy de Brès a menés. Fugitif, il aurait pu rester à l'abri de la répression, donner ses ordres de loin, s'enfermer dans une citadelle, ce ne fut pas le cas. Il décida de revenir moins de quatre mois après son exécution en effigie à Tournai (1562). Il laissa sa femme et ses cinq enfants à Sedan et revint dans nos provinces où il continuera son œuvre de pasteur itinérant visitant même des détenus. Il fut traqué, recherché, arrêté, relâché, puis finalement condamné et exécuté. En juin 1566, il se trouvait aux Pays-Bas à Anvers, suppléant François du Jon, envoyé à un synode. Il répondit alors à l'appel des Valenciennois et bien que les menaces sur sa vie soient réelles, il n'hésita pas avec Pérégrin de la Grange et Jean Crespin, alors dans la ville, à venir y prêcher et à célébrer la cène.

C'est sur une lettre pressante du pasteur Pérégrin de la Grange qu'il arriva le 9 août. Il fut hébergé chez sa sœur Maillette, puis logea chez Charles de Liévin, Seigneur de Famars. Il présida des cultes en plein air devant une population gagnée au protestantisme. Une délégation de neuf pasteurs se rendit à Bruxelles auprès de Marguerite de Parme pour demander l'usage de quelques églises catholiques en hiver. La réponse fut ambiguë : " …les prêches seraient autorisés là où ils avaient déjà eu lieu. ". Alors, au retour de la délégation, la population de Valenciennes déçue, se rua sur les édifices religieux, les dépouillant de tout ce qui leur rappelait l'ancien culte.

Les pasteurs blâmèrent ces violences mais le flot déchaîné ne pouvait plus être endigué. Le mouvement iconoclaste eut lieu à Valenciennes, fin août. Dans l'église de Saint Jean et celle du Béguinage, les pasteurs Guy de Brès et Pérégrin de la Grange prêchèrent devant un auditoire enthousiaste. Mais Guy de Brès trouvait que la violence iconoclaste desservait la cause réformée à la différence de Pérégrin de la Grange. Dès le 26 août de cette année 1566, les protestants qui composaient la grande majorité de la population refusèrent de sortir de la ville pour assister aux prêches ; ils prirent possession des églises de Saint-Jean et du béguinage. Le consistoire demanda alors deux églises en plus de celles de Saint Géry et de Saint Vaast ; cela n'était pas sans poser problème aux magistrats qui consultèrent le gouverneur du Hainaut, Noircarmes. Ce dernier souhaitait que Pérégrin de la Grange soit expulsé. Le consistoire s'y refusa et obtint l'autorisation de bâtir des temples. Marguerite de Parme s'obstina à refuser la célébration de la cène, ce qui provoqua des rassemblements sur la Grand-Place pour réclamer la possibilité de sa célébration.

Lesévénements s'envenimèrent, Noircarmes rassembla ses troupes et demanda à la ville d'accepter la présence de ses soldats. Consistoire et autorités locales refusèrent, Péregrin de la Grange voulut faire appel à l'aide des huguenots français et Guy de Brès souhaita appeler à l'aide des " gueux ".

La répression commença alors, Noircarmes, vint assiéger Valenciennes. La population résista plusieurs mois dans ses remparts. Quand la famine se fit sentir, on parla de reddition, ce qui eut lieu fin mars 1567. Quelques jours avant, Guy de Brès et trois autres protestants descendirent des remparts, s'échappèrent en barque sur l'Escaut, passèrent par les bois ensuite par la Scarpe et près de Saint-Amand, mais ils furent arrêtés à Rumegies, conduits au château de Tournai, transférés au bout de 15 jours à Valenciennes, le 16 avril, jetés dans la prison du Brunain, condamnés à mort et pendus le 31 mai 1567. Guy de Brès cria avant de mourir : " Soyez soumis au Magistrat mais fidèles à la vérité ". Le soir ses amis vinrent prendre son corps et lui donner sépulture au cimetière du Mont d'Anzin.

Pendant sa détention il trouva encore le courage d'écrire à ses coreligionnaires et à sa famille pour leur redire qu'il savait maintenant qu'il endurerait la peine capitale, le martyr. Devant ses juges et enquêteurs il réaffirma qu'il est nécessaire de rester fidèle et de vivre en conformité avec sa conscience. Il l'écrira à sa femme, à sa mère, aux fidèles des églises clandestines pourtant bien réelles.

La semence répandue par Pierre Brully et Guy de Brès, continua de croître, bientôt de nombreuses églises réformées clandestines vont se créer un peu partout. Nous savons peu de choses sur la manière dont elles se formèrent puisqu'il s'agit essentiellement de groupes qui se sont constitués en restant ignorés des autorités. Les dangers encourus étaient trop grands. En évoquant ces églises on parlera pour cette raison
d’ " Églises sous    la Croix ". Privées du droit d'existence, soumises à tous les dangers de la dénonciation et de la condamnation ; frappées par des édits injustes et cruels, obligées de se méfier des espions, pourchassées par l'Inquisition, ces églises grandirent néanmoins de jour en jour sous des noms de code symboliques, l'église de Tournai était baptisée La Palme.

Toutes ces Églises étaient organisées autour de pasteurs, anciens prêtres parfois. Elles regroupaient des hommes doués pour la parole publique. Ces pasteurs et prédicateurs étaient entourés de diacres et d'anciens. Ce que nous appelons aujourd'hui conseils presbytéraux étaient nommés consistoires, ils organisèrent partout la vie des églises autour du culte, de la lecture de la Bible, du soutien aux faibles. Dans ces lieux d'enseignement où l'on ne cessa de dénoncer l'idolâtrie catholique romaine, s'il y eut parfois des manifestations d'exaltés, dans la majorité des cas, la piété était secrète et authentique. Les protestants venaient d'inventer le droit de résister !

Frédéric Verspeeten

Bibliographie essentielle :

Altemeyer, J.J., Les précurseurs de la Réforme aux Pays Bas, Paris et Bruxelles, 1886.

Beuzart, P., Les hérésies pendant le moyen age et la Réforme jusqu'à la mort de Philippe II, 1598, dans la région de Douai, Arras et au Pays de l' Alleu. Le Puy, 1912.

Braekman, E, M, Guy de Brès, Bruxelles, 1960.

Calvin, Jean, Institution de la religion Chrétienne, réédition, Labor et Fidès, 1957.

Crespin, J., Procédures tenues à l'endroit de ceux de la religion du Païs Bas, Genève 1568.

Crespin, J., Histoire des martyrs, Toulouse 1889.

Wendel, François, Calvin. Source et évolution de sa pensée religieuse, Paris, PUF, 1950 ; édition, revue, Genève, Labor et Fides, 1985.

 

 

 

Septembre 2012