Titre de l’ouvrage : Les racines juives du christianisme

Auteur : Frédéric Manns

Edition : Presses de la Renaissances

Séquence 09 : pages 050 à 054

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La foi rend juste

Fils de pharisien, Paul croyait avant sa conversion que l’observance de la Torah lui vaudrait d’être considéré


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comme juste. Et voici que le Christ ressuscité l’appelle gratuitement. Son univers religieux s’effondre. Dans les lettres aux Galates et aux Romains, Paul a développé la doctrine de la justification par la foi en Jésus-Christ à l’exclusion des œuvres de la loi mosaïque. La foi n’est pas une démarche intellectuelle. Elle est la confession de la divinité du Christ, un don total et irrévocable de sa personne à Celui en qui il reconnaissait le Fils de Dieu. « Que dois-je faire, Seigneur ? » Ac 22, 10. Paul est tout entier dans cette réponse au Ressuscité. Une foi abstraite, sans influence sur la vie, est pour lui inconcevable. La foi qui justifie, c’est « la foi agissante par la charité » Gal 5, 6), la foi accompagnée des « bonnes œuvres que Dieu a préparées pour que nous les pratiquions » Ep 2, 10). Confiance en la parole du Christ, la foi comporte le repentir des fautes et le propos de changer de vie. Paul ne cesse d’insister sur la fuite du péché, la mise à mort du vieil homme qui doit faire place à l’homme nouveau (Rm6, 6), la pratique assidue de toutes les vertus unies par la charité (1 Co 13). La démarche décisive de la foi avec tout ce qu’elle comporte aboutit à la demande du baptême et à une conversion radicale qui fait du chrétien une « nouvelle créature » (Ga 6, 15).

Foi et Torah

La justification par la foi au Christ suppose que « les œuvres de la Torah » (Ga 2, 16) sont impuissantes à obtenir la justification. Si l’observance de la Torah pouvait justifier, il faudrait en conclure que le Christ est mort pour rien (Ga 2, 21) et que le sacrifice de la Croix a été inutile, ce qui serait une absurdité manifeste. La Loi a


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été clouée à la croix par le Christ (Col 2, 14), elle ne saurait être imposée aux convertis. Dans l’Epitre aux Romains, Paul retrace l’histoire de l’humanité depuis Adam (Rm 5, 12) jusqu’à la venue du Christ. Juifs et païens ont fait échec au plan de Dieu. Tous sont l’objet de la colère de Dieu et voués au châtiment. Pourtant, les juifs avaient la Torah qui devait leur servir de guide. Quant aux païens, c’est la conscience qui était la loi inscrite dans leurs cœurs. Les juifs se sont glorifiés de leur relation privilégiée avec Dieu  grâce à la Torah. Ils ont interprété l’Alliance comme un privilège, au lieu de l’envisager comme une mission. En fait, la Torah fut pour eux une occasion de désobéir (Rm 4, 15). Le païen non plus n’a pas été fidèle à sa conscience. Il s’est livré au péché (Rm 7, 14). Mais, sans la Torah, la justice de Dieu s’est manifestée. A l’ère de la colère succède celle de la justice. Dieu fait miséricorde à l’égard de tous par pure grâce. Sur ce fondement, l’homme nouveau est construit. Il est fidèle grâce à l’Esprit (Rm 8, 2). Il n’y a plus de différence entre juifs et païens qui étaient soumis sans distinction au péché et qui sont justifiés en vertu de la rédemption (Rm 3, 24). Paul montre avec beaucoup d’habilité qu’Abraham a été justifié par sa foi à la promesse divine d’une postérité innombrable ; non par la Loi mosaïque, postérieure de plusieurs siècles (Ga 3, 6-9), ni même par la circoncision, mais bien par la foi (Rm 4, 1-12). Le chrétien à son tour est justifié par la foi en Jésus qui a le même objet que celle d’Abraham, à savoir les promesses divines réalisées par le Christ (Rm 4, 16-25). C’est donc par la foi que Dieu justifie, tant avant la promulgation de la Torah qu’après son abolition : de Moïse à Jésus-Christ, quand la loi était en vigueur, elle ne concourait à la justification chez les saints du premier


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Testament que parce que la foi se joignait aux promesses, comme pour Abraham. Les œuvres de la Torah n’ont jamais pu justifier par elle-mêmes. S’il en était autrement, le caractère gratuit et transcendant de l’ordre surnaturel serait compromis. L’homme n’est pas justifié par ses œuvres : la foi elle-même est un don de Dieu. En aucune manière, l’homme ne peut se glorifier comme s’il était l’auteur de son salut (Ga 5, 5-6). C’est humblement qu’il doit accueillir le don du salut. Dans son ode intitulée « L’Esprit et l’eau », Paul Claudel fait la même expérience : « Mon Dieu vous voyez que je ne suis pas seulement esprit, mais eau. Ayez pitié de ces eaux qui en moi meurent de soif. Et l’Esprit est désirant, mais l’eau est la chose désirée. »

Le raisonnement de Paul vise à la fois certains convertis qui estimaient que la Loi restait toujours en vigueur et les juifs qui prétendaient observer par leurs seules forces la Loi et les traditions que les maîtres y avaient ajoutées et aboutissaient à une impasse. La Torah ne justifiait pas sans la foi.

Unité et pluralisme

Sur la route de Damas, Paul a compris que le Christ et l’Eglise, c’est tout un. Dans la première lettre aux Corinthiens, il développe cette pensée. Il avait dû intervenir à propos des divisions au sein de la communauté. Des divisions s’étaient manifestées aussi dans les assemblées liturgiques. De plus, dans les communautés, des groupes


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de croyants se réclamaient de Paul, d’autres d’Apollos, d’autres encore de Céphas. Paul combat cette sagesse humaine. Dans les écoles philosophiques, les maîtres recrutaient des disciples. Si la même division se produisait dans l’Eglise, elle serait vouée à s’émietter en différents groupuscules. Le christianisme n’est pas une philosophie, un produit du génie humain. Le message de l’Evangile a été accueilli non par les philosophes, mais par les pauvres et les petits. Le Règne est promis aux pauvres, aux doux et aux miséricordieux. La sagesse de Dieu est folie aux yeux des hommes.

La double formation de Paul, hellénistique et juive, allait lui être utile. Paul a dû affronter la mentalité hellénistique en ce qui concerne le corps. Pour les grecs, le corps est négligeable, il est un obstacle à la réalisation totale de la destinée humaine. Il est le tombeau de l’âme. « Sôma, sêma », répétaient les Grecs. Pour la Bible, le corps est une créature de Dieu. L’homme est un corps vivant. Même le corps est appelé à être glorifié. Paul doit défendre la dignité du corps. Il ne tolère pas le recours aux prostituées (1 Co 6, 12-20) et il excommunie l’incestueux qui vit avec la femme de son père (1 Co 5, 1-13). C’est la dignité du corps qui l’exige : le corps est le temple de l’Esprit, et le devoir du chrétien est de s’en servir pour offrir à Dieu le culte de sa fidélité. Le corps est appelé à ressusciter, car la résurrection du Christ, premier-né d’entre les morts, signifie qu’il entraîne toute l’humanité de la mort à la vie. En définissant le corps comme temple de l’Esprit, Paul reprenait une ancienne tradition juive, qui soulignait que tous les éléments présents dans le temple de Jérusalem trouvaient leur correspondance dans le corps humain et dans le cosmos. Il y a donc trois temples où l’homme peut rencontrer Dieu.

 

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