Titre de l’ouvrage : Les racines juives du christianisme

Auteur : Frédéric Manns

Edition : Presses de la Renaissances

Séquence 11 : pages 059 à 062

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Typologie du premier Testament

Aux pieds de Gamaliel, Paul avait appris à lire les Ecritures. Mais le Christ ressuscité s’était manifesté à lui comme celui qui accomplit les Ecritures. La lecture midrashique devait céder le pas à la lecture christologique. Dans les évènements du premier Testament, Paul voit le type, la préparation de ceux du Nouveau. La tradition johannique applique au Christ les épisodes du serpent d’airain (Jn 3, 14), de la manne (Jn 6, 32-33, 58), de l’eau vive (Jn 7, 37-38), du bon pasteur (Jn 10, 11). Les Synoptiques exploitent le même procédé : les psaumes 22 est appliqué au Christ durant sa passion (Mt 27, 46) et Jésus est l’époux véritable et la vraie vigne (Mc 2, 19-20), la pierre angulaire (Mc 12, 10-11). Saint Pierre (1 Pi 2, 22-25) et Jean, l’auteur de l’Apocalypse, sous-entendent la même doctrine. Paul pose en principe que la Loi est l’ombre des choses (Col 2, 17) et en fait de nombreuses applications : Adam le type ou figure du Christ (Rm 5, 12) ; la justification d’Abraham par la foi préfigure celle des chrétiens (Rm 4, 17-23) ; le Christ est le véritable agneau pascal (1 Co 5, 7) ; la première alliance annonce conclue dans le sang du Christ (1 Co 11, 25) ; la manne du désert et l’eau jaillit du rocher symbolisaient les sacrements chrétiens (1 Co 10, 1-6) et le châtiment des israélites d’entrer en terre promise à cause de leur indocilité doit faire redouter aux chrétiens la colère divine s’ils suivent cet exemple (1 Co 10, 6-11) ; l’union de l’homme et de la femme doit prendre modèle sur celle du Christ et de l’Eglise (Ep 5, 22-33) ; l’Israël, descendance charnelle d’Abraham, préfigure l’Israël nouveau, selon l’Esprit (Ga 3, 7-9, 26), l’Israël de Dieu


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(Ga 6, 16), qui n’est plus limité à un seul peuple, mais embrasse toute l’humanité (Ga 3, 26-28).

Lecture spirituelle de l’Ecriture

Paul scrute ainsi le sens profond du premier Testament. Les esséniens avaient déjà comparé les Ecritures aux puits d’eau vive donnés au peuple dans le désert. Les rabbins comparent eux aussi la Torah à l’eau. Cependant, pour Paul, les Ecritures sont orientées vers le Christ. Oublier cette orientation messianique, c’est faire preuve d’aveuglement. Le voile qui était sur le visage d’Israël dans la lecture du premier Testament tombe définitivement quand on se convertit au Seigneur (2 Co 3, 13-16). Ce raisonnement, sans doute valable seulement pour qui reconnaît le caractère inspiré et prophétique de l’Ecriture, apporte une confirmation aux autres preuves de la foi. Exceptionnellement, Paul l’emploie dans l’allégorie de Sara et Agar (Ga 4, 21-31) avec une subtilité digne des méthodes rabbiniques. Il y a donc toute une gamme dans l’utilisation de l’Ecriture par Paul ; chaque citation doit être pesée pour ne pas majorer ni minimiser son enseignement.

L’unité et la continuité des deux Testaments ont pour complément et couronnement la continuité entre la vie de la grâce ici-bas et la vie éternelle.

Le don de l’Esprit Saint fait du chrétien l’enfant du Père céleste et le frère et cohéritier du Fils (Ga 4, 6-7). Le chrétien devient fils dans le Fils. Il est transformé jusque dans le tréfonds de son être et établi dans un état nouveau, qu’il peut perdre par le péché, mais qui ne diffère de la vie éternelle qu’en degré et non en nature. Les


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lettres de Paul reviennent de diverses manières sur cet aspect du mystère rédempteur. Le chrétien vit dans le temps et dans l’éternité : les derniers temps sont commencés pour lui. La parousie, présence du Christ dans les cœurs (Ep 3, 17), est le commencement de sa parousie finale dans la gloire ; notre vie, cachée maintenant en Dieu avec le Christ, s’épanouira avec lui lors de son retour dans la gloire (Col 3, 3-4). La célébration eucharistique, au cours de laquelle les chrétiens annoncent le retour du Christ, est le lien par excellence entre ces deux évènements (1 Co 11, 26). Les arrhes et les prémices de l’Esprit que nous possédons maintenant (2 Co 1, 22) garantissent le don total. Nous vivons de la vie de Christ (Ga 2, 20). Le règne de Dieu est commencé, en attendant de devenir complet et définitif (1 Co 15, 24-28). Dieu nous appelle à son royaume et à sa gloire (1 Th 2, 12) et nous y a maintenant introduits, nous arrachant à la puissance des ténèbres (Col 1, 13). Paul reprend la définition de la Pâque juive pour parler de la Pâque définitive. C’est en espérance que nous avons été sauvés (Rm 8, 24). Cependant notre salut est partiellement acquis, nous sommes dans les jours du salut (2 Co 6, 2).

La délivrance du péché et de la mort est commencée ; il s’agit de demeurer fidèle. Le chrétien n’est pas « destiné à la colère, mais à l’obtention du salut par Jésus » (1 Th 5, 9). Il est sauvé par la bonté de Dieu, moyennant la foi (Ep 2, 8). Temps et éternité se compénètrent. Bien que vivant sur la terre, le chrétien est déjà citoyen des cieux (Ph 3, 20). Paul retourne en tous sens cette pensée qui caractérise l’espérance chrétienne : elle ne peut tromper (Rm5, 5). Une défaillance et un échec ne sont pas possibles. La connexion constante des deux perspectives,


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temporelles et éternelles, qui s’entremêlent peut à première vue paraître obscure. La juxtaposition de deux horizons était déjà connue dans la pensée apocalyptique.

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