Titre de l’ouvrage : Les racines juives du christianisme

Auteur : Frédéric Manns

Edition : Presses de la Renaissances

Séquence 16 : pages 086 à 090

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La catéchèse et la liturgie

C'est dans les assemblées liturgiques que les croyants expérimentaient la présence mystérieuse du Maître. Les chrétiens se montraient assidus à l'enseignement des apôtres et à la fraction du pain. Des sentences du Maître étaient alors récitées.

Il était urgent de rappeler aux croyants les gestes du Maître pour éclairer les chrétiens qui avaient des problèmes de conscience dont certains avaient un relent polémique : fallait-il continuer à jeûner comme les juifs, à observer les lois de purification et les interdits alimentaires ? L'observance du sabbat était-elle encore obligatoire ? Le divorce que le judaïsme acceptait était-il admis par Jésus ? Jusqu'où devait aller le pardon ? Qui était le prochain qu'il fallait aimer comme soi-même ? Comment fallait-il prier, comme les disciples de Jean Baptiste? Le Shema Israel et les prières juives récitées à l'aurore restaient-ils valables après la Résurrection ? Ainsi sont nées des chaînes de réponses aux problèmes de la


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vie chrétienne qui se détachent progressivement du judaïsme.

Les Actes des Apôtres soulignent avec emphase que les premiers chrétiens continuaient à fréquenter le Temple et à prier avec les juifs. Mais ils avaient aussi leurs assemblées de prière et leurs réunions eucharistiques. C'est alors qu'ils célébraient la fraction du pain en proclamant la mort de Jésus jusqu'à ce qu'il revienne. Ils conservèrent l'expression araméenne « Marana tha », « Viens, Seigneur Jésus ». C'est au cours de ces assemblées liturgiques que prirent forme les récits de la Cène, de la Passion et des apparitions du Ressuscité. Ces textes furent livrés à la mémoire. Paul pourra dire aux chrétiens de Corinthe: « Je vous ai transmis ce que j'ai moi-même reçu. » On reconnaît ici les formules techniques pour parler de la tradition orale.

Une tradition vivante

La mission, la catéchèse et la liturgie favorisèrent l'éclosion de la tradition évangélique. Il s'agit bien d'une tradition vivante, car les témoins du Christ ne cherchèrent jamais à être des répétiteurs monotones d'un texte écrit. Ils savaient que la Parole de Dieu s'était incarnée. Elle avait pris visage en Jésus. Il s'agissait moins de transmettre des souvenirs du passé que de communiquer un message capable de changer la vie des croyants. Ce message pouvait être adapté aux besoins des auditeurs, car la lettre tue et l'Esprit fait vivre.

Le passage d'une civilisation rurale, comme l'était le milieu galiléen, à une civilisation urbaine exigea également des adaptations. Il fallait déplacer l'accent de telle


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ou telle parabole si les destinataires avaient des problèmes différents. La maison bâtie sur le sable de Mt 7, 27 devient la maison bâtie à même le sol chez Lc 6, 49. Le récit d'un miracle de Jésus servira tantôt à illustrer qu'en Jésus s'est manifestée la puissance de Dieu et tantôt à montrer qu'en Jésus se réalise le salut.

En adaptant ainsi le message de Jésus, les communautés le trahissaient-elles ? Elles avaient trop conscience de la fidélité à garder à l'enseignement de Jésus: « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » Elles savaient aussi, depuis la résurrection de Jésus, que ses paroles étaient lourdes d'un enseignement inattendu au début. La tradition juive reconnaissait qu'un texte pouvait avoir jusqu'à soixante-dix sens. L'Esprit, la mémoire de l'Église, continuait à inspirer la communauté et la portait vers la vérité tout entière. C'est lui qui rappelait les paroles de Jésus dans leur matérialité, mais il en révélait aussi le sens profond. C'est ainsi qu'au lieu d'avoir un seul Évangile, nous en avons quatre.

Comment les paraboles de Jésus, les chaînes de controverses, les récits liturgiques furent-ils réunis ? Le coefficient de cristallisation fut sans doute le désir de posséder un enseignement complet de Jésus, un aide-mémoire à l'usage des missionnaires.

Dans la rédaction définitive, certains événements s'agglomérèrent à propos d'un site ou d'une région : ainsi, la journée type de Capharnaüm en Mc 1, 21-38, et les miracles autour du lac en Mc 4, 35 et 5, 43. La section des pains est ainsi appelée parce que le mot « pain » est le mot-crochet qui unit les diverses péricopes. D'autres fois, c'est un personnage, comme Jean Baptiste, qui est le centre d'intérêt.

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Lorsque les convertis venus du judaïsme et du paganisme portèrent un intérêt plus grand à l'histoire concrète de Jésus et à ses traits humains, Matthieu et Luc ajoutèrent les Évangiles de l'enfance.

La Tradition, a donc précédé l'Ecriture. Elle est la mémoire de l'Eglise, mémoire que l'Esprit approfondit dans les communautés. Les Évangiles sont inséparables de l'Église dans laquelle ils sont nés. Même si les évangélistes n'avaient pas le même souci historique que celui qui caractérise nos contemporains, ils ont rapporté les paroles exactes du Maître et n'ont pas trahi son enseignement. L'existence d'un Évangile sémitique aux origines est attestée par les Pères de l'Eglise. Il paraît naturel de situer sa rédaction à Jérusalem.

Lorsque le christianisme se répandit hors d'Israël, il devint nécessaire d'adapter cet Évangile au milieu grec. Une première version fut réalisée, probablement à Antioche sur l'Oronte. Différentes considérations de vocabulaire amènent à penser que Pierre avait élaboré cette adaptation pendant son séjour à Antioche (Ga 2, 11).

Au cours de ses missions lointaines, Paul se servait sans doute de la tradition de Jérusalem (1 Co 11, 23). Mais, lorsqu'il quittait les régions évangélisées, il se devait de laisser à ses communautés un témoignage de sa prédication en langue grecque. C'est probablement au cours de son troisième voyage missionnaire qu'une nouvelle adaptation de l'Évangile de Jérusalem fut réalisée.

Quant à la source Q, commune à Matthieu et à Luc, sa rédaction peut être située à Césarée. Il s'agit d'une catéchèse complémentaire à l'usage des convertis du paganisme. En effet, Dieu n'y est pas présenté comme le Dieu de l'alliance avec Israël, mais comme le Créateur dont la Providence s'étend à tous les hommes. Les


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sentences rassemblées dans ce document manifestent de la sympathie pour Tyr et Sidon, de l'indulgence pour Sodome et Gomorrhe, de l'admiration pour les Ninivites et pour la reine de Saba. Abel, Noé, Lot y sont l'objet de louanges. Un amour sans frontières y est enseigné. La principale guérison qu'on y lit est celle du serviteur d'un centurion. Ces tendances universalistes paraissent remarquables. Ce document est en fait un recueil catéchétique adapté aux besoins de païens semblables à Corneille (Ac 10-11).

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