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LE FIGARO | RUBRIQUE FORUMS | 12
02 2007 |
Dans
un monde idéal, l’accès à l’emploi,
à la promotion, au logement, à la considération ne
serait subordonné à aucune distinction d’âge,
de sexe, d’état de santé, d’origines. Ce
serait un monde où hommes et femmes seraient assurés de
naître et de vivre « libres et égaux en droit
» ainsi que le leur promettait, il y a déjà plus de
deux siècles, la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi
libres et égaux face aux opportunités et défis de la vie réelle.
Depuis sa création, en
2005, c’est à une égalité réelle des droits et des chances qu’oeuvre la Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l’égalité. Sans naïveté. Sans défaitisme
non plus. Croire à la civilisation, ce n’est pas s’effrayer de ses bégaiements,
de ses imperfections, de ses reculs réels ou apparents, mais toujours
préférer l’action au renoncement.
Ainsi en va-t-il de la lutte contre les discriminations, contre toutes les
formes de discriminations. Aucune d’entre elles n’est très nouvelle. En
matière de salaires, de promotion professionnelle, d’accès aux plus hautes
responsabilités, les hommes conservent un net avantage sur les femmes mais,
si criant demeure-t-il, l’écart s’est amoindri. De même, il n’était pas non
plus facile de se vouloir Français pour qui venait jadis de Pologne ou
d’Italie ou un harki rapatrié. C’est embellir le passé et noircir le présent
que de prêter à la France
d’hier un mode d’intégration aussi enviable qu’indépassable et de conclure
maintenant à sa faillite complète.
Non, la nouveauté est moins dans la nature des discriminations,
dans leur aggravation ou leur amoindrissement que dans leur perception.
Elles sont devenues plus audibles et moins acceptables. Là
où, face aux diverses formes d’exclusion,
l’indifférence des uns forçaient les autres
à la résignation, la norme n’est plus au fatalisme,
au consentement passif ou imposé à l’ordre ou au
désordre des choses. Si longtemps après la proclamation
de notre principe d’égalité, le progrès
n’est peut-être pas très grand, mais c’en est
un malgré tout.
La HALDE
contribue à ce progrès en agissant sur tous les terrains, contre toutes les
discriminations et avec tous les moyens utiles à l’efficacité de son action.
Parmi ces terrains, il y a l’école, toutes les formations, le logement, et
bien sûr l’emploi. C’est par l’emploi que se fait durablement ou ne se fait
pas l’intégration, par lui que s’ouvre l’avenir des jeunes, que se ferme trop
vite, s’ils le perdent avant l’heure, celui de leurs aînés, et, entre ces deux
âges, par lui aussi que se perpétuent ou se réduisent les inégalités entre
hommes et femmes. Il est donc normal que plus de 40% des plaintes que reçoit la HALDE porte sur l’emploi.
Parmi les causes de discrimination, les plus exprimées renvoient à l’origine,
la couleur de peau. A l’inverse, les discriminations liées au fait d’être une
femme, et encore plus à l’âge, laissent plus souvent sans voix celles et ceux
qui en sont victimes, comme si elle les enfermait dans la résignation.
Face à toutes ces discriminations, la HALDE
ne néglige ni ne privilégie aucune des armes que peuvent
être, ici, la sanction, là, l’opposition des bonnes
aux mauvaises pratiques, ailleurs les recommandations. La sanction
quand les mauvaises pratiques sont avérées, parce que
l’inaction encouragerait autant leur persistance qu’elle
désespérerait les victimes. La diffusion des bonnes
pratiques parce que les discriminations résultent souvent
d’un ordre de préférence que gouvernent le
réflexe plus que la réflexion, les forces
d’habitude plus que celles du rejet, l’inclination aux
ressemblances plus que le refus de la diversité. Les
recommandations aussi souvent qu’elles sont utiles à
l’évolution de la réglementation, à
l’information et à l’action des institutions.
La Halde
pratique aussi le test de discrimination ou « testing » afin de mettre à jour
les discriminations, notamment les discriminations à l’embauche que ne
suffisent pas à révéler les plaintes individuelles. L’envoi de C.V.
identiques, sous des identités de diverses origines, en est un exemple. Elle
ne s’interdit pas d’en divulguer les résultats. C’est moins gratifiant que la
diffusion des bonnes pratiques, mais négative ou positive, cette forme de
publicité, par ses effets d’émulation ou de dissuasion participe du même esprit.
Quel que soit le terrain, la plus sûre alliée des discriminations reste la
survivance ou la résurgence des préjugés. Sur celui de l’emploi, il y aussi
le chomage. Le plein emploi n’abolirait pas les préjugés mais, en limitant le
nombre de candidats à un même poste, il amoindrirait la tentation de préférer
la ressemblance à la diversité. Cela vaut aussi pour l’accès au logement. Si
l’offre et la demande étaient mieux équilibrées, le choix qui pénalise
souvent certaines populations serait moins aisément discriminatoire.
Face à cette réalité là, la
Halde est démunie. Il n’entre pas dans ses capacités, de
réduire le chomage ou d’augmenter le nombre de logement. Il lui faut donc
prendre le monde tel qu’il est, et concentrer son action sur la racine du mal,
c’est-à-dire les préjugés.
Voilà pourquoi, entre sanctions et recommandadations, elle fait de la
diffusion des bonnes pratiques son axe central. Le combat de la HALDE est d’abord éthique,
mais il est aussi affaire d’efficacité économique et de cohérence sociale.
D’efficacité économique, car une politique de recrutement qui privilégie les
ressemblances au détriment de la diversité se prive, aveuglément, de talents.
D’efficacité économique, car c’est défier le simple bon sens que de pratiquer
la discrimination par l’âge là où l’allongement de la durée de vie commande
moins d’abréger que d’allonger les parcours professionnels. De cohérence
sociale, car discrimination, exclusion et violence vont de pair. L’égalité
est un facteur de progrès.
Louis Schweitzer
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