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Penser la foi |
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Cinq
repères pour savoir 1. L’analyse
historique des textes bibliques, leur mise en contexte 2. L’écoute
du message de Jésus 3. L’ouverture
aux autres religions 4. L’adoption
d’un individualisme ouvert et positif 5. La relativité des doctrines
1. L’analyse historique des
textes bibliques, leur mise en contexte Une
connaissance du cadre historique de rédaction des écrits bibliques devrait enrichir
tout chrétien. La Bible n’est pas un texte, sinon dicté littéralement du
moins directement inspiré par Dieu. Elle se compose d’un ensemble de livres
rédigés par des hommes qui nous disent comment ils ont vécu et compris leur
rencontre avec Dieu. Ces livres témoignent ou rendent compte de la révélation
divine ; ils ne sont pas la révélation. Jésus
n’a jamais rien écrit (sinon une fois sr le sable, d’après l’Evangile de
Jean). Nous n’en savons que ce que nous ont rapporté ses disciples. Leurs
idées, leurs connaissances, leurs opinions se reflètent dans leurs écrits,
orientent et parfois déforment leur témoignage. Les évangélistes sont des
prédicateurs, des catéchètes, et non des historiens ; ils entendent
proclamer un message et ne se soucient guère de la conformité de leur narration
aux évènements (elles ne concordent d’ailleurs pas toujours entre elles). A
travers les seuls documents dont nous disposons, les écrits du nouveau
Testament, il nous faut reconstituer la prédication et la personnalité de
Jésus. Cette enquête exige une étude attentive des textes ; elle demande
une connaissance approfondie des langues et du contexte. Menée avec science
et intelligence depuis deux siècles, elle a abouti à des conclusions
susceptibles d’éclaire notre foi. Par
exemple, elle conduit à penser que les récits de
Noël sont des romans à thèse. Ils ne racontent pas
ce qui est réellement arrivé. Ils entendent
établir la supériorité de Jésus sur
Jean-Baptiste et présenter Jésus comme un nouveau
Moïse. Son père est un nouveau Joseph qui a des songes, de
même que le Joseph qui dans l’Ancien Testament
précède de quelques lignes Moïse ; sa naissance
s’accompagne également de massacres d’enfants ;
il va en Egypte et en revient ; les mages venus l’adorer
rappellent les magiciens d’Egypte qui s’inclinent devant
Moïse. Bref, l’évangéliste a
réécrit et appliqué à Jésus
l’histoire de Moïse. Ne l’accusons pas de fraude ou de
malhonnêteté. Il a utilisé un procédé
littéraire courant à son époque et admis de tous. De telles études enrichissent et approfondissent notre compréhension de la Bible. S’percevoir que le récit de Noël selon Matthieu a pour but de montrer en Jésus un nouveau Moïse, et non de raconter exactement des faits, n’en affaiblit en rien la valeur et permet de discerner son véritable message. Alors que des lectures conformistes et paresseuses passent à côté de ce que les textes veulent dire la mise en contexte littéraire et historique en fait découvrir le sens. Loin de nuire à la Bible et à notre foi, elle les sert en obligeant à croire autrement.
2. L’écoute du message de Jésus La
tradition chrétienne a souvent accordé plus d’importance à la personne de
Jésus qu’à son enseignement. Le symbole dit des apôtres, ou Credo, le
présente ainsi : « Il a été conçu du Saint-Esprit, il est né de la
Vierge Marie, il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est
mort, il est descendu aux enfers ; le troisième, il est ressuscité. »
Il ne parle pas de l’action et de la prédication de Jésus. Il mentionne d’un
côté sa conception et sa naissance, de l’autre sa mort et sa
résurrection ; il reste silencieux sur ce qui s’est passé entre ces
évènements. Or,
la naissance et la mort de Jésus n’ont d’intérêt qu’à cause de ce qu’il a
été, de ce qu’il fait et de ce qu’il a dit. L’essentiel de l’évangile se dans
ses propos sur l’action et la présence de Dieu, sur l’existence humaine, sur
la foi, dans de qu’il demande à ses disciples de faire. Le message compte
plus que le messager, étant entendu que le comportement et les attitudes de
Jésus appuient sa prédication et en sont indissociables. Une
manière de penser traditionnelle propose que le Christ rempli
trois fonctions ou « offices ». D’abord, un
office royal (il gouverne et dirige le monde) ; des courants du
christianisme ont fortement ms en valeur le thème du Christ-roi.
Ensuite un office sacrificiel (il s’offre en sacrifice pour le
salut des humains), qui conduit à insister sur la mort
expiatoire du Christ, sur ses souffrances, sur ses plaies et son sang
versé lors de sa crucifixion ; on développe alors ce
que certains appellent une « piété
sanguinolente ». Enfin, un office prophétique qui
conduit à prêcher et à enseigner (prophète
signifie celui qui parle « au nom de » Dieu et
« devant » le peuple ; ce n’est que
plus tard qu’on comprit prophète au sens de celui qui
prédit l’avenir). Ce dernier office mérite
d’être privilégié. Dans un catéchisme,
serait-il vraiment déplacer de consacrer beaucoup plus de pages
à l’enseignement de Jésus qu’à
Golgotha ? si les autorités juives et romaines
n’avaient pas exécuté Jésus, il serait quand
même le sauveur, le fils de Dieu. Même si plusieurs
passages du nouveau Testament présentent sa mort comme le
sacrifice « de bonne odeur », le
« prix à payer » pour le salut des hommes.
En fait ces textes utilisent des images qu’explique et
qu’éclaire le contexte du premier siècle. Il
s’agit de parabole qu’on a tord de prendre à la
lettre. Celle du prix payé convenait bien dans un monde
où le marché des esclaves était une
réalité quotidienne et banale, où l’on
faisait commerce des vies humaines et où la liberté
s’achetait. Celle de la victime tuée sur un autel avait de
la pertinence à une époque où, partout et tout le
temps, on sacrifiait à des divinités pour obtenir leur
indulgence et leur faveur. Les auteurs humains du Nouveau Testament ont
utilisé les figures et illustrations qui correspondaient aux
coutumes et à la culture de leur temps. Par contre, elles
conviennent mal aux nôtres et elles nous cachent
l’essentiel, à savoir que Jésus agit et nous sauve
essentiellement par sa parole. Dans cette perspective un des théologiens américains de la Théologie du Process a écrit sur Jésus un beau livre où étudie longuement son œuvre et sa prédication ou son enseignement, mais il ne consacre que quelques lignes à sa mort. Selon lui, même si Jésus n’avait pas été crucifié, il aurait cependant été le Christ, le messie et le sauveur ; il n’en annoncerait pas moins le royaume de Dieu et la résurrection et apporterait tout autant la vie éternelle.
3. L’ouverture aux autres
religions Le
christianisme classique, à quelques exceptions près, a condamné sévèrement
les religions non chrétiennes. Il a affirmé qu’il ya une seule révélation,
celle dont témoigne la Bible. Ce qu’on rencontre ailleurs est faux,
mensonger, peut-être diabolique. On a longtemps appelé « infidèles »
(au sens d’étrangers à la foi véritable) les bouddhistes, les hindouistes,
les musulmans, etc. En
dehors de cette position classique d’autres, au contraire, pensent que Dieu
agit et se manifeste partout dans le monde, et qu’on trouve en dehors du
judéo-christianisme d’authentiques valeurs spirituelles. Devons-nous au nom
de l’Evangile récuser Gandhi ou le Dalaï-lama, condamner le soufisme, et
juger impies ou idolâtres les grands spirituels de l’Inde ou de la
Chine ? La Bible résiste à un tel exclusivisme. Le livre de la Genèse raconte qu’Abraham demande à Melchisédek, un prêtre païen, de le bénir. L’Ancien Testament, s’il réagit fortement contre les cultes de Baal, contiennent de nombreux textes qui s’inspirent des religions égyptienne, babylonienne ou iranienne. Les prophètes et les sages d’Israël écoutent et reprennent, parfois le modifiant, ce qu’elles disent. Dans le Nouveau Testament, des mages, qui rendent un culte aux astres, viennent à Bethléem. Jésus admire la foi d’un officier romain probablement polythéiste ; Paul déclare à Lystre que nulle part Dieu ne s’est laissé sans témoignage. A Athènes, il cite des poètes et des philosophes païens. Y a-t-il un danger d’abandon ou d’atténuation de l’exclusivité de l’évangile ? Qu’il soit la référence privilégiée et la norme suprême oblige-t-il à mépriser ou à écarter les spiritualités non chrétiennes ? Non. Si les chrétiens ont des choses à apporter aux autres, ils en ont aussi à recevoir d’eux. Cette attitude, naguère minoritaire, tend à se généraliser. Actuellement, toutes les églises se demandent quelle signification donner, quelle valeur accorder aux autres religions, et quelles relations établir avec elles.
4. L’adoption
d’un individualisme ouvert et positif On
a souvent accusé les églises issues de la Réforme de manquer du sens de
l’église ou de la communauté. Pourtant, bien que souvent rejetés, ils ont
toujours travaillé dans et pour l’église. Ils ont participé entre les deux
guerres au lancement du mouvement œcuménique. Ils se sont aussi beaucoup
occupés de questions sociales. Ils ne préconisent pas cet individualisme
fermé et négatif qui ne pense qu’à soi et néglige les autres. Ils plaident
pour une forme d’individualisme ouverte et positive. Que définissent trois
éléments. D’abord
la responsabilité personnelle.
Chacun a le droit et le devoir de prendre position pour son compte. Il n’a
pas à laisser des assemblées, des commissions ou des autorités s’exprimer
(laïques ou ecclésiastiques) s’exprimer en son nom et se prononcer à sa
place. Mes décisions, mes actions, mes paroles sont toujours miennes et
m’engagent personnellement. En 1526, l’évêque Guillaume Petit déclare :
« Je crois Sainte Mère l’Eglise, et plus ne m’enquiers ». Le
protestant, au contraire, estime qu’un chrétien doit toujours
s’enquérir ». Ensuite,
le refus de condamner et de rejeter
ceux dont on ne partage pas les options, même si on a le sentiment qu’il
se trompe gravement. On peut et on doit discuter avec eux, essayer de leur
expliquer, de les convaincre. On n’a pas le droit de leur imposer silence, de
les obliger à se soumettre ou de les traiter avec dédain. Le respect de
l’autre demande qu’on accepte la différence et la divergence. Là où l’erreur
n’est pas libre, disait Alexandre Vinet, la vérité ne l’est pas non plus. Enfin, le sentiment que les institutions, civiles ou ecclésiastiques, n’ont qu’une valeur relative. On n’en nie pas l’utilité ni l’importance, mais on estime qu’elles sont au service des personnes et non l’inverse. En particulier, l’église n’a pas à dicter à ses membres leurs croyances et leurs attitudes, à leur imposer une dogmatique ou une morale. Elle a pour rôle de les aider à s’informer, à réfléchir, à se forger des convictions personnelles.
5. La
relativité des doctrines Le
protestant n’admet pas de dogmes, par quoi il faut entendre des définitions
intangibles qui exprimeraient une fois pour toutes et de manière pleinement
satisfaisante la vérité. Il accepte des doctrines, autrement dit, des essais
approximatifs et révisables qui tentent de formuler pour un temps et dans un
lieu donnés la manière dont on reçoit et perçoit la vérité. Un
exemple classique, celui de la trinité, nous aidera à éclairer cette
distinction entre dogme, objet de foi, et la doctrine, expression de la foi. Selon
les conciles des 4ème et 5ème siècles, Dieu est une
essence ou une substance en trois personnes ou instances consubstantielles.
Le Nouveau Testament n’emploie pas ces termes et ces concepts. Ils sont
étrangers au vocabulaire et à la pensée modernes. Ils appartiennent à la
philosophie grecque de l’Antiquité tardive. Pour exprimer le message
évangélique, les conciles ont utilisé le langage de la culture helléniste.
Cette tentative est légitime et les conciles ont eu raison de l’entreprendre
même si on peut contester le résultat auquel ils sont parvenus. D’autres
formulations, celles proposées par Arius, par exemple, auraient sans doute
aussi bien convenu. Adoptée
par des conciles, promulguée par les autorités ecclésiastiques, sacralisée et
canonisée par la tradition, la trinité est devenue un dogme. Au lieu d’y voir
une manière d’exprimer la foi chrétienne, on en a fait quelque chose qu’il
faut obligatoirement croire et qui s’impose aux chrétiens en tout temps et en
tout lieu. On a considéré qu’elle définit exactement l’être de Dieu, et que
l’évangile ne pouvait pas se comprendre et s’exprimer en d’autres termes.
Pour désigner le Dieu biblique, les textes œcuméniques actuels parlent du
Dieu trinitaire. On refuse au Conseil Œcuménique les églises unitariennes
d’Europe central qui affirment l’autorité de la Bible, mais estiment non
biblique le dogme trinitaire. Il
est possible de ne pas partager ni de ne pas approuver cette attitude pour
deux raisons. - D’abord,
parce qu’elle confond notre manière de parler de Dieu et de le penser avec
son être. Il existe toujours une différence et une distance entre ce qu’il
est et ce que nous en disons. Nos formules ne peuvent pas le cerner
exactement ni cerner sa réalité. Dans le dogmatisme se cache une idolâtrie ;
on se fait une représentation de Dieu et on l’adore. On ne peut pas éviter de
se faire une image ou une idée de Dieu ; par contre, on doit se garder
de lui donner une valeur absolue. - Ensuite,
parce que répéter des formules devenues désuètes et incompréhensibles, même
si en leur temps elles étaient bonnes, dessert le message évangélique. Nous
en témoignons et nous nous l’approprions quand nous parvenons à l’exprimer
dans le langage culturel d’aujourd’hui, en tenant compte de nos
connaissances, de nos manières de vivre et de penser. Ce qu’ont fait les
conciles à leur époque, il nous faut le faire à la nôtre, en sachant que nous
n’aboutirons jamais à des énoncés définitifs. Toute expression de la foi,
même si elle se réfère à un absolu, est relative. Les
doctrines ressemblent à des cartes de géographie. On en a besoin pour se
situer et s’orienter, mais aucune n’est totalement juste, parce qu’elles
figurent toutes une sphère, le globe terrestre sur une surface plane. Elles
traduisent et à la fois déforment la réalité qu’elles veulent représenter. De
plus, une carte répond à un besoin, pas à d’autres ; celle qui permet de
préparer un voyage en auto ne peut pas servir à étudier l’économie d’un pays
et à déterminer le site d’atterrissage d’un vaisseau spatial. Quand on
utilise une carte pour autre chose que ce pour quoi elle est faite, ou dans
une autre situation que celle qu’on avait prévue en l’établissant, elle
risque d’égarer. Il en va de même des doctrines. Ce qu’elles affirment est
juste, mais seulement jusqu’à un certain point et dans un cadre limité. Il
faut avoir conscience de leur relativité, sans tomber dans le scepticisme ou
le relativisme total. Elles visent, sans jamais totalement y parvenir, à
exprimer une vérité. Même s’ils se soucient plus de l’actualisation du message évangélique que de la tradition doctrinale et ecclésiastique, les protestants ne rejettent pas cette tradition. Ils cherchent à l’interpréter, à la comprendre et à la transposer. Ils la soumettent à une réflexion critique qui derrière le langage employé se préoccupe de son sens profond. Pour eux la doctrine essaie de dire, aussi bien que possible dans le conteste où on se trouve, ce qu’on croit, en sachant que toute formulation de la foi est approximative et qu’il y a toujours plusieurs formulations possibles. Conclusion :
Penser la foi. Cet exercice a une telle importance qu’on ne saurait la
confier aux seuls spécialistes : nous sommes tous des theologiens ! Penser
la foi chrétienne est absolument nécessaire. Les protestants ne considèrent
pas la doctrine secondaire. Elle joue, au contraire, un rôle déterminant.
C’est elle qui nous fait voir ou qui nous aveugle, qui nous égare, nous
bloque, ou, au contraire, nous fait avancer dans la bonne direction. Une
théorie erronée fausse notre vie et notre comportement. Elle empêche les
progressions et les renouvellements indispensables. Elle entraîne des échecs
et des faillites graves. Par exemple, le problème écologique vient d’une
mauvaise compréhension de ce qu’est le monde ; seule une conversion de
notre manière de voir les choses permettra les changements nécessaires pour
le résoudre. Les difficultés actuelles du christianisme viennent, en grande
partie, à des doctrines inadaptées qui entravent ou même étouffent la vie de
la foi. Notre première tâche consiste à faire un effort d’analyse, de
clarification et de précision qui nous arrache à l’insuffisance des
impressions et nous délivre de confusions égarantes. Avoir une juste et
solide théologie a une importance capitale pour l’église et les chrétiens.
Beaucoup de choses en dépendent. La
théorie seule commande et oriente la pratique. Seule la réflexion
fondamentale permet d’atteindre efficacement le concret et d’avoir une action
positive. Il est piquant que l’importance de la pensée théorique soit,
actuellement, rappelé aux germains et aux latins par des anglo-saxons ! D’après les
pages 29 à 38 de l’ouvrage d’André Gounelle, « Penser la foi », 2005, Van Dieren éditeur, collection
« Débats ».. Egalement, pages 22-24 de l’ouvrage du même auteur,
même éditeur, intitulé « Le dynamisme
créateur de Dieu ». Les
raccourcissements et modifications du
texte n’engagent que son auteur, et non André Gounelle. A souligner que les termes de
« protestant libéral » ou de « libéralisme » sont
systématiquement supprimer du texte. En effet, tout protestant revendique une
autonomie de pensée vis-à-vis des institutions, qu’elles soient civiles ou
religieuses. La reconnaissance et l’acceptation de la diversité au sein de
l’église en découle. Mais il serait faux de dire, comme les détracteurs du
protestantisme le font bien souvent (et aujourd’hui pas moins qu’autrefois)
que dans le protestantisme la doctrine joue un rôle secondaire et accessoire.
C’est faux. Au contraire, comme le souligne la conclusion du texte ci-dessus,
elle joue un rôle déterminant. Philippe Vernet |
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