|
Au cœur
de la confession de la foi biblique |
|
|
Mots-clés:
Dieu de l’univers, Dieu des
marginaux par Alfred Marx - Affirmation biblique de base sur Dieu : il est le
Dieu de l’univers et des marginaux - Car YHWH votre Dieu, lui est le Dieu des dieux et le
Seigneur des seigneurs - Attention privilégiée du Dieu de Affirmation biblique de base sur
Dieu : il est le Dieu de l’univers et des marginaux Notre confession
rappelle que YHWH n'est pas uniquement le Dieu d'Israël, mais qu'il est avant
tout le Dieu de l'univers, à côté duquel il n'y a pas d'autre dieu, et celui
qui est du côté de tous les opprimés de la terre, à quelque peuple qu'ils appartiennent. Parfois,
pourtant, il arrive que le discours se fasse plus précis et qu'au hasard de
la lecture, au détour d'une phrase, on découvre une authentique confession de
foi. Tel est notamment le cas de cette étonnante proclamation attribuée à
Moïse en Dt 10,17-18, alors qu'Israël, rassemblé en Transjordanie, s'apprête
à entrer en Terre promise. Après avoir rappelé le choix qu'a fait YHWH d'Israël,
et avant de lui redire ses exigences, Moïse engage le peuple à se conformer
pleinement aux instructions divines. Et il motive son exhortation en ces
termes : "
17Car YHWH votre Dieu, Lui,
est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, Le Dieu grand, fort et
redoutable, Qui
ne juge pas sur l'apparence et ne se laisse pas corrompre par des présents, 18 Il
fait droit à la veuve et à l'orphelin, et il aime l'immigré et lui Donne
du pain et des vêtements " (Dt 10,17-18). Cette
confession est d'une importance capitale, ce que signale un curieux procédé
cryptique. Elle est, en effet, constituée de vingt-six mots (dans le texte
hébreu !), une somme qui correspond très précisément à la valeur numérique du
nom divin de YHWH, autrement dit, à l'addition de la valeur numérique de
chacune des quatre consonnes de ce nom. Ce que veut suggérer ce procédé,
c'est que la confession en question ne mentionne pas simplement quelques
caractéristiques divines parmi d'autres. En faisant coïncider le nombre de
ses mots avec la valeur numérique de « YHWH », son auteur veut signifier que
les différents qualificatifs énumérés représentent les caractéristiques
principales de Dieu, celles-là mêmes qui sont constitutives de son essence. Ces caractéristiques sont concentrées en quatre séries d'affirmations et réparties sur deux registres. «
Car YHWH votre Dieu, lui est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs.
» Les deux premières séries de qualificatifs situent YHWH à l'intérieur
du monde divin. YHWH est présenté, en tout premier lieu, comme celui qui est le Dieu
des dieux. Une assertion de prime abord plutôt surprenante. Car, non
seulement elle heurte le monothéisme affiché de l'auteur du prologue
parénétique du Deutéronome, puisque YHWH est rapporté à d'autres dieux. Elle
est aussi en parfaite contradiction avec l'idée que nous nous faisons habituellement
de Dieu comme d'un être solitaire, qui trône majestueusement, en monarque
absolu, dans le silence du vide sidéral. Il est vrai, nous avons affaire ici
à un langage figuré. Mais cette présentation de YHWH en relation avec
d'autres divinités n'en conduit pas moins à remettre en question notre
conception de Dieu. Lorsqu'en effet l'Ancien Testament parle de YHWH, il
l'imagine à la manière d'un roi, entouré d'une cour, au milieu de chérubins
qui forment sa garde rapprochée (par ex. Ez 10) et de séraphins qui, selon Is
6,1-3, jouent le rôle de griots et dont la fonction est de le glorifier et de
proclamer sa sainteté ; avec, pour le conseiller, l'assemblée céleste où sont
débattues les affaires du monde (par ex. 1 R 22,19-22 ; voir aussi Ps 82 et
Jb 1,6-12 ; 2,1-6). L'Ancien Testament nous parle aussi du chef de son armée,
Jos 5,13-15, de l'Esprit qui inspire les prophètes, 1 R 22,21-22, de ses
anges - ses messagers - qu'il envoie du ciel auprès de certains humains.
Cette vision d'un Dieu au milieu d'une cour céleste enlève au monothéisme ce
qu'il pourrait avoir d'effrayant et d'écrasant. Pour l'auteur de notre confession, la toute première caractéristique
de YHWH est donc d'être le Dieu suprême, celui qui se situe au sommet du
panthéon, celui au-dessus duquel il n'y a personne. Mais l'affirmation de la
suprématie de YHWH renvoie aussi, discrètement, à un vieux mythe babylonien
de création, dont on pourra trouver une traduction française chez J. Bottéro,
Lorsque les dieux faisaient l'homme (Paris, 1989), p. 604-653. Ce mythe, dont
le Ps 89,6- YHWH est donc aussi le Dieu créateur de l'univers. Ce à quoi fait
aussi allusion Dt 10 en proclamant peu avant, au v. 14 : « À YHWH ton Dieu
appartiennent les cieux et les cieux des cieux, la terre et tout ce qu'elle
renferme. » Cette affirmation va être tout spécialement développée par le
premier récit de la création, Gn 1,1-2,4a. Sa place en ouverture de l'Ancien
Testament ne répond pas à de banales considérations chronologiques. La raison
en est d'abord théologique : souligner d'emblée que le Dieu d'Israël n'est
pas seulement le Dieu d'un peuple en particulier, mais qu'il est également,
et qu'il est même en tout premier lieu, le Dieu de l'humanité tout entière,
dont tous les membres, sans distinction de « race », de sexe, de nation ou de
religion, sont son image, autrement dit, son représentant vis-à-vis du reste
de la création ; et dire d'entrée de jeu le projet de vie de Dieu pour
l'ensemble des êtres vivants, les humains mais aussi les animaux, projet
qu'il a manifesté en les bénissant tous et en proclamant, par le biais de
l'exigence végétalienne, les valeurs de respect de la vie, de non-violence et
de solidarité des vivants. Toute confession de foi du Dieu de « Le
Dieu grand, fort et redoutable, qui ne juge pas sur l'apparence et ne se
laisse pas corrompre par des présents. » La
seconde partie de notre confession passe du ciel à la terre et situe YHWH
dans l'histoire, dans ses rapports avec les humains. Constituée de quatre
propositions verbales, regroupées deux par deux, elle définit les principes
qui déterminent son attitude à leur égard. Car
YHWH n'est pas uniquement le souverain des dieux, mais il exerce aussi sa
domination sur les humains. Il n'est pas seulement celui qui, autrefois, aux
origines, avait créé l'uni vers : il continue à en porter le souci, il en est
le roi et, en tant que tel, il en assure le gouvernement. Pour exprimer cette
réalité, notre confession décrit maintenant YHWH sous les traits d'un juge,
fonction royale par excellence, ainsi qu'en témoigne, par exemple, ce
portrait du roi idéal tracé en Ps 72,4 comme celui qui juge les misérables du
peuple, délivre les fils du pauvre, écrase l'oppresseur. Pour l'Ancien
Israël, juger n'est pas d'abord condamner le coupable, mais c'est fondamentalement
rendre justice à la victime, la rétablir dans ses droits, être à ses côtés
pour la protéger face aux puissants et aux oppresseurs. Les
qualités propres à l'exercice de cette fonction sont décrites d'abord
négativement, puis positivement. Dieu ne juge pas sur l'apparence et ne se laisse pas corrompre par des présents. Autrement dit, il ne fait pas acception de personne. Il est impartial et incorruptible. « Et il fait droit à la
veuve et à l'orphelin, et il aime l'immigré et lui donne du pain et des
vêtements. » Ceux
dont le Dieu des dieux se préoccupe prioritairement, ce sont la veuve et
l'orphelin, ceux-là donc qui, parce qu'ils ne bénéficient pas de la
protection que peut leur assurer un mari, un père, se trouvent isolés et
constituent, de ce fait même, des proies faciles livrées à l'arbitraire des
puissants qui les exploitent et les oppriment. Mais ce texte va plus loin.
D'une manière tout à fait inattendue, la fin de la confession abandonne le
registre de la justice. Il n'est plus question de droit, mais d'amour. Et
l'objet de l'amour de YHWH, ce n'est pas, contrairement à toute attente, son
peuple, Israël, ou ses fidèles, mais un étranger, l'immigré, celui qui, pour
des motifs politiques ou économiques, a dû quitter son pays pour aller se
réfugier dans un pays qui n'est pas le sien et dont la condition est, de ce
fait, encore plus précaire que celle de la veuve et de l'orphelin. YHWH aime
l'immigré. Et par là même, en établissant avec lui les relations les plus
intenses possibles, il fait de l'immigré, de celui qui est déraciné et
esseulé, la personne la plus proche de lui. Cet amour ne se résume pas à un
noble sentiment. Il s'exprime d'une manière très concrète, qui frise le
trivial : à l'immigré YHWH donne du pain et des vêtements. Parmi les
marginaux, YHWH se soucie ainsi tout particulièrement de tous les immigrés de
la terre. Et il leur apporte ce qui est nécessaire à leur existence, de la
nourriture et de quoi se vêtir, bien sûr, mais aussi, et d'abord, de l'amour.
En cela Dt 10 va au-delà de cette autre confession, qui en est comme un écho : " 6 Il a fait les cieux et la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve [...] 7 Il fait droit aux opprimés, il donne du pain aux affamés. YHWH libère les prisonniers. 8 YHWH ouvre les yeux des aveugles. YHWH redresse ceux qui sont courbés. YHWH aime les justes. 9 YHWH protège les immigrés, il entoure la veuve et l'orphelin. Il détourne le chemin des malfaisants " (Ps 146,6-9). Attention privilégiée au sort des catégories sociales les plus précairesIl
faut bien voir que cette présentation de YHWH comme celui qui prête une
attention privilégiée au sort des catégories sociales les plus précaires
n'est pas un aspect secondaire que nous aurions arbitrairement majoré. Il
s'agit, bien au contraire, d'une caractéristique essentielle de YHWH, ainsi
que le montre un étonnant récit du livre de Zacharie. Le narrateur y raconte comment,
à une délégation venue à Jérusalem pour interroger les prêtres sur
l'opportunité de continuer à marquer par des jeûnes les événements liés à la
destruction de Jérusalem en 587, Dieu fait rappeler par son prophète quelles
avaient été ses exigences : «Jugez selon la vérité. Agissez avec bonté et compassion
chacun envers son frère. N'opprimez pas la veuve et l'orphelin, l'immigré et
le pauvre. Ne concevez pas en votre cœur de mal contre vos frères » (Za
7,9-10). Et il poursuit en précisant que c'est la transgression de ces
principes qui est cause de la catastrophe qui s'est abattue sur Juda : la destruction
de Jérusalem et de son temple, la fin du royaume et l'exil. Cette cause, ce
n'est pas, comme on aurait pu le croire, l'idolâtrie, autrement dit
l'adoration d'autres divinités et le rejet de YHWH, et donc une cause
proprement religieuse, mais un comportement envers le prochain et,
singulièrement, envers les catégories les plus fragilisées, à savoir la
veuve, l'orphelin, l'immigré, le pauvre, l'humilié. Pour
le Deutéronome, Israël constitue, au demeurant, la preuve vivante du souci de
YHWH pour les plus faibles. Car, ainsi que le rappelle le verset qui suit
immédiatement notre confession, Dt 10,19, Israël, lui aussi, était immigré et
faible - le moindre des peuples de la terre, dit Dt 7,7 - lorsque YHWH est
intervenu pour le délivrer afin d'en faire son peuple. YHWH,
donc, est le Dieu des dieux ; et il est aussi celui qui aime l'immigré. Il se
situe tout en haut dans le ciel, au-dessus de tous les êtres divins,
manifestant sa grandeur et sa puissance ; mais il est également tout en bas,
dans les bas-fonds, aux côtés des opprimés, des chétifs, des bafoués, pour
leur témoigner sa sollicitude et sa miséricorde. Il est le Créateur, le
Seigneur de l'univers dont il assure le gouvernement ; et en même temps, il a
le souci de chaque être humain, de chaque individu, et même, prioritairement,
du moindre d'entre eux. Il est le Dieu cosmique et le Dieu personnel, à la
fois transcendant et proche, pas l'un ou l'autre, tantôt l'un, tantôt
l'autre, mais les deux à la fois, présent aux deux extrémités de l'univers,
là où est l'infiniment grand, mais également là où sont ceux qui se situent
au dernier rang de la société. C'est
cette tension seule qui rend véritablement compte du Dieu de Un
des enseignements de ce texte est aussi qu'au fond, on ne peut véritablement
parler de Dieu que sur le mode binaire, par pôles antithétiques. Penser
définir Dieu en conjuguant une série d'épithètes serait non seulement
prétentieux - comme si on pouvait tout connaître de Dieu ! -, mais
reviendrait également, en l'étiquetant de la sorte, à l'enfermer dans une
finitude, à le délimiter, et à le figer. La manière même dont on parle de
Dieu n'est pas indifférente. En le faisant au moyen de pôles antithétiques,
on englobe à la fois la totalité de l'existant, sur lequel s'exerce la
souveraineté de Dieu. Et, en même temps, on ouvre l'espace d'un entre-deux
qui laisse place pour le mystère de Dieu. Le mystère de son action, qui n'est
jamais parfaitement déchiffrable, et dont on sait seulement qu'elle vise à
l'instauration de son Royaume. Et le mystère de son être, dont Dieu, à
travers Moïse, ne nous révèle que les contours, sa silhouette : celle de Dieu
qui se présente comme le Dieu de miséricorde et de grâce ! Lent à la colère,
riche en amour et en fidélité ! (Ex 34,6). Une
ultime remarque. La confession de foi de Deutéronome 10 laisse délibérément
de côté les références spécifiquement israélites. Elle ne fait pas mention de
ce qui fonde les liens privilégiés qui unissent YHWH à Israël, à savoir la libération
de l'oppression en Égypte et l'alliance du Sinaï. Et ce, alors même qu'Israël
est sur le point de prendre possession de son territoire. Dans un contexte
qui aurait aisément pu donner lieu à l'exaltation d'un nationalisme exacerbé,
notre confession rappelle que YHWH n'est pas uniquement le Dieu d'Israël, mais
qu'il est avant tout le Dieu de l'univers, à côté duquel il n'y a pas d'autre
dieu, et celui qui est du côté de tous les opprimés de la terre, à quelque
peuple qu'ils appartiennent. In Dieu, vingt-six portraits bibliques Pierre Gibert et Daniel Marguerat Bayard, 2002, pp. 27 à 35 |
|
|
Lire la présentation de l’ouvrage :
Dieu, 26 portraits bibliques |
|