Qoheleth ou l’Ecclésiaste

« Vanités des vanités » dit l’Ecclésiaste, « tout est vanités »

Vanités

 

Les vanités sont des tableaux du XVIIIe siècle, sur lesquels se retrouvent quelques symboles communs : le crâne, le sablier, une nature morte.

La tête de mort, le crâne, le point de l’interrogation, la perplexité au plus intime de nous-mêmes ! Le grand oui, c’est le oui à la mort, on peut le proférer de plusieurs manières.

Ils ont servi à illustrer les paroles de l’Ecclésiaste.

Est-ce juste ?

 

 

Personnage sur fond bleu

 

Gaston Chaissac (1910-1964)


"Personnage sur fond bleu", 1959


Musée des Beaux-Arts, Nantes.


C’est l’un des 25 tableaux que Christophe André utilise pour illustrer l’intelligence du bonheur dans son ouvrage intitulé «De l'art du bonheur -25 leçons pour être heureux"

La vie entre sens et non-sens : éloge de la fragilité

Quelques interrogations de Qoheleth

Job s'était heurté au problème du malheur. S'il n'avait pas connu toutes les épreuves que l'on sait, se serait-il demandé comment on peut rester en communion avec Dieu quand on souffre pareillement ? Mais voici quelqu'un, Qoheleth, qui a tout ce que peut désirer un homme et bien au-delà (2/1-9) qui se pose pourtant une question qui semble aller plus loin que celle de Job, la question du bonheur. Qu'est-ce que le bonheur ? Est-il possible d'en jouir ? La réponse n'est pas évidente, car tout ce qu'un homme possède en son immense avoir ne résiste pas à une analyse critique, qui aboutit à la conclusion que tout n'est que fumée évanescente, tout est vanité, tout est néant, tout est vapeur. Et c’est ainsi que, comme on a fait de l’Apocalypse le livre des catastrophes et non celui de la Révélation, l’Ecclésiaste, pourtant classé parmi les écrits dits “de sagesse”, n’évoque aujourd’hui que le vain et le banal. Est-il bien cela ?

Si pour plusieurs, la Bible reste un monument de certitudes, elle est pourtant née des interrogations profondes à propos du sens de la vie, de la marche du monde, de la fragilité de l’existence humaine et elle offre des réponses diverses, parfois contradictoires et inachevées. Qoheleth est sans doute le chef de file de ceux qui ont osé remettre en question les belles théories et les certitudes tranquilles. Chercheur passionné, il réfléchit à voix haute sur le sens et le non-sens de ce qu’il voit sous le soleil, et rien n’échappe à son regard à la fois critique et amoureux de la vie. Sa lecture est décapante, rafraîchissante et essentielle pour quiconque prend au sérieux les enjeux de la condition humaine.

Bien sûr, l’entrée du livre de Qoheleth dans le canon de la Bible n’est pas allée de soi. Il existait chez les savants juifs des discussions sur sa « sainteté ». L’école de Schammaï était résolument hostile à sa canonisation ; celle de Hillel qui lui était favorable, estimait qu’il était intouchable et l’emporta au synode de Jamnia (90 après J.C.). L’opposition à ce livre tenait surtout aux contradictions qu’on croyait y relever. Par exemple, il annonce que le rire est louable (2/2) puis, que le deuil est préférable au rire (7/3). Quand il parle de la sagesse - sagesse humaine et non divine - il déclare que sagesse et folie sont après tout identiques (1/17) et ailleurs que la sagesse est plus précieuse que tout (2/13 ; 7/11), et cela pour chacun de ses sujets. Il nous conduit et nous oblige à voir le caractère vrai, essentiellement contradictoire de l’existence humaine, en elle-même : contradiction irréductible de l’homme en tout, contradiction incompréhensible. C’est grâce, nous le verrons plus loin, à son attribution fictive à Salomon, et à l’épilogue du livre (chapitre 12), qu’elle fut rendue possible.

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L’auteur de ce livre ne se présente pas par son propre nom, mais plutôt par sa fonction (1/1) - il faudrait sans doute transcrire l'hébreu plus correctement par Qoheleth, mais nous suivrons l'usage.

La traduction grecque de la LXX, puis la Vulgate ont traduit par Ekklésiastès, d’où l’Ecclésiaste mot qui a donné ekklesia, église, ecclésiastique. La racine hébraïque forme féminine désignant la fonction (littéralement, celle qui rassemble) ou la dignité, plutôt que l’homme qui la revêt, évoque toujours un rassemblement de personnes. Le titre hébreu a été diversement interprété : prédicateur, convocateur, chef de l’assemblée ou assembleur de maximes, en tout cas ce mot joue ici le rôle d’un nom propre.

La tradition juive disait du roi Salomon qu'il écrivit trois livres : le Cantique des Cantiques, car lorsqu'un homme est jeune, il chante des chansons ; les Proverbes, car lorsqu'un homme devient adulte, il façonne des proverbes et l'Ecclésiaste, car lorsqu'un homme devient vieux, il chante la vanité et l'insignifiance de toute chose. Notons en effet que le livre de l’Ecclésiaste est une conclusion, la fin d’un chemin de vie et non un point de départ.

L’homme qui a écrit ces douze chapitres se présente comme fils de David, roi de Jérusalem. A la suite de Luther, une minorité d’abord puis pour finir une majorité de critiques a abandonné l’idée traditionnelle que Salomon aurait entièrement écrit le livre. Quel qu’il puisse être en réalité, qu’il ait ou non quelque rapport avec le roi Salomon de l’histoire, une chose est certaine, c’est que l’homme qui parle croit en Dieu. Il ne fonde pas dans son livre la doctrine du scepticisme la plus large, la plus réaliste et la plus franche qui soit quoiqu’en dise Ernest Renan. L’Ecclésiaste est un homme qui est bien de ce monde, qui a appris à en connaître par lui-même toutes les réalités, mais c’est un croyant. Dieu ? Son nom est prononcé 40 fois dans ce livre ; mais ce n’est pas le nom de Dieu que nous évoquons volontiers, que nous aimons et comprenons. Non ! L’Ecclésiaste croit au Dieu qui reste souvent caché et soumet les enfants des hommes à une lourde destinée. Nous avons là une conception de Dieu d’une actualité qui n’est pas à démontrer : Dieu inconnu et inconnaissable, nous échappera toujours, et on ne saurait dès lors l’utiliser à notre service. Cette image de Dieu s’oppose à la foi devenue idéologie.

Alors, qui est Qoheleth ? Un pseudonyme ? L’auteur dernier, l’assembleur de maximes qui se situe dans le contexte d’ironie et de mise en question exprimée dans tout le livre ? Quoi qu’il en soit, le vieux roi aux fabuleuses richesses s’y déguise en philosophe détaché de tout. Une telle conclusion n’est pas exempte d’ironie.

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L’auteur de ce livre ne se présente pas par son propre nom, mais plutôt par sa fonction (1/1) - il faudrait sans doute transcrire l'hébreu plus correctement par Qoheleth, mais nous suivrons l'usage.

La traduction grecque de la LXX, puis la Vulgate ont traduit par Ekklésiastès, d’où l’Ecclésiaste mot qui a donné ekklesia, église, ecclésiastique. La racine hébraïque forme féminine désignant la fonction (littéralement, celle qui rassemble) ou la dignité, plutôt que l’homme qui la revêt, évoque toujours un rassemblement de personnes. Le titre hébreu a été diversement interprété : prédicateur, convocateur, chef de l’assemblée ou assembleur de maximes, en tout cas ce mot joue ici le rôle d’un nom propre.

La tradition juive disait du roi Salomon qu'il écrivit trois livres : le Cantique des Cantiques, car lorsqu'un homme est jeune, il chante des chansons ; les Proverbes, car lorsqu'un homme devient adulte, il façonne des proverbes et l'Ecclésiaste, car lorsqu'un homme devient vieux, il chante la vanité et l'insignifiance de toute chose. Notons en effet que le livre de l’Ecclésiaste est une conclusion, la fin d’un chemin de vie et non un point de départ.

L’homme qui a écrit ces douze chapitres se présente comme fils de David, roi de Jérusalem. A la suite de Luther, une minorité d’abord puis pour finir une majorité de critiques a abandonné l’idée traditionnelle que Salomon aurait entièrement écrit le livre. Quel qu’il puisse être en réalité, qu’il ait ou non quelque rapport avec le roi Salomon de l’histoire, une chose est certaine, c’est que l’homme qui parle croit en Dieu. Il ne fonde pas dans son livre la doctrine du scepticisme la plus large, la plus réaliste et la plus franche qui soit quoiqu’en dise Ernest Renan. L’Ecclésiaste est un homme qui est bien de ce monde, qui a appris à en connaître par lui-même toutes les réalités, mais c’est un croyant. Dieu ? Son nom est prononcé 40 fois dans ce livre ; mais ce n’est pas le nom de Dieu que nous évoquons volontiers, que nous aimons et comprenons. Non ! L’Ecclésiaste croit au Dieu qui reste souvent caché et soumet les enfants des hommes à une lourde destinée. Nous avons là une conception de Dieu d’une actualité qui n’est pas à démontrer : Dieu inconnu et inconnaissable, nous échappera toujours, et on ne saurait dès lors l’utiliser à notre service. Cette image de Dieu s’oppose à la foi devenue idéologie.

Alors, qui est Qoheleth ? Un pseudonyme ? L’auteur dernier, l’assembleur de maximes qui se situe dans le contexte d’ironie et de mise en question exprimée dans tout le livre ? Quoi qu’il en soit, le vieux roi aux fabuleuses richesses s’y déguise en philosophe détaché de tout. Une telle conclusion n’est pas exempte d’ironie.

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Les arguments en faveur d’une composition tardive se fondent surtout sur les données linguistiques du texte lui-même. La langue de l’Ecclésiaste, dans son vocabulaire et dans sa construction syntactique n’est pas celle du Xe siècle av. J.C. ; son hébreu est unique dans l’AT. On y retrouve des emprunts à la langue perse et l’influence de l’araméen. Tout concorde pour le dater du IIIe siècle avant notre ère, à l’époque où la Judée était intégrée à l’empire des Ptolémées (305 à 31 av. J.C.) avec, d’après le Dictionnaire du judaïsme (p. 210), une préférence pour la la seconde moitié, probablement sous Antiochos le Grand (222 à 187 av. J.C.). Les quatre fragments de Qoheleth provenant de la grotte IV de Qumram, une des plus riches, et un long fragment de cinq chapitres trouvé dans les ruines de Massada, la dernière forteresse des zélotes, excluent toute date plus tardive que 150 avant Jésus Christ.

L’Ecclésiaste serait donc post exilique. Mais, il ne peut guère y avoir de doute sur l’intention de l’auteur. Pour donner du poids à ses idées, à une époque où il n’y avait plus de roi, il se dit fils de David, roi d’Israël et roi de Jérusalem. Le jour où Qoheleth désirera évoquer le plus grandiose exemple de sagesse, de science, de vie fortunée et comblée, aucun autre nom que celui de Salomon ne pourra venir sous sa plume. Il utilise un procédé littéraire permettant à un auteur tardif et inconnu de présenter son message avec plus d’efficacité. Les anciens en effet plaçaient sous le nom d’un modèle archétypal d’une œuvre tout ce qui se rapporte à ce genre. Ainsi toutes les lois seront sous le nom de Moïse, le législateur idéal et tout ce qui est de l’ordre de la sagesse, sous le nom de Salomon le modèle idéal de l’énonciateur de sagesse. Qoheleth se place sous le patronage de l’homme de l’ouverture au monde qui voulait recevoir de Dieu la sagesse et qui est censé avoir dit : c’est la gloire de Dieu de cacher les choses et la gloire des rois de scruter ces choses, Prov. 25/2 (D. Lys).

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La recherche de l’influence dominante, grecque, égyptienne, babylonienne, asiatique, n’est pas à propos ici. Il est certain qu’un professeur de sagesse à Jérusalem, au milieu du IIIe siècle avant notre ère, était l’héritier, conscient ou non, d’une sagesse plusieurs fois millénaire. Lorsque parut Qoheleth les plus grands génies de la philosophie grecque avaient disparu. Socrate, Platon et Aristote étaient morts depuis longtemps, mais, il accueillait les échos de la philosophie grecque. Deux écoles subsistaient qui exerçaient une immense influence et qui durant des siècles allaient continuer à former la pensée : le stoïcisme et l’épicurisme. Il est évident que Qoheleth a été profondément marqué par la pensée hellénistique surtout celle du véritable Epicure, pensée profondément philosophique et presque monastique. C’est la première manifestation indiscutable de l’hellénisme dans la pensée juive. Il sentait aussi revivre en lui les problèmes qui avaient inquiété les sages des vallées du Nil et de l’Euphrate. Qoheleth a donc les yeux tournés vers les trésors du passé. Une certitude : ce livre est écrit dans un lieu qui est carrefour de civilisations, où des opinions et des idées multiples devaient y être répandues. Mais avant tout, il est bien juif, il atteste la spécificité de la Révélation en Israël.

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Qoheleth s’est plongé dans toute la possibilité humaine, et il a vu ce qui était possible et il a parlé avec sérénité, acuité, rigueur, de son expérience. Il se met, lui, Qoheleth, totalement en question en commençant par montrer tout ce qu’il a fait et apprendre que cela était rien. Qoheleth est le contestataire absolu. Il affirme tantôt que le bonheur n’est rien, et ailleurs que la seule chose que l’homme puisse faire raisonnablement dans la vie, c’est de prendre de la joie.

Qoheleth aime l’argent et la richesse dans la mesure où ils permettent une vie confortable ; mais il les craint à partir du moment où le souci de les acquérir empoisonne la vie (5/9-16). Il condamne la rapacité des aristocrates et des riches insatiables qui raffolent de parader. Ce n’est donc pas nouveau si l’on songe aux grands procès pour délits financiers. Qoheleth s’en tient à l’absurdité de cette conduite. Amasser des trésors et la nuit ne plus pouvoir dormir (5/11), thème d’une fable bien connue. L’évangile ne transformera pas fondamentalement cet énoncé. Jésus condamnera lui aussi l’inquiétude de ceux qui cherchent avec avidité les biens terrestres ! (Lc. 12/13-21). Lui-même sera accusé par ses ennemis de manger et de boire, d’être un glouton (Mc. 2/15-17). On ne lui reproche pas son ascèse, comme à son Maître Jean, mais sa goinfrerie ! ! !  (Mt. 11/19).

Quant au récit du malheur du riche ruiné, qui n’a plus rien à léguer à son fils (5/12-13), Qoheleth l’a peut-être imaginé à la lecture du livre de Job 1/21 que rappelle la phrase : « Tel qu’il était né du ventre de sa mère, tout nu il repartira. »

Par contraste Qoheleth en revient à ses propositions pour une vie heureuse (5/ 17-19). La vie est courte, le seul bien-être sans mélange est l’absence de soucis. Le corps doit être nourri et abreuvé, c’est là un don de Dieu. La richesse est donc bonne à condition d’en user sans en abuser. Et Dieu l’a voulu telle. Mais pourquoi y consacrer sa vie et que d’aléas dans l’usage de cette richesse (6/1-2). Il est des hommes à qui leur santé ou la mort enlèvent leur fortune. Elle passe aux mains de leurs héritiers et c’est l’autre qui consommera tout et pour lui, c’est une souffrance et un scandale pour Qoheleth (2/18-23 et 6/3-9). Les lecteurs de Qoheleth se souvenaient sans doute des conditions désastreuses dans lesquelles s’était ouverte la succession du Salomon de l’histoire. Ils se rappelaient la sottise de Roboam qui avait abouti au schisme. Ainsi le plus sage des rois avait-il eu pour héritier un fils stupide (I Rois12).

L’homme qui plaît à Dieu est d’après l’Ecclésiaste celui qui possède sagesse, science et joie, c’est à dire celui qui use de sa sagesse et de sa science pour jouir des biens du monde en chassant la crainte. En revanche, Qoheleth nomme imbécile celui qui passe son temps à accumuler dans l’anxiété. La bénédiction divine c’est la joie de vivre, l’inquiétude est une malédiction. Ainsi, l’ascétisme de l’avare, les insomnies de l’ambitieux, la recherche ardente de la volonté de puissance, Jésus et Qoheleth sont d’accord pour les réprouver !

Qoheleth insiste aussi sur la dépendance de toute réussite par rapport au temps. Il n’y a qu’à relire les chapitres 3 et 12 : Il y a un temps pour toute chose sous le soleil et jeune homme souviens-toi de ton créateur durant ta jeunesse. Qu’importe les héros des dynasties antédiluviennes, qu’importent les 979 ans de Mathusalem, s’il n’a pas été heureux. Le temps ne nous appartient pas, aujourd’hui comme il y a 2500 ans, c’est la seule chose que nous ne puissions en rien maîtriser !

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En conclusion, la morale traditionnelle affirmait que celui qui accomplit la volonté de Dieu doit être heureux. Qoheleth en gauchisant le sens des termes laissés par ses prédécesseurs affirme que celui qui est heureux suit la volonté de Dieu.

La sagesse des professeurs appelait le pécheur un fou. Qoheleth aussi, mais il se réserve le droit de définir le mot. Un pécheur est celui qui néglige de s’efforcer de progresser dans le bonheur. Il faut donc prendre garde au sens particulier que Qoheleth donne au vocabulaire traditionnel des sages, (R.Gordis, Koheleth, The man and his world, New York, 1951). Jamais la pensée hébraïque ne fut doloriste.

Si nous pouvons réunir les perles de ce livre et les suivre selon le fil conducteur clairement indiqué : un bout du fil est la vanité, l’autre bout, Dieu présent.

Voici donc l’éloge de la fragilité ! Voilà la leçon de Qoheleth !

 

Nicole Vernet