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« Hâte-toi de transmettre … » |
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mots-clés: transmettre, tradition, annoncer, témoigner, communiquer |
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- La transmission a deux dimensions - Sommes-nous devant une crise de
la transmission ? - Culture de l’individualisation - Alors, crise ou métamorphose de
la transmission ? - Qu’est-ce que transmettre ?
Enjeux et trajets de la transmission de l’Évangile - Annoncer - Cheminer - Chacune de ces réponses renvoie à une composante de la
transmission - La transmission doit éveiller
en chacun(e) ce qu’il a d’unique
Au cœur de bien des débats
contemporains ressurgit le thème de la transmission. La famille, l’école,
l’Église, les valeurs, les identités, autant de lieux où la transmission fait
question. D’une génération à l’autre, les changements sont si manifestes, que
la transmission nous apparaît problématique. Nos enfants ne sont pas, ou ne
sont plus seulement nos héritiers (le furent-ils jamais d’ailleurs ?).
L’avenir n’est pas, ne sera pas le prolongement du présent. Il sera autre.
L’ampleur et la rapidité des mutations, qui bouleversent nos sociétés, nous
rendent plus sensibles à la discontinuité qu’à la permanence. Ainsi se répand
le sentiment d’une véritable crise de la transmission. Or transmettre est constitutif de
l’humain. Être humain, c’est être engendré. Et ceci ne concerne pas seulement
la naissance biologique, mais dans toute la force de cette expression notre
venue au monde. Une histoire nous précède dont nous sommes héritiers. C’est
parce qu’il y a transmission qu’il y a histoire : transmission
d’apprentissages, d’outils, de techniques, de savoirs. Mais aussi
transmission d’expériences, de récits, de rites, de valeurs. Transmission de
langages. Ainsi la langue que nous parlons spontanément, comme si elle nous
était naturelle, procède d’une histoire très ancienne. Elle participe d’une
transmission immémoriale, et qui se poursuit continuellement, car la langue
se modifie à travers des processus complexes, au fur et à mesure qu’elle se
parle. C’est d’abord par cet aspect de l’héritage que nous pouvons mesurer
l’importance de la transmission. Nous vivons tous de ce qui nous a été
transmis. Et d’abord notre nom : Paul Ricœur parle à ce sujet de contraction
du trésor de la transmission dans la nomination [Paul Ricœur : Parcours de la
reconnaissance, Stock, 2004, p. 282].
Chacun(e) s’inscrit dans une généalogie,
c’est-à-dire une chaîne de transmission, qui
n’est pas seulement un ordre de succession statique, mais une
dynamique instituante (Paul Ricœur). Chacun(e) est
l’aboutissement d’une histoire millénaire qui
l’a précédé(e), et qu’il/elle
récapitule en lui/elle. Chacun(e) à son tour va
contribuer à porter cette histoire plus loin. C’est par la
transmission que l’humain s’engendre et se construit. La transmission a deux dimensions
Ce propos privilégie un axe de la
transmission : l’axe diachronique, transgénérationnel. La transmission est ce
qui noue une génération à l’autre. Elle a rapport à un lien d’engendrement et
de filiation. Aussi le domaine privilégié en est-il l’éducation : familiale,
scolaire, catéchétique. C’est l’axe vertical où l’adulte a une position et un
devoir d’antécédence (Philippe Meirieu) à l’égard de l’enfant, comme de ceux
qui seront ses héritiers. Mais la transmission joue aussi
sur un axe horizontal. Que l’on pense à l’artiste – comédien, musicien,
danseur – qui interprète une œuvre. Au sculpteur ou au plasticien qui expose
ses créations. Chacun(e) transmet son émotion, son interprétation, sa quête.
C’est aussi le cas des militants qui s’engagent pour une cause, et cherchent
à transmettre quelque chose de leurs convictions. La transmission est ici
ordonnée au témoignage plus qu’à l’héritage. La communication de l’Évangile
est à situer dans ce mouvement d’ensemble d’une transmission multiple, par
lequel les sociétés humaines s’engendrent dans leur histoire (N’est-il pas
significatif que l’hébreu désigne l’histoire par ce terme d’engendrement ?).
Il est important de la replacer dans ce contexte, dans la mesure où l’on ne
saurait abstraire la transmission religieuse de la culture dans laquelle elle
s’inscrit. Sommes-nous devant une crise de
la transmission ?
Comment le contexte culturel qui
est le nôtre modifie-t-il les données de la transmission ? En quoi
bouleverse-t-il les règles du jeu qui ont organisé jusqu’ici la transmission
? Toutes les sociétés humaines se
sont développées au travers d’un certain rapport entre tradition et
innovation. La tradition désigne ici un système complexe de règles, de rites,
de coutumes, de valeurs, qui se réfère à un passé fondateur pour régir le
présent. La tradition institue ainsi le passé comme norme. C’est la tradition
qui assure le lien entre le passé et le présent, qui marque la continuité à
travers le changement des générations, et qui maintient la cohésion de
l’ordre social. Certes, la tradition n’est jamais totalement figée, immuable.
Elle comporte toujours des éléments d’évolution. Mais ce qui domine, c’est
l’idée de la continuité assurée par la tradition, et de l’autorité dont elle
est investie pour régler l’action présente et à-venir. La tradition se donne
comme la mémoire collective du groupe social, dans laquelle la mémoire
religieuse joue un rôle déterminant, en apportant une légitimation
transcendante. La transmission de cette mémoire participe de l’intégration à
l’ordre social, et de la perpétuation de cet ordre. Ainsi y a-t-il ajustement
et cohérence entre tradition et transmission. Dévaluation de la tradition
La modernité marque ici une
rupture décisive. Un changement d’orientation. La dynamique de l’innovation
devient le ressort du progrès. Le rapport au temps bascule : c’est la poussée
vers l’avenir qui modèle le développement. Ainsi la sociologue Danièle
Hervieu-Léger pouvait-elle écrire en 1993 : « La génération fin de siècle est
la première génération post-traditionnelle » [Danièle Hervieu-Léger : La
religion pour mémoire, Paris, Cerf, Sciences humaines et religions, 1993, p.
241], c’est-à-dire
la première à affronter la nouveauté de l’avenir dans une situation
d’incertitude structurelle, parce que privée de ces repères fondateurs
qu’assurait la tradition. Ce développement de la modernité entraîne la
dévaluation de la tradition : elle a perdu son statut normatif, sa fonction
intégrative, son autorité sociale. L’accé-lé-ra-tion du changement, le
sentiment d’avoir affaire à des problèmes radicalement nouveaux accentuent
cette disqualification de la tradition, spécialement aux yeux des jeunes, qui
sont les vecteurs des nouvelles aspirations dans notre société. Aussi la transmission d’une génération
à l’autre devient problématique. Les structures qui assuraient cette
transmission (la famille, l’école, la paroisse) sont elles-mêmes fragilisées.
C’est là un premier élément qui valide une crise de la transmission : la
disqualification de la tradition a pour corollaire une perte de la
transmission. Particulièrement dans le domaine religieux, la religion se
référant à l’autorité d’une tradition. Lors d’un colloque, organisé par
le Ministère de Culture de l’individualisation
Un deuxième élément d’explication
doit être avancé. La modernité s’est développée autour de la valeur centrale
qu’est l’affirmation de l’individu, la revendication de son autonomie,
l’insistance sur la subjectivité. C’est à chacun(e) de choisir son mode de
vie, sa morale, sa sexualité, ses valeurs. À chacun(e) de donner sens à son
existence, de construire son identité. Cette conquête de l’autonomie, et
cette culture de l’individualisation sont au cœur de la modernité. Jusqu’à
l’étape actuelle que Danièle Hervieu-Léger caractérise par la montée en
puissance de la revendication du droit de chacun à son propre accomplissement
[Danièle Hervieu-Léger : Catholicisme, la fin d’un monde. Paris,
Bayard, 2003, p. 86]. Un des effets de cette évolution
est une transformation profonde de la démarche religieuse. Les identités
religieuses ne peuvent plus être considérées comme des identités héritées.
Chaque individu est amené à construire sa propre identité à partir de ses
expériences, de ses aspirations, et de ses affinités. L’importance de la
transmission familiale, notamment pour des minorités religieuses, ne saurait
être pour autant sous-estimée, par l’empreinte qu’elle imprime, par les
repères qu’elle apporte, par les éléments symboliques qu’elle met à
disposition. Mais cet héritage implique une appropriation. L’identité
transmise ne va nullement de soi. Elle demande à être reprise à son compte,
et réinterprétée par ceux et celles qui en héritent. Il en résulte une
fragilisation, sinon une rupture, de la chaîne de transmission, et la
dissémination de la démarche religieuse en d’innombrables parcours autonomes,
singuliers. « L’identité s’analyse comme le résultat, toujours précaire et
susceptible d’être remis en question, d’une trajectoire d’identification qui
se réalise dans la durée [Danièle Hervieu-Léger : La
religion en mouvement. Le pèlerin et le converti. Flammarion, 1999, p. 70]. » Marcel Gauchet analyse ce
processus comme une révolution du croire : « Qui dit religion disait depuis
toujours antécédence de ce qui fait sens, intrinsèque autorité de ce qui
vient d’avant et de plus haut, donc donation… Ce qui fait désormais l’âme du
comportement religieux, c’est la quête et non la réception… L’authenticité de
l’inquiétude prend le pas sur la fermeté de la conviction comme forme
exemplaire du croire, jusque dans les confessions établies [Marcel
Gauchet : La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité. Gallimard
1998, p. 107-108]. » La perte de l’autorité de la
tradition, le développement d’une culture de l’individualisation : deux
éléments qui valident une crise de la transmission. Il serait hasardeux d’en
conclure trop vite à un effondrement de la transmission. D’autres observations
viendraient nuancer ce diagnostic. Qu’il suffise de mentionner l’importance
de la préoccupation du patrimoine (architectural, artistique, urbain),
l’audience rencontrée par les grandes expositions culturelles, la création
dans de multiples communes de lieux muséographiques : autant de signes de
l’intérêt porté à une transmission culturelle. Dans un autre domaine, divers
travaux mettent l’accent sur la mémoire familiale et sa transmission, la
reproduction des modèles hérités, l’attachement à la généalogie familiale. Alors, crise ou métamorphose de
la transmission ?
« On peut parler d’une crise de
transmission de la foi, estime André Fossion, spécialiste de catéchétique, au
sens où celle-ci ne se transmet plus de manière quasiment automatique, par tradition,
avec l’identité familiale ou culturelle, mais est désormais suspendue à la
libre décision, appréciation et appropriation des sujets dans un monde devenu
irrémédiablement pluriel [André Fossion : « La catéchèse dans un monde en pleine mutation », Catéchèse
172,3/2003]. » Ce
qui est nouveau, c’est la perte d’un modèle de reproduction. La fin de
l’autorité (Alain Renaut) [Cf. Alain Renaut : La fin de l’autorité, Flammarion, 2004], entendue comme ce surcroît de
légitimation, en vertu duquel un discours s’imposerait grâce à son ancienneté
ou de son statut. Il n’y a plus la perpétuation, d’une génération à l’autre,
d’une même appréhension de l’existence, d’un même système de sens ou de
valeurs. Le thème de l’invention de soi se substitue très largement à celui
de la reconduction de l’héritage. Mais cette situation ne signifie
pas pour autant une crise de la transmission, si la transmission est comprise
comme l’incitation pour chaque génération, comme pour chaque être humain, à
réinterpréter sa présence au monde. À entrer à son tour dans une conversation
qui l’a précédé, et dans laquelle il va prendre sa place. C’est-à-dire si la
transmission est perçue non comme la reproduction d’un modèle, mais comme une
éducation à l’autonomie. Transmettre serait alors mettre en situation de
réinterpréter la tradition dont on provient. « Garder les questions vivantes
et permettre à chacun de trouver ses propres réponses, voilà l’essentiel. »
(Ph. Meirieu) [Philippe Meirieu : Repères pour un monde sans
repères, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p. 186 ; Régis Debray :
Transmettre. Paris, Odile Jacob, 1997, p. 22] La transmission est sans doute
fragilisée, compromise par l’ampleur et l’accélération des mutations
sociales. Cela ne signifie pas qu’elle ne s’effectuerait plus, elle
s’effectue autrement. Elle n’opère plus seulement de manière linéaire,
directive, mais sous des formes plus complexes, croisées, interactives. Les
formes de la transmission ont changé, ainsi que les conditions qui la rendent
possible. Les modèles n’en sont plus les mêmes. C’est ce qui donne d’autant
plus de prix à l’acte de transmettre aujourd’hui. Qu’est-ce que transmettre ?
Enjeux et trajets de la transmission de l’Évangile.
La transmission a profondément
rapport avec le temps. Elle est accueil d’une précédence, et envoi (mission)
vers l’avenir. Elle fait lien entre le passé et le présent, entre le présent
et l’avenir. Elle est trace d’une inscription dans la durée. Peut-être, comme
le relève Régis Debray 10, le plus décisif ici
est-il le préfixe trans qui marque le mouvement : transfert, passage, voyage.
Dépassement de l’immédiateté et enracinement dans l’histoire. Ainsi en est-il spécialement de
la transmission de l’Évangile. Celle-ci se rapporte à une histoire,
puisqu’elle témoigne d’un Dieu qui a parlé, et qui s’est manifesté dans
l’histoire. Elle engendre une histoire, celle de la communauté de foi, dans
laquelle se transmet le récit de Jésus, au cœur du grand récit biblique. Mais
aussi l’histoire de tous les effets de sens de ce récit, les initiatives et
créations qu’il a suscitées, et qui débordent de très loin le destin des
seules Églises chrétiennes. Dès les origines, l’Évangile est
acte de transmission. « Je vous ai transmis ce que j’avais moi-même reçu,
écrit Paul aux Corinthiens : Christ est mort pour nos péchés selon les
Écritures, il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les
Écritures, il est apparu à Céphas, puis aux Douze. » (1 Co 15,3-5). Cette
transmission est plurielle : la parole de l’apôtre, le credo de la communauté,
le recueil des Écritures, la voix des témoins. Chacun de ces éléments renvoie
aux autres. Si la préoccupation de
transmettre l’Évangile est constante dans la vie de l’Église, elle se traduit
selon les moments et les circonstances avec des accentuations différentes. Un
rapide survol historique du dernier demi-siècle nous permettra de
l’illustrer. Il est possible en effet de relever, de manière très
schématique, dans la vie des Églises Réformées en France, cinq réponses
différentes et successives, dont chacune éclaire un aspect de la
transmission. Quelques jalons chronologiques permettent ainsi de dessiner une
certaine typologie de la transmission. Annoncer.
Dès le lendemain de Transmettre, c’est ici proclamer.
L’Église a reçu un message. Sa mission est de l’annoncer à un peuple qui
l’ignore. L’asymétrie est fortement marquée entre celui qui sait et celui qui
ignore, celui qui annonce et celui qui entend. La transmission revêt une
dimension fortement proclamative. La préoccupation s’impose dès lors de
mobiliser les communautés en vue de cette proclamation, ce qui va conduire à
un second accent. Témoigner.
L’insistance se déplace sur le
rôle des croyants comme porteurs de Communiquer.
L’explosion de mai 68 provoque
une libération de la parole. De nouvelles aspirations se manifestent. Cette
prise de parole, selon le mot de Michel de Certeau, témoigne d’exigences
profondes, qui faute de pouvoir trouver leur traduction politique et sociale,
ne parviennent à s’énoncer que négativement, sur le mode de la contestation
ou du symbole. L’événement demeure ainsi une déchirure mal recousue, une
faille dans un ordre [Michel de
Certeau : L’articulation du « dire » et du « faire ».
Etudes théologiques et religieuses. 1970, 1, p. 27]. Cette effervescence va susciter
l’éclosion de micro-communautés, l’apparition de nouvelles utopies, le
développement de formes de religiosités émotionnelles. C’est un temps de
remises en question, de discours iconoclastes. La transmission se déplace sur
l’axe de la communication. De l’Église pour les autres à l’Église avec les
au-tres. Des expériences nouvelles prennent corps dans l’Église, dont la
caractéristique commune est d’être des espaces de communication associant
dans un partage d’expériences et un engagement commun des hommes et des
femmes en quête de sens. Les Centres de formation de laïcs du début des
années 60 deviennent des centres de rencontres et de recherches ouverts à
tous/toutes, et se définissent eux-mêmes comme des lieux de libre parole. Ces
divers lieux entendent assumer, dans l’Église ou sur ses marges, une fonction
critique, tant à l’égard de la société ambiante que de l’institution
ecclésiastique. Ils se veulent des laboratoires d’une parole autre, d’une
vision alternative des rapports sociaux. Le questionnement porte sur la
dimension politique de la foi, sur les rapports que l’Église entretient avec
les pouvoirs [Cf. le document Églises et pouvoirs, de Interpréter.
Les tensions, parfois vives, qui
ont traversé l’Église réformée de France dans les années 70 posent en termes
nouveaux la question : comment tenir ensemble pluralité et unité ? Qu’est-ce
que se référer à l’Écriture comme autorité, alors que nos lectures en sont si
différentes, et si distantes les conclusions que nous en tirons ? Le
renouvellement des méthodes d’exégèse, les avancées des sciences bibliques,
la conscience aussi qu’il y a là un enjeu central pour les Églises de Une nouvelle conscience se répand
de la situation herméneutique du christianisme. La foi implique le travail de
l’interprétation. La pluralité des Écritures et le débat qui se noue entre
elles témoignent de ce constant travail d’interprétation à l’œuvre dans la
communauté de foi. L’insistance se déplace sur ce travail d’interprétation :
interpréter Transmettre, c’est entrer dans ce
mouvement de l’interprétation. Un mouvement continu, car l’interprétation est
un processus jamais achevé, toujours à reprendre. La transmission participe
de ce processus. L’interrogation théologique revient ici au premier plan. Cheminer.
Peut-être ce verbe pourrait-il
caractériser l’étape contemporaine. Une conscience plus vive nous traverse de
la fragilité du témoignage chrétien : ·
–
à l’épreuve du dialogue interreligieux (avec la perte d’un statut
d’universalité exclusive) ; ·
–
face au développement des extrémismes religieux (qui entraîne dans de larges
secteurs de l’opinion la disqualification du discours religieux comme tel) ; ·
–
devant la complexité des enjeux éthiques contemporains, qui nous laisse très
démunis. Le témoignage chrétien se donne
dans la fragilité d’une parole en débat avec d’autres. Chacune de ces
réponses renvoie à une composante de la transmission. Annoncer souligne la
transcendance de Témoigner marque notre rencontre
avec Transmettre renvoie ainsi à une
Parole qui vient d’ailleurs, de plus loin que nous-mêmes, mais aussi qui nous
traverse, qui nous engendre, qui fait trace en nous. Communiquer déplace l’accent sur
la relation et sur les partenaires. La parole naît de l’écoute de l’au-tre,
elle se déploie dans l’échange, et l’interrogation mutuelle. Le pôle de la
réception est ici souligné, et par là l’importance de l’appropriation.
Transmettre n’est jamais à sens unique. Certes, il peut y avoir une certaine
dissymétrie dans la relation. Régis Debray notait que les espaces voués à la
transmission comportaient généralement un certain dénivelé matériel, spatial
: la scène, l’estrade, la chaire [Cité par Philippe Mérieux Repères pour un monde sans repères, Paris. Desclée de Brouwer,
2002. p. 209]. Mais
cette dissymétrie ne saurait effacer une similitude fondamentale. Interpréter traduit la
particularité de notre perception de l’Évangile et de notre expression de la
foi. Nul discours ne saurait se poser comme absolu. Or une conviction
religieuse est toujours en danger de s’absolutiser. De La transmission ne saurait se
jouer dans la répétition. Elle appelle cette incessante révision de nos
formulations et de nos langages, ce risque de traductions nouvelles où
résonne l’Évangile aujourd’hui. Enfin cheminer exprime à la fois
un compagnonnage et une quête. Car nous sommes en chemin avec d’autres, avec
tous nos frères et sœurs en humanité. En quête avec eux, comme eux d’une
Parole qui oriente la marche. Nous partageons les mêmes questions, et nous
n’avons pas la prétention d’en connaître les réponses. C’est dans ce
cheminement qu’une Parole peut surgir, inattendue, inouïe. Nul ne saurait la
savoir d’avance. Nul ne saurait avoir prise sur elle. Emmaüs en est la
métaphore. C’est dire la dimension eschatologique de toute transmission : Ces cinq thèmes, ici distingués
pour la commodité de l’analyse, ne sauraient être opposés l’un à l’autre. Ils
se complètent, et se corrigent mutuellement. Il importe de les tenir ensemble.
Ils marquent des accentuations différentes, mais dont chacune est nécessaire
aux autres, même si en fonction des situations et des choix théologiques
l’une ou l’autre sera privilégiée. La transmission doit éveiller en
chacun(e) ce qu’il a d’unique
La question de la transmission
nous préoccupe surtout sur le versant du contenu : que transmettre ?
Qu’avons-nous à transmettre ? L’attention se porte alors sur les savoirs à
enseigner (l’école !), sur les valeurs à inculquer (la famille !), sur les
récits et sur les textes (la catéchèse !). Bref, sur tout ce qui constitue
l’objet, la matière de la transmission. Pour buter en définitive sur quelque
chose qui est toujours en reste, et qui est de l’ordre de l’intransmissible.
Plus elle se rapporte aux valeurs profondes, à l’être et à l’ultime, plus
elle rencontre cette dimension de l’intransmissible. La transmission nous interroge
aussi sur le versant de la relation. Elle passe le plus souvent par des
personnes. Elle ne saurait être un parcours à sens unique. Elle implique
toujours une interaction entre des partenaires. Elle met en jeu le dire et le
non-dit, le verbal et le non-verbal, le conscient et l’inconscient. On ne
transmet que de l’écoute, dit le metteur en scène Daniel Mesguich. Ce second
aspect déplace l’attention sur les sujets, les acteurs de la relation. Plus profondément encore, la
transmission nous interroge sur le versant du sens : quel est l’enjeu de ce
mouvement par lequel continuellement l’humain s’engendre au travers de la
parole reçue et transmise, au travers de ce lien avec les générations qui
précèdent, et avec celles qui suivent ? Que traduit ce dynamisme, cet élan de
la transmission au sein d’une humanité toujours en train d’advenir ? Le débat pourrait peut-être se nouer autour de ceci :
chaque être humain est porteur d’une voix singulière, unique, qui n’a pas
encore résonné dans le concert du monde. Une voix qui n’arrive pas à se dire,
qui reste entravée, comme en attente d’un événement qui vienne la libérer. La
question est alors : comment ce qui nous est transmis va-t-il libérer tout au
fond de nous-même ce que nous avons chacun(e) de singulier, d’unique à
transmettre ? L’enjeu de la transmission est là. Nous ne transmettons pas
simplement pour que ce que nous vivons, croyons et pensons ne meure pas avec
nous (R. Debray) [Régis Debray, op.cit. p. 18], mais pour que d’autres
s’éveillent à leur tour à ce qu’ils ont d’unique. Pour que |
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en novembre 2004 |
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