Unité et Mission – regards croisés vers l’œcuménisme de demain
intervention du Révérend Dr Konrad Raiser,

Ancien secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises

 

 

Colloque Fédération Protestante de France - En route vers la 10ème Assemblée du COE
« Unité et Mission - regards croisés vers l'œcuménisme de demain»
27 février 2013

Unité et mission :
regards croisés sur l’œcuménisme de demain

1. Transformations du Monde et des Eglises depuis la 9ème assemblée du COE en 2006 à Porto Alegre (Brésil)

2. Recherche de nouvelles sources de relations, à tous les niveaux, entre les Eglises membres de COE, les autres Eglises et les autres organismes œcuméniques

3. L’œcuménisme de demain : offrir le don de la vie en communion à une humanité blessée et divisée, qui songe à trouver réconciliation et guérison. Un défi pour l’Eglise et son unité !

4. Un discours en transformation : l’œcuménisme de demain, un cheminement spirituel


1.    TRANSFORMATIONS DU MONDE ET DES EGLISES DEPUIS LA 9ème ASSEMBLEE du COE de 2006, à PORTO ALEGRE (BRESIL)

Nous sommes réunis dans le contexte des préparations de la dixième assemblée du Conseil Œcuménique des Eglises à Busan, afin de réfléchir ensemble sur les perspectives œcuméniques pour l'unité et la mission des Eglises. Quels seront les prochaines étapes et l'avenir à plus long terme du mouvement œcuménique ? Et quel sera le rôle du Conseil Œcuménique dans ce contexte ?

La neuvième assemblée du COE a eu lieu en 2006 à Porto Alegre (Brésil) sous le thème : « Transforme le monde, Dieu, dans ta grâce ». La prière pour la transformation caractérisait également le message de cette assemblée aux Eglises. Pendant les sept ans écoulés depuis, « transformation » est devenu un mot clé dans les réflexions sur l'avenir du mouvement œcuménique. Il se trouve lui-même dans un processus de transformation fondamental et se voit appelé, sous la direction du Saint Esprit, à participer activement dans l'œuvre de Dieu pour la transformation du monde vers son accomplissement dans le royaume de Dieu.

Pendant ces sept ans nous avons été témoins de changements profonds dans le monde et dans la vie des Eglises et leurs relations œcuméniques. Les discussions à Porto Alegre ont été l'objet de conflits assez aigus sur l'interprétation du processus de la mondialisation. La crise financière, qui a commencé à la fin de l'année 2007, continue à mettre en danger beaucoup des acquis du long processus de croissance. Elle touche maintenant également les pays dits « riches » et renforce partout le clivage entre les riches et les pauvres. D'autre part, l'Europe et les États-Unis sont en train de perdre leur rôle dominant dans le monde et se trouvent confrontés à l'influence croissante des pays émergents comme le Brésil, l'Inde, la Chine etc. Les enjeux politiques, économiques se sont profondément transformés.

Le deuxième aspect du changement concerne les bouleversements dans les pays islamiques en Afrique du Nord et dans le Moyen Orient. L'arabellion, qui a commencé en Tunisie le 17 décembre 2010 a touché pratiquement tous les pays dans cette région. Elle a propulsé l'islam politique dans le centre du jeu de pouvoir, avec des répercussions pour notre façon de concevoir les relations entre religion et politique. Le sort des minorités chrétiennes dans ces pays et l'impact de ces bouleversements dans les pays arabes sur le conflit entre Israël et les Palestiniens implique une nouvelle urgence dans le dialogue interreligieux, surtout entre les traditions Abrahamiques.

Un troisième facteur concerne la crise écologique mondiale. Malgré la proclamation de l'agenda 21 et la signature de la convention de cadre sur le changement climatique à la fin de la conférence des Nations-Unies sur l'environnement et développement à Rio de Janeiro en 1992, l'exploitation abusive des ressources naturelles, l'extinction des espèces et l'émission du gaz carbonique continuent à mettre en péril l'équilibre écologique. Les gouvernements se trouvent incapables de se mettre d'accord sur les mesures techniques, politiques et financières nécessaires pour limiter la croissance de la température moyenne de 2 degrés. C'est un signe sévère de la situation critique dans laquelle se trouve le système d'ordre global.

Touts ces changements, qui se sont manifestés depuis la dernière assemblée du COE, renforcent notre prière pour une vraie transformation du monde. Comment le mouvement œcuménique se présente dans cette situation actuelle ? Dans quelle mesure est-il capable de servir comme instrument et agent de la transformation du monde ?

Cette question nous invite d'abord à devenir attentifs aux changements, qui se manifestent également dans le paysage chrétien mondial. Les préparations du centenaire de la première conférence mondiale sur la mission à Edinburgh en 1910 ont mis en évidence le fait, que le centre de gravité de la chrétienté ne se trouve plus aujourd'hui dans les Eglises historiques en Europe et en Amérique du Nord mais dans les pays du Sud, surtout en Amérique Latine et en Afrique. A l'origine de ce changement profond il y a la croissance dynamique des communautés évangéliques, pentecôtistes, charismatiques et indépendantes, un processus qui continue toujours. En nombre de croyants ils représentent aujourd'hui un quart de la population chrétienne mondiale, à l'égalité avec les Eglises historiques engagées dans le mouvement œcuménique ; l'Eglise catholique romaine représente l'autre moitié. Ces changements obligent le COE à redéfinir sa conception œcuménique et son rôle.

2.    RECHERCHE DE NOUVELLES SOURCES DE RELATIONS, A TOUS LES NIVEAUX, ENTRE LES EGLISES MEMBRES DU COE, LES AUTRES EGLISES ET LES AUTRES ORGANISATIONS OECUMENIQUES

Déjà en 1998, lors de sa huitième assemblée à Harare et à la fin d'un long processus de consultations entre ses Eglises membres, le COE a précisé la perception de soi par une interprétation approfondi de la notion, qui se trouve dans sa « base » théologi.que et qui parle du COE comme une « communauté fraternelle » entre les Eglises membres. La déclaration adoptée lors de cette assemblée met en question l'image du COE comme une organisation ou institution ecclésiastique au service des Eglises. Elle explique: « L'essence du Conseil, ce sont les relations que les Eglises ont les unes avec les autres. Ce sont les Eglises réunies toutes ensemble au sein d'une communauté en marche vers la koinonia pleine et entière. Le Conseil a une structure et une organisation qui sert d'instrument aux Eglises, lorsqu'elles cherchent à progresser vers une koinonia de foi, de vie et de témoignage ; mais il ne doit pas être identifié à cette structure et ne peut pas servir les Eglises efficacement s'il n'y a pas de leur part un renouveau constant de leur vision et de leur engagement œcuménique. » Cette description met l'accent sur le caractère relationnel et dynamique du COE comme une communauté en marche, qui ne doit pas s'enfermer dans ces structures institutionnelles.

La même déclaration exprime la conviction, que le mouvement œcuménique est devenu polycentrique et ne peut pas être identifié aux structures et procédures centrées sur le COE. Le rôle du COE est plutôt de veiller activement à la cohérence du mouvement œcuménique. Depuis le Concile Vatican II, l'Eglise catholique romaine fait partie intégrale du mouvement œcuménique, même si elle reste en-dehors des structures du COE comme Eglise membre. La déclaration mentionnée ci-dessus affirme: «Les Eglises membres du COE et l'Eglise catholique romaine sont inspirées par une même vision, celle du plan de Dieu qui est de réunir toutes choses en Christ. Il est inconcevable, que le COE ou l'Eglise catholique romaine accomplissent leur vocation œcuménique sans le concours de l'autre. Et il faut espérer qu'ils rechercheront l'un et l'autre les moyens d'approfondir et de développer cette relation, surtout si l'on considère que, ces dernières années, l'Eglise catholique romaine est devenue membre d'un nombre croissant d'organismes œcuméniques locaux, nationaux et régionaux dont beaucoup d'Eglises membres du COE font aussi partie. »

D'autre part, cette même déclaration ajoute, que « la communauté du COE se trouve également limitée par l'absence d'autres Eglises qui, pour des raisons diverses, n'ont pas cherché à devenir membres. Par exemple, des barrières injustifiables se sont dressées entre le COE et certaines Eglises évangéliques et pentecôtistes à cause des tendances, qui existent de part et d'autre, à caricaturer l'autre ou à rester indifférent à son égard. Certaines de ces 3 barrières ont commencé à tomber grâce à l'établissement de contacts permanents entre le COE et des organismes tels que l'Alliance évangélique mondiale. Ces efforts devraient se poursuivre par la recherche de nouvelles formes de relations à tous les niveaux entre les Eglises membres du COE, les autres Eglises et les autres organisations œcuméniques. »

Comme conséquence de ces prises de position le COE a initié, il Ya 15 ans déjà, un groupe consultatif avec les communautés pentecôtiste. Il a également commencé un dialogue ouvert avec les différentes organisations évangéliques. Les résultats de ces efforts se son montrés déjà, lors de la conférence « Mission et Évangélisation » à Athènes en 2005. Mais au-delà, le COE a poursuivi le projet visant la formation d'un forum global entre Eglises et organisations œcuméniques, un projet qui faisait déjà parti des discussions sur la déclaration de Harare en 1998 mentionné ci-dessus. Après plusieurs consultations, particulièrement avec les communautés pentecôtistes et évangéliques, une première rencontre globale de ce caractère a eu lieu à Nairobi en 2007. Depuis, le « Forum Global Chrétien » a commencé à changer le climat œcuménique.

Durant cette rencontre à Nairobi, nous nous sommes abstenus délibérément d'entrer dans des analyses globales ou de formuler des perspectives programmatiques. Nous avons renoncé à toute tentative de créer une nouvelle organisation œcuménique. Elle s'est concentrée plutôt à créer un espace de confiance mutuelle, qui permettait un échange d'histoires personnelles de foi, en petits groupes. A la suite de ces échanges, il est devenu clair que la conception de l'œcuménisme devait être adaptée à la situation d'aujourd'hui. La recherche de l'unité visible qui, pour la majorité des Eglises membres du COE constitue le but principal du mouvement œcuménique et l'engagement dans la mission qui est considéré par les communautés pentecôtistes et évangéliques comme centre le leur vocation chrétienne, s'interprètent et s'interpellent mutuellement et ne doivent jamais être mis en opposition. Cette constatation nous rappelle la définition du mot « œcuménique » proposé dans une déclaration du Comité central du COE à Rolle en 1951 : « Il est important d'insister pour que ce mot [œcuménique] qui vient du grec et désigne toute la terre habitée [oikoumene], soit utilisé correctement pour qualifier tout ce qui touche à la tâche de l'Eglise tout entière, appelée à apporter l'Evangile au monde entier. »

3.    L’OECUMENISME DE DEMAIN : OFFRIR LE DON DE LA VIE EN COMMUNION A UNE HUMANITE BLESSEE ET DIVISEE, QUI SONGE A TROUVER RECONCILIATION ET GUERISON. UN DEFI POUR L’EGLISE ET SON UNITE !

Cette nouvelle reconnaissance de la complémentarité entre unité et mission a commencé à transformer le discours œcuménique sur l'Eglise et son unité. A ce sujet, je vous invite à lire le nouveau document de « convergence » élaboré et présenté récemment par la Commission de Foi et Constitution du COE sous le titre « L'Eglise: vers une vision commune ». Ce document commence par un chapitre sur « la mission de Dieu et l'unité de l'Eglise ». Il s'ouvre en évoquant la vision de l'Eglise et de sa mission dans le dessein de Dieu pour la création toute entière, qui est la promesse du royaume proclamée et manifestée par Jésus Christ. Le texte affirme : « La mission de l'Eglise s'inscrit dans la nature même de l'Eglise comme corps du Christ ». Elle a sa raison d'être dans la mission, parce qu' elle partage le ministère du Christ. Sa vocation dans le monde est de continuer à proclamer le royaume de Dieu inauguré par son Seigneur. Elle est portée dans cette mission par le pouvoir du Saint Esprit, qui est source de vie et forme avec tous, dans leur diversité, un seul corps, une vraie communion. Dans sa vie en communion avec le Christ elle devient une « nouvelle création » comme l'affirme l'Apôtre Paul (II Cor. 5,17). Par le pouvoir du Saint Esprit elle peut manifester la nouvelle communauté humaine, que nous attendons dans le royaume de Dieu. Le centre de sa mission est donc d'offrir ce don de communion à une humanité blessée et divisée, qui songe à trouver réconciliation et guérison.

Mais aujourd'hui cette proclamation du royaume de Dieu par la vie en communion se fait dans un monde en plein changement, ce qui constitue un défi pour l'Eglise et son unité. La dynamique de la mission interpelle et transforme chaque manifestation de communion, et en particulier une unité trop statique et exclusive. Elle engage toutes les Eglises dans un processus de renouvellement continuel de leurs liens de communion, ain qu'elles puissennt, par le pouvoir du Saint Esprit, aider à la transformation du monde et être la manifestation crédible de la nouvelle vie en communauté humaine, qui nous est promise dans le royaume de Dieu.

Cette réflexion approfondie sur les liens inséparables entre mission et unité est également au centre de la nouvelle affirmation du COE sur la mission et l'évangélisation sous le titre « Ensemble vers la vie : Mission et évangélisation dans des contextes en évolution », qui sera présentée à l'assemblée du COE à Busan. Le document commence par une affirmation de notre foi en Dieu, « le créateur, rédempteur et sustentateur de toute vie ». Dieu a créé l'ensemble de l'oikoumene comme une « maison de vie ». «Il est en permanence à l'œuvre dans le monde pour affirmer et préserver la vie. Nous croyons en Jésus Christ, Vie du monde, incarnation de l'amour de Dieu pour le monde (cf. Jean 3,16). La volonté et la mission ultimes de Jésus Christ (cf. Jean 10,10) sont d'affirmer la vie dans toute sa plénitude. Nous croyons en Dieu, l'Esprit Saint, le dispensateur de la vie, qui nourrit la vie, lui donne force et renouvelle toute la création (cf. Genèse 2,7; Jean 3,8). Nier la vie, c'est rejeter le Dieu de vie. »

Dans le document ces affirmations de foi servent de base d'orientation pour l'explication de la mission d'Eglise. Dieu nous invite à entrer dans sa mission vivificatrice et, par l'Esprit Saint, il nous donne le pouvoir et les moyens de témoigner de la vision de vie en abondance pour tous. L'Eglise a donc pour mission d'apporter une vie nouvelle et d'annoncer la présence de Dieu et son amour en notre monde. Dans nos Eglises toujours séparées nous sommes appelés à participer à la mission de Dieu dans l'unité, en surmontant les tensions et divisions qui existent entre nous, afin que tous soient un et que le monde croie (cf. Jean 17,21). Du fait que l'Eglise est la communion des disciples de Christ, elle est appelée à devenir une communauté inclusive; elle existe pour apporter guérison et réconciliation au monde. Cela amène à la question suivante: « Comment l'Eglise peut-elle se renouveler pour devenir Eglise en mission et pour progresser ensemble vers la vie dans sa plénitude ? »

Le document répond à cette question par une réflexion approfondie sur la mission de l'Esprit Saint dans le cadre de la mission trinitaire de Dieu. (missio Dei). Cette réflexion est structurée en quatre chapitre : « Esprit de mission : souffle de vie » ; « Esprit de libération : mission depuis la périphérie » ; « Esprit de communauté : une Eglise en marche » ; « Esprit de Pentecôte : la bonne nouvelle pour tous ». Dans le contexte de notre thème aujourd'hui sur : « Unité et Missions - regards croisés vers l'œcuménisme de demain » c'est le troisième chapitre, qui est le plus important. Là, on trouve les affirmations suivantes. « Vivre concrètement notre foi en communauté est une manière importante de participer à la mission... L'Eglise est appelée à être une communauté inclusive qui accueille tout le monde. Par ses paroles et ses actes, et dans son existence même, l'Eglise est un avant-goût du règne de Dieu à venir » L'absence de l'unité réelle dans la mission remet gravement en question le crédibilité des efforts de l'Eglise à réaliser la mission de Dieu en ce monde. Dans ce sens, mission et unité sont inséparables. « Il s'agit donc d'amplifier nos réflexions sur l'Eglise et l'unité pour parvenir à une conception plus large de l'unité : l'unité de l'humanité et même l'unité cosmique de la création de Dieu tout entière. »

Plus tard, le même chapitre reprend la réflexion sur la mission de l'Esprit. L'Esprit Saint, qui est l'Esprit d'unité, laisse une entière liberté aux Eglises dans la manière de maintenir et célébrer l'unité dans la diversité. L'Esprit crée l'espace dynamique et donne les ressources nécessaires aux Eglises pour pouvoir étudier leurs différences dans un environnement de sécurité, afin qu'elles puissent approfondir leurs liens de communion et devenir une communauté inclusive et mutuellement responsable. Le document affirme : « Redécouvrir l'œuvre de l'Esprit Saint dans la guérison et la réconciliation - ce qui est au cœur de la théologie de la mission aujourd'hui - a d'importantes implications œcuméniques....Tout en reconnaissant l'importance cruciale de l'unité « visible » entre les Eglises, l'unité ne doit néanmoins pas être recherchée au seul niveau des structures organisationnelles. Dans la perspective de la mission, il est important de discerner ce qui fait avancer la cause de la mission de Dieu. En d'autres termes, l'unité dans la mission est la base de l'unité structurelle des Eglises, ce qui a des répercussions sur la constitution de l'Eglise. Si nous voulons parvenir à l'unité, cela doit se faire en harmonie avec l'appel biblique à rechercher la justice. Notre appel à pratiquer la justice peut parfois impliquer que nous brisions de fausses unités qui étouffent les voix et qui oppriment. L'unité authentique implique toujours l'inclusivité et le respect des autres. »

4.    UN DISCOURS OECUMENIQUE EN TRANSFORMATION : l’OECUMENISME DE DEMAIN, UN CHEMINEMENT SPIRITUEL

Il me semblait nécessaire de vous présenter ces quelques extraits des déclarations récentes du COE sur les relations entre l'unité et la mission de l'Eglise comme indication d'un discours œcuménique en transformation. En particulier, l'accent mis sur la mission, qui s'inscrit dans la nature même de l'Eglise, sert à dynamiser nos conceptions de l'unité de l'Eglise. L'unité n'est jamais un état stable. Elle est mise en question aujourd'hui, comme depuis les temps de l'Eglise primitive, non seulement par les différences et divergences au niveau doctrinal et structurel, mais également par le fait, que l'Evangile trouve la réponse de foi dans des cultures et conditions radicalement différentes. La compréhension de l'Eglise comme communion, c'est-à-dire comme une communauté vivifiée par l'Esprit Saint, implique l'appel à une vie inclusive de toutes les diversités humaines en attendant la pleine communion dans le royaume de Dieu. Cela nous amène à une notion de l'unité comme dimension d'un processus de renouvellement, qui va continuer aussi longtemps que la mission de l'Eglise. L'unité n'est pas un but à atteindre définitivement, mais plutôt une pratique et une qualité des relations entre Eglises, qui ensemble se trouvent en marche vers la pleine communion. Pour caractériser ce processus la conférence mondiale de Foi et Constitution à Saint Jacques de Compostelle en 1993 a utilisé l'image d'un pèlerinage vers la pleine communion, un pèlerinage, qui demande l'humilité de nous ouvrir aux autres et d'être transformé dans nos identités par la rencontre. C'est en nous laissant transformer par l'Esprit Saint que nous pouvons devenir agents de la transformation du monde.

Nous rencontrons de nouveau cette image de pèlerinage dans des textes préparatoires pour l'assemblée du COE à Busan. Ils parlent du pèlerinage vers Busan comme « une route œcuménique s'ouvrant à la chrétienté globale ». Après ces dernières décennies, où « l'œcuménisme » devenait de plus en plus une désignation réservée presque exclusivement aux efforts ecclésiaux, particulièrement parmi les Eglises historiques, nous recherchons l'unité visible par la voie des dialogues doctrinaux. D'ailleurs, l'œcuménisme de demain ne peut plus se limiter aux Eglises et traditions qui font parti des organisations œcuméniques existantes, mais doit s'ouvrir au peuple de Dieu tout entier. Au-delà de la chrétienté globale, la vision œcuménique s'engage dans une culture de dialogue avec les autres traditions religieuses, et même vers l'avenir de la communauté humaine toute entière et l'accomplissement de la création. Répondant à l'appel du Saint Esprit, le mouvement œcuménique représente l'effort du peule de Dieu tout entier à participer à l'œuvre de Dieu pour la transformation du monde.

Dans nos déclarations œcuméniques nous avons toujours affirmé que l'unité comme communion est un don de Dieu plutôt qu'un but stratégique à atteindre. Dans le même sens, nous commençons à réaliser que la paix et la justice sont également dons de Dieu plutôt que des projets politiques dont la réalisation nécessite la participation au jeu du pouvoir. Le thème de l'assemblée du COE à Busan exprime cette prise de conscience par la prière : « Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix. » Par cette prière nous entrons dans un cheminement spirituel qui nous invite à discerner, dans nos situations diverses, comment répondre aux dons de Dieu dans nos actions et dans notre proclamation. Unité, justice et paix prennent donc une dimension pratique qui caractérise notre cheminement sous la conduite de l'Esprit Saint. Car nous demandons à Dieu de nous conduire sur ce chemin d'unité, de justice et de paix. En reprenant le thème de l'assemblée, le Comité Central du COE propose aux Eglises de s'engager ensemble dans un « pèlerinage » pour la justice et la paix pendant la période qui suivra l'assemblée.

La déclaration sur la mission et l'évangélisation, dont je viens de citer quelques extraits, parle d'une « spiritualité transformatrice », qui nous donne l'énergie de persévérer dans cette voie. « Le témoignage chrétien authentique ne se retrouve pas seulement dans ce que nous faisons dans la mission, mais aussi dans la manière dont nous la vivons. L'Eglise en mission ne peut subsister que grâce à des spiritualités profondément enracinées dans la communion d'amour de la Trinité. C'est la spiritualité, qui donne son sens le plus profond à notre vie. Elle stimule, motive et dynamise notre cheminement personnel. Elle est énergie pour la vie dans sa plénitude et nous appelle à nous engager dans l'opposition aux forces, pouvoirs et systèmes qui refusent, détruisent et réduisent la vie. La spiritualité de la mission est toujours transformatrice ».

Elle nous convainc de servir Dieu dans l'économie de vie et non celle de Mammon, de partager la vie à la table de Dieu plutôt que de satisfaire la cupidité individuelle, de rechercher le changement en un monde meilleur tout en dénonçant les intérêts particuliers des puissants qui désirent préserver le statu quo. Cet accent sur la spiritualité transformatrice répond à l'appel de l'apôtre Paul dans la lettre aux Romains : « Je vous exhorte donc, frères [et sœurs], au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu: ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rom.12, 1et suivants).

Dans les textes préparatoires pour l'assemblée il y a une convergence autour de cet appel à la transformation et la spiritualité transformatrice. C'est le cas pour « l'appel œcuménique à la paix juste », qui invite les Eglises à envisager la paix comme un processus dynamique visant la transformation des conflits et l'édification des cultures de paix. C'est également le cas avec « l'appel à l'action pour une économie de vie, de justice et de paix pour tous », qui demande aux Eglises de s'engager dans un processus de transformation radicale afin de promouvoir une économie de vie pour tous. Ces prises de position renforcent la vision du mouvement  œcuménique comme le cadre et l'espace qui sert à rassembler les Eglises, qui les encourage et les accompagne sur le chemin de justice, de la paix et d'unité, afin qu'elles deviennent dans leur vie en communauté fraternelle une force spirituelle de transformation, de guérison et de réconciliation dans notre monde. Dans cette engagement nous nous tournons vers Dieu en priant : « Dieu de vie, conduis-nous vers la justice et la paix ».

 

Konrad Raiser
Pasteur
Ancien secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises

avec l’aimable autorisation de l’auteur pour la mise en ligne de ce texte

NB : les sous-titres ont été ajoutés

Colloque Fédération Protestante de France - En route vers la 10ème Assemblée du COE
« Unité et Mission - regards croisés vers l'œcuménisme de demain»
27 février 2013

 

 

Unité et Mission – regards croisés vers l’œcuménisme de demain
intervention du Révérend Dr Konrad Raiser,

Ancien secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises