Penser la foi

 

 

Etudes précédentes:
Penser librement la foi chrétienne (1ère partie)

 

Penser librement la foi chrétienne,
est-ce dangereux ? (2ème partie)

1.    Penser librement sans foi, un danger ?

2.    La foi dangereuse

3.    L’orthodoxie dangereuse

4.    Le danger nécessaire

1.    LE LIBÉRALISME DANGEREUX ?

Très souvent, on reproche au libéralisme d'affaiblir ou d'ébranler la foi. En effet, il met en question certains textes bibliques. il discute les dogmes traditionnels. Il préconise une attitude critique envers les églises, leurs enseignements, leurs décisions. Au lieu d'inviter à se soumettre aux autorités religieuses et à accepter les doctrines jugées orthodoxes, il encourage chacun à faire usage de sa faculté de juger, à pratiquer le libre examen et à se forger des convictions personnelles.

Or, pour beaucoup de gens, un bon croyant ne discute ni ne conteste. Il renonce à son indépendance, et se refuse à se déterminer et à décider lui-même. Il reçoit avec humilité, reconnaissance et docilité les instructions qu'on lui donne de la part de Dieu. Lamennais dans son Essai sur l'indifférence en matière de religion (1817-1823) affirme que le chrétien croit en l'autorité et lui fait confiance, alors que le libéral croit en lui-même et a confiance en son discernement. Dans cette perspective, il y a contradiction et incompatibilité entre l'attitude croyante et l'esprit libéral. On accusera le libéralisme de détruire la religion, de favoriser le scepticisme et de conduire tout droit à l'athéisme. Naguère, les orthodoxes aimaient dire que le libéral est un demi-converti ou un demi-croyant en train de perdre la foi petit à petit.

Le libéralisme est-il vraiment dangereux pour la foi ? Nous ne pouvons pas écarter purement et simplement cette question. Elle soulève un problème sérieux auquel, en ce qui me concerne, j'apporte trois éléments de réponse.

2.    LA FOI DANGEREUSE

Ne faut-il pas plutôt s'inquiéter du danger inverse, celui que la foi représente pour le libéralisme ? Il me paraît beaucoup plus grave et menaçant. Je le constate avec tristesse, dans tous les pays du monde, à n'importe quelle époque, les convictions religieuses conduisent vite à l'intolérance et dégénèrent facilement en fanatisme. On rejette et on exclut, quand on n'exécute pas, ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances et ne pratiquent pas le même culte. On se refuse à la discussion et à la réflexion dans une attitude de fermeture et d'intransigeance qu'on baptise du beau mot, souvent galvaudé, de «fidélité ».

Le pasteur Gabriel Bouttier a écrit que la foi rend méchant et qu'il faut qu'elle s'accompagne de beaucoup d'amour pour devenir acceptable. Il me semble que les responsables religieux, et en particulier les chrétiens pour qui l'amour du prochain a une telle importance, devraient se montrer très vigilants sur ce point. Le libéralisme représente un danger bien moindre pour la foi que la rigidité intolérante.

3.    L'ORTHODOXIE DANGEREUSE

Depuis un siècle et demi, le christianisme ne cesse de reculer dans nos pays. L'Occident a largement abandonné sa religion traditionnelle. Les églises n'ont plus la même puissance ni la même vitalité ni la même influence qu'autrefois. De plus en plus, on rencontre des gens qui ne sont pas croyants et à qui le message évangélique ne dit rien. Parfois ils ont reçu une éducation religieuse et viennent de milieux qui cultivent un christianisme fervent.

Ce déclin a de multiples raisons. Entre autres causes (je ne prétends pas que ce soit la seule), on peut se demander s'il n'a pas été provoqué ou accentué par le visage archaïque et inadapté du christianisme que présentent et défendent les dogmatismes catholiques ou protestants. En se refusant aux révisions nécessaires, en continuant à donner un rôle fondamental à des doctrines formulées aux IVème et Vème siècles de notre ère (comme la trinité ou les deux natures de Jésus), en se fermant aux changements et aux réflexions les plus légitimes, n'ont-ils pas fait un tort considérable à la foi ? N'ont-ils pas plus contribué à miner et à détruire les convictions religieuses que ne l'a fait le libéralisme avec ses questions et ses recherches ? Ne faut-il pas s'interroger sérieusement sur le danger que constitue l'orthodoxie pour la foi ? Le protestantisme n'aurait-il pas aujourd'hui un rayonnement tout autre si le libéralisme l'avait emporté en son sein ?

4.    LE DANGER NÉCESSAIRE

Nous avons tous besoin de parvenir à un équilibre entre l'adoration et la critique, ainsi qu'entre la croyance et la réflexion.

D'un côté, la foi naît de l'expérience ou du sentiment de la présence de Dieu dans notre vie. Nous le rencontrons à certains moments et en certains lieux. Sa parole nous atteint et suscite en nous certitude, joie et obéissance.

De l'autre côté, il nous faut réfléchir à ce qui nous arrive et à ce que nous éprouvons. Si nous manquons de lucidité et acceptons n'importe quoi, nous accorderons une importance absolue à des doctrines, à des rites et à des émotions qui n'ont qu'une valeur relative.

Dans la vie croyante, la confiance de la ferveur entre donc en tension avec la méfiance de la pensée et chacune menace d'étouffer l'autre. Le dogmatisme, en affaiblissant le jugement et la raison risque de verser dans la superstition et l'idolâtrie. Le libéralisme en mettant en cause le surnaturel et l'irrationnel court le danger de conduire à un humanisme idéaliste sans sève religieuse.

Je reconnais une certaine pertinence au reproche qu'on nous adresse. Il signale bien la déviation qui nous guette et on ne doit pas nier que le libéralisme représente un danger pour la foi. Mais l'éliminer ou l'éviter laisserait la place libre aux pires des obscurantismes. On agirait comme des parents qui interdiraient à leurs enfants de sortir de leur demeure à cause des accidents de la circulation et qui, du coup, en feraient des « demeurés ». Il nous faut courir le risque de la critique, car elle seule permet une foi saine, vivante et authentique. L'absence du libéralisme me paraît, en fin de compte, beaucoup plus dangereuse que sa présence.

Pages 39 à 42 de l’ouvrage d’André Gounelle, « Penser la foi », 2005, Van Dieren éditeur, collection « Débats ».. Egalement, pages 22-24 de l’ouvrage du même auteur, même éditeur, intitulé « Le dynamisme créateur de Dieu ».

 

 

 

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