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Assises
Chrétiennes de |
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Sources du livre blanc |
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La mondialisation : Dialogues pour une terre
habitable |
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Notre monde est traversé par des mutations majeures, mutations que l’on
englobe sous le terme à géométrie variable de « mondialisation ». Nous, chrétiens de France, appartenant à différents mouvements
d’Eglise ou d'inspiration chrétienne -
catholiques, protestants et orthodoxes -, avons entendu, dans cette mutation,
un appel adressé à tout notre être humain et chrétien. Un appel à
construire une oikoumene, dans le
sens rappelé par le pasteur Konrad Raiser, secrétaire général du Conseil
Œcuménique des Eglises, en 2001 : « l’oikumene signifie
l’ensemble de la terre habitée ou plutôt de la terre en tant qu’espace
habitable créé par Dieu afin que toute vie puisse s’épanouir »1. Et il ajoutait que le défi pour les chrétiens face à la
mondialisation « n’est pas de présenter un front uni et de manifester
une unité bien structurée, mais au contraire, la voix et la présence
chrétiennes seront renforcées dans la mesure où leurs communautés agiront
comme source d’inspiration pour le dialogue, comme médiateur dans des
situations de conflit, comme protecteur de l’espace humain et comme artisan
des réseaux de relations »2. Dans la même perspective,
le Concile Vatican II, à travers notamment son document Gaudium et Spes, appelait, il y a déjà 40 ans, au dialogue et à
la contribution mutuelle entre l’Eglise et le monde. La présence chrétienne
dans le monde contemporain, ainsi signifiée par la capacité de dialogue, de
mise en relation, de médiation, constitue tout un chantier à mettre en œuvre.
Pour avancer dans la construction de ce
chantier, nous avons commencé par créer des espaces d’échange entre nos différentes
communautés chrétiennes. Le Livre Blanc fait le point de cette aventure après
bientôt trois ans de marche. Dans une première partie, nous abordons la question de
l'originalité et de la signification d'un
regard chrétien sur la mondialisation. Dans une deuxième partie,
nous présentons le résultat, toujours imparfait et provisoire, de la
réflexion inter-mouvements réalisée autour de 4 axes thématiques. Et en
troisième et dernière partie, nous précisons le sens qui se dégage de la
démarche à partir de différentes modalités de dialogue mises en place au
cours de cette aventure. Ce Livre Blanc se propose ainsi
comme l’expression de notre espérance chrétienne : espérance d’une terre
plus habitable, invitation à inventer de nouvelles manières de l’habiter et,
ce faisant, révélation de la présence sans cesse renouvelée de Dieu parmi
nous. 1 Conférence du pasteur K. Raiser
sur « L’avenir du christianisme dans la mondialisation », prononcée
le 17 janvier 2001, 2 op cit. |
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1. Les ACM : un regard chrétien sur la mondialisation ? |
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Les ACM sont nées d’une
conviction forte : que christianisme et mondialisation sont à mettre en
présence, dans une tension féconde dont les croyants doivent rendre compte.
Cela pour deux raisons fondamentales : - La mondialisation est une réalité majeure de l’évolution
du monde d’aujourd’hui et interroge les Eglises. - L’identité chrétienne traverse en profondeur à la fois
l’existence individuelle et le ‘vivre ensemble’: interpellée par les
transformations que la mondialisation génère, transformations qui exigent de
sa part un regard de foi, elle ne peut rester ni muette ni inactive. L’expérience chrétienne n’est
pas surprise par ce chantier qui s’ouvre devant elle ; les circonstances
historiques l’ont confrontée sans cesse à ce défi : articuler partage
d’humanité et fidélité à l’Evangile. Mais elle sait aussi que ce défi est
chaque fois différent, et qu’il n’y a ni méthode reçue, ni recette
éprouvée ; la nouveauté est chaque fois au rendez-vous. L’évangile est
un perpétuel questionnement : comment la foi chrétienne
s’incarnera-t-elle dans un monde en perpétuelle évolution ? Il lui
faut à chaque fois inventer le chemin : découvrir le monde en sa
radicale nouveauté, discerner les
enjeux qui y émergent, prendre au sérieux les nouvelles conditions
d’humanité ; et simultanément,
dans une démarche inspirée par la foi, s’engager dans des actions
individuelles et collectives. Ces deux aspects structureront
notre travail : · prendre la mesure de la mondialisation, des nouveautés
qu’elle recèle, des possibilités qu’elle offre, mais aussi des ébranlements
qu’elle déclenche, des catastrophes qu’elle provoque. · Rassembler les multiples réactions que le déploiement de la mondialisation suggère aux membres des ACM et, à partir de ce florilège, contribuer au débat et participer à une meilleure organisation du monde. Le surgissement de la mondialisation
La mondialisation est le processus
multiséculaire par lequel les hommes prennent progressivement la mesure de
leur domaine, la planète Terre ; en découvrent les richesses et se
lancent dans son exploitation systématique ; dépassent leur implantation
traditionnelle pour entrer en
relations les uns avec les autres, de pays à pays et de continent à
continent ; et se construisent ainsi, peu à peu, leur communauté de
destin. Plongeant ses racines dans le
passé des grandes civilisations, la mondialisation connaît au début du 16ème
siècle, avec l’exploration des
Amériques, la multiplication des grands voyages de découverte et le développement
du capitalisme, son véritable démarrage. Elle poursuit son élan lors des
siècles suivants, sous l’impulsion et au bénéfice principal du monde
occidental ; elle se manifeste alors dans l’aventure coloniale et
provoque l’émergence de nouvelles nations, issues notamment de l’émigration
européenne. Au
cours de la seconde partie du 20ème siècle, son cours
s’accélère soudain, sous l’effet d’un
développement considérable des transports grâce à
l’exploitation massive des énergies fossiles , suivi de l’essor des nouvelles technologies de l’information. ,
renforcé par des dispositions juridiques, fiscales et financières qui
suppriment les « effets frontières ». [concernant les énergies
fossiles : La connaissance de la « géologie globale » et les
progrès technologiques (géophysique, spatial, océanographie…) ont permis une
exploitation systématique des ressources de la planète, de sorte que notre
génération a pu brûler à son seul profit la moitié des ressources en
hydrocarbures accumulée au cours des derniers six cent millions d’années
(voir le dossier « Pétrole » élaboré apr Par la décolonisation, qui
restitue à des pans entiers de la planète la souveraineté
nationale, elle change profondément de nature, redonnant à de vastes
ensembles régionaux les clés de leur avenir. Sous l’influence des idéologies
alors dominantes (tiers-mondisme, socialisme marxiste, non-alignement),
ceux-ci développent alors des ambitions fortes de développement autonome et
tentent de se constituer en espaces supranationaux. Mais leur inspiration et
leur mode de réalisation, souvent fondés sur la planification totalitaire,
après des réalisations parfois spectaculaires, détruisent progressivement l’utopie et amènent
l’échec. Aujourd’hui la mondialisation est entrée dans une nouvelle phase de
développement de son histoire ; elle est désormais profondément marquée par les principes libéraux qui
ont le champ libre depuis l’effondrement du rideau de fer. Dans un effet de balancier à
dimension mondiale, après les drames auxquels a conduit une conception
prométhéenne de l’existence, un scepticisme marqué –que certains qualifient
de réalisme- s’est répandu sur la capacité des sociétés à concevoir un projet
politique durable et à organiser leur destin ; à l’inverse, une
confiance nouvelle s’exprime dans l’initiative individuelle et dans
l’activité économique privée, devenues toutes deux l’objectif majeur à
encourager et à poursuivre. A
une phase volontariste et dirigiste à caractère public de
la mondialisation succède, depuis les années 80, une
phase individualiste, à caractère privé, avec pour
principale référence la liberté
d’entreprendre et l’autonomie du secteur économique
par rapport au politique. Certains estiment que, dans un monde de plus
en plus complexe, où chaque décision politique engendre
inéluctablement des effets pervers, il convient de redonner
à l’espace social la plus grande souplesse possible, seul
gage d’adaptation et de créativité ; ils
souhaitent l’émergence de systèmes de
régulation à caractère multilatéral .
D’autres sont convaincus que l’Etat, après avoir
étendu son domaine de responsabilité au delà du
raisonnable, doit maintenant limiter ses ambitions et se borner
à réglementer l’espace national sans gérer.
D’autres enfin, estimant que seul l’individu et
l’entreprise privée peuvent apporter
l’inventivité et l’énergie dont a besoin un monde en
profonde mutation, veulent le libérer des contraintes qu’à leurs yeux une
organisation contraignante de la société engendre. Le salut serait dans une
définition a minima des obligations du ‘vivre ensemble’, avec en contrepartie
un libre déploiement de l’initiative, de la créativité, du dynamisme de
l’activité privée économique. La règle principale de l’organisation des
sociétés humaines devient leur aptitude à créer et consommer biens et
services. D’une manière générale, cette
perspective se traduit par : · l’ouverture des frontières aux relations marchandes et
le développement rapide du commerce
international ; · la privatisation d’entités économiques jusque là régies
par l’Etat ; · une défiance de principe à l’égard des réglementations
nationales, et plus encore régionales (européennes) ou internationales
(multilatérales) ; · la libre circulation des capitaux, allant s’investir
dans des pays qui leur étaient jusqu’alors fermés, mais aussi les quittant
sans contrainte en fonction de nouvelles opportunités ou de risques réels ou
supposés ; · l’ouverture d’espaces géographiques de plus en plus
nombreux à la liberté d’entreprendre et d’exploiter. Ainsi, au 20ème siècle marqué par l’expansion des ambitions
étatiques et de la volonté de transformer collectivement le monde, semble
succéder un 21ème voué à la restauration de l’initiative privée,
de la liberté de l’individu, des structures intermédiaires avec pour
contrepartie la limitation des pouvoirs centraux nationaux ou multipolaires..
telle est la tendance qui prévaut actuellement dans les mentalités et qui
inspire la majorité des gouvernements, excepté les Etats-Unis d’Amérique qui
bénéficient du monopole d’une position militaro-financière dominante. Derrière ce qui peut apparaître
une simple inflexion de la politique économique, quelque importants qu’en
soient ses effets, il y a en réalité une option
culturelle : l'affirmation exclusive du sujet et de ses droits, qui
se traduit par une nouvelle articulation entre le collectif et l’individuel,
entre le vivre ensemble et l’épanouissement personnel, et par une
restauration du ‘laisser faire’ à l’œuvre au 19ème siècle. Il est vrai que cette
mondialisation libérale peut signifier aujourd’hui une offre soudaine de
nouvelles opportunités, une libération des énergies, le surgissement rapide
de nouvelles économies. Mais elle se traduit également par un ébranlement
général des situations, par un sentiment général d'insécurité. Les multiples
intérêts auxquels elle donne libre cours lui confèrent un dynamisme
conquérant ; mais la volonté délibérée de ne pas entraver son cours, de
le laisser se déployer librement, rendent celui-ci complexe et imprévisible. N’étant ni localisée dans une
institution, ni maîtrisée par un
pouvoir politique, son idéologie sous-jacente ne se formalisant pas dans un
projet de société, ne s’exprimant pas
dans parti ou un mouvement organisé, elle reste tout à la fois omniprésente
et inatteignable, alors qu’elle constitue le processus qui entraîne
aujourd’hui la planète. Ses effets sont multiples et contradictoires : elle met en proximité et en interdépendance les peuples, les pays, les personnes ; elle ’globalise’ la planète, par l’usage commun de langues, de ressources naturelles et de technologies, par la dissémination des cultures ; elle favorise, voire suscite l’éclosion soudaine de nouvelles prospérités ; elle fait apparaître des enjeux graves de développement, voire de survie pour des populations importantes ; par la concurrence sans frein qu’elle introduit, elle contribue à la destruction d’ensembles fragiles ; par l’exploitation incontrôlée des biens communs mondiaux qu’elle suscite, elle met en péril la planète. Observant la mondialisation en
marche, l’homme contemporain s’interroge ; il la perçoit avec des
sentiments mêlés : fascination à l’égard de sa puissance, de la
rapidité de son déploiement ; admiration devant sa capacité à
rapprocher les hommes, à élever leur niveau de vie, pour une partie d’entre
eux, à diffuser le progrès technique, à susciter la croissance
économique ; mais aussi appréhension devant l’imprévisibilité de son
cours, devant l’apparente impuissance des autorités et des cultures à la
contrôler, devant la soudaineté et la force de ses effets ; indignation devant
l’irresponsabilité avec laquelle certains acteurs en font usage, devant la
manière souvent absurde, parfois criminelle dont on exploite désormais la
planète mondialisée, devant les ségrégations sociales, la non prise en compte
des pollutions et des risques… le sentiment qui prévaut, désormais, est
l’inquiétude. Le monde est devenu dangereux, plus dangereux à la fois par son
imprévisibilité, par l’accumulation des tensions, et par l’ampleur des
phénomènes en jeu. La mondialisation est peut-être riche en promesses, mais
elle est également grosse de périls, et, dès à présent, ses victimes jonchent
la route. Une réflexion en profondeur s’impose : · le développement accéléré de la consommation mondiale,
conçue désormais comme objectif commun entre les peuples entraîne une économie de prédation, qui ne se
soucie ni des générations futures, ni de la préservation des biens communs de
l’humanité. Les catastrophes sont à notre porte ; le rôle de la
consommation est à repenser : Comment bien gérer la planète ? Quel type de
développement doit désormais être retenu, quels principes lui assigner ? · La proximité nouvelle entre les peuples qu’entraîne la
mondialisation ainsi que les profondes inégalités de destin entraînent le
développement de migrations de grande
ampleur. Celles-ci à leur tour entraînent des déséquilibres
démographiques graves et des souffrances terribles. En réaction, la xénophobie et le racisme se développent,
mais aussi l’exploitation des populations fragilisées. Comment l’organisation du vivre ensemble peut-il donner
place à l’étranger ? · Le monde est désormais un village : ce ne sont pas
seulement les informations qui circulent à la vitesse de l’éclair : les
cultures s’entrechoquent ; n’étant plus géographiquement localisées,
elles se juxtaposent dans les villes, sur les écrans, dans les familles, dans
les têtes. Les conditions de leur épanouissement deviennent difficiles ;
certaines dominent, d’autres sont marginalisées, d’autres encore se réfugient
dans le communautarisme, voire le fondamentalisme. La constitution d’un
espace culturel commun, l’affirmation
de l’identité nationale (ou européenne) devient problématique. A quelles conditions la
refonder ? · le primat donné délibérément à l’activité économique, la volonté de la libérer des sujétions
réglementaires, douanières, étatiques, syndicales aboutit, grâce au
développement des transports et des technologies de l’information, à créer un
atelier mondial ; mais cet atelier est également devenu une foire
d’empoigne où plus aucune situation n’est acquise durablement. En réaction,
les plus puissants ont tendance à préserver leurs avantages : on aboutit
à une mondialisation à deux vitesses, inflexible pour les faibles,
accommodante pour les forts. Il y a
urgence à redéfinir les règles de la mondialisation économique. Comment développer les instances
de régulation multilatérales qui font aujourd’hui défaut ? · A la source de la mondialisation libérale, un
postulat : laisser les mécanismes économiques (le ‘marché’) se déployer
sans contrainte. Dans cette perspective, toute intervention étatique ou supra
étatique est vue avec méfiance. On
constate aujourd’hui que cette vision est
intenable : les forces du marché privilégient le court terme,
l’activité immédiatement tangible ; elles ne prennent en compte les réalités
à long terme que lorsque ces dernières deviennent immédiatement
contraignantes, c’est à dire trop tard et à un coût démesuré. La mondialisation doit être gouvernée,
cet impératif apparaît chaque jour avec une urgence plus forte. Mais de
quelle gouvernance s’agit-il ? Il ne peut s’agir d’une domination sur
les modes connus à ce jour. Certains modèles s’ébauchent, comme les unions
régionales, les institutions internationales, mais l’essentiel reste à
inventer et à faire reconnaître. Comment y contribuer ? · Le monde est lourd de dangers. La mondialisation
libérale génère inégalités entre nations, déstructuration des Etats, conflits
majeurs d’intérêts économiques, pollution et stérilisation de la planète. Les
conflits, d’une nature profondément différente des guerres classiques,
demandent une réponse appropriée. Les
instances internationales, volontiers décriées par un unilatéralisme
rampant, voir une hégémonie effective (cf. les USA) qui se substitue
volontiers au multilatéralisme, exercent
avec difficulté leurs fonctions de médiation, contiennent de plus en plus
mal les flambées de violence. Que signifie désormais créer les
conditions de la paix ? La prise de
conscience d’une communauté de destin est en cours dans le monde.
Les graves questions qui surgissent
actuellement et que l’on vient d’évoquer sont à mettre en regard d’un fait
majeur, qu’elles appellent et illustrent tout à la fois : la prise de conscience, difficile certes
mais incontournable, que l’humanité se constitue désormais son destin, pour
le meilleur et pour le pire.
C’est, en contrepoint des réalités
techniques (la révolution des transports et de la communication), environnementales (croissance des
pollutions et des risques – cf. effet de serre), politiques (la réduction de fait du rôle de séparation des
frontières, le développement des migrations), économiques (la multiplication des échanges commerciaux) et culturelles (la coexistence de
civilisations à l’intérieur même de chaque pays), l’acquis majeur de la mondialisation. La conscience nouvelle que
l’humanité a d’elle-même et de son destin trouve sa source bien plus loin que
dans les épisodes récents de la mondialisation ; elle s’est développée
au même rythme que les voyages d’exploration, le commerce international, les
grandes colonisations ; elle résulte du constat de l’imbrication
croissante des pays, de leur interdépendance, mais aussi du spectacle des
inégalités profondes de développement, et, plus récemment, de la prise en
compte des grands enjeux écologiques. Cette émergence progressive de la
conscience d’une communauté de destin s’est traduite de multiples
façons ; elle a accompagné le développement progressif des relations
internationales ; elle a été précédée par la science (imagerie spatiale,
géologie globale, interactions atmosphère - océans, biodiversité,
environnement…) ; elle s’est inscrite dans les grands systèmes
philosophiques et religieux (la chrétienté notamment, du livre de la genèse
aux évangiles…), dans les utopies politiques. C’est dans la seconde moitié du
20ème siècle que le mouvement s’accélère et s’organise, avec la
mise en place des grandes institutions internationales et la constitution
d’ensemble régionaux dont l’Europe est, à ce jour, la forme la plus poussée.
Mais aussi avec le développement des ONG et la constitution de la ‘société
civile internationale’ ; avec l’élaboration d’un droit international,
public et privé, et de ses institutions judiciaires ; enfin avec ce que
l’on peut qualifier de ‘droit constitutionnel international’ : l’ensemble
constitué par la déclaration universelle des droits de l’homme et les
nombreuses conventions qui la déclinent. On lui donnera de multiples
appellations : conscience universelle, communauté internationale,
société mondiale… chacune aussi floue qu’évocatrice. Nous retiendrons, pour
la clarté de l’exposé le terme de « consensus universel ». Ce terme
veut exprimer le fait, qui résulte de la mondialisation, que l’humanité prend
conscience progressivement des contraintes liées à la vie en commun sur la
planète. Certes les diverses anthropologies restent – et resteront – les
références essentielles ; mais les règles de vie de notre « maison
commune » s’établissent peu à peu. Le fait que ces règles doivent être
acceptées par toutes les cultures indique à la fois les limites et l’immensité
du travail à accomplir. Il s’incarne dans cinq ensembles principaux : Des références morales, incarnées par les droits de
l’être humain, homme, femme et enfant ; un corpus juridique, le droit
international ; l’ébauche
d’une organisation mondiale
(instances internationales et des ensembles régionaux) ; un tissu complexe de ‘réseaux’ militants,
tout à la fois regard critique et vecteur d’espérances. des entreprises multinationales qui
introduisent une nouvelle logique économique, définie par les interactions
internationales plus que par la spécialisation nationale. Le ‘consensus universel’ qui les sous-tend et les anime est d’une
nature bien particulière : - Il met en interaction des civilisations et des cultures
jusque là peu communicantes, mais ne fait pas nombre avec lui ; située
dans leur prolongement, il en reçoit son contenu propre, mais existe dans une
autre domaine, avec une ambition d’universalité qui le distingue radicalement
de celles-ci (devenues de facto singulières). - Il n’est pas une forme dérivée de la conscience
nationale. Il n’engendre pas d’organisations de type ‘étatique’. La notion de
souveraineté, constitutive des Etats-Nations, ne peut avoir, à son niveau, un
contenu similaire : de quelle manière l’humanité pourrait-elle se dire
souveraine par rapport aux peuples qui la composent ? et, de plus, on
perçoit bien qu’il doit, pour respecter les réalités ethniques et nationales,
se situer dans un espace différent. Cette souveraineté relève de l’ordre de
la régulation. - L’universalité qu’il revendique n’est pas du même ordre
que celle des religions : elle est plus consensuelle qu’absolue, plus
fonctionnelle que spirituelle ; elle tire sa force de son lien avec les
idées de démocratie et de raison, lien qui la rattache notamment au grand courant de l’esprit des Lumières.
Il se doit d’emporter l’adhésion, et de ce fait doit se fonder sur des
réalités admissibles par tous. Quelques grandes que soient ses
ambitions, force est de constater ses limites : - Le fait national, reste souvent perçu comme le seul
réellement efficace, voire le seul légitime. Le multilatéralisme peine à se
mettre en place, les intérêts sacrés des nations restent souvent l’horizon
ultime. - Les institutions internationales, qui ont la
responsabilité de sa mise en œuvre, sont souvent soit inefficaces, soit
influencées par les options économiques et politiques de leurs mandants les
plus puissants. - Dans le rapport de force qui l’oppose aux puissances
politiques et économiques, la société civile internationale reste d’une faiblesse
insigne. - Le droit international, fondé sur le consensus, et dont
la mise en œuvre dépend de la bonne volonté des gouvernements, connaît
d’énormes difficultés pour sa mise en œuvre (absence de contrôle
contraignant, difficultés pour obtenir des pays les ratifications nécessaires
et l’observation de leurs engagements). - Les entreprises multinationales exercent une influence
souvent ambiguë : leur action, dont les effets pourraient être très
bénéfiques au plan national (apport de capital, emploi des populations
locales, développement du pays) est dans les faits souvent fortement
déstructurante pour le pays d’accueil (déstabilisation d’activités locales,
appropriation des ressources naturelles, exploitation sans scrupules de la
main d’œuvre locale…). - La « bulle financière » se développe sans
contrôle (mouvements de capitaux, blanchiment d’argent, paradis fiscaux…) Ce consensus universel, que l’on peut
critiquer pour ses nombreuses imperfections, pour son caractère lacunaire,
pour ses limites évidentes, n’en
constitue pas moins aujourd’hui un ensemble incontournable, une référence
objective. Pour beaucoup, c’est désormais la voie de l’avenir dans
laquelle l’humanité se doit d’aller, d’investir, d’agir. Il n’est que
d’entendre les appels à ‘la communauté internationale’ chaque fois qu’un
conflit ensanglante un pays ; les références aux droits de l’homme pour
condamner les totalitarismes ; l’appel à la justice internationale pour
contrer les appétits démesurés des multinationales. C’est ainsi que, peu à peu, les principaux acteurs se rangent à ses
côtés : les gouvernements, avec les arrière-pensées que l’on a évoquées,
les grandes entreprises internationales, qui ont besoin d’un environnement
réglementaire clair pour agir, les syndicats, les partis, les Eglises enfin,
dans un lent processus de reconnaissance qui n’est pas exempt
d’interrogations, d’incompréhensions, de retours en arrière. La maîtrise de
la mondialisation, la correction des dérives graves qu’elle connaît se feront
dans le cadre de cette ‘communauté de
destin’ dont on voit se former, peu à peu, le visage. Aujourd’hui, il est vrai, elle est surtout en devenir ; ses
acquis sont patents, mais bien insuffisants. La loi qu’elle érige est
souvent, faute de ratification par les Etats, plus une utopie qu’une
obligation. L’absence de contrôle la rend inopérante, même là où la
ratification l’a rendue obligatoire ; elle rencontre enfin souvent, de
la part des ‘réalistes’ un scepticisme stérilisant. Par bien des aspects, la
loi internationale et la conscience qui la sous-tend en restent au statut de
‘droit mou’, utopique, théorique.
Un chemin immense reste à faire pour que l’on passe de l’espoir à la réalité,
de l’attente à l’obligation, de la militance à l’observance. Comment tracer
ce chemin ? Face à ce
‘consensus universel’ en devenir, comment se situe le croyant ?
En s’autonomisant par rapport
aux convictions religieuses, tout en s’en nourrissant, ce consensus identifie
des valeurs, des lois morales qui ne procèdent plus d’une révélation, mais
sont à découvrir dans son humanité même. On pourra discuter sur les sources
de cette perception que l’homme a aujourd’hui de lui-même et de son destin…
Il n’empêche que pour beaucoup de nos contemporains, la vérité de l’homme est
dans l’homme. Les règles de l’humanité à venir, dans un monde globalisé,
devront être formalisées à partir de la seule prise en considération de sa
condition. Les religions voient le champ de leurs compétences de plus en plus
revendiqué par ce consensus universel, qui prétend pouvoir décider de tout
l’humain, et cela de manière incontestable. Les Eglises encouragent
d’ailleurs leurs fidèles à participer à la reconnaissance, et à la mise en
pratique de ces principes universels : justice, solidarité, égalité
entre les personnes, bien commun, respect
de la personne, font désormais partie des normes reconnues comme propres à
l’humanité, sans être explicitement fondées sur une révélation divine ou par
une autorité religieuse. Elles acceptent la nécessité d’une gouvernance
mondiale, elles entérinent le droit international comme règle incontournable.
Plus fondamentalement encore, elles acceptent, avec le dialogue
interreligieux, mais aussi avec le dialogue qu’elles entretiennent avec les
philosophies et conceptions du monde, de voir leur place profondément
modifiée ; un décentrement se produit, dans la mesure où elles doivent
quitter le lieu où elles avaient coutume de se placer. La mondialisation, dans sa phase
historique actuelle, se déploie sous le signe de la liberté (liberté de
commerce, d’entreprendre, de circuler, etc.). Comment faire en sorte que
cette liberté n’aboutisse pas à de graves dérives, comme celles que nous
pouvons constater ? C’est la question essentielle qui se pose
aujourd’hui. Au delà des nécessaires régulations consenties dans ce but,
c’est la prise en compte de l’autre dans toutes ses dimensions (économiques,
culturelles, politiques…) qui nous indique la voie à suivre, qui est celle de
s’exposer au dialogue avec autrui. Pour nous, chrétiens, cet autre prend le
visage de Jésus-Christ, Dieu fait homme. C’est ainsi que se constitue un double système de références : - l’un, commandé par la raison, à vocation universelle,
élaboré peu à peu à partir des expériences historiques, confronté aux
exigences de la vie en commun, faisant usage des sciences et de l’entente
entre les peuples : le consensus
universel; - l’autre, fondé sur la conviction, né du besoin incoercible de trouver réponse à ces
questions essentielles qui restent hors de la portée du premier ;
trouvant son inspiration et ses principes dans la fulgurance d’une révélation
le souffle de l’esprit, un mythe fondateur : pour nous Chrétiens, c’est la référence à L’homme voit avec deux
yeux : il fait jaillir le relief de l’interaction entre deux images du
même objet ; borgne, il ne perçoit plus la profondeur des choses. On
voudrait échapper au strabisme en refusant ce double système de
référence : mais ne prendre que le second, on le sait désormais, peut
mener à tous les fondamentalismes. Et le premier est muet sur les
interrogations radicales ; par ailleurs, il ne met pas en jeu les
ressources profondes de l’homme pour l’action, son affectivité, sa capacité à
se dévouer jusqu’à son propre anéantissement : pour cela, il faut plus
que la science raisonnable, plus que l’intelligence et la lucidité. Ces deux systèmes de référence entretiennent l’un avec l’autre des
relations fortes et complexes. L’émergence du premier se fait à
partir des cultures, religions et civilisations qui se confrontent les unes aux
autres, tout en acceptant les impératifs de la raison, de la science, de la
vie commune ; elles donnent ainsi naissance au corpus moral commun de
l’humanité. Cette naissance a lieu, d’une certaine façon, dans la
douleur : ce système de référence prend vis-à- vis des entités
fondatrices une autonomie, une attitude critique, une distance que la
conviction philosophique ou la foi religieuse n’acceptent pas aisément.
D’autant que s’ensuivent pour elles une remise en question de positions
jusque là tenues pour évidentes, indispensables, essentielles. La liberté de
conscience, et plus généralement les droits de l’homme – à l’élaboration
desquels ont contribué d’autres religions ont mis près de deux siècles à être reconnus
par l’église catholique. Et les situations nouvelles que connaît l’humanité
vont, de nouveau, faire émerger des propositions auxquelles elles se
trouveront confrontées, et qui heurtent leur approche habituelle. Et
cela se traduit par une certaine désappropriation : devenant bien commun moral de
l’humanité, les valeurs quittent leur espace d’origine et ne peuvent plus
être qualifiées de chrétiennes, humanistes ou musulmanes… les invoquer ne
peut plus se faire au nom d’une conviction particulière, ce serait faire tort
à tous ceux à qui elles appartiennent désormais. Mais dans les situations
nouvelles pour lesquelles l’humanité ne dispose pas, avec ce consensus moral
commun, de références claires ; quand la philosophie, le droit ou la
pratique trouvent leurs limites ; en terrain nouveau, si l’on peut dire
– et la mondialisation en est clairement un - le second système de référence
trouve une pertinence accrue. Ce n’est pas qu’il n’avait rien à dire dans la
vie courante ; sa richesse est, bien au contraire de donner sens à la
vie dans sa totalité. Mais devant la gravité des questions nouvelles, devant
le silence de la morale commune, chacun puise dans ce qui le constitue
fondamentalement, dans ses convictions profondes, qu’elles soient
religieuses, philosophiques ou humanistes, les éclairages et orientations
dont il a besoin. Il y cherche, avec ceux qui partagent ses convictions, les
pistes pour une action possible et une force inspiratrice. Et alors, à l’évidence, la
multiplicité règne, comme la multiplicité des allégeances ; multiplicité
et entrechoquement des positions, inspirées par des ‘sensibilités’
différentes, comme on dit maintenant, mais qui sont en fait bien davantage
que des sensibilités : des
visions du monde, organisées autour du sens qu’on donne
à la vie. En général, on se retrouve sur les
mêmes valeurs : nous sommes tous, chrétiens et
musulmans, juifs et bouddhistes, humanistes et libéraux,
défenseurs de la justice, de l’égalité, de
la dignité humaine… là où nous nous
séparons, c’est sur l’articulation entre ces
différentes valeurs, sur la manière dont on veut les
mettre en œuvre, sur les choix concrets, sur les priorités
à établir. Il n’y a aucun projet de
société ou de monde qui puisse assurer, dans
l’absolu, leur totale prise en compte. La controverse est inévitable, mais c’est en
son sein que peu à peu s’élabore un nouveau consensus, destiné à enrichir le premier système de
référence. Quand ? Après combien d’erreurs, de drames, de
catastrophes… ? A la désappropriation évoquée plus haut corresponde une réappropriation : par ce mouvement, les Eglises,
les organisations chrétiennes ou laïques, les idéologies, les visions du
monde font leurs les acquis du consensus universel. Dans ce processus de
reconnaissance, elles intègrent ce dont elles ont été, pour une partie
désormais indiscernable, à l’origine ; mais aussi ce dont elles ont été,
parfois, l’adversaire. Elles le font leur, mais n’en revendiquent pas la
paternité, n’en exercent pas le contrôle. Ainsi en est-il de la contribution
protestante à l’élaboration du concept de liberté de culte et de conscience,
voire de la laïcité française. Ainsi l’Eglise catholique reconnaît-elle
depuis Vatican II les droits de l’homme et incite-t-elle le peuple chrétien à
agir en conformité avec leurs injonctions Mais cette réappropriation n’est pas pure et simple intégration. Chaque
famille de pensée, en faisant sienne la morale commune, lui donnera une
coloration propre, une signification particulière, une portée nouvelle. Dans
la pratique qu’elle en fera, elle mettra sa culture propre et en fera son patrimoine. Par la nouveauté radicale des situations qu’elle provoque, par les
enjeux vitaux qu’elle suscite, la mondialisation, dans la phase libérale
qu’elle déploie aujourd’hui, entraîne la mise en œuvre de ce double
processus : - Elle suscite des réactions instinctives, des jugements,
des engagements, fondés sur les convictions profondes que véhicule toute
identité politique, humaine ou religieuse. Réactions commandées par le
spectacle des drames, injustices et scandales omniprésents. Ces réactions,
dans leur immédiateté, appellent confrontation avec d’autres réactions
émanant d’autres familles spirituelles ou philosophiques : confrontation
qui permet d’élargir la perspective, de prendre conscience d’aspects ignorés,
de corriger les condamnations trop rapides, de mieux identifier les chaînes
de causalité, de cerner les pistes d’action possibles ; confrontation à
opérer d’ailleurs aussi bien à l’intérieur de sa propre famille spirituelle
qu’avec les autres. - De cette confrontation entre les diverses réactions que le déploiement actuel de la mondialisation provoque peut naître, dans le cadre de ce consensus moral en voie d’élaboration, les réponses attendues pour notre temps ; mais aussi les orientations dans lesquelles devront s’insérer les politiques, les nouveaux critères à respecter, les actions collectives et particulières à initier ; le tout confortant et développant le dynamisme de la conscience universelle. Les diverses églises et communautés spirituelles, en retour, enrichissent leur vision et modifient leur engagement en intégrant les nouvelles données ainsi acquises. Le chrétien est appelé à faire sienne cette démarche : - Le regard qu’il
porte sur la mondialisation, sur les aspects spécifiques qu’elle revêt
aujourd’hui (domination du libéralisme économique, faiblesse de la
gouvernance mondiale, usage immodéré des biens publics mondiaux, mouvements
migratoires anarchiques) se fait ainsi plus lucide, sa conscience du
phénomène s’affine, son jugement devient plus incisif. Il en témoigne autour
de lui, dans les espaces qui sont les siens, citoyen, ecclésial, familial,
professionnel. Il appelle les institutions dont il est proche à en témoigner
également. Il dénonce les drames, les erreurs, les injustices dont il a
connaissance. Il s’engage avec les moyens qui sont les siens, dans les
actions qui lui sont possibles. Quelles sont les raisons de son engagement ?
Quelles convictions sont à l’origine de son action ? La foi, la morale, la fraternité
humaine ? A priori, impossible de répondre : l’homme est un et sa
quête de sens s’articule sur de multiples sources. Seul chacun pourrait
répondre, pour lui-même, à une telle question. Une réelle clarté se fait, cependant, lorsqu’il entre en
dialogue avec d’autres, que ceux-ci partagent la même foi ou qu’ils appartiennent
à des environnements éloignés. Le discours proclamé est alors qualifié, le
chrétien dit qui il est, à quelle communauté il participe. L’interlocuteur en
tient compte, à la fois pour recevoir l’apport proposé et pour lui renvoyer
sa propre contribution. Il s’ensuit, dans cet échange/affrontement, tout à la
fois critique, remise en cause, approfondissement, modification des positions
d’origines ; mais aussi convergence, voire communauté de vue. Sur de
nouvelles bases, des actions collectives, des proclamations communes peuvent
s’ébaucher. De cette expérience on ne ressort pas indemne. Les
convictions changent, parfois en profondeur ; l’identité chrétienne
s’affirme et se transforme : elle s’affirme et contribue, à sa manière,
à une nouvelle vision de la mondialisation ; elle se transforme en
intégrant d’autres perspectives dont elle reconnaît la légitimité ; plus
encore : elle est amené à lire la source de son inspiration d’une autre
manière. Un exemple : La lecture des récits de la création a souvent légitimé,
dans le monde chrétien, une approche très volontaire et dominatrice vis-à-vis
des réalités terrestres : ‘appropriez-vous la terre et
soumettez-la’ : à l’homme donc d’en prendre possession, de la
transformer, sans trop se soucier des répercussions sur l’environnement ou
sur les générations futures ; une vision optimiste et naïve suggérait
que ce travail de transformation de la planète ne pouvait aller que vers le
bien de l’humanité. Cette vision a rencontré, à partir des années 70, la
sensibilité écologique ; inspirée par des considérations purement
humanistes, elle mettait en lumière la nécessité de préserver la planète, de
réguler l’activité industrielle, de lutter contre l’exploitation sans
contrôle des biens publics. La prise en compte de cet apport amène les
croyants à une relecture fondamentale des textes de Mais elle les a également amenés à retrouver, dans
l’examen des textes bibliques et en particulier dans la tradition orthodoxe,
dans le travail collectif du conseil œcuménique des Eglises (cf. Justice,
Paix et sauvegarde de - La démarche par
laquelle le croyant va, au-delà des frontières de sa foi et de ses
allégeances, proposer à d’autres sa vision de la mondialisation, et l’urgence
d’une action, par laquelle il les confronte à celles de ses interlocuteurs
dans une perspective d’enrichissement mutuel et d’engagement commun,
constitue, selon nous, une contribution essentielle à l'affermissement et à
la mise en œuvre du consensus
universel. C’est ainsi que peuvent, progressivement, se dégager les réponses aux questions
posées par la mondialisation. En contrepartie, cette démarche est indispensable pour
l’actualité du christianisme : si celui-ci implique une relation à
l’événement qui l’a instauré - Jésus-Christ - cette relation se traduit, dans
chaque figure de l’histoire, par une nouvelle élaboration résultant de la
confrontation, en Eglise et dans la foi, de l’événement fondateur avec les
réalités contemporaines. De ce point de vue, laisser la mondialisation
questionner notre foi permettra d’en donner une expression renouvelée. L’homme Jésus, en son temps, a porté son regard sur le monde ; les Evangiles en gardent la trace. Nous ne savons pas quel regard il porterait, aujourd’hui, sur le monde globalisé. Dans la foi, nous savons que le monde est inachevé, livré à l’homme, à sa capacité créatrice mais aussi destructrice ; que dans ce processus à l’œuvre sous nos yeux et auquel nous contribuons, le Christ se fait présent : sa mort et sa résurrection sont à la fois figure, réalité et annonce du monde à venir. Interpellation et accueil réciproques entre foi chrétienne et monde
mondialisé s’effectuent, selon l’esprit des ACM, dans un lieu pluriel où se
retrouvent des Eglises et mouvements divers, des hommes et des femmes aux
engagements différents, qui ensemble
font Eglise; ceux-ci viennent d’horizons culturels, sociaux et professionnels
variés ; ils vivent leur foi dans
la différence et selon des sensibilités diverses. Le résultat de cette
interpellation ne saurait être uniforme. Il exprime un moment de vie et de
réflexion partagées ; ; il est lui-même une forme de dialogue continu
dans lequel analyses, convictions et projets se confrontent sans s’imposer au
lecteur il atteste d’un itinéraire ; il veut contribuer à une
meilleure approche du monde. La deuxième partie de ce livre blanc illustrera les potentialités de
ce dialogue entre les nouvelles
réalités d’un monde global et les divers cheminements de Axe 1 : Un développement humain pour un avenir durable Axe 2 : Migrations et culture Axe 3 : Conditions sociales, humaines, écologiques et
économiques de la création de richesses Axe 4 : Gouvernance et construction de la paix. Issues de ce dialogue, sont
enfin dégagées pour chaque axe des pistes d'action. Elles sont proposées aux
mouvements et associations qui participent à la démarche des Assises
Chrétiennes de |
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2.
Positions et propositions |
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Axe 1 : Réalités d’aujourd’hui, pesanteurs et espoirs Quelques constats Les différents niveaux d’une
prise de conscience Difficultés
rencontrées par l'approche du développement durable Réalités planétaires et traditions chrétiennes :
interpellations mutuelles De la nature «à
dominer » à la nature « reçue comme don » De l’approche positive de la limite à la
« promesse » De la responsabilité à « l’alliance » Former et éduquer pour pouvoir s’informer, participer et
consommer autrement. S’informer et participer aux décisions collectives Consommer et investir autrement Parier sur un progrès technologique au
service d’un « vivre ensemble » durable La responsabilité sociale des entreprises |
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La problématique du développement connaît une longue histoire : le
terme est apparu bien avant celui de mondialisation et il est devenu très
vite une préoccupation majeure au sein du monde chrétien. La question du
développement a été en général abordée en termes de relations Nord-Sud et de
différences de conditions de vie entre les pays riches et les pays pauvres.
Le développement des pays moins avancés était alors pensé à partir du modèle
appliqué par les pays plus avancés. Le développement était surtout conçu
comme un problème de rattrapage entre deux niveaux de développement. Avec la
mondialisation et la prise de conscience simultanée de l'unicité de la
planète, la problématique du développement connaît un tournant majeur:
d'une part, l'environnement et les ressources naturelles apparaissent comme
un patrimoine commun et fini; d'autre part on mesure mieux l’interdépendance
existante entre les pays. Le développement de chaque pays ne dépend pas
seulement de ses ressources propres (naturelles, financières, humaines) mais
des ressources disponibles dans le reste de la planète. Et par rapport aux
ressources naturelles, on sait d’ores et déjà, que les ressources disponibles
dans la planète ne sont pas suffisantes, ni pour faire bénéficier les pays
pauvres des mêmes conditions de vie que les pays riches, ni même pour
garantir dans la durée les conditions de vie des pays riches. Le mode actuel
de développement n’est ni durable ni généralisable. Dans la recherche d’un
nouveau paradigme visant un optimum économique, social et environnemental,
émerge un nouveau concept celui de « développement durable ». Le
rapport recommandé par les Nations Unies en 1982 à Jo Brundtland, ancien
premier Ministre norvégien va définitivement marquer de l'empreinte de la
"durabilité" toutes les grandes rencontres internationales
suivantes : notamment de 1992, à Rio avec l'agenda 21, puis encore en 2002, à
Johannesburg, avec la notion de partenariat pour le développement.
Avec le développement durable se trouvent pour la première fois
articulées, dans cette conscience
universelle née en dehors de toute référence explicite à
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Axe 2 : "Vous ne molesterez pas
l'étranger Réalités
d’aujourd’hui : pesanteurs et espoirs Les
migrations dans le contexte de la mondialisation Le
public français perçoit le phénomène des migrations contemporaines selon un
prisme particulier L’attention
particulière du public au phénomène des migrations Pour l’opinion
publique française en général Pour les chrétiens Pour les
responsables politiques Si
l’opinion publique) est fortement
sensibilisé au fait des migrations, il se sent désemparé pour trouver
les réponses adéquates La
situation des étrangers en France, leurs souffrances matérielles et morales,
les difficultés qu’ils rencontrent interpellent l’opinion publique et le
monde chrétien en particulier La
politique de fermeture des frontières, à l’œuvre partout en Europe, de
manière de plus en plus stricte, pose question L’accueil
des étrangers : une réalité peu reluisante Réalités
politiques et traditions chrétiennes : interpellations mutuelles L’alternative
ouverture/fermeture du pays à l’égard des étrangers l’installation/intégration
dans la nation. Au plan personnel et
localement Se donner au niveau national les moyens d'une
politique d'intégration et d'immigration adaptée au nouveau contexte
international |
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Introduction Le thème des migrations a mobilisé, depuis
l’Assemblée Synodale de 2004, dix Ateliers Régionaux de Le texte qui suit s’inspire essentiellement des comptes rendus des Ateliers ; il veut en reprendre, le plus fidèlement possible, les conclusions et les faire partager à tous ; pour la clarté de l’exposé, mais aussi dans un but opératoire, elles ont été présentées de manière synthétique, selon le plan commun à tous les axes thématiques. Réalités
d’aujourd’hui : pesanteurs et espoirs Les migrations dans le contexte de la
mondialisation Les migrations sont constantes
dans l’histoire de l’humanité, qui en a connu d’innombrables au cours des
siècles ; elles ne sont donc pas spécifiques à la mondialisation, mais
il est vrai que cette dernière se traduit par des phénomènes migratoires
d’ampleur considérable et dont les conséquences sont incalculables. La
mondialisation entraîne des migrations pour deux raisons
essentielles : elle les rend possibles et elle accule à y recourir.
D’autant plus que les pays riches comme l’Europe seront en déficit
démographique sur le long terme. Elle les rend possibles : - parce qu’elle met à la disposition de l’humanité des
moyens de transports puissants et infiniment moins coûteux que dans un passé
même récent ; - parce qu’elle fait
connaître à tous la réalité de la vie partout sur la planète, et fait naître,
souvent de manière trompeuse, espoirs et fascination. Elle accule à y recourir : - parce qu’elle entraîne, dans les transformations
économiques qu’elle initie, une pauvreté accrue sur des pans entiers de la
planète ; - parce que son
exercice sans contrôle déstabilise souvent
en profondeur les pays fragiles, y contribue à la destruction de
l’Etat de droit, et y met les populations dans des situations sécuritaires
difficiles . En outre, la modification des
écosystèmes dus au réchauffement climatique entraîne la croissance des
migrations humaines et le changement du milieu vivant. Les migrations ne sont pas
seulement une conséquence de la mondialisation, dans son interprétation
libérale qui a cours aujourd’hui. Elles en sont partie prenante : le
libre jeu des forces économiques implique non seulement la circulation des
biens et des capitaux, mais appelle également celle de la ‘force de travail’,
susceptible ainsi de venir partout se mettre en concurrence avec les facteurs
locaux. Certes, la mise en œuvre de cette circulation est moins aisée que
celle des biens ou des capitaux, mais elle n’en existe pas moins sur une
échelle grandissante, en raison des disparités économiques de la planète. Enfin, en modifiant en profondeur la composition ethnique, culturelle, religieuse des pays, les migrations sont un élément constitutif déséquilibrant de la mondialisation et de la manière dont elle transforme l’humanité : son visage revêtira ainsi des traits totalement nouveaux, que les seuls effets techniques ou économiques de la mondialisation ne permettent pas d’entrevoir.
Le public français perçoit le phénomène
des migrations contemporaines selon un prisme particulier En soi, le phénomène migratoire
peut être vécu, selon les circonstances, de manière diverse : - il peut être source
d’opportunités quant il permet à des populations d’user de leur liberté pour
rejoindre des peuples qui ont besoin de davantage de travailleurs ; - il invite chacun et chaque
collectivité à s’interroger sur sa propre identité, questionnée par la
présence de l’autre différent, et ce, dans un contexte pluriel; - il peut être source de
contraintes et de conflits quand il appauvrit les pays d’origine de leurs
forces vives, intellectuelles ou techniques ; - il peut enfin être vécu comme
source de conflits quand les populations accueillantes se sentent menacées
par l’afflux de populations étrangères, sur lesquelles elles auront tendance
à porter un regard de suspicion, d’ignorance ou d’opposition. Phénomène
renforcé quand les valeurs et les comportements des nouvelles populations
sont trop différents de ceux des populations accueillantes. Aujourd’hui, la manière dont le public français – et européen - approche le phénomène migratoire est encore trop souvent de ce dernier type. L’attention particulière du public au
phénomène des migrations Il se trouve aussi que, parmi
les divers aspects de la mondialisation, ce sont les migrations qui retiennent
tout particulièrement le regard du public. Les raisons de cette attention
sont nombreuses : Pour l’opinion publique française en général : - Même si - L’arrivée de populations aux caractéristiques
culturelles et religieuses différentes de celles du monde européen pose des
questions multiples d’intégration, quelles que soient les modes d’accueil
retenus en France, en Angleterre, ou en Allemagne (intégration, ou
communautarisme,…) ; - La mise en œuvre en France d’une politique de fermeture
des frontières, en lien de plus en plus étroit avec les autres pays européens
et dans le cadre des accords de Schengen, la suppression de fait de toute
immigration de travail, la création de centres de rétention pour reconduites
aux frontières, les restrictions de fait de l’asile politique, la
multiplication des sans-papiers interpellent l’opinion publique qui réagit
diversement et contradictoirement. - La disparité
effective de traitement entre français et étrangers, les difficultés de leur
insertion concrète (logement, travail, formation) pose problème au modèle
social français, volontiers égalitaire. Pour les chrétiens : De
nombreux chrétiens vivent une tension entre une réaction humaine de peur et
de rejet, et l’appel du Christ à l’amour de l’autre. La
fidélité au choix de Dieu de se dire aux hommes par l’incarnation de Jésus de
Nazareth, homme au milieu des hommes et la fidélité au
message du Christ, et en particulier à sa parole ‘j’étais étranger et vous
m’avez accueilli’ trouve une vérité nouvelle dans la réalité sociale
d’aujourd’hui. - La volonté, en conformité avec l’Ecriture, de voir en
tout homme une personne créée ‘à l’image de Dieu’, oblige chacun à aller au
delà de ses caractéristiques nationales, ethniques ou culturelles. - la présence dans les communautés paroissiales de
personnes issues de l’immigration
transforme de plus en plus leur identité et les appelle à l’ouverture
au monde. - L’action de nombreux mouvements chrétiens pour la
solidarité Nord-Sud, leur participation à des opérations en faveur des
étrangers (aide aux sans-papiers, alphabétisation, aide aux demandeurs
d’asile) sensibilisent le peuple chrétien dans son ensemble à l’égard des
étrangers en France. - Les prises de
position de l’Episcopat, dans l’Eglise Catholique, rappellent l’exigence
évangélique de fraternité. Pour les responsables politiques : - Il y a nécessité au delà d’un humanisme partagé, de tenir compte des réalités historiques, politiques et économiques. Si l’opinion publique) est fortement sensibilisé au fait des migrations, il se
sent désemparé pour trouver les réponses adéquates Ceux qui ne se sont pas impliqués
concrètement dans une action spécifique (alphabétisation, accueil…), et
parfois même ces derniers, tout en ayant le sentiment d’être concernés au
jour le jour, du fait de la présence étrangère grandissante, estiment souvent
être dans l’incapacité de la juger de manière adéquate et d’orienter leur
comportement en conséquence. - l’immigration
leur semble un phénomène complexe, dont ils ne connaissent pas les tenants et
aboutissants ; ils n’en perçoivent que les éléments immédiatement
perceptibles, dans le voisinage, dans le corps social français, sans
référence ni à l’avant (ailleurs) ni à l’après ( - Phénomène de masse, l’immigration leur paraît être du domaine de l’Etat, des institutions, de la législation…et de plus en plus géré dans le cadre européen. Leur ignorance des données légales et administratives (complexes); de la définition de l’étranger (son statut, ses droits, son mode de vie) ; des politiques envisageables (en matière de frontière, de visa, de quotas, de droit au travail); de l’aide qu’il est souhaitable d’apporter … tout concourt à un sentiment d’impuissance. La situation des étrangers en France,
leurs souffrances matérielles et morales, les difficultés qu’ils rencontrent
interpellent l’opinion publique et le monde chrétien en particulier : Ce qui interroge en
particulier : - le racisme rencontré au quotidien, de manière ouverte ou
larvée, dans les lieux publics, dans l’approche de l’administration et des
services publics, dans le voisinage et sur le lieu de travail ; le
‘délit de faciès’ omniprésent, particulièrement dans le monde du travail. - l’exploitation de fait, notamment des sans-papiers, en
abusant de leur situation de détresse ; mais aussi la non reconnaissance
des qualifications professionnelles
(permettant de sous-payer) ; la difficulté à obtenir qualification ou
formation. - l’inégalité patente dans la recherche d’emploi, faisant
de nombre d’étrangers des chômeurs ; - les obstacles de toute sorte pour traiter et reconnaître
la demande d’asile, qui aboutissent à l’augmentation du nombre des
sans-papiers ; même si ces obstacles découlent principalement d’une
volonté de rendre les frontières plus étanches et de lutter contre une
utilisation abusive du droit d’asile, ils ont pour effet de rendre le territoire national et le statut
de réfugié politique de plus en plus inaccessibles. - la
non reconnaissance de la différence de l’étranger
dans ses pratiques, sa culture, son habillement, sa religion et ses
coutumes entre en contradiction avec la tolérance, voire
l’intérêt à l’égard
d’autres modes de vie dont pourrait s’enrichir la
communauté nationale. D’une façon
générale, on considère l’immigration de
manière pessimiste : les apports des personnes
d’autres pays et d’autres cultures à la
communauté nationale sont largement ignorés. - la création de
ghettos, pour des raisons économiques, ou pour préserver le niveau social de
certains quartiers, ghettos où misère, insécurité et exclusion prolifèrent. La politique de fermeture des frontières,
à l’œuvre partout en Europe, de manière de plus en plus stricte, pose
question La responsabilité des pouvoirs
publics pour réguler l’entrée des étrangers sur le territoire national n’est
en général pas remise en question ; suppression Mais la rigueur avec laquelle cette
politique est poursuivie, l’orientation générale qu’elle signifie, les
conséquences qu’elle entraîne dans la vie quotidienne sont vécues par
l’opinion publique de manière contradictoire : d’un côté, elles
rassurent en répondant à un besoin de sécurité croissant, de l’autre, elles
inquiètent par les connotations qu’elles impliquent (prédominance de l’action
sécuritaire, mise entre parenthèse de libertés fondamentales, fermeture sur
le monde, nationalisme rampant). L’accueil des étrangers : une
réalité peu reluisante Nos richesses constitueraient-elles
un frein à l’accueil de l’autre venant d’un pays défavorisé ? On
pourrait le penser en regardant les moyens engagés par les pouvoirs publics.
Trop souvent, ils ne veulent pas s’impliquer, laissant aux initiatives
privées le soin de pallier leurs insuffisances. Les discours sur la nécessité
d’intégration, sur l’accueil de l’autre, sont contredits par les situations
concrètes, par le grand nombre de personnes vivant dans des conditions
matérielles difficiles, par les délais souvent considérables des démarches
administratives, par la méconnaissance de la situation des personnes, de leur
itinéraire, de la réalité de leur pays d’origine. Il faut aller jusqu’au bout de l’accueil : jusqu’au moment où l’étranger a un logement, un travail, une réelle autonomie : parcours difficile qu’il doit, trop souvent, accomplir seul, dans l’indifférence. Réalités
politiques et traditions chrétiennes : interpellations mutuelles On l’a vu, le phénomène des
migrations suscite, dans l’opinion publique comme auprès du peuple chrétien,
des interrogations profondes et contrastées. Il est tout aussi difficile de
comprendre et de juger que d’arrêter des pistes d’action ; les
sensibilités sont nombreuses et opposées. De plus, les différences – et
les tensions qui en résultent - traversent les appartenances classiques.
C’est vrai en particulier pour l’appartenance religieuse : même si le
message du Christ est particulièrement clair en la matière, sa mise en
application n’est de loin pas l’apanage de ceux qui s’y réfèrent explicitement.
Les tensions à l’œuvre ne peuvent en aucun cas être caractérisées dans le
cadre de l’alternative foi
chrétienne/monde laïc. Et il est clair toutefois que la foi chrétienne et
l’inspiration humaniste se situent, toutes deux, souvent du même bord par
rapport aux exigences de la réalité. On peut retenir, pour une
meilleure compréhension de la diversité des positions, deux grandes
problématiques : l’ouverture/fermeture du pays à l’égard des étrangers,
et l’installation/ intégration dans la nation. L’alternative ouverture/fermeture du pays
à l’égard des étrangers La frontière revêt deux
réalités : - la détermination géographique de l’ensemble national,
qui signifie également domaine de la compétence étatique et lieu de vie
naturel des citoyens ; - la ligne de séparation entre citoyens et
étrangers (ce qui implique d’approfondir les notions de nationalité et de
citoyenneté). Cette seconde réalité est,
aujourd’hui, en question. En raison de l’attraction que le territoire
national exerce sur des populations étrangères, elle fait l’objet de
franchissements en masse, légaux ou illégaux, par des personnes ayant en vue
une installation en France dans la durée. Face à ce projet, la communauté
nationale réagit ainsi qu’il a été décrit plus haut ; mais ces réactions
se fondent elles-mêmes sur des principes contradictoires : - l’obligation pour les gouvernements de mesures de
sécurité draconiennes, d’une part ; - le refus de principe de s’engager dans de
telles perspectives, profondément dommageables pour les droits humains et
contraires à notre culture, de l’autre. Ces oppositions ne sont pas
théoriques. Elles sont vécues par tous, à des degrés divers, selon le degré
de responsabilité ou d’engagement personnel. Même le ‘simple citoyen’ est
concerné, dans sa vie quotidienne d’abord, mais aussi parce qu’à chaque
élection il est mis en présence de programmes, de personnalités qui se
prononcent sur ces questions. Et à défaut, il doit les y contraindre. Il en va de même de la seconde problématique, qui fait en quelque sorte suite à la précédente : une fois l’étranger admis sur le sol national, comment envisage-t-on sa participation à la communauté nationale ? L’installation/intégration dans la
nation. Là aussi, une tension indéniable
existe entre deux conceptions : - pour beaucoup de Français, les valeurs, langues et
coutumes, héritées de notre histoire, sont partie intégrante de notre
patrimoine. Voir une partie importante de la population ne pas y adhérer
conduirait à accepter un principe de division, voire d’inégalité. Les références
qui guident la nation et qui parfois ont été acquises au cours de processus
longs et douloureux sont essentielles pour notre vivre ensemble. On ne peut y
renoncer, sauf à se nier soi-même. De plus, il est légitime de demander à
ceux qui arrivent de s’y conformer, preuve de leur disposition à faire partie
de la nation. Cette adaptation doit se faire le plus rapidement possible, et
l’Etat doit veiller à son bon déroulement, donner les moyens nécessaires
(pour l’apprentissage de la langue, la connaissance de notre passé commun,
des dispositions majeures législatives et administratives). - Pour d’autres, il
convient avant tout de prendre l’étranger dans sa situation présente,
d’accueillir sa présence, d’honorer sa demande. Son désir est grand, sa
disponibilité aussi ; s’il vient chez nous, c’est qu’il est en attente,
en espérance. Il ne faut pas le décevoir. D’ailleurs, sa venue peut être
synonyme de grandes richesses pour la communauté nationale. Certes, il lui
faut pouvoir s’intégrer, et pour ce faire il doit pouvoir disposer des
éléments indispensables (cours de français, logement, travail) ; mais il
ne convient pas de lui demander de se renier ; avec lui, il apporte sa
culture, sa foi religieuse, ses convictions, sa manière de vie ; Pistes
pour l’action Face à la nouvelle donne de
l'immigration vers les pays de l'Union européenne - à la fois inéluctable et
très difficilement acceptée - la tradition humaniste, républicaine
française, et la tradition chrétienne
sont confrontées avec un paradoxe au fond très similaire. Parce qu'humaniste,
la tradition républicaine, égalitaire et laïque ne peut pousser le rejet du
communautarisme jusqu'au point de nier la dimension sociale des appartenances
religieuses. Le fait islamique attire l'attention sur une réalité plus large:
l'appartenance religieuse est une source d'identité et de liberté personnelle
qui concourt, en démocratie, à la formation de l'esprit civique; la laïcité,
sauf à tomber dans le travers du laïcisme qui discrimine, s'ouvre à la
diversité féconde des "communautés de Foi et de convictions" dans
une société d'avantage pluraliste. L'histoire biblique et
chrétienne est tissée d'un paradoxe similaire. Elle nous montre régulièrement
des prophètes et des leaders conduits, par le souffle de l'Esprit, à proposer
dans un contexte culturel et religieux très spécifique, celui du peuple juif,
puis celui de Nous en concluons que la difficile question politique de la conciliation entre ouverture et fermeture à l'immigration, entre intégration par assimilation ou par reconnaissance de la diversité dans l'unité, procède d'une introspection: fort de mon identité personnelle, de mon éducation et des valeurs qui m'orientent, je suis d'avantage capable d'appartenir à un ensemble social et national plus divers où sont assumés les mêmes droits et devoirs. Nos propositions en découlent. Elles commencent par ce qui est à la portée immédiate de chacun, pour s'élargir aux conditions de l'accueil des étrangers qui relèvent du cadre politique national puis européen.
Au plan personnel et localement Reflétant l'esprit de fraternité
qui a nourri toute expérience spirituelle chrétienne, nous invitons les
mouvements et associations membres des ACM à soutenir selon les modalités
propres à chacun d'entre eux, une attitude d'accueil et de disponibilité
réciproque à l'égard des communautés ou des personnes étrangères présentes
dans nos lieux de vie, avec le but d'aider à constituer dans ces lieux une
société unie par des droits et devoirs partagés. Les débats au sein des ARM
et les contributions des mouvements mettent ainsi l'accent sur les attitudes
et initiatives concrètes telles que: - Promouvoir au sein de la famille un esprit d'ouverture
et de curiosité à l'égard communautés et des religions venues d'ailleurs. - Favoriser l’accueil des étrangers ; susciter dans
les structures d’accueil des migrants la présence d’accompagnateurs
(démarches administratives, apprentissage des gestes de la vie
quotidienne) ; favoriser l’accueil des étudiants étrangers, leur
permettre de faire véritablement des études en les soulageant des soucis
matériels. - favoriser le plus possible les contacts de voisinage
(dans la vie quotidienne, dans des rassemblements festifs) ; créer ou
participer à des associations interculturelles, pour échanger, connaître et
se faire connaître dans une société métissée ; travailler en réseau avec
les associations ethniques. - créer ou participer à la création de ‘maisons de
l’étranger’ (centre de ressources et d’appui aux personnes immigrées, lieux
de rencontre et de découvertes des cultures) - sensibiliser les ‘clochers’ à la journée pastorale des
migrants ; faire des paroisses des lieux d’accueil et
d’information ; mobiliser les paroisses, tout en sachant que c’est un
impératif moral et que les chrétiens n’ont pas le monopole de l’accueil. Dans
les communautés chrétiennes, accueillir les modes d’expression
liturgiques et autres pour
l’expression propre de la foi. - Tout en précisant clairement les exigences que le pays
peut avoir à l’égard des immigrés en matière d’insertion, leur indiquer toute
la place qu’ils peuvent y trouver. - Savoir témoigner de la richesse et de la nécessité des
actions menées en faveur des étrangers. Créer des occasions de rencontre avec
les étrangers auprès desquels on vit. - Sur le thème de l’immigration, les évêques de France
comme
Se donner au niveau national les moyens d'une politique
d'intégration et d'immigration adaptée au nouveau contexte international Nous invitons les mouvements
membres des ACM, selon des modalités à
établir par chacun d'entre eux, à demander aux pouvoir publics et aux
responsables politiques et professionnels de définir une stratégie complète,
englobant les divers aspects de l'immigration et de l'intégration des
personnes issues d’immigration, fondée sur les valeurs d'une laïcité ouverte,
la non discrimination et le respect des droits et devoirs fondamentaux,
tenant compte des coûts et opportunités de l'intégration, tant pour les
communautés d'accueil que pour les migrants . Cette vision complète comporte
en particulier les nécessités de : - Partir des valeurs fondatrices de notre vie en
société : démocratie, République, Droits de l’homme, laïcité, pour
éclairer la politique de l’immigration
et les politiques d'intégration qui en découlent ; - Voir de manière positive les richesses amenées par
l’immigration, dans les domaines économique et culturel ; - Appliquer
effectivement les dispositions légales qui concernent les
immigrants, telles que le droit d’asile, les droits des mineurs
isolés ou en famille, le regroupement familial ; fixer par
la loi une délai maximal d’octroi du permis de
séjour à un étranger marié à une
personne de nationalité française dont le mariage a
été célébré à
l’étranger ; être attentif à ce qui se
passe en zone d’attente ;; raccourcir les délais de
réponse administrative aux demandeurs d’asile et de façon générale, donner aux
administrations compétentes pour l'application des lois les moyens
administratifs correspondants. - Assurer aux étrangers les mêmes droits et devoirs sur le
marché du travail qu’aux français, et promouvoir la non discrimination
par des campagnes publiques et par les contrôles de l'inspection du travail ;
ou par d’autres moyens encore à inventer ; - Augmenter nos capacités d’insertion sociale, par
l’alphabétisation, l’apprentissage jusqu’à la maîtrise de la langue
française, par l’accès à un logement
décent, et le droit au travail. En permettant aux demandeurs d’asile une
première insertion dans la communauté nationale par un travail dont les
conditions particulières seraient à définir ; - Combattre le mythe de l’invasion, rompre l’amalgame
entre sans-papiers, étrangers et délinquance ; - Militer pour un respect par - Examiner sérieusement la question de l’expression politique locale pour les étrangers (droit de vote et de représentation politique locale).
Situer les politiques
d'immigration et d'intégration dans leur cadre international De la même façon, nous proposons
que la stratégie nationale d'immigration et d'intégration soit située
clairement dans son contexte européen et international. Le contexte européen
lie les politiques françaises à des règles communes en matière de contrôle
aux frontières extérieures (espace Schengen), d'asile, de visas. Il comporte
aussi des droits de citoyenneté, en matière de libre circulation et d'accès à
la sécurité sociale obligatoire pour les travailleurs immigrés et leurs
familles résidant légalement dans un pays de l'Union. Il organise de manière
stricte, s'agissant des migrations professionnelles à l'intérieur de l'Union
européenne, le recours aux travailleurs détachés ou intérimaires employés sur
des chantiers temporaires. Prendre en compte le contexte international
implique également de nouer une relation de partenariat de développement avec
les pays dont sont majoritairement originaires les travailleurs migrants.
D’ou la nécessité de travailler aux orientations qui suivent : - Prendre part au débat en cours sur l’avenir de la
politique d'immigration européenne. En effet - Oser reconnaître les torts commis par - Renforcer les
politiques multilatérales de coopération avec les pays d’origine, afin de mieux influencer leur gouvernance
et y restaurer ou consolider l’Etat de
droit. Agir pour l’établissement d’institutions internationales et de
ressources internationales vouées au développement. Faciliter les échanges
commerciaux avec les pays du Sud de manière juste et équilibrée. Payer leurs
productions à un prix équitable. |
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Axe 3 :
Le
marché Le « marché » : Dr Jekyll ou Mr
Hyde ?
La
création de richesses est un processus complexe qui résulte de nombreux
facteurs : La
mondialisation des flux financiers. Les
délocalisations Réalités économiques et chemins de conversion D’abord, en adoptant un certain
style de comportement Ensuite, en faisant face aux défis
que pose un monde en évolution permanente Au niveau personnel Au niveau de l’entreprise Au niveau des ONG. Au niveau de l’Etat Pleinement
utiliser le cadre européen Au niveau mondial 1 Lire ce chapitre en parallèle
avec les « Pistes pour l’action » de l’axe 4 sur la
« Gouvernance » |
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A la différence de l’Axe 1, qui se concentre sur les finalités de
l’activité humaine, cet Axe 3 voudrait éclairer les conditions concrètes
qu’impose la mondialisation à la création de richesses, dans la vie des
entreprises et de ceux qui en vivent. Recherchons premièrement la croissance économique, et le
reste nous serait donné par-dessus le marché ? Ce débat ne date pas
d’aujourd’hui, mais il s’amplifie (ou s’atrophie ?), tant il semble que
l’économique se soit imposée comme une fonction première, un envahissant
premier rôle, presque une drogue, notamment dans les sociétés riches. L’économique est nécessaire, respectable
tant qu’il reste dans son rôle. Il devient détestable lorsqu’il s’enfle au
point de se prendre pour l’essentiel, lorsque l’activité économique devient
le pivot de nos existences comme par exemple lorsque la consommation devient
le moteur de l’homme. Le travail rémunéré fournit salaire, identité sociale,
rencontre des autres, emploi du temps. Celui qui sort du travail rémunéré
perd tout cela. Nos sociétés
d’abondance sont désemparées. Redistribuer la production de richesses de plus
en plus déconnectée du travail humain, voire de la demande et exister dans le
temps libéré imposent une mutation des pratiques et surtout des mentalités
qui nous panique. Une croissance forte serait un risque pour cette mutation. Réalités
d’aujourd’hui : pesanteurs et espoirs Le marché La mondialisation - tout au moins celle que nous
vivons actuellement - se caractérise par la création d’un ‘marché
mondial’ ; les conditions techniques le permettent (réduction drastique
des coûts de transports ; normalisation des produits) ; les
conditions économiques le favorisent (recherche de la baisse des coûts de
main d’œuvre ; facilités de
change monétaire accrues ; développement des multinationales); les
conditions politiques favorisent le développement des échanges (réduction des
droits de douane et des obstacles non tarifaires). Bref, la notion de marché est le
dénominateur commun de notre mondialisation. Le « marché » : Dr Jekyll ou Mr
Hyde ?
- Historiquement, le développement des civilisations a
toujours été lié à la liberté du commerce. Les modes de développement initiés
par la volonté étatique rencontrent, plus ou moins rapidement, des obstacles
graves liés à des problèmes d’ordre politique. Et on sait les limites de
l’aide internationale : elle souffre d’un déséquilibre fondamental, elle
peut générer la corruption, elle ne peut être permanente. ‘Trade, not Aid’. Le
commerce permet d’intéresser concrètement le maximum d’acteurs économiques,
il suscite le dynamisme, la création d’entreprises, la transformation
vivante. On peut le réguler pour son bon exercice, mais non le juguler ;
c’est une plante vivace, à condition qu’on le laisse se déployer sans
contraintes. Il sera à lui-même son régulateur. - Commerce, oui, mais entre égaux ou ensembles de force
significative, et de manière juste. Or
la mondialisation est profondément inégalitaire, comme souvent, quand un
monde s’ouvre à un autre. Nous souffrons, aujourd’hui, d’un commerce mondial
débridé, où les plus forts n’en respectent pas les accords signés (confère
les subventions) et où les protections les plus justifiées (la sauvegarde de
la production agricole vivrière) ne sont pas assurées. La régulation
politique est indispensable, au plan supranational. Etude d’un cas : la production et le commerce du
poulet (voir annexe, en fin d’axe 3) : Cet exemple montre les limites de la doctrine de la liberté des
échanges économiques (la main invisible et bienfaisante du marché) comme
facteur essentiel du progrès. Le déséquilibre entre les différents acteurs
d’un marché non maîtrisé aboutit à de graves conséquences humaines qu’il est
ensuite très difficile, voire impossible
de réparer (ruptures culturelles, destructions environnementales
irréversibles). Ceci ne s’observe pas seulement dans les pays les plus
pauvres. Dans les économies développées aussi, le libre jeu du marché
entraîne des processus de destruction irréversible, par exemple entre
donneurs d’ordre et sous traitants. Ainsi la théorie de la « destruction
créatrice » qui justifie aujourd’hui la pratique néo libérale doit-elle
être passée au crible des situations précises. N’est il pas de trop nombreux
cas d’entreprises et de secteurs où le solde net « création moins
destruction » est largement négatif, indépendamment même du caractère
moral ou non des destructions ? Ne faut-il pas faire émerger un autre
concept également ouvert à la dynamique de l’initiative et de la liberté,
mais dans une finalité plus autrement plus humaine que les simples jeux de
l’argent et du hasard ? Il faut assumer cette interdépendance de nos économies entre pays de niveaux de développement différents (On préfère cette formule à celle couramment utilisée pour opposer les pays du Nord au pays du Sud. Cette notion est en effet révolue car il y a plusieurs Sud et plusieurs Nord).Mais les changements intenses qu’elle entraîne ne sont pas aussi nécessaires ni légitimes qu’il y paraît à première vue. Leur brutalité n’est pas une fatalité : elle est essentiellement due à l’insuffisance de régulation dans les échanges internationaux. Pour autant, nous devons accepter que les pays les plus pauvres aient aussi le droit de se développer mais à un rythme différent.
La création de richesses est un processus complexe qui résulte de
nombreux facteurs : - Notre niveau de vie collectif est le résultat de notre
travail et de sa productivité. La réduction du temps nécessaire pour réaliser
un produit ou offrir un service permet d’accroître la
production (l’offre), et les salaires (la demande) en diminuant les prix
de vente au bénéfice des consommateurs que nous sommes tous (le pouvoir
d’achat). L’ensemble des systèmes de protection sociale, comme la retraite ou
la sécurité sociale, repose sur ce cercle
vertueux, le fameux « compromis fordien », et les richesses
qu’il produit. - Il n’y a pas que des créations de richesses
sonnantes et trébuchantes ! Au-delà de la création de richesses monétaires,
le développement des sociétés repose effectivement sur l’amélioration de
l’état sanitaire, de l’éducation et des structures de la démocratie. Autant
de critères désormais pris en compte par l’Indicateur de Développement Humain
(IDH) du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). - Plusieurs facteurs stimulent le travail productif, à
commencer par l’expression des besoins de la population, c'est-à-dire la
demande. La capacité d’innovation, l’esprit d’entreprise, apportent en
permanence de nouvelles réponses à ces besoins. La liberté économique permet
à cet esprit d’initiative de s’exprimer. Le libre marché concourt à la
productivité par le jugement permanent de la concurrence qui récompense les
efforts de création et d’adaptation et sanctionne l’inertie. Or, le moteur de
la concurrence, ce sont les consommateurs, qui disposent de ce fait d’un
pouvoir économique considérable. - Tout ne peut toutefois pas se ramener au jeu de la
productivité et de la concurrence. Des besoins fondamentaux comme ceux des
infrastructures collectives et l’ensemble des biens publics dus à tout homme
parce qu’il est homme, comme le droit à la subsistance, le développement de l'éducation, de la
culture et de la santé à la protection de la santé ou à l’éducation,
par exemple, ne relèvent pas exclusivement du libre marché. Ils nécessitent
l’intervention de la puissance publique, comme garante ou comme productrice
de ces biens et services, en charge du bien commun actuel et futur. Le profit est une nécessité, mais si l’unique objectif est sa
maximalisation, il est critiquable Le processus
fordien est grippé par la vitesse et l’ampleur des évolutions en cours. Les
effets positifs des gains de productivité d’une entreprise peuvent être
durablement contredits par l’externalisation au niveau de la collectivité du
coût social qui en résulte. L’ensemble de la population ne parvient pas à
tirer bénéfice des progrès technologiques. Un déséquilibre permanent
s’installe qui s’appelle principalement chômage, exclusion, ruptures
familiales. Il faut faire le constat qu'un grand nombre
de salariés sont ou risquent de devenir inemployables. Il ne suffit pas d’accroître la richesse commune
pour qu’elle se répartisse équitablement. Au contraire, les écarts se
creusent au sein d’un même pays, voire entre les pays. La première des richesses est l’homme
et sa formation professionnelle est une obligation que les chrétiens doivent
s’engager à mettre en œuvre pour maintenir un niveau d’employabilité adapté
au marché. - L’innovation coûte cher. Elle comporte
des risques (recherche, développement,
formation etc..), d’où l’importance de l’investissement des actionnaires, qui
sont largement des épargnants groupés en fonds de gestion. Ces fonds, comme
les actionnaires en général, peuvent avoir des pratiques spéculatives de rendement financier maximum
à court terme, indépendamment des
conséquences industrielles ou sociales que cela peut entraîner. Ils
peuvent aussi avoir des pratiques prudentes et donner la priorité à la
solidité des entreprises qui présentent une bonne santé financière dans la
durée. Selon les cas, la pression des actionnaires pour que
s’améliorent la productivité et la rentabilité de l’entreprise sera donc
celle d’un partenaire ou celle d’un prédateur. - L’entreprise est fragile.
Elle n’a pas de clients captifs et, si elle ne boucle pas ses comptes, ne
pouvant lever d’impôts, elle dépose son bilan. « Les organisations ont
toutes une responsabilité première. Pour l’école, enseigner les élèves. Pour
l’hôpital, guérir les malades. Pour l’entreprise, développer une performance
économique pour satisfaire les besoins matériels de la communauté. La
performance est la base : sans elle, l’entreprise ne peut exercer ses
autres responsabilités, être bon employeur, un bon citoyen » (Peter
Drucker). La création de richesses économiques n’est pas un
« donné » naturel. L’internationalisation du capital n’est pas chose nouvelle, mais elle est devenue la règle. L’économie mondiale est devenue capitaliste.
La mondialisation des flux financiers La mondialisation de l’activité
financière conditionne la
création de richesses en même temps qu’elle déstabilise les entreprises. - Nous sommes passés de la culture du résultat (d’exploitation, net, cash-flow), à la culture du retour
sur investissement (ROI), du retour sur capitaux employés (ROCE), du taux
de rendement interne (TRI, IRR) qui
intègre la plus-value de revente. Nous sommes passés du règne du manager au règne des actionnaires, puis à celui des marchés
financiers et la dimension impersonnelle. - L’importance de l’afflux de capitaux nouveaux et l’accès
de tous types de capitaux aux marchés financiers, ont accentué la demande des
investisseurs et facilité pour les entreprises les capacités d’augmentation
de capital et de cession des parts de l’entreprise, et plus globalement les
cessions d’entreprises. - L’importance des plus values réalisées par ces cessions
et l’impact sur la rentabilité (mesurées par le TRI) ont développé de
nouveaux comportements ; les plus-values de cession (dégagées par la
vente, totale ou partielle, d’une entreprise) permettent de capter rapidement
la création de valeur. Ces processus ont généré une accélération de la
réactivité des investisseurs, en recherche de plus-values, et le
développement du rôle des analystes financiers dans la recherche et
l’identification des opportunités. - Cette nouvelle donne, en accélérant le mouvement, génère de l’instabilité sur les marchés délaissés, avec toutes
les conséquences que cela implique pour les entreprises concernées et les
personnes qui en vivent. - Cette surpuissance de la finance est contestable et doit être encadrée. L’état actuel de la gouvernance mondiale ne permet pas de le faire.
Les délocalisations Au cœur des préoccupations des
français, les délocalisations sont-elles vraiment à l’origine de tous les
maux qu’on leur attribue ? Sur ce thème sensible, où l’émotion tend à
troubler l’analyse, toute prise de position a particulièrement besoin de
s’appuyer sur des informations objectives [Par exemple : Les enquêtes
menées par Même
si les chiffres disponibles ne font état que d’un petit nombre de pertes
d’emplois directement liées aux délocalisations (« petit » en
comparaison de la destruction « ordinaire » d’emplois de l’économie
française), nous partageons l’anxiété et la détresse des personnes qui en sont
victimes, qu’il faut reconnaître et accompagner. Ces
souffrances, si la qualité des outils statistiques nécessaires à l’évaluation
de l’impact des délocalisations sur l’emploi n’est pas améliorée, peuvent
mener à un rejet en bloc de la mondialisation, donc à l’impuissance. Un
effort d’analyse des composantes et des effets des délocalisations paraît
donc indispensable. Les déplacements
d’emplois liés à la mondialisation sont de natures diverses. Ils peuvent concerner les emplois proprement dits, les
investissements ou les courants d’achats. Etonnamment, un peu moins de la
moitié seulement des délocalisations sont à destination des pays dits
« à bas salaires » (dans l’ordre : La majorité des
emplois délocalisés l’est vers les pays développés (Espagne, Italie,
Allemagne et Etats-Unis). « Ces délocalisations correspondent en grande
partie à une logique de restructuration et de recentrage des groupes au sein
des pays développés, auquel s’ajoute une recherche de moindre coût de
production. Ce phénomène n’est donc pas toujours défavorable à Toutefois, les
analyses macro économiques ne peuvent se faire qu’avec un décalage et il est
aujourd’hui difficile d’évaluer en temps réel ce qui se passe sur le terrain des délocalisations. L’entrée en
force sur le marché mondial de géants comme l’Inde et Face aux conséquences sociales de ses décisions, chaque acteur concerné, public ou privé, doit pouvoir mesurer sa responsabilité. Parmi les éléments de jugement figureront entre autre la prise en compte de la meilleure réciprocité des échanges (créatrice d’emplois chez nous), ainsi que les opportunités de croissance ainsi créées dans les pays en développement. Dans le brouillard qui caractérise la situation, la nécessité de promouvoir des comportements éthiques, fondés sur des codes de bonne conduite, apparaît d’autant plus nettement (entrepreneurs, investisseurs, salariés, consommateurs). Réalités économiques et chemins de conversion Comment être acteur d’une
« économie » au service de tous ? Comme veiller
à « être dans le monde sans être du monde » ? D’abord, en
adoptant un certain style de comportement Etre bon acteur, et non adorateur, de
l’économie (créativité, bonne gestion, respect des règles et des
personnes) ; on ne peut pas placer la personne dans une situation
inhumaine au prétexte d’évolutions inéluctables. On ne peut pas, au nom d’un
bien (accès aux échanges), négliger les conséquences humaines néfastes qui en
découlent (cf. principe de proportionnalité). Une croissance forte n'est pas
un but en soi, mais c'est le moyen indispensable de répondre aux enjeux sociaux
du monde, notamment en matière de développement et de traitement équitable
des immigrés. La faible croissance économique de l'Europe et de La famille est un des premiers lieux où la solidarité peut être éveillée, entre les personnes d’abord, puis dans la vie sociale et économique. Plus largement, dans toute la famille humaine, l’homme est invité à « ne pas se dérober à son semblable » (Is 58,7). Pour parodier St Augustin, Dieu nous a faits pour vivre en lui et notre cœur ne peut trouver le repos tant que demeurent des fardeaux trop lourds, des pauvres qui ont faim, des vagabonds sans maison, des frères sans vêtements. Les besoins des hommes sont les champs ouverts à notre initiative, le lieu où se rejoignent la raison d’être et les finalités de l’économie.
Ensuite, en faisant face aux
défis que pose un monde en évolution permanente. Un monde que les méthodes traditionnelles de gestion par ordres et procédures ne peuvent plus appréhender. Ces nouveaux défis imposent une même réponse : une mutation, un saut dans la capacité responsable des personnes et des groupes. « Nous vivons un saut dans l’évolution. La responsabilité devient indispensable » (Jacques Ellul). Il s’agit de passer d’une société basée sur l’obéissance à une société construite sur l’initiative et la responsabilité. Une responsabilité jamais imaginée auparavant. La promotion d’une société post-capitaliste dont la responsabilité doit être le principe organisateur ne va pas de soi…La liberté évangélique qui nous est donnée en héritage devrait nous aider à rechercher, par la culture du débat, ce que l’excès de juridique ne peut véritablement produire. Le courage de l’action est possible ! Pistes pour l’action1 1 [Lire ce chapitre en parallèle
avec les « Pistes pour l’action » de l’axe 4 sur la
« Gouvernance »]. Les
structures seules font rarement changer les comportements, alors que les
comportements finissent par façonner les structures. La recherche de
l’éthique et la culture du débat peuvent cependant être facilitées par
l’articulation de règles. Les pistes indiquées ici en offrent quelques
exemples. Au niveau personnel Le
changement des comportements passera par l’éducation. Celle-ci commence au
sein de la famille et de l’école. Voici une liste d’actions possibles qui
permettent de choisir en toute liberté : - Participer au moins à un mouvement de coopération avec
le Tiers-monde par
exemple : souscrire à un fond de répartition de micro crédits. - Encourager les innovations originales dans le domaine du
développement, entreprises à titre expérimental. - Epauler ou participer aux structures
d’accompagnement à la création de petites entreprises nouvelles, elles-mêmes
créatrices d’emplois. - Adopter un mode de vie plus cohérent et fraternel dans
le domaine de l’alimentation, de la santé... - Consommer autrement par exemple en encourageant l’achat
de produits du commerce équitable ou biologiques, - Organiser une information permanente sur les problèmes
de développement et les possibilités d’actions. - Adhérer aux fonds éthiques et aux fonds de placement qui
sélectionnent les entreprises se soumettant à des indicateurs d’évaluation
éthique etc ... - Soutenir, sur le plan politique, les propositions
cohérentes avec les pistes d’action évoquées dans ce livre blanc. - Que l'exploitation des unités de production
dans les pays pauvres se fasse en respectant les règles d'éthique. Sur ce
point, les consommateurs de nos pays peuvent faire pression. - Economiser les ressources naturelles
(l’eau…l’air, la terre, les réserves halieutiques, la biodiversité…) . - Encourager les formes d’économie d’énergie (ferroutage et covoiturage…)…
Au niveau de l’entreprise Le dialogue social doit se structurer dans les entreprises
internationales.
Si l’on veut aller vers une
maîtrise de l’internationalisation des échanges, il est impératif que
certaines institutions représentatives du personnel, tels les Comités
d’entreprise, se voient offrir par la loi la possibilité de peser sur les
grands choix stratégiques des entreprises. Quelques grandes entreprises
commencent d’ailleurs à comprendre que la performance financière n’est pas la
seule à prendre en compte et intègrent progressivement l’idée de
responsabilité sociale. Dans les entreprises de dimension multinationale, les salariés et
leurs représentants sont trop souvent mis devant le fait accompli lors de
décisions prises à un niveau centralisé éloigné des sites de production.
Leurs interlocuteurs directs ne sont pas les décideurs. La mise en place
progressive de comités d’entreprise européens (CEE) est un premier pas dans
la bonne direction. Pour l’instant, ces comités ont surtout favorisé une
meilleure information et des échanges de vue, mais il faut aller plus loin
afin de permettre une consultation préalable des représentants des salariés,
avant les décisions affectant considérablement la marche de l’entreprise et
concernant les intérêts des travailleurs (par exemple, une délocalisation). Ce travail ne peut
s’articuler qu’à travers une redéfinition des pouvoirs des institutions
représentatives du personnel et de la mise en œuvre de démarches politiques
volontaristes, tant nationales qu’européennes, soucieuses d’encadrer la
globalisation des échanges. Elles doivent aussi donner une place
prépondérante, stratégique, à l’enracinement de normes sociales
supranationales susceptibles d’enrayer la course au "moins-disant
social". Il est donc nécessaire que les textes
législatifs européens renforcent les pouvoirs consultatifs des CEE. Nous pensons nécessaire de
développer la responsabilité sociale des entreprises (RSE), sur la base d’un
code de bonne conduite, à créer. Dans ce but, un comité pourrait se mettre en
place, composé de représentants du gouvernement, des employeurs, des
organisations syndicales, des associations de consommateurs… Sa mission
serait de faire des propositions visant à réduire et à canaliser, selon des
paramètres bien définis, les délocalisations. Au niveau des ONG L’action des ONG qui
opèrent sur le terrain dans les pays en développement est trop souvent
entravée par des questions administratives et de corruption. La distribution
des aides, matérielles ou immatérielles doit être la plus directe possible et
favoriser le partenariat avec la avec la société civile. Là où il existe des ONG locales qui coordonnent les aides,
celles-ci seront rendues plus efficaces et responsables, tout en restant
conscient que la cohérence globale des aides d’un pays suppose de ne pas
ignorer les gouvernements en place. Au niveau de l’Etat Nous appelons à une remise en
cause fondamentale du rôle de l’Etat au niveau national pour prendre en
compte, notamment, la notion d’équilibre budgétaire (éviter de reporter sur
les générations futures nos dettes, redonner la priorité aux plus démunis en
remettant en cause les avantages acquis devenus indus,…). Nous rappelons que
si l’inflation est un impôt sur les plus pauvres, l’endettement
excessif d’un état est un impôt sur les jeunes. La lourdeur administrative et
le maintien d’avantages acquis devenus indus, nient également la capacité
d’organiser au profit des plus pauvres une solidarité effective et
respectueuse de leur dignité. Il faudrait valoriser les activités qui ne sont pas actuellement comptabilisées dans l’évaluation de la croissance : bénévolat social, activités associatives etc.…
Pleinement
utiliser le cadre européen S'il s'agit non de refuser la
mondialisation, mais plutôt de la doter de règles qui humanisent et
démocratisent son déploiement, pour éviter d'en faire le champ clos des
intérêts les plus puissants sur le marché international, alors le cadre
européen est particulièrement pertinent, puisqu'il combine à la fois une
Union douanière (c à d. une capacité globale de négociation commerciale
internationale) et un Marché intérieur (c à d. des règles homogènes de
concurrence et des principes économiques, environnementaux et sociaux communs pour la libre
circulation). L'ignorance, parfois la caricature de son fonctionnement
engendrent une double perte: on prive l'action collective de notre pays d'un
instrument de régulation efficace et on affaiblit son influence sur son orientation. 2. Découlant de la prise en compte
des interdépendances Nord-Sud et du devoir d'anticipation, illustrés par
l'exemple de la filière du poulet, nous invitons ces mêmes responsables à effectuer
une analyse complète des impacts futurs de l'ensemble de En outre, les prochaines
négociations à l’OMC pourraient être l’occasion de définir ce qu'est
exactement le commerce équitable. Cela sera un premier pas en direction du
développement durable, et une première mesure pour atteindre les objectifs du
millénaire (diminuer de moitié l'extrême pauvreté d'ici à 2015). 4. Au cours des années soixante
dix, mais surtout à l'occasion de l'édification du grand marché intérieur,
l'Union Européenne s'est dotée d'un socle de législations sociales destinées
à éviter que Lorsqu'il s'avère que les règles qui doivent protéger du dumping social ne sont pas applicables ou sont inadaptées face au développement du marché du travail, l'Union Européenne, au premier chef les partenaires sociaux européens ont la possibilité d'entrer en négociation pour moderniser ces règles. Nous invitons nos compatriotes, parties prenantes au "dialogue social européen", à faire connaître ses travaux, à en donner leur évaluation et à suggérer des avancées possibles. Un thème particulier important concerne les comités de groupe européens. Leur statut consultatif ne devrait pas les empêcher de jouer un rôle plus actif et plus visible dans un contexte de restructurations industrielles.
Au niveau mondial Face au déficit de
multilatéralisme, l’Europe peut apparaître comme un « centre
d’apprentissage » pour des constructions communes entre pays. La
réussite de l’Europe est importante non seulement pour nous-même, mais aussi
pour le « cas d’école » qu’elle représente pour les autres régions
du monde, dans leur cheminement commun vers une construction mondiale. 1. Sur la régulation financière L’ampleur
des dysfonctionnements financiers actuels, et leur cortège de conséquences
graves (chômage et précarité), la relative impuissance des recettes
régulatrices classiques à y remédier, relèvent désormais de l’évidence
commune. Il faut oser, avec courage,
s’engager sur le chemin difficile d’un aggiornamento structurel des grandes
institutions internationales issues des accords de Bretton Woods. La
maîtrise des marchés financiers suppose la mise en place d’un pouvoir
supranational ayant autorité sur les institutions financières existantes,
capable d’articuler et d’imposer, au-delà d’une simple remise en ordre
purement technique de la sphère financière, une nouvelle gouvernance mondiale
des flux financiers, aussi éloignée des fantasmes du marché pur que des
tentations du socialisme de lutte de classes. Dans
cet esprit, une fusion du Fonds Monétaire International (FMI) et de 2. Faut-il taxer les mouvements de
capitaux ? L’anticipation de
l’évolution des marchés financiers, est un moyen de se protéger des risques
dus à leur instabilité. Ce type de spéculation légitime ne doit pas être
confondu avec des spéculations dont le seul objet est une recherche
d’enrichissement sans contrepartie économique. Dans ce deuxième cas faut-il
taxer les mouvements de capitaux ? Taxer ? L’idée est bonne, il
faut l’approfondir. Le vrai problème n'est pas technique. Il vient du fait
que l'on ne supprime pas un risque en rendant l'assurance plus chère. Une
taxe de type « Tobin » permettrait de régulariser les opérations
courantes, de réduire la volatilité "ordinaire". Une taxe sur les mouvements de capitaux n'aurait d'intérêt que
couplée à des réformes en profondeur, celles qui pourraient réduire les risques financiers, et pas seulement la
spéculation mais avec une moindre instabilité des taux de change. Une
« taxe Tobin » ne serait qu'un complément d'un ensemble de
dispositions destinées à organiser la "gouvernance financière"
entre états. Il y a un "bien
commun" de la finance qu'il faut affirmer, et qui passe par des règles
négociées, non par la spéculation généralisée. Il
faut cependant en être bien conscient : pour être couronnée de succès,
aucune démarche de refondation du système financier mondial ne pourra faire
l'économie d'une réflexion poussée sur les valeurs qui doivent en sous-tendre
la philosophie générale et les choix éthiques
concrets. Une illustration directe
de ces valeurs serait par exemple la suppression
des paradis fiscaux qui, en échappant à l’impôt, se soustraient à
l’obligation morale du partage des richesses. A propos du blanchiment d’argent, contrairement à
l’opinion généralement admise, ce n’est pas hors de portée. Des solutions
techniques existent. Plusieurs juges (Par exemple Eva Joly, Jean de Maillard,
ou encore les juges ayant signé l’appel de Genève) ont écrit des ouvrages
proposant ces solutions. Sans doute sont-elles perfectibles et amendables,
mais elles peuvent constituer le socle de la réflexion. Naturellement l’ONG
Transparency International peut-être aussi une source de propositions (comité
pauvreté et politique). 3. Solidarité
avec les pays les plus pauvres. Au minimum, le respect des
engagements pris au niveau de l’Aide Publique au Développement (le 0,7
% du PIB) ! Faut-il annuler la dette
extérieure des pays du « Sud » ? Pour les pays les plus pauvres, il faudra sans doute en passer par
une annulation totale. Mais la gestion des fonds ainsi dégagés suppose
des formes de gouvernance plus démocratiques dans ces pays. Pour les pays à revenus moyens, la seule solution est de parvenir à
rendre la dette supportable, c'est-à-dire à en indexer le remboursement sur
le montant des exportations ou de la croissance économique. Sinon, il faudra
bien en arriver à mettre en place une
procédure de "mise en faillite"
des Etats, de sorte que les créanciers ne se contentent pas, comme c'est le
cas actuellement, d'échelonner les paiements, en repoussant à plus tard ce
qui ne peut plus être payé aujourd'hui. Dans
les deux cas, le risque majeur est la réduction des transferts en direction
des pays pauvres ou en développement. Résoudre le problème de la dette ne
règle pas la question du financement du développement. Ce n'est qu'un
préalable. Les ressources internes
demeurent la base des investissements nécessaires. 4. Faire émerger un véritable droit social
supranational Les 180 conventions entérinées
par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) constituent en elles-mêmes
un socle social supranational. Si les normes qu’elles établissent sont une
chose, les faire vivre est autre chose : peu d’entre elles sont
appliquées par les pays signataires, particulièrement celles concernant
l’élimination du travail forcé ou obligatoire (n°29 et 105), la liberté d’association
et le droit de négociation collective (n°87 et 98), l’élimination de la
discrimination en matière d’emploi et de profession (n°100 et 111), ainsi que
l’abolition effective du travail des enfants (n°138 et 182). Mais le travail des
enfants est parfois une ressource dont la famille ne peut se passer. Des ONG
ont trouvé une solution : proposer une contrepartie alimentaire à la famille
s'ils envoient leurs enfants à l'école. La situation n’est pas très
différente dans les cas de l’Organisation Mondiale du Travail (OMS) ou du
Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). L’OIT s’est donné comme objectif
majeur d’assurer « un travail décent », qui commence par la
réduction du chômage mais ne saurait se réduire au fait d’avoir un emploi
dans n’importe quelle condition. Ce concept et ce programme recouvrent à la
fois l’accès à l’emploi mais aussi les conditions de travail, le droit d’être
représenté et défendu, une sécurité de base, une protection sociale, la non
discrimination, et finalement un ensemble large d’objectifs reflétant les
aspirations plus générales des personnes. Les pays sont appelés à se
fixer des objectifs économiques qui
incluent des objectifs d’emploi auxquels ils se réfèreront comme des critères
explicites pour la prise de décision dans le domaine macro-économique.
Les systèmes de production mondiaux doivent
s’inscrire dans cette perspective. Le développement
économique à travers des grands groupes ou des grandes sociétés n’est pas
l’unique solution. Favoriser, pour
l’individu, l’accès à une activité économique valorisante et responsable et
aussi nécessaire à un développement harmonieux. Le micro crédit en
est la solution. Prêter à faible taux favorise l’initiative. Veiller au
respect du « contrat » et au remboursement de la somme empruntée,
éduque quant aux usages de l’économie « honnête ». Accorder un
crédit plus important lorsque le précédent est rembourser favorise la
croissance tout en mettant l’accent sur la responsabilisation morale et
économique du bénéficiaire. En Inde, en Afrique,
en Amérique du Sud, des structures de financement par micro-crédit sont
opérationnelles, et sans elles, un frange importante de la population
resterait condamnée à la misère. Pour n’en citer que deux : Oïkocrédit
et Le fait que le micro
crédit soit un prêt et non un don est particulièrement valorisant pour son
bénéficiaire. L'Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), qui est la seule agence des Nations Unies à pouvoir imposer à
ses pays membres l'obligation d'appliquer les décisions votées, et la seule à
détenir un pouvoir de sanction, ignore le plus souvent les propositions du
PNUE, de l'OIT ou de l'OMS. Tout se passe comme si l'OMC avait décidé de
faire passer le commerce avant toutes les autres dimensions de la vie
collective (et les plus réticents ne sont pas toujours les pays
industrialisés!). Un accord général sur les normes devient
nécessaire. Cette réflexion pourrait se développer dans le cadre d’un Conseil
de Sécurité Economique et Sociale (voir, plus loin, le paragraphe sur la
« Gouvernance ») qui serait en lien avec l’OMC, l’OMS, l’OIT et le
PNUE. On pourrait imaginer, par
exemple, que toute recommandation de l'OIT, de l'OMS ou du PNUE votée à une
certaine majorité des pays membres s'impose à l'OMC.
ETUDE D’UN CAS :
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Axe 4 :
"Gouvernance"
économique, sociale et environnementale La
gouvernance politique, condition d'une paix véritable Les systèmes d’organisation et
d’alliances au plan des « régions » du monde. Maintien de la paix et droit
d’ingérence Réalités
politiques et traditions chrétiennes : interpellations mutuelles Les impasses ou les dilemmes de
la gouvernance mondiale Usage de la force dans les
situations de conflit Généraliser l’éducation à la bonne gouvernance Dans le domaine des initiatives citoyennes, les Eglises ou les membres
des ACM pourraient être particulièrement actifs Valoriser
le rôle des contrepouvoirs capables d’exprimer l’intérêt général Favoriser
la construction d'espaces régionaux mondiaux de coopération et de paix, tout
particulièrement en Afrique. Soutenir
la construction progressive d'un édifice équilibré et ordonné des
institutions mondiales. |
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Réalités
d’aujourd’hui : pesanteurs et espoirs Au cours de la réflexion
accomplie dans les axes précédents, à propos du développement durable, des
migrations internationales et de la production de richesses, l’importance des
règles du jeu fixées par les institutions internationales et de la qualité de
leur application a été mise en relief. L’ensemble de ces institutions,
accords et règles qui structurent les échanges financiers et économiques
mondiaux, les acteurs qui les influencent ou les administrent constitue ce
qu’on appelle la « gouvernance mondiale ». Ce terme, dans notre
perspective n’implique aucune adhésion à cet ensemble d’institutions, de
règles et d’acteurs. Cet ensemble doit au contraire être réformé et
complété : - réformé, car l’orientation de la mondialisation vers la
recherche du bien commun, la préférence pour les pauvres et la justice,
implique une organisation beaucoup plus multilatérale, ce que certains
appellent une régulation internationale, moins dominée par une seule
puissance et reflétant davantage la variété des nations ; - complété, car, aussi approfondies soient-elle, les
règles internationales appellent toujours un engagement propre des
communautés humaines, une responsabilité des acteurs. Ce chapitre commence donc par une analyse des faiblesses et des forces de la gouvernance actuelle. Dans une seconde partie il insiste sur le lien entre la sécurité internationale, la préservation de la paix et certains aspects des règles faisant partie de la gouvernance mondiale.
"Gouvernance" économique, sociale et environnementale La gouvernance mondiale subit
aujourd’hui la critique car certains grands désordres actuels, touchant
l’environnement, la spirale de l’endettement, la concentration de la pauvreté
(voir axe 1), les migrations massives dans certains pays (vois axe 2), la
persistance du chômage structurel et les crises financières (voir axe 3)
seraient au moins – en partie – dus à ces défaillances. Ainsi par exemple,
l’autorité insuffisante du FMI en matière de régulation financière, l’absence
d’autorité prudentielle mondiale ont été mis en cause dans les difficultés
rencontrées par certains pays ou région.. De même, l’insuffisance des mesures
de coordination prises à l'échelle mondiale pour lutter contre les émissions
de gaz à effet de serre peut ainsi être mise sur le compte du poids inégal
des diverses institutions internationales [essentiellement le déséquilibre
entre les institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale, FMI) et celles de
la nébuleuse des Nations unies]. Les causes de cette défaillance
ne font pas l'unanimité. Toutefois les analyses les moins partiales mettent en évidence les
traits suivants : · Datant de l'immédiat après guerre, le système est
inadapté aux données nouvelles de la globalisation: le nombre de pays
participants aux échanges internationaux a triplé ; de nouveaux thèmes
d'interdépendance sont apparus, tel l'environnement, auxquels ne
correspondent pas d'organisations internationales ; les piliers du système
sont cloisonnés, alors que les interférences entre les problèmes sont
multiples. · Le défaut de vision, d’éthique et d’outils de gestion à
long terme de la planète correspond à la faiblesse de l’organe des Nations
Unies en charge de l’application des principes de croissance et développement
durable ; il se reflète dans l’ épuisement des ressources, la réduction
de la biodiversité, et les pollutions (pétrole et gaz, effet de serre…). · Les piliers du système sont déséquilibrés : les
différents "biens publics mondiaux" qu'ils sont censés gérer ne
sont pas également traités : le traitement de la libre circulation des biens,
par exemple, a jusqu'à maintenant éclipsé en grande partie celui du
développement, de l'environnement; des droit humains et sociaux, en
particulier travail et santé. · Les processus de décision au sein des organes les plus
puissants ne reflètent pas les poids démographiques des nations. Les pays du
Nord, fondateurs du système, sont dominants. Dans les piliers faibles
(souvent ceux placés sous l'égide des Nations Unies), les mécanismes de
décision sont paralysés. A ces critiques systémiques
s'ajoutent des critiques sectorielles,
visant chaque institution en particulier, tout spécialement : le FMI et L’Organisation
Mondiale du Commerce (qui place sur un pied d'égalité commerciale des
partenaires très inégaux). Les agences
des Nations Unies, dont le manque de capacité de décision est aussi souligné. Ces institutions (en particulier
Face à ce constat pessimiste,
souvent argumenté par des experts de premier plan, une partie du courant
alter mondialiste est conduite à rejeter en bloc la gouvernance mondiale, au
motif qu'elle porterait la responsabilité déterminante des maux de la globalisation:
insoutenabilité de la dette, catastrophes écologiques, concentration des
inégalités dans certains pays et dans certains groupes de population. D'autres voix s'élèvent
cependant contre la politique de la table rase, en s’appuyant sur les
arguments suivants : · Il n'est pas exact que l'ouverture aux échanges
internationaux (tâche dominante de la gouvernance actuelle) soit corrélative
de pauvreté; les stratégies nationales de développement les mieux réussies
comportent, en tant que condition nécessaire, mais non suffisante, une telle
ouverture progressive du marché interne. · La qualité de la gouvernance interne des pays en
développement joue un rôle décisif dans le succès des stratégies, encadrées
ou non par les organisations internationales. En particulier, l'existence
d'un Etat de droit, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la lutte contre la
corruption expliquent une part importante des inégalités de développement,
entre les pays et au sein de chaque pays. . · Confier plus de pouvoirs et augmenter l'effectivité des institutions internationales demanderait la mise en place de dispositifs actuellement absents garantissant leur responsabilité, comme contrepartie de ces pouvoirs. Les renforcer implique de consentir à transférer à ces institutions une part plus importante de la souveraineté nationale. L'Union européenne montre qu'il n'est pas impossible de. progresser dans cette direction.
La gouvernance politique, condition d'une paix véritable Bien que - Les acteurs de terrain attachés à contenir ces conflits
et ces violences, tels que les médiateurs locaux ou coutumiers, les
militaires des forces d'interposition, comme ceux qui s'efforcent de venir en
aide aux populations victimes, tels que les collectivités territoriales, les
Eglises locales et les organisations humanitaires pointent du doigt, au-delà
des causes superficielles et des prétextes, un certain nombre des causes plus
profondes, telles que: La précarité ou l'injustice économique et sociale, se
rattachant aux défaillances de la gouvernance internationale ou locale, déjà
évoquées.. - La ségrégation ethnique, culturelle ou religieuse (et
les risques afférents de dérives communautaristes). - L’instrumentalisation de « Dieu » comme
« justification » des positions défendues par les camps en présence
(déplacement des revendications politiques vers les oppositions religieuses). - La prolifération des moyens de destruction (surtout des
armes légères, qui provoquent beaucoup plus de morts que les armes lourdes). - La privatisation de l’usage de la force (milices
privées, emploi de civils militarisés, sociétés de sécurité,…) : comment
des accords de limitation des armements pourraient-ils s’appliquer à ces
nouveaux acteurs violents qui ne sont pas dans une logique d’état ? Ces causes alimentent la peur (peur de l’avenir, peur de l’autre, peur des autres)
qui devient ainsi un facteur important dans le déclenchement des guerres. La charte des Droits de l’Homme pose comme principe premier la
considération respectueuse de l’altérité. On a cru, au XXème siècle, pouvoir
espérer et annoncer : « plus
jamais la guerre ». Les promoteurs des droits de cette charte, dans
sa visée universelle, ont été relayés, sur ce point, par les Eglises. On se souvient de déclarations
œcuméniques et du discours historique de Paul VI à l’O.N.U. Les droits de
l’homme et le droit international, garantis par les Etats, devaient nous
permettre d’en finir avec la violence et la guerre. Pourtant, ils restent des
leurres si l’on ne prend pas les moyens personnels et collectifs d’atteindre
les objectifs qu’ils proposent. Cependant, l’organisation des Etats reste fragile si elle ne repose pas sur l’attitude personnelle de ses acteurs. La paix est une attitude et une volonté. Cette attitude se manifeste d’abord dans le courage et l’engagement personnels de certains acteurs. Leurs actes, loin de n’être que symboliques, ont ouvert la voie à des changements de structure et d’organisation qui relèvent de la « gouvernance ». Il en résulte une complémentarité féconde entre les efforts déployés dans les nombreuses initiatives privées, sources d’espérance, issues des Eglises, des organes de la société civile, et ceux de la communauté internationale pour organiser la prévention des conflits… Quant à la communauté internationale, deux innovations méritent d’être soulignées : Les systèmes d’organisation et
d’alliances au plan des « régions » du monde. L’ONU a été créée pour garantir
au monde la sécurité et éviter que, par le fait de quelques-uns, une
troisième déflagration ne puisse compromettre une paix chèrement acquise.
Malgré de nombreuses maladresses, des erreurs et des échecs, cette énorme institution
tente de remplir sa difficile mission. Son action se situe dans une
contradiction qui la paralyse : la volonté de chaque Etat membre de
préserver son indépendance, ses intérêts et son influence va à l’encontre de
la prise de conscience de la plupart de ces mêmes Etats, que la construction
de la paix ne peut reposer sur le seul jeu de leurs intérêts. La manière lente
et difficile dont se construit l’Europe, en faisant peu à peu sauter les
clivages, les antagonismes, et tomber les peurs et les haines issues des
siècles passés, nous est enviée, au-delà des frontières de l’Europe. S’il ne
s’agit pas de présenter le processus de construction de l’Union européenne
comme LE modèle à suivre par toutes les régions du monde, car il est
spécifique et encore en cours, il s’agit par contre de montrer que toute
domination stratégique par un Etat ou un groupe d’Etats sur une région ou sur
le monde ne peut que favoriser les déséquilibres et compromettre la paix. Sans doute l'un
des acquis les plus importants de la
construction européenne consiste-t-il dans la mise en place progressive d'un
espace régional de coopération économique, social et culturel dans son propre
voisinage. La constitution d'un partenariat Euro méditerranéen, fondé sur les
trois piliers du commerce, du développement et de la coopération politique et
culturelle initiés par les accords de Barcelone, reste depuis une dizaine
d'années le principal repère et le principal forum stables autour duquel se
retrouvent l'ensemble des pays du bassin méditerranéen. L'équilibre à
maintenir entre l'extension de cette politique de voisinage européenne et les
exigences propres à l'approfondissement de l'Union élargie est une donnée
essentielle pour le futur de l'Europe. Maintien de la paix et droit
d’ingérence Dans la recherche de solutions
pacifiques dans les zones de conflit, aux efforts de dialogue succèdent
parfois des propositions d’intervention de forces militaires d’interposition,
la plupart du temps, sous l’égide de l’ONU. Ces forces sont chargées d’empêcher
les provocations et de laisser la place au dialogue politique pour résoudre
la crise. Elles sont dans une situation délicate car considérées comme
l’instrument du « pouvoir » et non comme instrument d’une
réconciliation possible. On constate que leur action bloque le processus
destructeur et fige une situation qui a tendance à perdurer (aujourd’hui, 23
opérations militaires extérieures dans le monde). Malgré leur bonne volonté,
elles peuvent, du fait d’un manque de formation des personnels engagés dans
ces actions, qu’ils soient politiques ou militaires. D’un autre côté, la tentation de vouloir arrêter le feu au début d’un conflit a conduit, il y a quelques années, à prendre la décision d’intervenir au nom d’un nouveau droit d’ingérence reconnu. Cette expérience a pu répondre à certaines espérances. Elle n’est pas généralisable. Réalités
politiques et traditions chrétiennes : interpellations mutuelles Les défaillances de la
gouvernance mondiale apparaissent d'autant plus vivement que l'humanité se
fait "une". Cette unité planétaire de fait apparaît en décalage
complet par rapport aux institutions qui devraient la servir. Il est donc
légitime de chercher à « penser la mondialisation ». Dans la perspective ouverte des
ACM, des chrétiens proposent des références et des critères de jugement, tout
en acceptant la pluralité des références, c’est-à-dire la confrontation avec
d'autres points de vue, enracinés dans d'autres références culturelles ou
religieuses. Les impasses ou les dilemmes de
la gouvernance mondiale Les impasses ou les dilemmes de
la gouvernance mondiale nous conduisent ainsi à mettre en avant les principes
qui suivent, issus de la tradition chrétienne et dont la richesse est
attestée par l'expérience de nos mouvements. Ils pourraient, selon nous,
aider à fonder un "lien social mondial" : 2 En même temps, la recherche de conditions de préservation de ces
biens communs n'implique pas l'uniformisation des règles nationales, encore
moins des cultures. Le fait de partager des valeurs communes, en particulier
celles qui sous-tendent Si la notion de bien commun peut
inspirer l'architecture des institutions internationales, elle a aussi des
implications pour les acteurs de la gouvernance globale, tout spécialement
les entreprises et les Etats. Elle assigne des limites aux droits découlant
de la propriété. La "destination
universelles des biens" trouve une actualité renouvelée, face à la
résolution de questions inédites, telles que celles issues de l'épuisement de
certaines ressources vitales, comme par exemple celles de la pêche ou de
l’eau, ou des énergies d’origine fossile. L’option préférentielle pour les
pauvres constitue aussi un guide utile pour la réforme des institutions
financières internationales, dont une tâche essentielle est de contrecarrer
les hégémonies financières. Usage de la force dans les
situations de conflit. L’Eglise catholique a défini
plusieurs principes éthiques pour guider la réflexion et exercer à un
discernement au cas par cas : La cause
d’une telle intervention doit être juste,
et, au delà de la légitime défense, prendre en compte le devoir de secourir
un tiers menacé. (thème de la veuve et de l’orphelin). Il faut qu’une autorité légitime, de préférence
internationale, vise un « bien commun », sous peine d’en revenir
aux « guerres privées ». Il faut que l’intention soit droite, c’est à dire que l’intervention ne vise
pas d’autres objectifs, moins avouables que celui affiché. La proportionnalité doit faire en
sorte que le recours à la violence ne provoque pas des destructions
supérieures à l’oppression ou à l’agression que l’on souhaite contrer. Enfin,
l’espérance de succès suppose qu’il y
ait une probabilité raisonnable de réussite. Ce critère est utile à la fois
face aux reproches fréquents de « deux poids deux mesures » et face
à des emportements irréalistes « si quelqu’un se noie et que tu ne sais
pas nager ne plonge pas ». Enfin, l’exigence d’immunité des non- combattants, bien que de plus en plus
difficile à respecter dans les conflits contemporains où à la fois les
combattants sont épaulés par des soutiens de plus en plus nombreux et les
civils connaissent sont bien plus de victimes doit être maintenue si l’on
veut limiter la guerre en attendant de l’éradiquer. Justice et Paix précise que « l’Eglise catholique ne cesse de
rappeler que le recours à la violence – même quand il est légitime - marque
toujours un échec. La violence ne fournit jamais, par elle-même, une
solution : tout au plus peut-on admettre qu’elle constitue, dans
certains cas exceptionnels, le seul moyen qui, dans l’urgence, permette de
s’opposer à une agression dont les conséquences seraient, si on la laissait
se poursuivre, bien plus meurtrières que la violence mise en œuvre pour la
contrer. La guerre n’est pas déclarée « morale » en elle-même, mais
seulement par comparaison avec une inaction perçue comme plus immorale
encore, parce qu’abandonnant des populations au bon vouloir de ses bourreaux.
Encore faut-il que l’usage de la force visant à désarmer le bourreau
s’inscrive dans une perspective politique pour la sortie de crise ». Le lien qui existe à long terme
entre paix et développement, souligné par toutes les Eglises (voir, pour
l’Eglise catholique, « Pacem in terris », 1963, et « Populorum
Progressio », 1967), est devenu un acquis de la réflexion de la
communauté internationale. « Le
développement doit être la première ligne de
défense d’un système de sécurité
collective fondé sur la prévention… »
(Rapport au Secrétaire Général des Nations Unies,
automne 2004). Les Eglises participent
intensément à l’éducation à la paix : - Le Conseil Œcuménique des Eglises (KEK) a lancé en 2001
la décennie (2001-2010) « Vaincre la violence » sur le thème
« cultiver la paix, vaincre la violence : avec le Christ, pour le
monde » (invitation aux Eglises à être un espace novateur inspirant des
actions concrètes visant à vaincre la violence). - La rencontre d’Assise, en 1986, de Jean-Paul II et des
principaux représentants religieux du monde, poursuit son oeuvre chaque année
sous l’égide de la communauté Sant’Egidio. Elle a éveillé de nombreux
croyants au lien profond entre prière, démarche éducative et de
réconciliation, et initiatives de paix. - Le CCFD et le Secours Catholique invitent constamment à
décliner, dans le cadre de l’option préférentielle pour les pauvres, la paix
à partir de l’équité et l’application du droit (exercice des libertés,
civiques, économiques, culturelles et religieuses ; fonctionnement
correct de la justice, contre l’impunité et pour le respect des
victimes ; la démocratie participative ; l’éducation à la
non-violence ; le renouvellement des institutions internationales. Ces initiatives des Eglises manifestent qu'au motif de la justice et de la préservation de la paix mondiale, les Nations les moins développées , mais aussi les groupes sociaux défavorisés au sein des nations doivent recevoir une attention prioritaire dans l'organisation et les buts des institutions de la gouvernance mondiale .Mais les buts poursuivis par les stratégies de lutte contre la pauvreté ne sont pas plus importants que la manière dont elles sont mises en œuvre: le respect de ces populations et leur participation effective aux stratégies sont des clefs du succès. Cela implique, en particulier que ces nations et ces groupes, tout comme les nations émergentes soient effectivement représentées dans les structures de décision de la gouvernance mondiale ou régionale. Des
pistes pour l'action Il y a sur le thème de la
gouvernance, mondiale ou locale, une très grande convergence entre la
perspective ouverte par le consensus universel et la tradition chrétienne. De
longue date, en effet, les Eglises ont pressenti l'importance d'une forme de
gouvernement mondial, à tout le moins d'institutions de régulation
internationale, à la mesure d'une humanité qu'elles perçoivent comme un corps
unique. L'idée que les religions se font du pouvoir comme un service, annonce
également les exigences d'une gouvernance qui rend compte de ses choix. Elles
ont été rejointes sur ce terrain par l'approche unificatrice des droits
humains fondamentaux adoptée par une communauté internationale naissante. Ici
encore, le point de convergence entre ces deux perspectives, celui d'où peut
naître une interpellation féconde concerne le sujet humain: Qui est-il?
Qu'est-ce que l'Homme ? En quoi se relie-t-il à tout homme ? Nos propositions de pistes pour
l'action procèdent à nouveau d'un acte d'intériorité personnelle. Nous
pensons que pour concevoir les divers enchaînements d'une meilleure
gouvernance locale, nationale et mondiale, il faut se situer soi-même dans Généraliser l’éducation à la bonne gouvernance Nous soutenons les initiatives
qui peuvent être prises dans un cadre familial et éducatif visant à donner
aux enfants et aux jeunes l’expérience de la gestion collective et prudente
d’un bien commun : utilisation de l’eau, de l’énergie, de l’espace. Dans
le domaine des initiatives citoyennes, les Eglises ou les membres des ACM
pourraient être particulièrement actifs : - dans la création
ou l’extension de « maisons de la paix ». Ces maisons
largement ouvertes, seront
suffisamment ancrées sur le message évangélique et la passion de l’homme,
pour interroger les acteurs du temps présent. Elles trouveront, dans
l’enrichissement complémentaire de ces apports, les trois dimensions sans
lesquelles elles ne sauraient exister : § la dimension de l’écoute et de l’humanité § la dimension de la parole et de la médiation § la dimension de la prière et de la contemplation. - pour inviter
fermement les responsables religieux à mettre en garde leurs fidèles
contre les lectures
« littérales » de leurs textes sacrés, dont on constate qu’elles
conduisent toujours à l’intransigeance et à la violence. - pour développer
chez les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté la conscience de l’utilité de l’engagement personnel et de
la force que peut exercer sur les décideurs la mobilisation et l’expression
collective. Ainsi la possibilité d’initiative populaire pour des mesures
législatives, comme le prévoyait le projet de constitution européenne, est un
bon moyen pour cette éducation à la responsabilité. - La construction
de la paix a besoin de bonnes règles et de bonnes pratiques de gouvernance, mais elle ne
concerne pas que les grandes institutions et l’organisation publique. Elle
commence dans la disposition de cœur et d’esprit de chacun, à l’échelle de
ses responsabilités personnelles. Les situations d’injustice et de conflits
existent dans tous les domaines de notre existence et notamment dans la vie
économique. Il est essentiel de faire vivre et de promouvoir à chacun de ces
niveaux une culture active de la paix, inséparable de l’action pour la
justice. (« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix
s’embrassent »- « heureux les artisans de paix »). - Si l'ordre moral lui-même "exige la constitution
d'une autorité publique de compétence universelle" (Jean XXIII, Pacem in
terris), alors il est logique de renoncer à l'idée d'une souveraineté absolue
des Nations. Il faut être prêt à un exercice partagé de cette souveraineté,
sur la base d'une vision partagée, non
seulement au niveau de l'ensemble régional européen mais également à l'échelle mondiale. Nous invitons nos Eglises à
apporter leur contribution à la conception d’un ordre de paix cohérent avec
la nouvelle interdépendance planétaire, prenant en compte : - les conditions de la mondialisation du droit, en
contexte de mondialisation économique, - Les règles régissant les échanges, applicables à tous et
les moyens (contrôles et sanctions) pour s’assurer qu’elles sont respectées, - l’évolution du rôle des Etats et leur fonction de
garants du droit et des droits universels, - le renforcement urgent d’une justice internationale,
capable de sanctionner les trafics et les
dérives financières, ainsi que les fonds provenant de la corruption, - le déploiement d’un droit international de l’écologie, - le contrôle strict de la production et du commerce des
armes, - la nécessité d’une pensée du bien commun universel, dans
la perspective d’un développement durable, qui intègre une approche positive
de la limite (des ressources et des émissions comme de la consommation), - l’approche lucide et critique des phénomènes de violence
terroriste, - la problématique théologique, centrale en christianisme,
qui articule alliance et promesse : harmonie des relations et de la
croissance des êtres ; expérience renouvelée d’une « terre
promise » pour la communion entre les êtres et pour l’accomplissement de
chacun. Valoriser le rôle des contrepouvoirs capables d’exprimer l’intérêt
général Dans
un système d’institutions internationales où le pouvoir exécutif n’est pas
équilibré par une représentation parlementaire, il est normal de donner plus
de force aux contrepouvoirs qui reflètent les attentes et les besoins
fondamentaux des peuples. Nous
appelons à ce titre à donner un poids plus important à une consultation
organisée et efficace des partenaires sociaux et de l’ensemble de la société
civile par les instances multilatérales. Nous
soulignons de même l’utilité des efforts accomplis par le Conseil de l’Europe
pour élargir le droit à l’information en vue d’un accès à des médias
pluralistes et indépendants. Favoriser la construction d'espaces
régionaux mondiaux de coopération et de paix, tout particulièrement en
Afrique. Il sera difficile et
certainement long de construire une gouvernance à l'échelle mondiale, plus
cohérente et harmonieuse. Cette perspective sera en toute hypothèse plus
aisément atteinte sur la base de regroupements intermédiaires régionaux,
dotés d'une capacité de coopération "multilatérale" propre. C'est
pourquoi nous proposons d'accélérer financièrement et politiquement la
construction d'espaces régionaux de coopération et de paix, en commençant par
les régions où l'Union européenne exerce déjà une responsabilité et une
influence directes. La gestion de ces espaces, de manière différenciée,
permettrait sans doute de mieux tenir compte des inégalités des avantages
comparatifs, par exemple, en matière de coûts salariaux qui ne se résorbent
que très lentement. Cet enjeu ne concerne pas
seulement la région à laquelle l'Union européenne appartient. Une priorité
majeure s'attache désormais à l'achèvement d'un partenariat politique global
avec le continent africain, sans préjudice des liens déjà établis dans le
cadre euro méditerranéen. Les incohérences, les influences et les intérêts
contradictoires de chaque nation européenne et de ces nations entre elles,
constituent aujourd'hui un anachronisme au regard du contexte mondial
présent. Une initiative d'ampleur et de qualité comparable à celle du plan
Marshall, initié par les Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre
mondiale serait pleinement justifiée, afin d'ordonner dans une perspective
homogène et coopérative les relations commerciales, économiques et de
développement des gouvernements et des grandes entreprises qui se disputent
actuellement, parfois au risque d'attiser des conflits locaux dramatiques,
les richesses africaines. Tous les ingrédients d'une telle
initiative cadre sont disponibles: l'Organisation de l'Unité Africaine
possède déjà des organes reconnus de médiation et de coopération politique ,
en partie inspirés de ceux de l'Union Européenne; un code de bonne
gouvernance économique, environnementale et sociale a été volontairement
adopté par un groupe de pays africains influents (NEPAD), une partie
importante des pays d'Afrique subsaharienne est engagée dans un partenariat
de développement multidimensionnel avec l'Union Européenne au travers de la
nouvelle génération des accords ACP. Il manque à cet ensemble des
institutions suffisamment fortes pour induire des règles communes reflétant
les singularités des marchés africains, notamment celles qui devraient être
appliquées par les grands opérateurs transformateurs de matières premières,
ou garantir le financement d'une force africaine crédible de maintien de la
paix ou assurer la gestion d'une forme d'Union douanière, reflétant les
spécificités propres du continent africain dans les négociations commerciales
mondiales. Notre pays ne peut assumer seul le poids d'une telle initiative.
Mais il pourrait y prendre une part active, dans un contexte européen et
répondrait alors à l'immense attente de la jeunesse africaine dont on mesure
aujourd'hui le désespoir. Si une telle initiative
Euro-africaine voyait le jour, elle servirait de référence à une coopération
renforcée des pays de l’Union européenne au sein des Institutions financières
internationales lorsqu’elles interviennent en Afrique. Soutenir la construction progressive d'un édifice équilibré et
ordonné des institutions mondiales. La réforme des institutions
internationales dans les divers domaines politiques, financiers, commerciaux,
environnementaux et sociaux, en vue d’un renforcement du système de règles
multilatérales orienté vers le bien commun st un impératif prioritaire de
notre temps auquel nous souscrivons. La souveraineté nationale ne peut lui
être systématiquement opposée. ·
Les orientations et les
modalités de telles réponses ne doivent pas rester l’apanage des spécialistes
ou des élites. Nous souhaitons au contraire que les initiatives prévues en la
matière par notre pays fassent l’objet d’une communication claire à l’opinion
publique et s’inscrivent le cas échéant dans le débat politique, par exemple
à l’occasion des prochaines élections présidentielles. · Nous soutenons de manière
générale les actions qui visent à renforcer la capacité de décision
multilatérale mondiale. - d’abord à l’échelle des diverses institutions existantes
(institutions de Bretton Woods, le système des Nations unies). En particulier
la capacité effective de décision, de sanction en cas de défaut d’application
devra être accentuée. - Certains instruments multilatéraux dans le domaine de la
sécurité doivent recevoir les moyens de leur application (Traité de Non
Prolifération) ou être proposés (contrôle du commerce des armes légères). ·
parmi les actions qui
visent ce renforcement nous soutenons particulièrement le renforcement de la
responsabilité européenne en tant que telle ; une représentation des
pouvoirs de décision plus conforme aux nouveaux équilibres
démographiques ; une reconnaissance accrue du rôle d’influence de la
société civile. · nous acceptons qu’en
contrepartie de ce renforcement des mécanismes de contrôle soient mis en
place tels que : - une « Cour des comptes » internationale, qui
pourrait être saisie démocratiquement par les populations locales, en vue de
la réalisation d’audits ; - l’organisation d’un « droit d’ingérence »,
analogue à ce que prévoit le chapitre 7 de la charte des Nations Unies en
matière de situations d’urgence, également sur saisie explicite et ciblée des
populations locales ; - l’intégration progressive et obligatoire, dans les
décisions économiques, des critères et
mesures élaborés par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le
Développement), et ne pas se fonder uniquement sur le critère du PIB.
- formation des gouvernants (et des aspirants gouvernants)
aux exigences d’une bonne gouvernance, nationale et supranationale. - transparence renforcée sur les représentants de la
société civile (origine, financement, membership), en vue précisément de
renforcer leur légitimité. - régulation et contrôle mondial de la production et de la
commercialisation des moyens de destruction (armes et techniques) en
distinguant le niveau des armes
balistiques et nucléaires de celui des armes classiques, notamment des
armes légères. Nous invitons à approfondir la doctrine de la
non-prolifération et les conditions de son application afin qu’elle n’apparaisse pas comme un
moyen d’assurer l’hégémonie technique des grandes puissances. Mais le renforcement des piliers
du système multilatéral ne suffit pas. Nous soutenons aussi les réformes qui
visent à rétablir une meilleure coordination entre ces piliers, en vue de la
prise en compte de tous les « biens communs ». A cet égard, nous demandons que
soient examinées et approfondies les propositions qui conduiraient à
l’établissement d’une forme de conseil de sécurité économique et social
auprès des Nations Unies, ouvrant la voie à un conseil mondial au sein de
cette instance. Nous voyons en particulier dans cette perspective, la
possibilité d’une représentation des corps intermédiaires économiques et sociaux
dont le rôle, en vue du respect de la dignité humaine, nous paraît essentiel. |
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Les
ACM : Un itinéraire audacieux
« Dès la fin de l’année
2000, quelques Eglises et mouvements chrétiens directement concernés par les
réalités de la mondialisation confrontent leurs analyses et mûrissent l’idée
d’une expression nouvelle et partagée. Ils formalisent leur premier
engagement, le 11 septembre 2001, et le projet des ACM est lancé en juin
2002, dans le but de rassembler les chrétiens autour de cette problématique
contemporaine qu’on appelle « mondialisation ». Un long chemin a
été parcouru depuis ce lancement, un chemin qui a été tracé et ajusté pas à
pas, en fonction des possibilités nouvelles et des limites que chaque étape
nous révélait. On peut ainsi identifier sept grands moments qui précèdent et
donc préparent progressivement la rencontre de janvier 2006. 1. Les Assises Territoriales de Une quarantaine d’assemblées
locales ont été organisées de façon conjointe par différents mouvements
chrétiens, en fonction de leur présence régionale. Ces assemblées ont abordé
différents aspects de la mondialisation, selon la sensibilité et l’intérêt
dominants dans chacune de ces localités. Une grille de questions a permis de
recueillir les résultats de chacune de ces ATM et d’identifier les
thématiques liées à la mondialisation qui retenaient le plus d’attention. 2. Le questionnaire envoyé aux mouvements chrétiens : septembre –
octobre 2003 Un questionnaire a été adressé
aux Eglises et mouvements chrétiens en leur demandant de préciser la manière
dont chacun était confronté à la mondialisation, sa façon de l’aborder à
partir de sa spécificité ou compétence particulière, et de pointer les
questions qui lui semblaient essentielles à ce propos. 3. L’élaboration du Livre Vert : novembre - décembre 2003 A partir des remontées des ATM
et des réponses au questionnaire envoyé aux Eglises et mouvements, un Livre
Vert fut rédigé. Une synthèse des contributions reçues fut proposée, incluant
en particulier l’identification des principaux axes thématiques sur la
mondialisation qui semblaient retenir le plus d’intérêt. 4. Première assemblée synodale : Lyon, janvier 2004 Le Livre Vert constitua le
principal objet de débat autour duquel la première assemblée synodale des ACM
fut organisée. Des représentants d’une quarantaine d’Eglises et de mouvements
chrétiens participèrent à cette rencontre, à l’issue de laquelle on décida la
suite du chemin autour de 8 axes thématiques. Cette assemblée fut un moment
exceptionnel de reconnaissance mutuelle entre les différents mouvements
chrétiens et d’exercice démocratique sur les décisions à prendre. 5. Les Ateliers Régionaux de Une trentaine d’ARM furent
organisés dans de différentes localités, chacun autour de l’un des 8 axes
thématiques retenus à Lyon. Les ARM, à la différence des ATM, ont été des
groupes de travail qui ont réfléchi ensemble autour d’un thème et fait une
contribution écrite à partir de leur réflexion. Chaque axe thématique était
coordonné par un responsable au niveau national, appartenant au comité de
pilotage des ACM. 6. Première formulation du Livre Blanc et consultation aux ARM
et mouvements : avril - juin 2005 Une première version du Livre
Blanc est rédigée à partir des remontées des ARM, synthétisées par chaque
responsable d’axe, et enrichie des documents facilités par les Eglises et mouvements sur les différentes
thématiques abordées. Cette version est envoyée aux ARM, aux mouvements
membres et à un groupe d’experts, afin de recueillir des réactions et des
propositions de modification. 7. Nouvelle version du Livre Blanc : septembre – octobre 2005 A partir des réactions
recueillies, une nouvelle version du Livre Blanc est élaborée, laquelle est
envoyée aux participants des ARM, aux Eglises et aux mouvements en novembre,
afin de préparer la deuxième assemblée synodale des ACM, en janvier 2006, à
Lille. Le chemin parcouru par les ACM depuis 2002 jusqu’à présent a constitué un itinéraire audacieux, à cause, d’une part, de la grande diversité des mouvements qui participent à cette aventure, et, d’autre part, d’une démarche qui s’est voulue dès le début, d’élaboration collective, et donc très participative et démocratique. Itinéraire audacieux car chaque mouvement membre a accepté de s’associer à un travail inter Eglises et inter mouvements, qui venait s’ajouter au programme particulier de chacun. Les difficultés, les confrontations, les hésitations, n’ont pas manqué, bien au contraire ! Mais ce qui est extraordinaire c’est qu’elles n’ont pas arrêté la démarche. Bien au contraire, elles ont poussé au débat et à l’invention progressive des procédures qui puissent permettre la participation la plus large possible. Les différences n’ont pas disparu, et la participation est loin d’être totale et soutenue, mais chacun de ceux qui ont participé, sort enrichi d’une expérience assez exceptionnelle d’unité tissée dans la diversité. Dans un monde habitué aux classements idéologiques et partisans, l’expérience des ACM constitue un véritable témoignage qu’un « autre monde est possible », pas un monde à pensée unique, qu’elle soit à droite ou à gauche, mais un monde commun construit sur des pensées différentes. Les ACM :
un itinéraire ouvert aux détours Cet itinéraire audacieux, a
connu de détours par rapport au plan original, ce qui témoigne d’une capacité
d’écoute et d’adaptation aux besoins que la démarche révélait au fur et à
mesure qu’on avançait. Nous signalons en particulier trois détours décidés en
cours de route. 1. Du grand événement à un véritable travail d’élaboration collective
La démarche originale avait
prévu un grand événement en janvier 2004, comme aboutissement du travail des
ATM. Mais la diversité constatée entre les Eglises et mouvements et
l’ambition d’avoir une parole forte et pertinente sur la mondialisation, a
conduit à un approfondissement de la durée et de la procédure de la démarche.
Le rassemblement prévu en 2. De la parole commune à la dynamique des tensions L’annonce d’une parole commune
pose problème dès le début de la démarche. La prise de conscience de nos
différentes sensibilités et analyses de la réalité, conduit à un nouveau
détour. L’accent sera mis sur la dynamique des tensions, plutôt que sur
l’élaboration d’une parole commune. Autrement dit, sur la traversée, plutôt
que sur l’objectif final, ou encore, sur la marche, plutôt que sur l’arrivée.
Ce détour est encore un signe d’ouverture et de profondeur : ouverture,
car il s’agit, face que désaccord, d’en débattre plutôt que d’exclure ;
de profondeur, car on considère que le partage des différences peut produire
des déplacements qui engendrent une parole nouvelle, non pas le minimum
commun entre deux paroles différentes, mais une parole vraiment nouvelle,
élaborée ensemble, à partir de nos différences. Pari ambitieux, certes !
3. Du rassemblement des mouvements au travail inter mouvements Enfin, un détour qui est sous-jacent aux deux précédents : le passage du rassemblement au travail partagé entre les mouvements. Nous n’avons pas l’habitude du travail œcuménique et « inter mouvements ». Certes, nous participons à des réseaux multiples et à des plates formes sur des thèmes d’intérêt commun (dette, IFI, etc.) mais ce sont des lieux d’échange d’information ou d’organisation des mobilisations communes. Nous n’avons pas l’expérience d’un travail de réflexion et d’élaboration dans la durée, fait ensemble entre membres de différents mouvements, et surtout des mouvements aussi différents. Viser le travail ensemble plutôt que le seul rassemblement, constitue, indépendamment du résultat final, un événement en soi. Les
ACM : un chemin d’Emmaüs
Cet itinéraire audacieux, marqué
par plusieurs détours, est devenu pour nous chemin d’Emmaüs, car quelque
chose de fondamental concernant notre identité chrétienne s’est révélé au
cours de la démarche. La force du message chrétien vient de ce que les
remises en question provoquées par la confrontation au monde avec ses
différences parfois provocantes et ses
interpellations souvent justifiées, ne nous détournent pas de notre Foi.
L’expérience vécue des disciples d’Emmaüs, après la résurrection du Christ et
relatée par Saint Luc, est celle à laquelle le chrétien est invité. Comme
tout homme, il éprouve les plus grandes difficultés à comprendre le monde. Le
chemin d’Emmaüs est bien celui du dialogue avec Dieu
incarné en la personne de Jésus. Comme les disciples sur
la route avec Jésus, le chrétien peut avouer :
« nos cœurs sont lents à croire et nos
esprits sans intelligence» lorsqu’Il nous ouvre à
l’Ecriture, à sa propre Histoire sur la terre des hommes
et à comprendre comment cette expérience humaine nous
porte à sa rencontre. La vérité sur les
choses se dévoile à mesure que nous découvrons la
lumière du Christ. Notre chemin personnel est comme celui
d’Emmaüs : notre espérance chrétienne est
mise à l’épreuve de réalités
nouvelles et nous sommes saisis par des sentiments
d’incompréhension, de déception, de révolte.
Nous cherchons les moyens humains d’humaniser la mondialisation
et avons l’impression d’être dépassés
par un processus inexorable. Le chemin fait ensemble dans les ACM
n’y a pas échappé. Nous avons connu des
désillusions ou des
déceptions, mais ce fut dans la traversée des difficultés rencontrées,
que se révéla notre identité
chrétienne, cette "spécificité" que nous cherchions vainement avec
le secours de notre seule intelligence limitée. Aujourd'hui, au terme de ce
travail synodal à propos de la mondialisation, elle nous apparaît comme: - une identité qui
se construit : L’identité chrétienne ne peut pas être définie a priori, comme
réalité figée, ou vérité toute faite. Elle ne se réduit pas à une liste de
principes partagés ou de valeurs communes. L’identité chrétienne se construit
au long du chemin de notre histoire humaine. s’énonce à partir de notre
expérience concrète d’hommes et de femmes. - qui se construit
ensemble :
L’identité chrétienne n’est pas celle
d’une personne en particulier ou d’un groupe
éclairé, qu’il soit à la tête ou
à la base. L’identité chrétienne est celle
du tout le « peuple chrétien »,
composée donc de nos multiples appartenances. Elle est
définie par cet universel qui se fait local, et prend dans
chaque réalité historique, une forme différente. - ensemble et en dialogue avec le monde : L’identité chrétienne prend de l’épaisseur à partir de son incarnation dans l’histoire humaine. Elle est le résultat d’une interpellation mutuelle entre les réalités historiques et notre expérience de foi. Dans cet instant qui passe et renouvelle constamment la face du monde, Dieu se fait connaître. Les ACM : une nouvelle manière « d’être
Eglise » ? Les 16 et 17 janvier 2006, les
ACM ont tenu leur deuxième assemblée synodale à Lille. Ce Livre Blanc a été
au centre des échanges de l’assemblée. Sur la base des amendements proposés
et votés, incorporés dans la présente version, le Livre Blanc a été validé
par l’ensemble de l’Assemblée. Il est ainsi devenu « document de
référence » et « plate-forme de dialogue » des ACM. Il n’est
pas l’expression d’une parole unique mais celle d’une expérience de dialogue.
Il n’a pas le statut d’une vérité adressée au monde mais celui d’une
tentative actuelle « d’être Eglise ». Il témoigne d’une rencontre
vécue entre des chrétiens appartenant à des Eglises et mouvements divers, qui
sont parvenus à mettre leurs différences en dialogue et à se laisser interpeller
par la parole de l’autre. Le Livre Blanc est la trace de cette expérience
exceptionnelle de rencontre inter ecclésiale, qui peut contribuer à
renouveler la visibilité des chrétiens dans le monde. Il s’agit bien d’une
manière originale d’être présents en tant que chrétiens : une présence
qui passe d'avantage par l'écoute que par le jugement, par le discernement
que par le décret, et qui trouve dans la rencontre le moyen de découvrir une
Vérité évangélique toujours à approfondir. Au cours de l'assemblée qui a
finalement proclamé le Livre blanc en ce dimanche matin, avant la célébration
œcuménique la majorité des participants a exprimé leur désir de soutenir ce
souffle ressenti à travers le chemin des ACM. Les propositions qui suivent
reflètent les travaux des ateliers qui ont précédé l'adoption du livre blanc.
Une première suite approuvée de façon majoritaire concerne l’appropriation et la diffusion du
Livre Blanc, notamment à l’intérieur des Eglises et mouvements membres. A cet
effet, le site Internet des ACM devrait devenir un espace d’échange, de
partage et d’interpellation mutuelle, à partir des actions entreprises par
chaque Eglise et mouvement, que ce soit pour diffuser que pour mettre en
application les convictions du Livre Blanc. Par rapport aux thèmes
abordés dans le Livre Blanc, plusieurs questions ont été évoquées comme
pouvant faire l’objet d’approfondissement dans le futur, tels que:la
démographie, les nouvelles technologies, le chômage, les délocalisations,
l’Afrique. Les Actes de l’Assemblée Synodale en feront état de façon plus
précise. Ces thématiques à développer, selon la démarche des ACM, permettront
de prendre en compte certaines dimensions transversales qui sont également à
approfondir, telles que la formation et l’éducation, l’interculturel et
l’expérience de l’altérité, le rôle des familles dans l’apprentissage de la
socialisation, les médias comme moyen incontournable de communication. Enfin, une limite de notre démarche a été soulignée de façon
unanime : une vision trop « française » de la mondialisation.
Le livre blanc sera décidément plutôt un point de départ qu’un point
d’arrivée. Nous avons expérimenté une nouvelle manière de "faire
Eglise", nous avons ressenti comme un souffle nouveau à travers cette
nouvelle manière d’être dans le monde. Il s’agit maintenant de continuer
d’élargir ce dialogue, entre nous, et
au-delà de nos frontières. |
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Sources
du livre blanc |
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Les Ateliers Régionaux de Lorraine, Le Havre, Saint
Etienne, Paris, Lyon, Sartrouville, Bourges, Roubaix, Saint Maur des Fossés,
Dijon, Nancy Metz, les Vosges, Marseille, Ardèche Drôme, Tours, Angers,
Romans, Côte d’Or, Finistère, Lille. Les documents élaborés par les
mouvements et associations membres des ACM : Principalement : Justice et Paix, Secours Catholique
(Caritas Internationalis), CCFD (Cidse), CFTC, Fédération Protestante, CMR
(Chrétiens en Monde Rural), Fondacio, OPM-Coopération Missionnaire,
Commission sociale de l’Episcopat, Mouvement des Cadres Chrétiens (MCC),
Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC). Le projet de Livre Blanc a été rédigé par le Comité de Pilotage des ACM |
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