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Accompagner la fin de vie |
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JEUDI 20 AVRIL 2006, rencontre « Foi et
Société » à Saint-Amand « L’accompagnement de la fin de
vie » Le témoignage de Marie BLAS-HERBAU Le service d’aumônerie
hospitalière est régi par 1er constat :
le malade en fin de vie a changé de monde 2ème constat :
les croyances orientent nos choix, elles peuvent désorienter B. Les croyances des proches, de la famille C. Les
croyances de la personne elle-même D. Les croyances et la religion II. Le
malade risque alors se trouver dans l’éclatement de sa personne L’accompagnant
sera une aide pour élaborer une parole sur le sens de sa vie III. Et enfin aborder l’approche de la mort et y mettre des mots Accompagner la fin de vie, c’est
d’abord accepter de se former à l’écoute,
aux soins palliatifs et
s’engager à participer aux groupes de parole pour une relecture des
rencontres avec les malades. C’est respecter et
regarder le malade comme une personne à part entière ; écouter ses
besoins, ses désirs, ses révoltes, ses vides, mais aussi ses espérances et
ses projets. C’est aussi accompagner les familles, être attentif à faire
vivre leurs ressources pour être aux côtés de leur proche dans une présence
active : OSER DIRE, OSER PROPOSER. L’accompagnant n’a
pas de projet personnel sur le malade. Il respecte la parole reçue, sans
interprétation, sans but personnel. Il est tenu au secret professionnel. Il
s’efface devant la famille ou les proches. Il s’interdit toute pratique
médicale. Le malade rencontré n’est pas « son patient ». L’accompagnement, c’est enfin un temps d’humilité. On ne peut pas répondre à toutes les questions, combler toutes les attentes. Simplement être là (on n’est pas dans le FAIRE mais dans l’ETRE) parfois sans mots. Reconnaître et accepter ses limites. I. Les étapes du mourir Pour accompagner la vie jusqu’au bout, il est important de connaître et de repérer ce que l’on appelle les étapes du mourir : que ce soit dans l’annonce d’une grave maladie ou d’une mort prochaine la personne va devoir vivre plusieurs phases : - une phase de renoncement : Vivre la perte (avec choc,
sidération, refus, confusion qui l’accompagne) Souffrir la perte (avec
l’enfermement, la tristesse, la dépression –déni et envie de mourir- qui l’accompagne) le malade souffre physiquement et moralement et la souffrance est une désespérance. C’est parfois un voyage où il n’y a plus de place pour les valeurs, les normes, c’est la destruction de son image… d’où des réactions imprévisibles qui peuvent le plonger dans des croyances qui n’étaient pas les siennes et qui vont le déstabiliser davantage ainsi que l’entourage. - une phase de renoncement : Reconnaître la perte, pour cela
il faut vivre les émotions, vivre la réalité. Il faut aussi intégrer la perte
pour qu’un espoir renaisse et qu’un réinvestissement prenne place. Il s’agit
de vivre autre chose et de « reprendre du souffle ».Le malade va alors tenter d’entreprendre un
chemin intérieur pour reste SUJET de son histoire et lui donner du sens,
c’est ce que l’on appelle le
chemin spirituel. D’un point de vue général, on
pourrait expliquer le « spirituel » en partant des trois dimensions
de la personne : - le biologique - le psychique - le milieu socio-culturel (les lieux de vie). La notion spirituelle ne serait
pas une quatrième dimension mais la reprise des trois dimensions dans la
construction de la personne, dans son Etre. On pourrait dire du
« spirituel » qu’il est le « souffle »,
« l’énergie » « le dynamisme » qui va faire que le
devenir de cette personne va être sensé, que sa vie va prendre ou reprendre du
sens. Dans la maladie, la personne va rendre plus manifeste le
travail spirituel. L’approche spirituelle est une fonction existentielle,
elle concerne l’intériorité, cette partie de nous-mêmes où se situe l’Etre le
plus profond, là où nous cherchons à tisser le rapport le plus vrai avec
nous-mêmes et le mystère de la vie. « Pourquoi je vis, pourquoi je meurs ? »
« d’où je viens ? », « où je vais ? ». L’attention plus particulière
aux besoins spirituels du malade est liée au développement des Soins
Palliatifs dans les années 1960.1970. Les soins palliatifs, « c’est
tout ce qu’il reste à faire lorsqu’il n’y a plus rien à faire ». On va retrouver l’humanisation
de la mort : jusqu’à la mort, on accompagne la vie dans la souffrance
globale de l’Être : physique, morale, familiale, économique, sociale,
spirituelle. On prend conscience de ce qui fragilise le malade. Quand on est MALADE en phase palliative, ce qui implique aussi la fin de vie, comment rester vivant, désirer, faire des projets.1er CONSTAT : On n’est plus dans l’AVOIR ET LE
FAIRE mais dans l’ETRE et dans l’urgence, car on n’a plus de temps à perdre. Le malade en fin de vie a changé de monde. Le temps :
son existence est liée au présent. Hier, j’étais en bonne santé, j’étais
autre, demain est incertain et semble lointain. L’endroit :
la personne a quitté sa maison, le
lieu de la demeure, des repères. Aujourd’hui, son lieu de vie est une chambre
qui n’est pas la sienne, elle la partage parfois avec un voisin qu’elle ne
connaît pas. La liberté même est remise en cause : liberté de parole, de décision, horaire des visites est limité. L’intimité, même, du malade ne lui appartient plus. 2ème CONSTAT : Dans notre vie LES CROYANCES orientent nos choix, dans la maladie elles peuvent désorienter.A. Les croyances des
médecins Au 16e s, les
médecins soulagent, accompagnent ; ils guérissent très rarement. Au 20e s et à l’aube
du 21e s, les médecins sont encore pour la plupart d’entre eux
dans la toute puissance. Ils croient en la médecine, aux médicaments, en leurs pratiques. Les croyances professionnelles
des médecins peuvent venir de leurs propres croyances familiales, culturelles
ou même religieuses. Ils peuvent aussi croire en leur patient et à sa capacité de les aider dans leur objectif : celui de le guérir. Or certains malades n'apportent que ce qu’ils peuvent et non pas tout ce que leur demande le médecin. Le malade pourra même être amené à se culpabiliser de ne pas « être à la hauteur ». B. Les croyances des proches, de la famille C. Les croyances du malade lui-même Etre malade, c’est être mal et
par conséquent faire référence au Bien et au Mal. C’est pour cela que l’on
entend souvent « Qu’est-ce que j’ai fait de mal …. ? » Comme si, être malade ce serait être habité par le
Mal et le manifester par son corps ! Le malade pourra même être amené, à
son tour, à investir le soignant dans une toute puissance que ce dernier ne
peut pas « assumer » ou « assurer ». Il se trouvera aussi des cas où
le malade « s’engouffrera » dans d’autres croyances qui n’étaient
pas les siennes jusque là. La croyance concernant l'origine de la maladie peut en modifier l’acceptation. Par exemple, si le malade croit que sa maladie vient d’un déséquilibre familial : séparation, divorce, deuil, malédiction familiale, (des évènements qui se répètent de générations en générations), environnement malfaisant ... « Je suis sûr qu’on me veut du mal ». Il peut adopter alors une croyance qui va le mener dans un univers particulier et déstabilisant. D. Les croyances et la religion du malade Les anciens cultes ont perdu leur monopole. De nouvelles croyances apparaissent, s’organisent. Le malade peut se reconnaître dans plusieurs appartenances religieuses ou philosophiques (bouddhisme par exemple) ou passer de l’une à l’autre au cours de la maladie. Il en arrive à se créer sa propre religion. II. Le malade risque alors de se
trouver dans l’éclatement de sa personne. « Je ne sais plus où j’en
suis ». « Je m’en vais en petits morceaux, je ne sais plus qui je
suis ». Ce sera alors le rôle de
l’accompagnant ou témoin de servir
de relais pour permettre à la personne d’aller à la recherche de l’unité
de soi. La personne va alors tenter de RESTER SUJET,
ACTEUR DE SA VIE : - relire et relier son histoire personnelle, - s’inscrire parmi les siens dans une histoire familiale
avec ses valeurs, - évoquer tout ce qui la relie à son environnement et ce
qui a changé sa vie. Dans l’accompagnement spirituel la qualité de présence auprès des personnes en fin de vie, en avivant leur conscience, va les aider à demeurer vivantes jusqu’au dernier instant de leur vie. L’accompagnant sera une aide
pour élaborer une parole sur le sens de sa vie. Pour
le témoin, c’est la confrontation à
l’imprévu et à l’inattendu de l’autre.
C’est là que l’on peut parler de
l’humilité, du non-jugement. L’accompagnant devra
être attentif aux mots qui sont employés et donner sens
à ce qui est dit. Les formes que peut prendre le chemin
spirituel sont différentes suivant les personnes. Il
faudra - savoir décoder (les phrases
inachevées, les attitudes, les récits d’événements qui semblent appartenir à
d’autres….), - savoir observer pour pouvoir aussi se référer au monde de la personne, être la résonance de son histoire, l’aider à réunir tous les morceaux de sa vie.
Dans certains cas, le
« témoin » sera le compagnon vers une réconciliation avec soi-même
ou avec les autres. Il faut toutefois être attentif à ne pas en faire un
objectif personnel ou celui de la famille. Le malade n’éprouve pas forcément
le besoin ou le désir de cette « réconciliation ». Enfin en tentant de mettre des mots sur les questions incontournables de l’explication du mal, ne pas donner de sens à la maladie, à la solitude ou à la perte ; ne pas les justifier par un prix à payer pour tel ou tel excès ou telle ou telle conduite. La question n’est pas de donner un sens à la souffrance, mais de donner un sens à la vie malgré l’absurde de la souffrance. III. Aborder
l’approche de la mort et y mettre des mots L’hôpital est un lieu où l’on
soigne pour guérir et les médecins sont formés à cela. Certaines familles,
même, ne comprennent pas pourquoi on ne peut pas soigner efficacement leur
proche à l’hôpital « avec les progrès de Cependant 70 à 80 % des
personnes meurent à l’hôpital ou en maison de retraite. La mort est le plus
souvent vécue comme un échec, elle devient encombrante. On ne sait plus
pourquoi l’on meurt ! On
voit alors apparaître le mensonge, le déni de la fin de
vie, la solitude, le silence ; même le médecin,
parfois, n’entre plus dans la chambre de "son patient" sans parler de la famille, des amis. La mort
fait « peur ». A partir du
moment où l’Homme a acquis la conscience, il s’est posé des questions
métaphysiques, sur la vie, sur la mort, sur un au-delà possible et avec lui sur le culte des
morts. Les religions polythéistes d’abord, puis les religions monothéistes
vont rechercher l’Entité supérieure qui dépasse la connaissance, c’est ce
que l’on va appeler le besoin de transcendance. Et c’est parce que l’homme est en recherche
de reconnaissance comme « sujet » de sens pour sa vie, d’échanges avec
les autres, que le religieux peut prendre racine dans le terreau
spirituel ; ainsi la foi reprend les besoins spirituels dans une autre
dimension : celle de la relation à Dieu. Toutes les grandes religions
ont tenté de répondre aux grandes questions fondamentales de l’existence. A l’approche de la mort, les croyances
religieuses et les doutes remontent au jour. Cela ne rend pas plus facile
l’approche de la mort. Il faudra lâcher prise, accepter que l’on ne finira
jamais tout ce que l’on avait à faire, laisser tomber la toute puissance et
savoir la limite imposée par la mort. L’accompagnement religieux va alors
faciliter tout le travail intérieur d’une relation unique à Dieu par le
langage religieux : la prière, les rites, les sacrements vont avoir pour
but de soutenir le rapport à Dieu et de le rendre manifeste et visible. Cette dimension religieuse ne peut
passer que par l’Homme : le témoin devient« passeur ». Passeur
entre deux vies : celle de Je ne peux pas rejoindre l’autre dans son mystère, le mystère de sa souffrance, mais je peux être en communion avec lui, c’est-à-dire dans une égalité de sujet à sujet, dans une compassion (empathie et non pitié) qui va me rendre solidaire de l’Autre dans la vérité, la sincérité et surtout l’humilité ; mais je ne peux pas porter sa souffrance. Seul le Christ peut porter de manière authentique la souffrance. Une question
est souvent soulevée par le malade : Ma
souffrance peut-elle contribuer au rachat de mes fautes ? La
souffrance est-elle un Mal bienfaisant pour mon salut ? Toutes
les religions sont d’accord pour dire que tout doit être fait pour soulager
la souffrance qu’elle soit physique ou morale. Le Christ lui-même a fait des
miracles pour combattre la souffrance. Le
salut n’est pas dans l’au-delà, il est dans le présent, il est dans la foi
qui nous fait nous jeter dans les bras du Père dont l’amour seul est
rédempteur. Même Il y a cette phrase de Simone Weil de
tradition juive : « L’extrême grandeur du Christianisme vient
de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un
usage surnaturel de la souffrance». Il
m’est possible de « transcender » ma souffrance : Puisque je ne peux pas éviter (passer
à côté) de la souffrance et de la mort (tout ce qui était humainement
possible a été fait) alors, je peux faire de cet instant de ma vie, un
instant sublimé par l’Offrande que j’en fais. « C’est en tout cas cette réponse que je
tente de donner et qui est en concordance avec moi-même. A ce moment là de
l’accompagnement, on ne peut pas « plaquer » les phrases toutes faites ou les mots auxquels
on ne croit pas. Seul ce qui vous habite sera reçu et entendu. » Marie BLAS-HERBAU Aumônier catholique CHV Avril 2006 |
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