Accompagner la fin de vie

 

 

JEUDI 20 AVRIL 2006, rencontre « Foi et Société » à Saint-Amand

 « L’accompagnement de la fin de vie »

Le témoignage de Marie BLAS-HERBAU
Aumônier catholique au Centre Hospitalier de Valenciennes

Le service d’aumônerie hospitalière est régi par la Loi du 9 décembre 1905 qui garantit le libre exercice des cultes. Les aumôniers peuvent être religieux ou laïcs.

I. Les étapes du mourir

-                    Une phase de renoncement

-                    Une phase de reconstruction

1er constat : le malade en fin de vie a changé de monde

2ème constat : les croyances orientent nos choix, elles peuvent désorienter

A. Les croyances des médecins

B. Les croyances des proches, de la famille

C. Les croyances de la personne elle-même

D. Les croyances et la religion

II. Le malade risque alors se trouver dans l’éclatement de sa personne

L’accompagnant sera une aide pour élaborer une parole sur le sens de sa vie

III. Et enfin aborder l’approche de la mort et y mettre des mots

 

Accompagner la fin de vie, c’est d’abord accepter de se former à l’écoute,  aux soins palliatifs et  s’engager à participer aux groupes de parole pour une relecture des rencontres avec les malades.

C’est respecter et regarder le malade comme une personne à part entière ; écouter ses besoins, ses désirs, ses révoltes, ses vides, mais aussi ses espérances et ses projets. C’est aussi accompagner les familles, être attentif à faire vivre leurs ressources pour être aux côtés de leur proche dans une présence active : OSER DIRE, OSER PROPOSER.

L’accompagnant n’a pas de projet personnel sur le malade. Il respecte la parole reçue, sans interprétation, sans but personnel. Il est tenu au secret professionnel. Il s’efface devant la famille ou les proches. Il s’interdit toute pratique médicale. Le malade rencontré n’est pas « son patient ».

L’accompagnement, c’est enfin un temps d’humilité. On ne peut pas répondre à toutes les questions, combler toutes les attentes. Simplement être là (on n’est pas dans le FAIRE mais dans l’ETRE) parfois sans mots. Reconnaître et accepter ses limites.

I. Les étapes du mourir

Pour accompagner la vie jusqu’au bout, il est important de connaître et de repérer ce que l’on appelle les étapes du mourir : que ce soit dans l’annonce d’une grave maladie ou d’une mort prochaine la personne va devoir  vivre plusieurs phases :

-         une phase de renoncement :

Vivre la perte (avec choc, sidération, refus, confusion qui l’accompagne)

Souffrir la perte (avec l’enfermement, la tristesse, la dépression –déni et envie de mourir- qui l’accompagne)

le malade souffre physiquement et moralement et la souffrance est une désespérance. C’est parfois un voyage où il n’y a plus de place pour les valeurs, les normes, c’est la destruction de son image… d’où des réactions imprévisibles qui peuvent le plonger dans des croyances qui n’étaient pas les siennes et qui vont le déstabiliser davantage ainsi que l’entourage.

-         une phase de renoncement :

Reconnaître la perte, pour cela il faut vivre les émotions, vivre la réalité.

Il faut aussi intégrer la perte pour qu’un espoir renaisse et qu’un réinvestissement prenne place. Il s’agit de vivre autre chose et de « reprendre du souffle ».Le malade va alors tenter d’entreprendre un chemin intérieur pour reste SUJET de son histoire et lui donner du sens, c’est ce que l’on appelle le chemin spirituel.

D’un point de vue général, on pourrait expliquer le « spirituel » en partant des trois dimensions de la personne :

-     le  biologique

-               le psychique

-               le milieu socio-culturel (les lieux de vie).

La notion spirituelle ne serait pas une quatrième dimension mais la reprise des trois dimensions dans la construction de la personne, dans son Etre. On pourrait dire du « spirituel » qu’il est le « souffle », « l’énergie » « le dynamisme » qui va faire que le devenir de cette personne va être sensé, que sa vie va prendre ou reprendre du sens.

Dans la maladie, la personne va rendre plus manifeste le travail spirituel.

L’approche spirituelle est une fonction existentielle, elle concerne l’intériorité, cette partie de nous-mêmes où se situe l’Etre le plus profond, là où nous cherchons à tisser le rapport le plus vrai avec nous-mêmes et le mystère de la vie. « Pourquoi je vis, pourquoi je meurs ? » « d’où je viens ? », «  où je vais ? ».

L’attention plus particulière aux besoins spirituels du malade est liée au développement des Soins Palliatifs dans les années 1960.1970. Les soins palliatifs, « c’est tout ce qu’il reste à faire lorsqu’il n’y a plus rien à faire ».

On va retrouver l’humanisation de la mort : jusqu’à la mort, on accompagne la vie dans la souffrance globale de l’Être : physique, morale, familiale, économique, sociale, spirituelle. On prend conscience de ce qui fragilise le malade.

Quand on est MALADE en phase palliative, ce qui implique aussi la fin de vie, comment rester vivant, désirer, faire des projets.

1er CONSTAT : On n’est plus dans l’AVOIR ET LE FAIRE mais dans l’ETRE et dans l’urgence, car on n’a plus de temps à perdre.

Le malade en fin de vie a changé de monde.

Le temps : son existence est liée au présent. Hier, j’étais en bonne santé, j’étais autre, demain est incertain et semble lointain.

L’endroit : la personne  a quitté sa maison, le lieu de la demeure, des repères. Aujourd’hui, son lieu de vie est une chambre qui n’est pas la sienne, elle la partage parfois avec un voisin qu’elle ne connaît pas.

La liberté même est remise en cause : liberté de parole, de décision, horaire des visites est limité. L’intimité, même, du malade ne lui appartient plus.

2ème CONSTAT : Dans notre vie LES CROYANCES orientent nos choix, dans la maladie elles peuvent désorienter.

A. Les croyances des médecins

Au 16e s, les médecins soulagent, accompagnent ; ils guérissent  très rarement.

Au 20e s et à l’aube du 21e s, les médecins sont encore pour la plupart d’entre eux dans la  toute puissance. Ils croient  en la médecine, aux médicaments,  en leurs pratiques. Les croyances professionnelles des médecins peuvent venir de leurs propres croyances familiales, culturelles ou même religieuses.

Ils peuvent aussi croire en leur patient et à sa capacité de les aider dans leur objectif : celui de le guérir. Or certains malades n'apportent que ce qu’ils peuvent et non pas tout ce que leur demande le médecin. Le malade pourra même être amené à se culpabiliser de ne pas « être à la hauteur ».

B. Les croyances des proches, de la famille

« Je crois que c’est mieux pour lui, de toute façon « il » a toujours pensé comme ça ».

« Il ne faut pas qu’il sache, ça le ferait mourir…… ».

« Il me dit qu’il va mourir ; je n’y crois pas…. Je suis sûr qu’il y a encore quelque chose à tenter. C’est sûrement sa maladie qui lui fait dire cela » !

C. Les croyances du malade lui-même

Etre malade, c’est être mal et par conséquent faire référence au Bien et au Mal. C’est pour cela que l’on entend souvent « Qu’est-ce que j’ai fait de mal …. ? » Comme si,  être malade ce serait être habité par le Mal et le manifester par son corps ! Le malade pourra même être amené, à son tour, à investir le soignant dans une toute puissance que ce dernier ne peut pas « assumer » ou « assurer ».

Il se trouvera aussi des cas où le malade « s’engouffrera » dans d’autres croyances qui n’étaient pas les siennes jusque là.

La croyance concernant l'origine de la maladie peut en modifier l’acceptation. Par exemple, si le malade croit que sa maladie vient d’un déséquilibre familial : séparation, divorce, deuil, malédiction familiale, (des évènements qui se répètent de générations en générations), environnement malfaisant ... « Je suis sûr qu’on me veut du mal ». Il peut adopter alors une croyance qui va le mener dans un univers particulier et déstabilisant.

D. Les croyances et la religion du malade

Les anciens cultes ont perdu leur monopole. De nouvelles croyances apparaissent, s’organisent. Le malade peut se reconnaître dans plusieurs appartenances religieuses ou philosophiques (bouddhisme par exemple) ou passer de l’une à l’autre au cours de la maladie. Il en arrive à se créer sa propre religion.

II. Le malade risque alors de se trouver dans l’éclatement de sa personne.

« Je ne sais plus j’en suis ». « Je m’en vais en petits morceaux, je ne sais plus qui je suis ».

Ce sera alors le rôle de l’accompagnant ou témoin de servir de relais pour permettre à la personne d’aller à la recherche de l’unité de soi.

La personne va alors tenter de RESTER SUJET,   ACTEUR DE SA VIE :

-           relire et relier son histoire personnelle,

-            s’inscrire parmi les siens dans une histoire familiale avec ses valeurs,

-            évoquer tout ce qui la relie à son environnement et ce qui a changé sa vie.

Dans l’accompagnement spirituel la qualité de présence auprès des personnes en fin de vie, en avivant leur conscience, va les aider à demeurer vivantes jusqu’au dernier instant de leur vie.

L’accompagnant sera une aide pour élaborer une parole sur le sens de sa vie.

Pour le témoin, c’est la confrontation à l’imprévu et à l’inattendu de l’autre. C’est là que l’on peut parler de l’humilité, du non-jugement. L’accompagnant devra être attentif aux mots qui sont employés et donner sens à ce qui est dit. Les formes que peut prendre le chemin spirituel sont différentes suivant les personnes.

Il faudra

-         savoir décoder (les phrases inachevées, les attitudes, les récits d’événements qui semblent appartenir à d’autres….),

-         savoir observer pour pouvoir aussi se référer au monde de la personne, être la résonance de son histoire, l’aider à réunir tous les morceaux de sa vie.


Les formes d’un récit, d’une histoire de vie sont parfois déroutantes. Une vie est faite d’ombre et de lumière ; rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. La personne va rechercher le fil conducteur qui relie les événements de son existence : destin pour certains, fatalité pour les autres, ou acteur d’une histoire avec ses souffrances, ses bonheurs. Bien souvent, la personne ne se souvient que des mauvais moments ; le rôle du témoin sera alors d’amener la personne à se souvenir, aussi,  des bons moments.   La vie est une toile dont nous avons à tisser la trame, à y mettre les motifs, les couleurs. Alors les événements vont prendre du relief et du sens.

Dans certains cas, le « témoin » sera le compagnon vers une réconciliation avec soi-même ou avec les autres. Il faut toutefois être attentif à ne pas en faire un objectif personnel ou celui de la famille. Le malade n’éprouve pas forcément le besoin ou le désir de cette « réconciliation ».

Enfin en tentant de mettre des mots sur les questions incontournables de l’explication du mal, ne pas donner de sens à la maladie, à la solitude ou à la perte ; ne pas les justifier par un prix à payer pour tel ou tel excès ou telle ou telle conduite. La question n’est pas de donner un sens à la souffrance, mais de donner un sens à la vie malgré l’absurde de la souffrance.

III. Aborder l’approche de la mort et y mettre des mots

L’hôpital est un lieu où l’on soigne pour guérir et les médecins sont formés à cela. Certaines familles, même, ne comprennent pas pourquoi on ne peut pas soigner efficacement leur proche à l’hôpital « avec les progrès de la Médecine » !

Cependant 70 à 80 % des personnes meurent à l’hôpital ou en maison de retraite. La mort est le plus souvent vécue comme un échec, elle devient encombrante. On ne sait plus pourquoi l’on meurt !

On voit alors apparaître le mensonge, le déni de la fin de vie, la solitude, le silence ; même le médecin, parfois, n’entre plus dans la chambre de "son patient" sans parler de la famille, des amis. La mort fait « peur ».

A partir du moment où l’Homme a acquis la conscience, il s’est posé des questions métaphysiques, sur la vie, sur la mort, sur un  au-delà possible et avec lui sur le culte des morts. Les religions polythéistes d’abord, puis les religions monothéistes vont rechercher l’Entité supérieure qui dépasse la connaissance, c’est ce que l’on va appeler le besoin de transcendance.

Et c’est parce que l’homme est en recherche de reconnaissance comme « sujet » de sens pour sa vie, d’échanges avec les autres, que le religieux peut prendre racine dans le terreau spirituel ; ainsi la foi reprend les besoins spirituels dans une autre dimension : celle de la relation à Dieu. Toutes les grandes religions ont tenté de répondre aux grandes questions fondamentales de l’existence.

A l’approche de la mort, les croyances religieuses et les doutes remontent au jour. Cela ne rend pas plus facile l’approche de la mort. Il faudra lâcher prise, accepter que l’on ne finira jamais tout ce que l’on avait à faire, laisser tomber la toute puissance et savoir la limite imposée par la mort.

L’accompagnement religieux va alors faciliter tout le travail intérieur d’une relation unique à Dieu par le langage religieux : la prière, les rites, les sacrements vont avoir pour but de soutenir le rapport à Dieu et de le rendre manifeste et visible.

Cette dimension religieuse ne peut passer que par l’Homme : le témoin devient« passeur ». Passeur entre deux vies : celle de la Terre au Ciel, celle de l’Humanité à la Divinité. Pour les Chrétiens, c’est au «  passeur » de révéler au malade qu’il est VISAGE DU CHRIST.

Je ne peux pas rejoindre l’autre dans son mystère, le mystère de sa souffrance, mais je peux être en communion avec lui, c’est-à-dire dans une égalité de sujet à sujet, dans une compassion (empathie et non pitié) qui va me rendre solidaire de l’Autre dans la vérité, la sincérité et surtout l’humilité ; mais je ne peux pas porter sa souffrance. Seul le Christ peut porter de manière authentique la souffrance.

Une question est souvent soulevée par le malade :

LA SOUFFRANCE EST-ELLE REDEMPTRICE ?

Ma souffrance peut-elle contribuer au rachat de mes fautes ?

La souffrance est-elle un Mal bienfaisant pour mon salut ?

Toutes les religions sont d’accord pour dire que tout doit être fait pour soulager la souffrance qu’elle soit physique ou morale. Le Christ lui-même a fait des miracles pour combattre la souffrance.

Le salut n’est pas dans l’au-delà, il est dans le présent, il est dans la foi qui nous fait nous jeter dans les bras du Père dont l’amour seul est rédempteur.

Même la Croix n’est pas muette face à la souffrance : le crucifié est innocent, par conséquent la souffrance n’est pas un dessein de Dieu et n’est pas liée au péché. PAR la Croix, Dieu s’identifie à ceux qui souffrent mais ne sacralise pas la souffrance. Ce n’est pas une condition du Salut. Dieu se livre à nous, par amour.

Il y a cette phrase de Simone Weil de tradition juive :

« L’extrême grandeur du Christianisme vient de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance».

Il m’est possible de « transcender » ma souffrance :

Puisque je ne peux pas éviter (passer à côté) de la souffrance et de la mort (tout ce qui était humainement possible a été fait) alors, je peux faire de cet instant de ma vie, un instant sublimé par l’Offrande que j’en fais.

« C’est en tout cas cette réponse que je tente de donner et qui est en concordance avec moi-même. A ce moment là de l’accompagnement, on ne peut pas « plaquer » les  phrases toutes faites ou les mots auxquels on ne croit pas. Seul ce qui vous habite sera reçu et entendu. »

 

Marie BLAS-HERBAU

Aumônier catholique CHV Avril 2006