Château d’Angers

Maine-et-Loire

Tenture de l’Apocalypse

14ème siècle

Saint Michel

combat

le dragon


Apocalypse
ch. 12 v. 7 à 12

Mais que puis-je donc faire de l’Apocalypse ?

Un langage particulier

Alors que faire de l’Apocalypse ?

Interpréter

Quatre écoles d’interprétation

La lecture théologique qui semble s’imposer ici

Je me souviens de cette question d'un membre d'un groupe biblique qui avouait sa perplexité devant le dernier livre de la Bible. L'apocalypse de Jean fait partie du canon biblique néotestamentaire, mais elle n'est pas la seule apocalypse existante, c'est ainsi que le christianisme naissant a vu circuler différentes apocalypses. L'apocalypse de Pierre a été pendant un certain temps considérée comme quasi canonique. Elle figure dans le canon de Muratori qui est un document attestant du débat qui existait dans l'Église ancienne pour établir ce qui fait ou ne fait pas autorité. Clément d'Alexandrie l'a commentée, semble-t-il, et on la lisait dans certaines églises de Palestine le vendredi Saint.

Ceci dit, il y eut aussi d'autres livres du même type qui ont fait partie de l'univers de référence des premiers chrétiens, entre autres l'apocalypse de Paul. Après avoir inspiré de nombreux remaniements en plusieurs langues modernes, ces textes ont fini par trouver dans L'Enfer de Dante leur plus géniale expression. D'autres Apocalypses plus ou moins anciennes s'ajoutent à la liste : l'Apocalypse de Jean, l'Apocalypse de Jean – le -Théologien, l'Apocalypse de Zacharie.

À côté de cela nous pourrions mentionner entre autres le livre d'Hénoch qui n'est pas issu du christianisme, ou encore le Testament des Douze Patriarches ou le quatrième livre d'Esdras. C'est volontairement que je limite l'inventaire de cette littérature, intéressante par ailleurs. L'Apocalypse de Jean finalement, après avoir été ignorée, rejetée, méprisée, est entrée dans le canon néotestamentaire où elle a rejoint d'autres textes qui ont un style très proche : notamment Daniel, Ézéchiel, Zacharie ou deux passages des évangiles Matthieu 24 et Marc 13.

UN LANGAGE PARTICULIER

II nous faut reconnaître que le message apocalyptique s'exprime dans le cadre d'un genre littéraire particulier. L'exégèse des textes, le déchiffrement des codes sont toujours extrêmement compliqués. Une fois les codes dé­cryptés par les exégètes, reste encore l'épineux problème de l'interprétation globale et de sa signification dans l'ensemble de la tradition. Il n'est pas simple de répondre à la question de la signification de l'apocalyptique juive, mais on doit se demander si l'Apocalypse de Jean est bien une apocalypse comme les autres et en quoi elle diffère. Autre point qui mérite d'être souligné, c'est le fait que cette littérature, qu'elle soit juive ou chrétienne, est née dans des situations de crises, crises qui imposaient aux communautés dont l'apocalypse est issue, une relecture et une reformulation de la foi traditionnelle. Ainsi l'Apocalypse de Jean se présente à nous comme une révélation (c'est son titre en grec). Ici Jean, comme les autres auteurs du genre, révèle des choses qu'il connaît à des interlocuteurs qui les ignorent. Les apocalypses bibliques ont été généralement écrites pour réconforter les croyants, en des périodes où ils subissent épreuves ou persécutions. Elles développent les thèmes de délivrance et de gloire future, en utilisant des formules mythiques, souvent empruntées à diverses traditions religieuses, mêmes étrangères à Israël. L'apocalypse johannique n'échappe pas à la règle. Ce texte est assez peu lu dans nos cercles réformés, Calvin lui-même préféra ne pas trop, voire ne pas du tout, commenter un texte qui présente plus d'obscurité que de clarté. Luther le déconsidérait ouvertement.

ALORS QUE FAIRE DE L'APOCALYPSE ?

Dans le christianisme contemporain, à côté de ceux qui préfèrent ne pas en parler, il y a ceux qui réinterprètent toute l'histoire humaine à sa lumière. Les milieux fondamentalistes n'ont pas fini de lier un proche retour de Jésus-Christ à l'accélération d'événements mondiaux. Il faut le dire, une bonne dose de délire apocalyptique transforme le texte biblique en un traité de certitudes littérales qui doivent s'accomplir bien sûr pour la gloire de Dieu sans quoi il serait menteur et la " véracité " de la Bible - quel mot ringard ! - serait remise en cause. Chers amis, membres de nos Églises, c'est avec des chrétiens convaincus de ceci que nous cheminons aujourd'hui au sein de la Fédération protestante de France et aussi au-delà. II n'y a pas forcément de quoi s'en réjouir ni se répandre en larmes de joie... Le texte biblique n'a pas besoin qu'on le vénère au point de ne pas le toucher. La bonne nouvelle de l'Évangile, pétrie par la rencontre entre les espoirs humains, nos questions, nos déceptions ; modelée par notre attente réelle du projet de la venue du Royaume, est entachée par notre incapacité à discerner clairement ce qui se produira, car Dieu ne cesse d'agir, de construire et de modifier son projet. II nous appartient donc de servir le texte en le travaillant et non en le bidouillant pour le trahir !

L'Apocalypse pose de nombreux problèmes de compréhension et d'interprétation parce qu'elle est chargée de l'héritage de la tradition du judaïsme à l'époque de Jésus et au premier siècle, mais aussi parce qu'elle emprunte nombre de ses images à la littérature apocalyptique et que ses symboles dépassent souvent le simple cadre de la tradition d'Israël, les interférences avec les autres traditions religieuses sont fortes et réelles.

INTERPRÉTER

L'interprétation de ce livre a donc toujours été difficile et différentes écoles ont proposé leur grille de lecture, cela demeure encore un débat aujourd'hui. Interpréter l'Apocalypse est un peu comme faire un puzzle. On doit d'abord trouver les quatre coins. Ensuite, il y a les symboles définis dans le livre, comme les candélabres et le dragon. De là, on passe aux symboles plus obscurs, qui ont leur origine dans l'Ancien Testament, comme les sept trompettes et les coupes. Celles-ci représentent les pestilences et la Bête surgie de la terre, fondées sur les visions de Daniel. Il est possible d'établir un cadre, ensuite de placer les images plus obscures. Et même s'il est difficile d'arriver à compléter le puzzle, on aura ainsi une partie de l'image finale.

Traditionnellement il y a quatre écoles d'interprétation

- Selon la pensée " prétériste ", le livre décrit, dans un langage voilé, les événements de l'époque de Jean jusqu'à la fin de l'empire romain, ou la conversion de Constantin. La Bête est donc l'empire romain et Babylone est Rome. Les lettres aux sept Églises y sont comme les épîtres de Paul, des livres qui devront rester au-delà des siècles comme avertissements. Jean s'est servi d'images symboliques, l'Apocalypse n'est pas seulement liée à l'empire romain, mais peut s'appliquer aux drames de l'humanité à travers les siècles.

[Le terme "prétériste" vient du latin qui signifie `au-delà" ou "passé". Ce point de vue appliqué au livre de l'Apocalypse dit que la plupart sinon la totalité du livre s'applique aux événements des premiers siècles de l'histoire de l'Église].

- Pour la pensée " historiciste ", le livre est un tableau de l'histoire depuis la naissance du Christ jusqu'au second avènement et au-delà. L'interprétation littérale suppose que le Christ reviendra sur les nuées du ciel. De cette manière on essaie de mettre en relation des événements historiques précis avec les passages du livre. La Bête a été perçue comme la manifestation de la papauté à l'époque de la Réforme. Cette pensée va proposer nécessairement une variété d'interprétations à travers les âges, parce qu'elle est toujours prise en défaut dans son obsession de voir s'accomplir directement le plan de Dieu dans le présent discernable.

- La pensée " idéaliste " voit entre les messages du premier siècle et de l'avenir lointain que le livre de l'Apocalypse s'applique aux principes toujours présents dans l'expérience chrétienne. Notamment la lutte contre la Bête qui est l'empire romain de l'époque de Jean mais également une suite d'empires impies jusqu'au dernier empire d'où viendra l'Antéchrist.

- La pensée " futuriste " considère le livre comme une prophétie des événements à venir, surtout ceux qui précédent le second avènement. Elle est encouragée par de nombreux mouvements qui attendent avec effervescence le retour de Jésus-Christ.

Je suis convaincu que ces lectures, qui peuvent avoir des côtés attractifs et troublants, ne rendent pas justice au texte. Je vois plutôt l'Apocalypse comme un livre dans lequel l'apôtre s'adresse à une communauté qui vit l'épreuve de sa foi chrétienne dans le monde et qui prend conscience de sa faiblesse. À cette communauté, le Dieu vivant et son Christ rappellent qu'ils demeurent maîtres de toutes choses. Ainsi, face à l'épreuve, il ne faut pas perdre confiance car le maître de l'histoire veille, notre vie ne se borne pas à l'apparence de ce que ce monde présent, lieu de tribulations, nous fait vivre.

C'est la lecture théologique qui me semble devoir s'imposer ici !

Si elle demande un effort au lecteur, elle lui rappelle que la foi permet d'avancer et de vaincre les épreuves de ce monde. L'Apocalypse est en quelque sorte la suite des Évangiles, cela paraît surprenant mais, en y regardant bien, elle dit par symboles et mots cachés l'accomplissement du plan de Dieu en marche. Non, la croix n'a pas été l'échec de Dieu, Il continue son œuvre. Par ailleurs ces textes affirment qu'il y aura une fin à cette création trop imparfaite. Nous ne savons pas véritablement comment. Les symboles ne sont pas à prendre à la lettre, mais il y aura avènement d'une nouvelle réalité où il n'y aura ni larmes, ni deuils, ni souffrances. Les symboles peuvent à eux seuls, pris un à un, donner à penser mais la littéralité tue fondamentalement la profondeur de l'œuvre. Pour nous aujourd'hui, face à ce livre, il ne s'agit pas tant de décoder ce qui serait exagérément crypté mais de sensibiliser le lecteur pour que l'imaginaire face prendre conscience de la réalité du Dieu vivant qui n'est pas destructeur mais édificateur, créateur d'un monde nouveau auquel il nous associe.

Frédéric VERSPEETEN