Multiplications des pains

 

 

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Matthieu 14, 13-21 : 5000 hommes sont nourris

13A cette nouvelle, Jésus prit un bateau pour se retirer à l'écart, dans un lieu désert ; les foules l'apprirent, quittèrent les villes et le suivirent à pied. 14Quand il descendit du bateau, il vit une grande foule, et il en fut ému ; il guérit leurs malades.
15Le soir venu, les disciples vinrent lui dire : Ce lieu est désert, et l'heure est déjà avancée ; renvoie les foules, pour qu'elles aillent s'acheter des vivres dans les villages. 16Mais Jésus leur dit : Elles n'ont pas besoin de s'en aller ; donnez-leur vous-mêmes à manger. 17Ils lui disent : Nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons. 18Et il dit : Apportez-les-moi ici. 19Il ordonna aux foules de s'installer sur l'herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux vers le ciel et prononça la bénédiction. Puis il rompit les pains et les donna aux disciples, et les disciples en donnèrent aux foules. 20Tous mangèrent et furent rassasiés, et on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient. 21Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.

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Plusieurs récits de multiplications des pains dans les évangiles

Le récit qui se trouve dans Matthieu est considéré comme la première multiplication des pains et il a deux parallèles dans Marc et dans Luc. La seconde multiplication des pains n’est mentionnée que dans Matthieu et Marc ; Jean en mentionne une au chapitre 6. Ceci pour souligner que ce thème du pain providentiel multiplié et distribué à tous est important aux yeux des rédacteurs des évangiles. Pour les contemporains de Jésus, la nourriture d’une famille juive était essentiellement végétarienne et l’aliment de base en était le pain, fabriqué avec de l’orge pour les plus pauvres, mais aussi du blé ou du sarrasin pour ceux qui avaient plus de ressources.

Le peuple d’Israël se souvenaient que Dieu avait nourri son peuple au désert en lui donnant la manne ; il se souvenait aussi que, dans le jardin d’Éden Dieu avait pourvu à la nourriture de l’homme et de la femme et que même, si selon la tradition, l’homme avait été chassé du jardin et que la terre ne lui donnait plus, toutes ses productions et ses fruits sans qu’il y ait un effort à fournir, elle n’en demeurait pas moins une terre nourricière. Dieu dans sa bonté voulait que l’homme trouve sa nourriture et le don de la nourriture était considéré comme une bénédiction de Dieu lui-même. Les livres de sagesse, notamment l’Ecclésiaste (chap. 2.24) et le Siracide (Sir 3 1, 12 et 37, 27 à 31) soulignent eux aussi que la nourriture est une large part du bonheur humain.

Mais les textes bibliques sont aussi des textes qui nous mettent en garde contre la gloutonnerie et l’ivresse qui contrairement à ce qu’on pourrait penser ne sont pas présentées comme des richesses ou des bienfaits mais comme une misère. Et souvent les textes bibliques lient plus ou moins directement le thème de la nourriture terrestre et de la nourriture spirituelle. Jésus est aussi celui qui dit :’’ L’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sortira de la bouche de Dieu ‘’.

Les récits de multiplication des pains peuvent être interprétés de manière différente. La tradition classique de l’Église y a vu une œuvre miraculeuse de Dieu en Jésus agissant sur la nature, prouvant ainsi qu’il est le maître de toutes choses et fait ce qu’il veut puisque tout lui appartient…

Après le siècle des lumières, des lectures bibliques nouvelles sont entrées dans le champ de réflexion des théologiens et biblistes et cela a conduit à voir plutôt dans ces récits des récits légendaires ou symboliques. Ernest Renan qui a commenté les textes bibliques y voyait une belle expérience de partage entre des hommes qui tout à coup se sont assis ayant entendu les paroles de Jésus et se sont mis à partager les petites provisions qu’ils avaient emportées avec eux pour la route et leur travail. Il imaginait un grand banquet fraternel qui n’a rien à voir avec un pique-nique arrosé !

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Le texte et ses interprétations

La première interprétation visait à garder à ces récits leur caractère littéral. Elle a fait l’objet de nombreuses critiques. Certains disaient que, si ce récit (même s’il a eu lieu matériellement) n’avait pas de raison de se reproduire car il était seulement là pour nous rappeler que l’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toutes paroles qui sortent de la bouche de Dieu. Comment supporter l’image de ceux qui ne mangent pas à leur faim. Si Jésus, et donc Dieu, a agi ainsi pourquoi ne le fait–il pas encore de nos jours dans les lieux de pauvreté auprès des plus démunis ? Car nous sommes les gardiens de nos frères et il nous appartient de veiller à ce qu’ils aient une nourriture matérielle suffisante.

Ce texte est important pour nous, particulièrement aujourd’hui, car il n’est pas inutile de rappeler que Jésus se préoccupait aussi des nourritures matérielles de ceux qui le suivaient. Même si Jésus déclare ailleurs « L’homme ne vivra pas de pain seulement », l’homme vivra néanmoins aussi de pain, c’est ce que Jésus veut nous faire comprendre dans cette fraction du pain. Car comment peut-on imaginer parler du salut, de la vie éternelle, à des hommes et des femmes dont la seule préoccupation c’est que leurs enfants ne meurent pas de faim ? de se vêtir, de se loger ou d’accéder aux soins ?

Face à ceux qui étaient là près du lac de Tibériade, Jésus a dit à ses disciples qui voulaient les renvoyer : ‘’Donnez-leur vous-même à manger’’. Dans Ésaïe 55 on peut constater le même glissement qui s’opère entre rassasiement matériel et spirituel. Ésaïe déclare (versets 1 à 3) :

« Vous tous qui avez soif, venez prenez cette eau, même celui qui n'a pas d'argent ! Pourquoi payer pour ce qui ne nourrit pas ? Pourquoi travailler pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc, votre âme se délectera de mets succulents, Écoutez, et votre âme vivra : Je traiterai avec vous une alliance éternelle ». Ésaïe aborde à la fois le thème de l’eau, symbole de la vie sur terre, mais aussi l’eau symbole de l’action de Jésus pour les âmes assoiffées : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein ».

Alors, on peut se poser la question : est-ce que Jésus ne nous interpelle pas aujourd’hui pour nous demander ce que nous faisons pour le partage de ces nourritures terrestres, qui sont elles aussi un don de Dieu, qui devrait être partagé équitablement entre tous comme ce pain et ces poissons sur les rives du lac de Tibériade.

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Ce récit révèle ce qui se passe entre les gens

En regardant le récit de plus près, il devient évident que ce récit plein de sens ne raconte pas tellement un miracle mais plutôt ce qui se passe entre les gens. Alors que les disciples disent à Jésus renvoie les pour qu’ils aillent s’acheter quelque chose à manger, il dit donnez leur vous même à manger ! Jésus répond pour nous dire : tout ne s’achète pas ! L’amour, l’amitié, la souffrance sont hors de prix et nous ne pouvons continuer à vivre les uns avec les autres que parce qu’il existe entre nous des gestes sans prix dans lesquels on peut encore lire la dignité sans prix de chacun.

Mais par-dessus tout cela, ce récit évoque la présence d’une foule. Il y a, en elle une faim et une soif spirituelle. Cette faim et cette soif animent et déplacent ces gens. Cette faim et cette soif spirituelle les rend même capables de quitter leurs villes, de parcourir des kilomètres à pied, jusqu’à arriver dans un lieu désert, sans avoir rien prévu pour manger, parce que leur préoccupation est ailleurs. Ces gens ont tenu compte d’abord de leurs besoins spirituels, mais leurs besoins matériels sont quand même pourvus.

Finalement, cette succession d’imprévus n’a pas débouché sur une impasse, mais un chemin s’est ouvert. Un chemin peut être différent de celui que l’on aurait attendu au début, mais c’était le chemin de Dieu. Ce texte nous invite, face aux imprévus de la vie, à ne pas nous figer dans nos attentes, mais à être souples et disponibles. Il nous invite aussi à ne pas refuser de voir la réalité en face, telle qu’elle est, avec tout ce qu’elle peut avoir de décevant. Il nous invite à ne pas nous focaliser sur ce qui nous manque, sur ce que nous n’avons pas, mais sur ce que nous avons. Et ce que nous avons sera suffisant pour faire face à l’imprévu dans nos vies. Alors ainsi nous pourrons accueillir l’inattendu de Dieu.

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Apaisement et certitude

L’appel d’Ésaïe 55, rappelé plus haut, nous rejoint tous : Vous tous qui avez soif, voici de l’eau, venez ! Venez acheter sans argent. C’est gratuit, on ne peut ni payer ni mériter : c’est gracieux. La source s’appelle Grâce. Pourquoi dépenser pour ce qui ne nourrit pas ? Pourquoi vous fatiguer pour quelque chose qui ne rassasie pas ? Soyez à l’écoute : ouvrez yeux, oreilles et cœurs, et vous vivrez ! Mon alliance est pour toujours !

L’apôtre Paul va plus fort encore pour nous inviter à une pleine confiance en Dieu : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Dans tout ce qui nous arrive, nous sommes grands vainqueurs par Celui qui nous a aimés ! » (Romains 8,39).

Quant à Jésus il nous dit que le combat quotidien est normal, mais que Dieu est avec nous dans tous les abîmes du monde : toujours présent pour sauver et non pour juger. Face aux foules affamées et assoiffées, Jésus a fait ouvrir toutes grandes les sacoches de ceux qui disaient « nous n’avons que peu de moyens ». Mais ces faibles moyens, mis à disposition, peuvent contribuer au-delà de ce que nous pouvons imaginer.

A cause de mis en commun conjointe de faibles moyens il nous est dit que tous ont mangé, et il y eut plein de restes : ls étaient 5 000, sans compter les femmes et les enfants.

Oui, participons : nous serons enthousiasmés de l’impact de cette participation.

C’est la découverte d’un trésor caché !

Quelle exemplarité qu’un tel partage !

Le Règne du Dieu se serait-il approché de nous

Frédéric Verspeeten

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