Rudolf Bultmann (1884 – 1976)

 

 

Originaire du Nord de l'Allemagne (Oldenburg), Bultmann fait ses études de théologie à Tübingen, Berlin et Marbourg (il subit notamment l'influence de Wilhelm Herrmann, mais aussi de l'École de l'histoire des religions). Après son doctorat (1910) et son habilitation (1912) à Marbourg, il devient professeur de Nouveau Testament à Breslau, puis à Giessen et enfin à Marbourg, où il enseignera jusqu'à sa retraite en 1951.

Rudolf Bultmann est l'un des fondateurs de la « théologie dialectique », avec Barth, Brunner, Thurneysen et Gogarten (Tillich participe du même climat socioculturel et théologique, en marquant des positions propres). Son travail d'exégète du Nouveau Testament s'accompagne d'une forte réflexion herméneutique et systématique (en référence notamment à Luther, Schleiermacher, Kierkegaard et Dilthey). Des contacts avec le philosophe Martin Heidegger dans les années vingt (Être et temps, 1927, trad. fr., Paris, Gallimard, 1994) l'ouvrent à la philosophie de l'existence et à la phénoménologie. C'est dans ce cadre qu'il définit sa conception de l'interprétation existentiale, conçue comme prolongement indispensable de la méthode historico-critique : le texte doit être lu du point de vue de son kérygme, de son message existentiel, appelant le destinataire à une nouvelle compréhension de soi. Croire et comprendre, foi et compréhension sont indissolublement liés. Cette exigence d'intelligibilité le conduira dès 1941, en pleine seconde guerre mondiale et en tension critique à l'égard de l'Eglise confessante, à élaborer son programme de la démythologisation, directement issu de l'interprétation existentiale.

Ce programme, qui suscitera de vifs débats tant dans l'opinion publique que dans les milieux théologiques et philosophiques (avec Barth aussi, notamment), propose une réinterprétation du langage mythologique que les textes empruntent à la conception du monde ambiante et qui fait obstacle à la compréhension de l'homme moderne.

Le travail de Bultmann suscitera toute une école théologique (Herbert Braun, Ernst Fuchs, Ernst Kasemann, Gerhard Ebeling, Günther Bornkamm), animée par plusieurs débats, notamment sur la place du Jésus historique.

Pierre Bülher

BULTMANN, Rudolf, Jésus. Mythologie et démythologisation (1926 et 1958), trad. fr. Paris, Seuil, 1968; Id. Foi et compréhension (1933-1965), trad. fr. 2 vol. Paris, Seuil, 1969-1970; Id. Le christianisme primitif dans le cadre des religions antiques (1949), trad. fr. Paris, Payot, 1950; Id. Histoire et eschatologie (1955), trad. fr. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1959; MALET, André, Bultmann et la mort de Dieu, Présentation, choix de textes, biographie, bibliographie, Paris, Seghers, 1968; SCHMITHALS, Walter, Die Theologie Rudolf Bultmanns, Tübingen, Mohr, 1967.

 

 

Lire :

Rudolf Bultmann, sa pensée

 

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Rudolf Bultmann, sa pensée

 

 

-         Bultmann et Heidegger

-         L’objectivant et l’existentiel

-         Schweitzer et Bultmann

-         Une décision existentielle

-         La démythologisation

-         Citation à méditer

Le terme de « démythologisation » n'a pas fini de faire des vagues dans l'univers théologique. Quand Barth insistait sur la prédication du message, Bultmann centrait sa réflexion sur ses conditions de réception, afin de souligner l'urgence de l'engagement de la foi.

Bultmann et Heidegger

Bultmann (1884-1976) a fait toute sa carrière à l'université de Marbourg. Il y a rencontré Heidegger, qui y a enseigné quelques années, et qui l'a influencé. L’œuvre de Heidegger, un ancien séminariste, doit beaucoup à la Bible. Elle en dégage les catégories de pensée sous-jacentes. Quand Bultmann utilise ces catégories, il ne se sert pas d'une philosophie pour expliquer la Bible, mais il retrouve le type de philosophie qui caractérise la Bible. Quand la philosophie (y compris celle de Heidegger) ne se contente pas d'éclairer les démarches de la pensée, lorsqu'elle prétend donner le sens de l’existence humaine, alors, dit Bultmann, elle devient « criminelle ».

A la différence de Heidegger, Bultmann n'a eu aucune faiblesse pour le nazisme. Très tôt, dans des cours du printemps et des prédications de l'été 1933, il le dénonce.  (Alors que K. Barth et W. Vischer défendent le peuple juif à cause de son élection, et donc en raison d'un statut théologique particulier.)

L'objectivant et l'existentiel

La théologie de Bultmann part de la distinction entre deux attitudes. La première, l'objectivante, considère les êtres et les événements comme des objets, c'est-à-dire des choses posées devant moi ( ob veut dire « devant », et jectum « placé » ), dont je dispose et que je manipule. Par la science et la technique, l’être humain s'empare du monde et se le soumet (il le met sous soi). Au contraire, l'attitude existentielle consiste à sortir de soi (« ex » veut dire dehors., et sistere ., « se tenir » ), à se rendre disponible. vulnérable et dépendant, à s'ouvrir et à se soumettre à l'autre. Nous avons naturellement tendance à privilégier l'objectivant qui nous donne une maîtrise et nous assure une sécurité. La foi (comme d'ailleurs le véritable amour) implique un retournement. Elle demande de s'abandonner, de renoncer à soi, de vivre non pas de ce que l'on possède, mais de ce que l'on reçoit. Il faut pour cela une conversion qu'opère la rencontre avec le Christ, présent et agissant aujourd'hui dans mon existence. L'orthodoxie, qui explique Dieu par des doctrines, relève d'une attitude objectivante, et donc incroyante. La foi ne consiste pas à adhérer à des dogmes, mais à vivre de la promesse et des exigences d'une parole toujours surprenante et bouleversante. Dans la Bible, on ne peut pas voir Dieu (le regard, plutôt objectivant, jauge, évalue et enferme l'autre dans l'image que je m'en fais). On écoute Dieu, on reçoit de lui une parole qui fait sortir de soi, bouger et changer.

Schweitzer et Bultmann

Ces deux spécialistes du Nouveau Testament se soucient d'une prédication actuelle de l'Evangile. Ils soulignent tous deux le mystère de Dieu (qui ne se laisse pas enfermer dans nos doctrines et définitions), et l'appel que nous adresse le Christ. Toutefois, Bultmann, proche du piétisme, insiste plutôt sur l'ouverture à la Parole et la rencontre avec Dieu, et Schweitzer, actif, plutôt sur l'éthique et l'engagement dans le monde.

Une décision existentielle

Dieu ne peut pas être possédé dans la foi...Il est toujours au-delà de ce qui a été une fois saisi. Il est "le visiteur qui va toujours son chemin" (Rilke)... non pas celui qui demeure, mais celui qui vient et exige toujours à nouveau ma décision. »

Foi et compréhension. Rudolf Bultmann

« Ce n'est pas un savoir sur Dieu, si exact soit-il, qui constitue la foi, mais la disponibilité pour la rencontre avec Dieu. Cette disponibilité nous empêche de nous enfermer dans nos projets, nos idées et nos habitudes. Car Dieu peut nous rencontrer à l'improviste, là où nous ne nous y attendons pas, et il nous transforme, nous rend sans cesse neufs. »

Rudolf Bultmann

La démythologisation

En 1941, Rudolf Bultmann prononce une conférence sur « Nouveau Testament et mythologie. Un auditeur aurait dit: « Cet homme sérieux, pieux et savant se charge pour ses vieux jours de bien des ennuis. » En effet, la notion de « démythologisation » a soulevé des tempêtes. On a accusé Bultmann de vider l'Evangile de sa substance, et d'opérer une réduction rationaliste du message biblique. On a même envisagé de l'excommunier.

Ces réactions reposent sur un total contresens. Profondément pieux, très attaché à la Bible, Bultmann n'entend pas transformer ou élaguer l'Evangile, mais au contraire le proclamer comme un appel à la conversion personnelle.

Il faut distinguer mythe et mythologie. Le mythe témoigne de l'expérience que nous faisons de la présence et de l'action divine dans notre monde. Il parle de ce qui nous dépasse et nous échappe. La mythologie, au contraire, veut comprendre, connaître, et rendre intelligible. Elle groupe des mythes, et en fait un système cohérent d'explication. Elle transforme l'annonce d'un mystère en une information sur le surnaturel. Elle est la science d'une époque prescientifique.

Bultmann ne veut pas démythiser, mais démythologiser, ce qui consiste à retrouver le sens existentiel du mythe contre la rationalisation qu'en opère la mythologie. Je démythologise la Bible quand j'y entends une prédication qui me concerne, au lieu d'y chercher une information sur des choses. Ainsi, le récit de la Création ne me renseigne pas sur l'origine de l'univers. Il proclame la primauté de la Parole de Dieu; c'est elle, et non l'ordre du monde, ou ma volonté propre, qui, pour moi, vient en premier. Elle est le principe ou le prince qui commande mon existence de croyant. Pour moi, tout commence avec elle et dépend d'elle. Il ne s'agit pas du cosmos et de ses débuts, mais de ce que je vis aujourd’hui.

Texte rédigé par André Gounelle

Pour poursuivre

Le christianisme primitif, Rudolf Bultmann Payot

Foi et compréhension, Rudolf Bultmann, Seuil, 2 vols.

Mythos et Logos. La pensée de  Rudolf Bultmann, André Malet, Labor et Fides (le livre qui a fait comprendre Bultmann en France).

 

 

 

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« Ce n’est pas un savoir sur Dieu, si exact soit-il,
qui constitue la foi,
mais la disponibilité pour la rencontre avec Dieu.
Cette disponibilité nous empêche de nous enfermer dans nos projets,
nos idées et nos habitudes.
Car Dieu peut nous rencontrer à l’improviste,
là où nous ne nous y attendons pas,
Et il nous transforme, nous rend sans cesse neufs. »

Rudolf Bultmann

 

 

 

 

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