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Penser la foi |
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Etudes précédentes: Penser librement la foi chrétienne (1ère partie) Penser librement la foi chrétienne est-ce dangereux (2ème partie) Penser
librement la foi chrétienne : Eloge de l’hérésie (3ème partie) 1. Liberté 3. Réflexion 4. Tolérance Dans le langage courant, le terme « hérésie» désigne une déviation religieuse condamnable, une sorte de perversion de la foi et de la pensée croyante. Pour les libéraux, il évoque plutôt la liberté, la responsabilité, la réflexion et la tolérance.
1. LIBERTE Hérésie
vient d'un mot grec qui signifie « choix ». Hérétique désigne celui
qui décide de ses propres croyances et opinions et n'admet pas qu'on les lui
impose. Il n'accepte jamais purement et simplement ce que lui enseignent les
autorités et ce que lui demandent les institutions. Il ne rejette certes pas
leurs doctrines, pratiques et consignes par principe, il ne fait pas
d'opposition systématique. Mais il n'y adhère pas ni ne s'y soumet
automatiquement. Il examine, exerce un jugement et opère un tri. Il refuse
qu'on lui dicte ce qu'il doit penser et faire. En
1529, à la Diète de Spire, l'empereur Charles-Quint, représenté par son frère
Ferdinand de Habsbourg, a voulu interdire le luthéranisme en Allemagne. Un
groupe de princes et notables a protesté (d'où le nom qu'on leur a donné de «
protestants ») en déclarant: « Pour ce qui concerne la gloire de Dieu, le
bonheur et le salut des âmes, chacun paraîtra devant Dieu et lui rendra
compte pour sa propre personne, sans pouvoir alléguer comme excuse des
décisions prises à la majorité des suffrages. » Discours et conviction
typiquement hérétiques: il n'appartient ni à une assemblée, ni à un synode, ni à un concile de déterminer comment
je dois croire, penser et me comporter. C'est mon affaire, et on ne peut pas
en décider par un décret ou par un vote, Tua res agitur, disait-on au
XVIème siècle ; c'est de toi qu'il s'agit ; c'est à toi,
et à personne d'autre, qu'il appartient de prendre position. Quand j'entends que de nombreux catholiques ne considèrent plus le protestantisme comme une hérésie, je leur sais gré de leur intention, mais, en même temps, je m'en inquiète et chagrine. Le protestantisme ne serait-il plus un choix ? Une religion qui cesse d'être hérétique devient un conformiste et perd sa dimension existentielle. Pour ma part, je souhaite qu'il n'y ait dans le christianisme que des hérésies et des hérétiques, autrement dit, que chacun soit appelé à des décisions et les prenne librement.
2. RESPONSABILITÉ Je
prends « responsable » au sens de celui qui répond. Toute réponse s'insère dans un dialogue où on
parle certes, mais où d'abord on écoute. Quand on s'isole, lorsqu'on
ne tient aucun compte des autres, si on néglige ou méprise le reste du monde,
on se met hors d'état d'opérer de véritables choix. Une décision authentique
implique qu'on ait sérieusement envisagé les diverses options possibles et,
pour cela, qu'on se soit confronté avec des opinions, des positions et des
tendances différentes des siennes.
L'hérésie ne consiste pas à s'enfermer dans la tour d'ivoire de ses
goûts, de ses préférences et de sa subjectivité. Dans ce cas, il n'y aurait pas décision; on se contenterait de suivre
ses penchants et ses impulsions. L'hérétique
n'ignore ni n'écarte a priori ce qui se dit, se fait et se passe
autour de lui. Il accepte le débat et la critique. Il reçoit de l’extérieur
des suggestions, des impulsions, des interpellations, parfois des
illuminations. Il réagit, positivement ou négativement, après un examen
attentif. Il n'a rien d'un sourd qui monologuerait dans le désert et croirait
ainsi préserver sa liberté et sa personnalité. On ne forme ses opinions et on
ne forge ses convictions qu'en
écoutant les autres et en discutant avec eux, en observant le monde et
en se laissant questionner par lui. Si personne ne me dicte mes positions et mes orientations, elles naissent
et se développent dans un réseau d'échanges, à travers un ensemble d'accords
et de désaccords. Je ne parle et ne m'engage personnellement que si j'ai su
entendre, comprendre, accueillir ou rejeter quantité d'autres voix. Pour un chrétien,
parmi les voix à écouter, il y a d'abord celle qui s'adresse à nous à travers
les textes bibliques. Elle nous rend responsables ou répondants devant Dieu.
L'entendre demande du discernement. Dans la Bible, tout n'a pas la même
valeur ni ne se situe sur le même plan. Il faut apprendre à y découvrir
l'essentiel, autrement dit, à en faire une lecture hérétique qui opère un
tri. Le chrétien sera également attentif aux voix de la nature et à celle de
ses semblables, et là également son écoute devra être intelligente et
critique. L'hérétique se montre responsable quand il prend parti en fonction des paroles qui se font entendre et des situations qu'il vit.
3. RÉFLEXION Examiner,
discerner, peser le pour et le contre, décider avec pertinence, toutes ces
activités relèvent de la réflexion. Conjointement avec la liberté et la
responsabilité, ce troisième terme caractérise une foi hérétique. On a souvent opposé
la foi et la réflexion. Des anticléricaux ne cessent de répéter - hélas, non
sans quelques raisons - que la religion a tendance à favoriser
l'abrutissement et l'obscurantisme. De leur côté, des croyants se méfient de
la réflexion dont ils redoutent qu'elle ne mine et détruise la foi. Il y a
quelques années, un professeur d'université, fervent chrétien, me disait:
« Vous, théologiens, vous êtes dangereux et l'Église devrait vous bannir.
Vous voulez obliger les croyants à réfléchir; or la foi consiste à se
soumettre et non à réfléchir. » Il n'était évidemment pas partisan d'une
foi hérétique. Ce propos me paraît totalement faux. À mon sens, c'est au
contraire le manque de réflexion qui rend la foi fragile, car alors elle se
trouve démunie devant les problèmes qui se posent et sans défense face aux
objections qu'on lui adresse. Elle ne sait pas bien sur quoi elle se fonde,
et elle risque d'adhérer à des croyances absurdes ou de se laisser séduire
par de dangereux « gourous ». Elle devient incapable de participer
aux grands débats contemporains et de s'y faire entendre. Son manque de
solidité intellectuelle la dessert et la déconsidère. Le protestantisme libéral a fait et continue à faire un immense effort pour comprendre, analyser et approfondir intellectuellement la foi chrétienne. Incontestablement sa recherche comporte des dangers, mais devons-nous avoir peur de la vérité ? Si elle ne s'exposait pas au risque de la réflexion, la foi serait-elle encore vivante ?
4. TOLÉRANCE Nous
ne sommes pas tous pareils. Nos expériences, nos situations, nos
sensibilités, nos pensées diffèrent parfois
considérablement. Les débats spirituels, philosophiques,
éthiques, sociaux et politiques ne se laissent pas facilement
résoudre, et n'ont pas de solutions aussi nettes et
évidentes que les problèmes de mathématiques. Si
nous sommes appelés à décider, à
répondre, à réfléchir personnellement, nos
options et nos orientations refléteront forcément nos
diversités. La complexité des questions entraîne un
éventail de réponses possibles et défendables. Il
ne faut pas le regretter. Seul un système tyrannique peut
imposer à tous les mêmes croyances, les mêmes
idées et les mêmes pratiques. Il crée une
uniformité au prix d'une radicale soumission, en
éliminant toute responsabilité et toute réflexion,
en étouffant la singularité de chacun. L'hérésie ne
constitue pas le privilège de quelques-uns; elle est la vocation de chaque
être humain, dans tous les domaines (pas seulement dans celui de la
religion). Elle conduit logiquement à la tolérance. En effet, ce qui vaut
pour moi s'applique également aux autres. Ils ont comme moi le droit de
choisir. Ils sont tout autant responsables de leurs croyances que je le suis
des miennes. Il est normal que leur réflexion emprunte d'autres chemins que
celui que j'ai pris et aboutisse à des conclusions et des décisions
différentes de celles auxquelles je suis parvenu. Si j'estime qu'ils se
trompent, je peux, parfois je dois, leur exprimer mon désaccord, leur en
expliquer les raisons, discuter avec eux et chercher une entente. Par contre,
je n'ai pas le droit de les exclure et de les condamner en alléguant qu'ils
ne pensent pas comme moi ou comme la majorité. Je peux agir sur eux par la persuasion
et non par une contrainte physique, sociale ou psychologique. Il serait
inconséquent d'insister sur le caractère personnel de la décision et de
vouloir que tous fassent des choix identiques. On n'est vraiment hérétique
que lorsqu'on accepte que les autres le soient aussi et que leur hérésie
diffère de la nôtre. Pour qu'on puisse adhérer librement à la vérité, il faut
que le droit à l'erreur soit admis et reconnu. L'hérésie consciente et
assumée doit, par conséquent, susciter une église pluraliste et non uniforme.
L'unité consiste ici à se respecter et à s'écouter les uns les autres, à se
prêter mutuellement attention et intérêt, à dialoguer ; nullement à
penser, croire, dire et faire les mêmes choses. On y admet des désaccords. La
communion ne les élimine pas, elle apprend à en faire bon usage en les
rendant stimulants et créateurs. Loin
de fuir l'hérésie et de s'en garder, il vaut la peine de
la cultiver et de la favoriser. Dans l'histoire du christianisme, les
hérésies ont été souvent plus
intéressantes et plus fécondes que les orthodoxies. Et,
surtout, il n'y a de foi véritable qu'hérétique,
c'est-à-dire libre, responsable et réfléchie. Ne
voyons pas dans l'hérésie une infidélité
à l'évangile : l'évangile est
hérétique. Pages 43 à 47 de l’ouvrage d’André Gounelle, « Penser la foi », 2005, Van Dieren éditeur, collection « Débats » |
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