Penser la foi

 

 

Penser librement la foi chrétienne (1ère partie)

Penser librement la foi chrétienne, est-ce dangereux ? (2ème partie)

Penser librement la foi chrétienne : éloge de l’hérésie (3ème partie)

Penser librement la foi chrétienne : Dieu, solidaire ou souverain ? (4ème partie)

Penser librement la foi chrétienne : Tu es le Christ (5ème partie)

 

Penser librement la foi chrétienne :
L’Esprit
(6ème partie)

1.    Attention aux abus

2.    Se méfier de l’esprit

3.    Un rôle nécessaire

4.    L’union de la puissance et du sens

5.    Dieu est esprit

 

1.    ATTENTION AUX ABUS

J'éprouve des réticences non pas à l'égard de l'Esprit, mais envers les discours qui en traitent. Je me méfie des gens qui le font intervenir à la moindre occasion, s'en réclament constamment et prétendent qu'il les guide à chaque instant. Souvent, leurs propos et leurs comportements me semblent cacher sous des apparences pieuses des marchandises fort suspectes.

A plusieurs reprises le christianisme a dû se défendre contre les outrances de prétendus « inspirés ». Déjà l'apôtre Paul exprime des réserves devant des phénomènes extraordinaires attribués à l'Esprit tels que le « parler en langues ». Il invite à la prudence envers ceux qui se targuent d'avoir reçu des révélations particulières. Il préconise le « discernement des esprits ». De même, la première Épître de Jean met ses lecteurs en garde :« Ne vous fiez pas à tout esprit. »

Au moment de la Réforme, Calvin et Zwingli (qui, par ailleurs, donnent une grande importance à l'Esprit) ont combattu les « illuministes »qui affirmaient que l'Esprit leur parlait directement. Quand ils proclament que la Bible seule fait autorité, les Réformateurs s'opposent à la fois aux catholiques (qui s'appuient également sur l'église et sa tradition) et aux spiritualistes (qui ajoutent et parfois substituent aux Écritures leurs prétendues inspirations). Au XVIIIème siècle, le protestantisme français clandestin a vigoureusement lutté contre les « prophètes » qui risquaient de le dénaturer. Depuis deux siècles, certains aspects excessifs du pentecôtisme et du charismatisme ont obligé les églises à réagir.

2.    SE MEFIER DE L’ESPRIT

Pourquoi ces réticences et ces résistances? Trois raisons les expliquent.

D'abord, le plus souvent sans en avoir conscience, les soi-disant inspirés confondent les impulsions de l'Esprit avec leurs sentiments, leurs opinions, leurs goûts et leurs désirs. En se trompant eux-mêmes, ils s'imaginent que vient de Dieu ce qui, en fait, relève de leur subjectivité. Ils mettent sur le compte de l'Esprit leurs fantaisies, leurs « marottes », voire leurs ambitions et, ainsi, les rendent nobles et leur donnent du poids.

Ensuite, les « inspirés » ont tendance à se considérer comme des chrétiens de qualité supérieure, parfois comme les seuls vrais croyants. Ils estiment posséder la vérité, puisque l'Esprit leur a parlé. Ils ne doutent pas d'eux-mêmes et jugent sévèrement ceux qui ne les suivent pas ou qui pensent autrement qu'eux. Avec parfois une grande arrogance, ils s'érigent volontiers en censeurs et en juges. Au nom de l'Esprit, ils s'accordent une supériorité, une prééminence et une autorité indues.

Enfin, dans bien des cas, le recours à l'Esprit sert d'oreiller de paresse. Il fournit une excuse pour éviter des disciplines et des fatigues nécessaires. On l'utilise pour se dispenser du travail d'analyse, de l'effort de pensée, des tâches de préparation et d'élaboration. Des pasteurs se sont épargnés d'étudier sérieusement le passage de la Bible sur lequel ils prêchaient et d'en chercher le sens exact, en pensant que, le moment du sermon venu, l'Esprit les inspirerait. Des théologiens, quand ils se heurtent à un problème complexe et difficile, font intervenir l'Esprit pour se tirer d'affaire en éliminant des questions pénibles ou gênantes, ce qui leur économise un effort de recherche et de réflexion.

3.    UN ROLE NECESSAIRE

Bien évidemment, c'es critiques et avertissements ne disqualifient pas l'Esprit lui-même. Elles portent seulement sur des dérives et des dérapages, hélas, trop fréquents.

On peut d'ailleurs retourner les objections que j'ai mentionnées par des arguments qui vont en sens contraire. Ainsi, l'Esprit signifie que l'existence du croyant et la vie de la communauté ecclésiale renvoient à quelque chose qui les dépasse, ce qui devrait nous empêcher d'absolutiser nos tendances subjectives. Ensuite, il indique que nous recevons d'ailleurs vérité et dynamisme. Nous ne les produisons ni ne les possédons, ce qui devrait nous inviter à la modestie. Enfin, il rappelle que le travail de réflexion, pour important et nécessaire qu'il soit, ne suffit pas. L'Esprit empêche qu'on enferme la vérité dans des concepts, des définitions et des formules ; il contredit et interdit le dogmatisme.

Le témoignage du Nouveau Testament, l'enseignement de la Réforme et l'expérience de la foi montrent que l'Esprit est à la fois dangereux et nécessaire. Dangereux, parce que source d'excès et de perversion, nécessaire parce que sans lui, il n'y a pas de vie et de pensée chrétiennes véritables.

4.    L’UNION DE LA PUISSANCE ET DE L’ESPRIT

Le théologien Paul Tillich a écrit que l'Esprit se caractérise par l'union de la puissance et du sens. L'Esprit agit et se manifeste quand nous rencontrons une puissance qui a du sens et éprouvons un sens qui a de la puissance.

L'Esprit n'est pas une puissance insensée. Dans le monde, dans l'histoire, et aussi dans notre existence personnelle, agissent souvent des puissances absurdes, égarantes, voire destructrices. Des idéologies comme le nazisme ou le fascisme, des fanatismes et des intégrismes de toutes sortes s'emparent de foules et provoquent des catastrophes. Des logiques folles, celles du profit économique et du développement industriel font de beaucoup d'humains des esclaves et entraînent la pollution de la planète. Des gens sont la proie de passions, de haines, d'amours, ou de désirs qui les amènent à saccager leur existence, ainsi que celles de leurs proches. Nous nous trouvons constamment aux prises avec des forces stupides, mais redoutablement efficaces, dont l'influence et l'effet pèsent lourdement sur nous. L'Esprit est, au contraire, une puissance qui a et qui donne du sens.

L'Esprit n'est pas non plus un sens impuissant. À l'inverse des forces insensées, il existe des vérités sans effet et des valeurs sans impact. Malgré leur bien-fondé, elles n'arrivent pas à gagner les assentiments et les adhésions qu'elles mériteraient ; elles ne parviennent pas à persuader, à rassembler et à motiver. Elles demeurent stériles. On pourrait les comparer à un magnifique tableau que personne ne viendrait voir : à quoi servirait sa beauté ? Souvent, les Églises vivent tragiquement cette situation d'un sens qui manque de puissance. Beaucoup de prédications disent des choses justes, mais sans intéresser ; bien que solidement argumentées et très pertinentes elles ne modifient rien ni ne changent personne. Il nous arrive d'avoir raison et de ne pas arriver à faire entendre raison. L'Esprit, au contraire, est un sens qui nous dynamise et nous mobilise. Quand il s'empare de nous, il nous rend convaincu et convaincant.

Les déviations que nous avons signalées viennent en grande partie de ce qu'on dissocie la puissance d'avec le sens. Ce divorce transforme l'Esprit de vérité et de lumière en un esprit de perversion et de ténèbres (pour reprendre des expressions utilisées dans les écrits de Qumran).

5.    DIEU EST ESPRIT

On a beaucoup discuté sur l'Esprit, sur sa nature et son statut. A-t- il une existence indépendante et représente-t-il une personne distincte du Père et du Fils ? Ces débats, de facture très scolastique, me paraissent souvent oiseux et futiles. Comme l'écrit Tillich : « L'expression " esprit de Dieu " veut dire : Dieu présent dans notre esprit. L'Esprit n'est pas une substance mystérieuse. C'est Dieu lui-même [...] en tant qu'il est présent dans les communautés, dans les personnalités, en tant qu'il s'en saisit, qu'il les inspire et les transforme. » Quand on parle de l'Esprit, il ne s'agit de rien d'autre que de Dieu ou du Christ présent, vivant et agissant en nous. Peut-être, ferions-nous mieux d'écrire « esprit » sans majuscule pour écarter des spéculations parfaitement vaines.

Que Dieu soit esprit signifie qu'en lui se trouve la lumière qui nous éclaire et la force qui nous anime. Il apporte du sens ; il faut donc se refuser à l'obscurantisme religieux qui se complaît dans le mystérieux et l'incompréhensible ou qui cultive l'absurde. Il nous apporte de la puissance; il agit en nous, oriente et réoriente notre existence ; il nous met au travail. Que Dieu soit esprit veut dire qu'il n'est pas inerte mais vivant, qu'il génère non pas un ordre mais un mouvement, et qu'il nous appelle à la liberté, à l'inventivité, et non à la passivité et à la résignation.

 

Pages 91 à 94 de l’ouvrage d’André Gounelle, « Penser la foi », 2005, Van Dieren éditeur, collection « Débats »

 

 

 

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